Par Alain Prigent
Née le 22 avril 1917 à Kergrist-Moëlou (Côtes-du-Nord, Côtes-d’Armor), morte le 8 avril 2006 à Durfort (Gard) ; institutrice ; militante du PC clandestin et internée ; responsable de l’UFF des Côtes-du-Nord ; membre de la direction du PCF des Côtes-du-Nord ; députée des Côtes-du-Nord (1947-1951).
Son père, M. Le Chevalier, était marchand de bois (selon le registre d’état civil), sabotier (selon la déclaration de sa fille). Ses parents, ruinés par la crise économique des années 1930, étaient influencés par l’Église. Hélène Le Chevalier fit ses études à l’école primaire communale puis prépara le concours d’entrée à l’école normale au cours complémentaire de Rostrenen. Elle fut reçue première au concours en 1935 mais échoua à la visite médicale pour cause présumée de tuberculose. En contact avec l’épouse de l’écrivain Louis Guilloux, professeur de lettres à l’École normale d’institutrices de Saint-Brieuc, elle prépara le baccalauréat avec la promesse d’être réintégrée après révision de sa situation.
Son frère Guénolé Le Chevalier, sabotier également, était secrétaire de la cellule communiste de Kergrist-Moëlou. Il décéda brutalement en juin 1938. Hélène Le Chevalier rencontra Marcel Cachin lors d’un meeting à Maël-Carhaix (Côtes-du-Nord, Côtes-d’Armor) fin octobre 1938. Au moment la déclaration de la guerre, elle fut en contact avec les militants du Parti communiste entrés dans la clandestinité, en particulier Francis Marzin. À la Toussaint 1939, elle fut nommée institutrice suppléante à Mellionnec (Côtes-du-Nord, Côtes-d’Armor) où elle rencontra deux autres institutrices qui s’engagèrent ensuite dans la Résistance, Maria Chevallier* et Élise Masson*.
Elle adhéra au parti communiste clandestin en octobre 1940 constituant avec son amie Rosa Le Hénaff* un premier noyau dans sa commune natale. Rapidement elle fut en contact avec François Jégou*, ouvrier agricole, et Yves Grégoire*, bourrelier, formant un premier triangle du PC clandestin dans le secteur. Dans le même temps, faisant partie de la direction départementale du Secours populaire avec Joseph Debord et Yvette Le Quéinec*, elle organisa l’aide aux familles de prisonniers. Cette activité la mit en contact avec les structures interrégionales féminines organisées autour de Denise Ginolin, Marie Miry*, Yvonne Dissoubray puis Simone Bastien. Elle fut arrêtée le 18 mars 1943. Son interpellation donna lieu à une manifestation spontanée de femmes dans la commune. Interrogée à Saint-Brieuc, elle fut emprisonnée pendant cinq mois à Guingamp. Elle fut ensuite transférée le 20 août 1943 au camp de La Lande à Monts (Indre-et-Loire). Elle fut libérée le 20 décembre 1943. En contact avec Jean Le Jeune* et la direction du PC clandestin, elle entra dans la clandestinité à la fin du mois de décembre 1943 se cachant près de Plestin-les-Grèves. Au bout de quelques semaines, elle fut affectée à l’état-major du PC clandestin dans une petite ferme à Saint-Nicolas-du-Pélem. Elle fut la secrétaire de Poirot*, Maurin, et de Louis Picart jusqu’à la libération du département au début août 1944. Elle créa avec Madeleine Bello*, membre du CDL, l’UFF (Union des femmes françaises) qui devint rapidement une organisation de masse dans le département regroupant plusieurs milliers de femmes venant d’horizons politiques différents. Hélène Le Chevalier organisa le congrès de mars 1945 entourée de Maria Rabaté*, la direction nationale, et de Jeanne Mazier* (SFIO) et Georgette Manesse* (PCF).
Elle épousa Jean Le Jeune à la mairie de Kergrist-Moëlou, le 16 août 1945 ; le couple eut un enfant. Dans le même temps, elle intégra la direction départementale de la puissante fédération du PCF des Côtes-du-Nord. Membre du comité (1945-1949), elle fut élue au bureau en 1949, y siégeant jusqu’à son départ pour la Manche fin 1954.
C’est en tant que " ménagère ", sans profession, qu’elle se présenta à tous les scrutins. Lors des élections du 2 juin 1946 pour la seconde Assemblée constituante, elle figurait en quatrième position sur la liste communiste conduite dans les Côtes-du-Nord par les députés sortants Marcel Hamon et Guillaume Daniel. La liste recueillit 78 976 voix sur 280 275 suffrages exprimés (28,17 %), et emporta deux des sept sièges à pourvoir ; le MRP obtenant trois sièges dont celui de Marie-Madeleine Dienesch*, et la SFIO deux sièges. Placée en troisième position, Hélène Le Jeune se présenta aux élections législatives du 10 novembre 1946 en troisième position. La liste communiste continua sa progression avec 86 717 voix sur 275 377 suffrages exprimés (31,45 %), mais ne parvint pas à enlever un troisième siège. Suite à la démission, en janvier 1947, d’Auguste Le Coent, élu au Conseil de la République, elle fit son entrée à l’Assemblée nationale, le 31 janvier 1947.
Nommée membre de la Commission des affaires économiques, Hélène Le Jeune siégea en outre au sein de la Commission du ravitaillement, dont elle fut élue vice-présidente, et au sein de la Commission de la défense nationale. La plupart des textes qu’elle déposa concernent la question du ravitaillement ; elle se pencha en outre sur l’adaptation de la législation sur la famille, en poussant notamment à la création de nouvelles crèches. Hélène Le Jeune intervint en outre à plusieurs reprises à la tribune de l’Assemblée. La vigueur des propos qu’elle tint le 4 décembre 1950, au cours de la discussion du projet de loi portant amnistie relative aux faits de collaboration, suscita de vifs remous dans l’hémicycle : « je veux me faire l’écho de l’indignation qui s’empare de la population de notre région, la région bretonne, depuis que le projet d’amnistie est en discussion devant l’Assemblée nationale. » Au cours de la législature, Hélène Le Jeune vota la confiance au cabinet Blum (17 décembre 1946), mais la refusa à Paul Ramadier (4 mai 1947). Elle vota, entre autres, contre la loi électorale instituant le système des apparentements (7 mai 1951).
Placée en troisième position sur la liste communiste aux élections législatives du 17 juin 1951, Hélène Le Jeune ne fut pas réélue, pas plus qu’aucun candidat communiste. La liste, toujours conduite par Marcel Hamon, recueillit 69 340 voix sur 260 610 suffrages exprimés (26,6 %), mais les listes apparentées, conduites pour la SFIO par Antoine Mazier, pour les radicaux par René Pleven et pour le MRP par Henri Bouret, obtenant plus de la majorité des suffrages, elles emportèrent la totalité des sept sièges à pourvoir.
Pendant son mandat de députée, elle prit une part très active au sein du mouvement des Combattants de la paix. Le 11 mai 1950 à l’issue d’une manifestation en gare de Saint-Brieuc contre le passage d’un train en provenance de Brest et transportant des tourelles de canon à destination de Rochefort, dix autres responsables de la CGT et de la fédération communiste des Côtes-du-Nord, furent emprisonnés pendant sept mois à Fresnes, et à la prison des femmes de La Roquette pour les trois femmes Madeleine Bardelli*, Armande Daniel et Yvette Mallet. Deux autres militants entrèrent dans la clandestinité, Roger Ruelleux*, secrétaire de l’UD-CGT et son époux Jean Le Jeune, membre du comité central. À partir du 22 janvier 1951 dans le procès dit « des 12 » de Saint-Brieuc, les prévenus furent acquittés à l’issu d’un procès ayant eu une résonance nationale.
Après sa non réélection en juin 1951, Hélène Le Jeune continua son activité militante en particulier au sein de l’UFF. À la rentrée 1954, après maintes démarches, elle réussit à obtenir un poste d’institutrice dans le département de la Manche. Dans une note datée du 14 novembre 1954, les RG signalaient que le départ du couple Le Jeune serait « sans doute difficile à combler pour la fédération du PCF ». Hélène Le Jeune fut nommée à Octeville dans la banlieue de Cherbourg. Au printemps 1955 elle obtint un poste à Boissy-Monvoisin, près de Mantes-la-Jolie (Yvelines). Elle enseigna ensuite à Villeneuve-Saint-Georges (Seine-et-Oise, Val-de-Marne). En 1962, elle obtint un poste de directrice à l’école Vigneux-sur-Seine (Essonne). Le couple se sépara en 1966 et divorça en 1980. Lorsqu’elle fut en retraite, Hélène Le Jeune s’installa à Saint-Brieuc. Restée fidèle au PCF, sans responsabilité particulière dans la fédération des Côtes-du-Nord [Côtes-d’Armor], elle vécut les dernières années de sa vie auprès de sa fille Sylvie à Anduze (Gard).
Lors de son décès, l’Humanité, le 18 avril 2004, lui consacra un article dans la rubrique « Carnet ».
Louis Guilloux s’est inspiré de son engagement pour construire le personnage de Monique dans Jeu de Patience (Prix Renaudot en 1949).
Par Alain Prigent
SOURCES : Arch. Dép. Côtes-d’Armor, 1W7, 1W12, 1W13, 2W9, 2W131, 12W31. — Composition des comités fédéraux de la fédération des Côtes-du-Nord et fichier des élus de la Fédération des Côtes-du-Nord du PCF établis par Gilles Rivière. — L’Aube Nouvelle, hebdomadaire de la fédération des Côtes-du-Nord du PCF (1945-1951). — Ouest-Matin, quotidien édité par les fédérations du PCF de l’ouest (1948-1956). — Christian Bougeard, Le choc de la deuxième guerre mondiale dans les Côtes-du-Nord, thèse de doctorat d’Etat, Rennes II, 1986. — Jean Le Jeune, Itinéraire d’un ouvrier breton, chez l’auteur, 2002. — Louis Pichouron, Mémoire d’un partisan breton, Presses universitaires de Bretagne, 1969. — Alain Prigent, Histoire des communistes des Côtes-du-Nord (1920-1945), Saint-Brieuc, 2000. — Alain Prigent, Les femmes dans la Résistance dans les Côtes-du-Nord, Les Cahiers de la Résistance Populaire dans les Côtes-du-Nord, N°3/4, 1996. — François Prigent, Les femmes dans l’action militante, syndicale et revendicative de 1945 à nos jours, colloque international de Lyon (mars 2007). — Édouard Quemper, Prison pour une belle Marseillaise, Saint-Brieuc, 2002. — Notice sur le site de l’Assemblée nationale. — Entretien en juillet 1994. — Notes de Jacques Girault.