PÉREZ Bénito [« Oscar » dans la Résistance].

Par André Balent

Né le 3 février 1924 à Cenon (Gironde), mort à Toulouse (Haute-Garonne) le 18 mai 2015 ; ouvrier ; résistant du Lot-et-Garonne puis de l’Ariège ; cadre des FTPF en Ariège ; communiste ; officier des maquis de Vira et de Roquefixade (Ariège) ; a participé à la Libération de Pamiers (Ariège).

Benito Pérez en 1944
Benito Pérez en 1944

Fils d’Espagnols établis en Gironde en 1918, Bénito Pérez, avait cinq frères et soeurs. Il poursuivit sa scolarité jusqu’à l’âge de quinze ans. Adolescent puis jeune adulte, il n’était pas, selon son témoignage, particulièrement politisé. En 1939, il travaillait comme ouvrier agricole dans un vignoble du Médoc. Naturalisé, il refusa d’intégrer le STO en février 1943.

Réfractaire au STO en 1943, il quitta, sans les avertir, sa famille, sa "petite amie", Simone, et ses patrons. Suivant les conseils d’un ami (son futur beau-frère), il gagna d’abord le Lot-et-Garonne. Il devint membre d’un groupe de FTP du Lot-et-Garonne où il adopta bientôt le pseudonyme d’ « Oscar » qui avait été celui d’un autre maquisard FTP (Oscar Fontaine) tué par les Allemands. Ce groupe était en "attente" d’armement avant de rejoindre la lutte armée. Il travailla, en tendant, dans une exploitation agricole près de Marmande. Il fut ensuite muté dans un maquis "actif", opérant autour de Casteljaloux, Allons, Lavardac et Houeillès, au sud-ouest d’Agen. Dans ce département, il participa à la lutte armée : l’attaque d’un chantier de jeunesse afin de procurer des uniformes aux maquisards. sabotage de voies ferrées. Son groupe attaqué par des éléments des GMR le 2 février 1944 se battit toute une journée, perdant cinq de ses membres qui furent tués, et fut dissous. Il était, depuis une date indéterminée, militant du PC.

Deux jours plus tard, à la suite de la visite de deux responsables des FTPF, le maquis fut dissous. Pour sa part, "Oscar" fut envoyé en Ariège. Il fit le voyage de Marmande à Pamiers en train. Le 5 février il entrait en contact avec Amilcar Calvetti*, alias "Louis" ; commandant des FTPF du département qui le chargea d’encadrer, à Croquié (commune de Mercus, Ariège) au sud de Foix, un groupe de réfractaires du STO, des Ariégeois mais aussi un groupe de Narbonne (Aude) et des environs. À leur tête, il sabota l’usine électro-métallurgique d’aluminium de Mercus et provoqua un spectaculaire déraillement, dans un tunnel, d’un train de marchandises sur la ligne de Portet-Saint-Simon (Haute-Garonne) à Latour-de-Carol (Pyrénées-Orientales). En mai 1944, il gagna la vallée de la Douctouyre, près de Vira (Ariège), dans le Pays d’Olmes où il rentra en contact avec les FTP du groupe d’Aimé Gos. Il avait, auparavant, reçu la consigne de tuer le maire de Saint-Paul de-Jarrat (Ariège). Mais l’attentat qui eut lieu, fin mai 1944 (le 24 ?) près de La Charmille, à deux pas de la gare de chemin de fer de Saint-Paul — Saint-Antoine fut un échec. Avec d’autres, il quitta donc le Croquié, à pied, et, traversant le Plantaurel se retrouva à Vira dans la vallée du Douctouyre où étaient regroupés d’autres résistants des FTPF.

Pérez participa aux actions de ces hommes particulièrement entreprenants, visités par Georges Delcamp, puis, très régulièrement, par André Lacoste, deux cadres des FTP venant des Pyrénées-Orientales voisines. Le 6 juin, Calvetti* s’installa au moulin d’Embayourt, propriété de Gos, où se trouvait déjà « Oscar » qui dès lors fit partie, avec le grade de capitaine des FTPF, de l’état major de ce gros maquis où affluaient de nombreux jeunes. Le 7 juin, il participa au sabotage de pylônes de la caténaire de la voie ferrée, près de Varilhes (Ariège). Le 8, il fut de l’expédition à la caserne Sarraut dans le but de récupérer des armes. Le 9 le maquis, replié autour de Vira fut attaqué par les Allemands et la Milice. Ils revinrent à l’assaut le 11 et le 12, détruisant des maisons et tuant plusieurs personnes.

Bénito Pérez participa à la suite des opérations, jouant un rôle décisif. Vers le 15 juin, les FTPF se replièrent, au nombre de 70 vers le mont Pastouret. Ayant formé la 1e Compagnie FTP de l’Ariège, ils multiplièrent les coups de main vers Pamiers, Foix, Mirepoix ou Lavelanet (Ariège). Après le massacre d’Arvigna (29 juin), le maquis s’installa à Roquefixade (Ariège), près de Foix. Allemands et GMR donnèrent l’assaut les 6 et 7 juillet, tuant 16 maquisards. À Roquefixade, le groupe commandé par Bénito Pérez fut un moment encerclé par des éléments de la Milice. La compagnie put se replier dans une forêt, prés de Bélesta (Ariège), d’où elle continua à harceler les forces d’occupation, entrant en contact avec les Guerrilleros espagnols de l’AGE. Pour sa part, Pérez participa à une action de soutien au maquis AS de Picaussel, dans l’Aude voisine, attaqué par les Allemands. Après la Libération de Lavelanet, le 17 août, les FTPF libérèrent Pamiers le 18, avant Foix, qui le fut par les Espagnols de l’AGE. Mais, dans le Couserans de violents combats opposèrent, le 22 août 1944, les FFI (FTP et AS) de l’Ariège et des renforts de l’Aude et de la Haute-Garonne, aux Allemands (Légion du Turkestan) qui se repliaient vers l’est à Rimont (Ariège), village qui fut brûlé, et à Castelnau-Durban (Ariège). Pérez —accompagné d’un officier de l’armée régulière, Marcel Bigeard, parachuté en Ariège le 8 août— reçut la reddition des Allemands à Segalas (Ariège).

Bénito Pérez fut de ceux qui pénétrèrent dans Pamiers où les FTPF (et le PC) installèrent, au nom d’un pouvoir populaire issu de la Résistance — en fait des seuls PC et FTPF, les autres composantes de la Résitance n’étant représentés que de façon symbolique — un « tribunal du peuple » qui fonctionna du 18 au 30 août 1944 le peloton aux ordres du tribunal jusqu’au 31), rendant une justice expéditive, toujours sévère, parfois arbitraire. Dans ce laps de temps, 33 personnes dont sept femmes furent condamnées à mort « en dehors des garanties légales et des procédures habituelles d’une justice digne de ce nom » (Pierre Laborie). Le commissaire de la République de Toulouse peu favorable aux communistes, Pierre Bertaux, avait, en 1944, surévalué le nombre des exécutés de 60 à 80. Des sentences sans appel furent exécutées sur le champ, par fusillade (on a parlé de pendaison , mais en fait, il y en eut une à Foix). Le peloton d’exécution appaméen était commandé par « Oscar ». Dans une ville autonome de fait, il exécutait les décisions d’un tribunal où siégeaient, aux côtés de civils et de quelques autres résistants d’autres mouvances très minoritaires à Pamiers, des officiers communistes des FTP, à commencer par le supérieur direct de Bénito Pérez, Amilcar Calvetti*. Le nouveau préfet de l’Ariège, Ernest de Nattes, nommé le 25, ordonna la suppression des « tribunaux du peuple » de son département dès le 29 août : elle ne fut appliquée à Pamiers que le 31, en fin de matinée, après les quatre dernières exécutions décidées (?) par le « tribunal du peuple » local. L’épuration appaméenne « renvoie autant aux enseignements de la longue durée et à la trouble complexité du culturel qu’à la seule explication par l’idéologie et les stratégies de conquête du pouvoir » (Pierre Laborie) que Bénito Pérez et ses compagnons (Calvetti, Lacoste, Gos et d’autres) tentèrent de mettre en œuvre plus ou moins consciemment. Plus tard, Claude Delpla
— et sa fille Isabelle après sa mort — ont remis en cause, de façon argumentée la spécificité culturelle ariégeoise de l’épuration appaméenne pratiquée par le "tribunal du peuple". Ils ont expliqué que le tribunal dont la création fut décidée par André Lacoste avait permis de réguler la fureur de populations civiles révulsées par le déchaînement de violences perpétrées, au cours des semaines précédents, par les forces d’occupation et les vichystes. Du fait même de son caractère expéditif, des "bavures", comme celle dont fut victime Joseph Laborde, ne purent être évitées. Mais les femmes condamnées, au nombre de sept, si elles furent tondues et furent victimes d’humiliations supplémentaires dues à leur genre, avaient réellement été coupables de graves faits de collaboration. En prenant le contre-pied de Pierre Laborie sur ce thème, Claude Delpla a corrigé une de ses conclusions. Il pondère aussi jugement de Laborie en faisant remarquer que, si autour de 200 personnes furent arrêtées, le tribunal du peuple a ordonné d’en relâcher environ 150 par manque de preuves ou parce qu’elles étaient manifestement innocentes.

Concernant l’épisode du "tribunal du peuple" de Pamiers, Bénito Pérez a, en 2004, fait part de ses souvenirs de résistant à Jean-Jacques Pétris. S’exprimant à propos de son rôle de commandant du peloton chargé d’exécuter les condamnations à mort décidées par le "tribunal du peuple" de Pamiers : "Rapidement, devant le nombre de dénonciations de personnes suspectes, un tribunal a été institué. Je faisais partie de ceux qui avaient en charge l’interrogatoire et l’instruction avant de donner le dossier au tribunal. Ce dernier jugeait : ce qui n’était pas mon problème. J’avais assez de travail à calmer parfois la population, à aller rechercher des personnes et instruire.
Après m’être battu pour la libération de l’Ariège, je sais que certains me reprochent d’avoir été présent aux exécutions programmées par le tribunal. Lorsqu’on m’a donné l’ordre, je l’exécute : c’est tout ! En réalité, je me demande si on ne m’en a pas voulu parce que la population voulait à tout prix assister à celles-ci ! J’ai eu à sortir mon arme pour éviter cela. Ça oui ! Il fallait les voir tous ces gens avides de sang. Il est clair, au vu de mes responsabilités au sein de après-Libération, que j’étais repéré et que je devais faire preuve d’autorité. Et j’ai appris, à mon retour en France [du Québec], que le cas de Pamiers était sujet de discussion. Ce que je sais, c’est qu’il y avait un tribunal. Il décidait (...) J’ajoute de plus que si nous avions laissé faire, cela aurait été une véritable boucherie. Beaucoup de personnes arrêtées arbitrairement ont pu avoir la vie sauve par les moyens mis en place. Quant à ceux qui avaient bien mouillé dans la collaboration, il est clair qu’il n’y avait pas de pitié. C’était la logique même. mais je reste persuadé que par notre action, nous avons pu réguler cette soif de vengeance, de guerre civile larvée".

Après cet épisode de la Libération de Pamiers, Bénito Pérez, intégré après « amalgame » dans la nouvelle armée française avec le grade de lieutenant, aurait souhaité suivre Amilcar Calvetti, qui à la tête du 1e bataillon de l’Ariège, était allé participer, jusqu’en Alsace, à la campagne contre l’Allemagne nazie. Il fut affecté à l’état major de la subdivision militaire de Foix (Voir Cortale Fernand) chargé du deuxième bureau. À ce titre, il continua de pourchasser les collaborateurs. Dans un témoignage recueilli par Olivier Nadouce, il expliqua plus tard : « Je faisais partie de ceux avaient en charge l’interrogation et l’instruction du dossier de chaque suspect arrêté avant de le transmettre au tribunal… Le jugement rendu, on me demandait de commander le peloton d’exécution ». Par ce témoignage, Bénito Pérez confirme l’action « extra-judiciaire » à laquelle il participa à Pamiers dans les premiers jours de la Libération et qu’il poursuivit ensuite à Foix, dans un cadre plus institutionnel.
Bénito Pérez s’engagea dans les parachutistes au début de 1945. En mai 1945, il fut amené à sauter sur Sétif, en Algérie, où l’Armée fut amenée à participer à des opérations de « rétablissement de l’ordre ». « J’ai fait valoir que j’avais signé pour la durée de la guerre en Europe, pas pour réprimer les colonies … J’ai donc quitté l’armée ».

De retour en Ariège, il se maria et fut bientôt père de famille. Conducteur d’engins dans des chantiers de la Haute Ariège, il fut, en 1948, à Toulouse, cité comme témoin, avec son camarade Calvetti, au procès de Marty, intendant de police de Montpellier puis de Toulouse.

En juillet 1951, il signa à Foix, un contrat d’embauche pour le Canada où, conducteur d’engins dans des mines ou des grands travaux, il travailla dans le Grand Nord ou sur la côte Ouest. Il prit sa retraite au Québec à l’âge de 65 ans.

En 2004, sa femme, gravement malade, manifesta le désir de revenir dans son Ariège natale où elle mourut peu après et fut enterrée dans le caveau familial à Foix. Ce fut pour « Oscar », l’occasion de renouer avec les survivants de la tragique épopée des FTP ariégeois et de livrer ses précieux témoignages. Il participa cette année-là aux commémorations du combat et du massacre de Roquefixade.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article137015, notice PÉREZ Bénito [« Oscar » dans la Résistance]. par André Balent, version mise en ligne le 9 juin 2011, dernière modification le 30 novembre 2022.

Par André Balent

Benito Pérez en 1944
Benito Pérez en 1944

SOURCES : Claude Delpla, La Libération de l’Ariège, postface d’Isabelle Delpla, "Une violence archaïque exceptionnelle ? Le tribunal du peuple de Pamiers en question" [pp. 481-491], Toulouse, Le Pas d’Oiseau, 2019, 514 p. [nombreuses références à Bénito Pérez. — Pierre Laborie, « Entre histoire et mémoire, un épisode de l’Épuration en Ariège : le tribunal du peuple de Pamiers, 18-31 août 1944 », in : dir. Michel Brunet, Serge Brunet, Claudine Pailhès, Pays pyrénéens et pouvoirs centraux (XVIe - XXe siècles), Actes du colloque de Foix 1-3 octobre 1993, Foix, Association des Amis des archives de l’Ariège, Conseil général de l’Ariège, Université de Toulouse- Le Mirail, s. d. (1996), Tome II, pp. 267-283. [en particulier, p. 273, « Oscar » participe aux exécutions sommaires de Pamiers]. — Olivier Nadouce, L’Ariège, terre de résistance. La bataille de Vira, Saint-Cyr-sur-Loire, Alan Sutton, 2008, 157 p. [en particulier, pp. 54-59, et son témoignage, pp. 55.-59 ; pp. 140-143, témoignage de l’intéressé.]. — Bénito Pérez, On l’appelait "Oscar", entretiens avec Jean-Jacques Pétris", s.l., sd., (2018 ?), non paginé, pas de dépôt légal. — Jean-Jacques Pétris, Le maquis de Roquefixade, Toulouse, imprimerie Espace-repro, 1999, 125 p., imprimerie Espace-repro, 1999, 125 p. — site http://www.histariege.com/personnalitesguerre.htm, consulté le 10 novembre 2010.

ICONOGRAPHIE : Nadouce, op. cit., p. 55 (en uniforme, en mars 1945) ; p. 142 (2007).

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