LECHANI Mohand, Saïd

Par Claire Flaure

Né le 15 mai 1893 à Aït Halli (Algérie), mort le 25 mai 1985 à Alger ; instituteur en Algérie ; militant syndicaliste ; militant berbérisant ; militant socialiste, conseiller général, membre de l’assemblée financière algérienne ; membre de la mission du Gouvernement provisoire de la République algérienne au Maroc.

Mohand Said Lechani
Mohand Said Lechani

Sa famille appartenait à la puissante confédération des Aît Iraten en Haute Kabylie. Mohand Lechani, après avoir été berger, fréquenta, à partir de 1900, l‘école de Tamazirt, une des premières ouvertes en Kabylie, contre la volonté de son père, partisan de la résistance culturelle. Après avoir obtenu le certificat d’études primaires en 1906, il entra en 1909 dans la section « indigène » de l’École normale d’instituteurs de La Bouzaréah. Pendant ces trois années, il suivit notamment l’enseignement en langue berbère de Saïd Boulifa avec qui il se lia d’amitié. En octobre 1912, il fut nommé instituteur à Marengo à l’Ouest d’Alger. Prenant conscience de sa condition de colonisé, sous l’influence de son directeur Émile Laoust, convaincu par les articles de Jean Jaurès, il adhéra à la Ligue des droits de l’homme et au Parti socialiste SFIO en 1912. Réformé en 1914, il devint instituteur dans l’oasis berbère de Ghardaïa. Titularisé en 1915, il fut muté à Mahelma, près d’Alger.

En signe de protestations contre les discriminations faites aux instituteurs indigènes, Lechani demanda son affectation pour le Maroc où, pensait-il, les lois du protectorat lui seraient plus favorables, et débuta comme instituteur en février 1919 à Marrakech. En parallèle, il suivit les cours en dialectologie berbère donnés par Emile Laoust à l’Institut des hautes études de Rabat. Déçu par les mauvaises conditions professionnelles, il revint en Algérie et enseigna pendant cinq ans dans un village kabyle d’Ighil-Mahni.

A la fin de 1920, attiré par la Troisième Internationale plus attentive aux question coloniales, Lechani adhéra au Parti communiste mais en demeura membre peu de temps. Il fut en 1922 un des co-fondateurs de La Voix des Humbles, organe socio-éducatif d’expression des instituteurs d’origine algérienne. Membre du conseil syndical de la section d’Alger du Syndicat national (CGT), il en démissionna en 1930 pour protester contre l’attitude des instituteurs de l’enseignement français qui l’accusaient de dissidences car il essayait de regrouper dans une sous-section, dont il était le responsable, les instituteurs indigènes. Il estimait au contraire qu’il s’agissait de les rassembler au sein du syndicat.

Nommé instituteur à Alger vers 1926, Lechani enseigna dans les quartiers populaires de la Basse-Casbah et de Bab-el-Oued. Surveillé par l’administration pour ses activités extra-scolaires, il fut le premier instituteur algérien à adopter les méthodes d’Éducation nouvelle (imprimerie à l’école). Ces innovations pédagogiques réussies le conduisirent à participer aux enquêtes et travaux de la commission chargée de l’élaboration du français fondamental dans les années 1950, dirigée par le linguiste Georges Gougenheim.

Parallèlement, à ses activités militantes à la Ligue des droits de l’homme, au Parti socialiste SFIO, au Syndicat national des instituteurs, Lechani, délégué des socialistes algériens au Congrès musulman en juin 1936, participa au lancement du quotidien de gauche Alger Républicain en 1939. Il rédigea alors une brochure de 32 pages intitulée Le malaise algérien. Au début de la guerre, il s’opposa aux lois restrictives du gouvernement de Vichy avec le collectif des intellectuels antifascistes d’Alger et d’autres camarades dont Benhadj et Boumendjell. Révoqué, il reprit des activités paysannes en Kabylie. Avec André Picard, instituteur berbérisant, à la Faculté des Lettres d’Alger, à la fin des années 1940, chargé d’étudier le parler local des Irjen par le rectorat, commença une longue et fructueuse collaboration.

En octobre 1945, Lechani fut élu conseiller général de la deuxième circonscription (Fort-National) sur la liste « des candidats communs socialo-communistes » du deuxième collège (collège des musulmans) et fut réélu en 1951 comme apparenté socialiste. Il siégea, pendant deux mandats (décembre 1945-1948), à l’Assemblée financière de l’Algérie, devenue assemblée algérienne et à la Commission supérieure des réformes musulmanes instituée par le gouverneur socialiste Yves Chataigneau. Désigné par le Parti socialiste SFIO pour siéger à l’Assemblée de l’Union française en 1946 puis à nouveau en 1952, proposé par le Parti pour la candidature à la présidence de l’assemblée, récusé par le « lobby colonial », il fut écarté par le représentant du gouvernement. Durant ces mandats, il participa à des réformes pour améliorer le sort des populations kabyles (eau, ravitaillement, ouverture de classes, de dispensaires, de routes, électrification) et à la mise en place en 1946 des Nouveaux centres municipaux. Dans son action éducative, auteur d’un rapport sur la scolarisation, il fut le rapporteur devant l’Assemblée du décret du 5 mars 1949 créant l’école unique sans distinction de race et d’origine. Il développa ses conceptions d’une Union française fédérale avec la reconnaissance d’une double nationalité pour ses ressortissants, française et citoyens de l’Union française, dans une brochure de 28 pages en 1948, Considérations sur le présent et l’avenir de l’Union française. En outre, en avril 1947, il fut désigné comme maire du centre communal de Tamazirt en Haute-Kabylie.

Lechani, signataire, en septembre 1955, de la motion « des 61 » dénonçant la politique d’intégration de Jacques Soustelle, à l’appel du Front de libération nationale, démissionna en décembre 1955, de ses mandats politiques et rejoignit, en 1958, la mission du Gouvernement provisoire de la République algérienne à Rabat pour s’occuper des questions d’éducation et d’information. A l’indépendance, il rentra du Maroc pour se consacrer à l’encadrement pédagogique (instituteurs, moniteurs), à l’alphabétisation et à la préservation de la culture berbère dont il avait le souci de la transmission.

Père de cinq enfants, Lechani fut inhumé dans son village natal.

Son livre Du bon usage de la pédagogie, (textes réunis et édités par Méziane Lechani), parut en 2017 aux éditions Les chemins qui montent, préfacé par Anne-Marie Chartier.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article137022, notice LECHANI Mohand, Saïd par Claire Flaure, version mise en ligne le 15 mai 2011, dernière modification le 29 novembre 2019.

Par Claire Flaure

Mohand Said Lechani
Mohand Said Lechani

SOURCES : Enquête familiale. — Dictionnaire des militants du mouvement ouvrier en Algérie, Paris, Editions de l’Atelier, 2007. — Dictionnaire biographique de la Kabylie, Aix-en-Provence, Edisud, 2001. — PICARD (André), Textes berbères dans le parler des Irjen (2 tomes), Alger, Typo-litho, 1958. — ABBAS (Ferhat), La nuit coloniale, Paris, Julliard, 1962. — FARÉS (Abderrahmane), La cruelle vérité, Paris, Plon, 1982. — Notes de René Gallissot, de Jacques Girault et de Louis Pierre Montoy.

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