JOUBERT Louis [JOUBERT Daniel, Louis]

Par André Caudron, Alain Dalançon

Né le 1er décembre 1909 à Saint-Maixent-l’École (Deux-Sèvres), mort le 14 janvier 1982 à Niort (Deux-Sèvres) ; professeur agrégé, inspecteur général d’histoire-géographie ; résistant de l’OCM ; pasteur de l’Église réformée, pionnier du mouvement œcuménique ; militant socialiste.

Louis Joubert
Louis Joubert
En classe de terminale au lycée Fontanes

Petit-fils de cultivateurs, Louis Joubert connut peu son père, Louis, Henri, instituteur public, tué le 6 mai 1916 à la cote 304 à Esnes, au début de la bataille de Verdun. Jeune orphelin, il vécut jusqu’à l’âge de dix ans avec sa mère, née Rachel Pineau, et sa sœur, dans le village de Prailles, en pays protestant au sud des Deux-Sèvres, où sa grand-mère était institutrice. Il fut élevé dans la religion réformée et c’est dans cette foi qu’il trouva les principales références à ses divers engagements.

Pupille de la nation, il effectua ses études secondaires comme boursier au lycée Fontanes à Niort où sa famille vint habiter à partir de 1920. Bachelier à l’âge de seize ans, il alla faire khâgne, durant deux années, au lycée Henri IV à Poitiers (Vienne), sans réussir au concours d’entrée à l’École normale supérieure. Tout en gagnant sa vie, il s’inscrivit à la faculté des lettres de Bordeaux (Gironde), où il termina sa licence ès lettres d’histoire-géographie et obtint le diplôme d’études supérieures.

Pacifiste, et même antimilitariste, en raison de la disparition de son père à la guerre, et par conviction, il refusa de faire la préparation militaire, comme beaucoup de khâgneux de son époque, et effectua son service militaire en 1932-1933 au service météorologique de l’armée de l’Air, qu’il termina au grade de caporal.

Il commença ensuite à enseigner comme professeur délégué d’histoire-géographie au lycée Victor-Duruy de Mont-de-Marsan (Landes). Il épousa le 18 avril 1933 à Bordeaux, Germaine, Cosette Martin (fille d’un magistrat originaire de Melle (Deux-Sèvres)), avec laquelle il eut un fils, Jean-Louis (1934-1986, chef d’orchestre), mais elle décéda trois ans plus tard avec son bébé à la suite d’un second accouchement.

Reçu premier à l’agrégation d’histoire et géographie en 1935, Louis Joubert fut nommé au lycée Montaigne de Bordeaux où il resta jusqu’en 1965. Il se remaria à Paris (Ve arr.), le 12 août 1939, avec Anne-Marie Vigoureux (fille d’un artiste peintre et professeure de lettres classiques) avec laquelle il eut cinq autres enfants : Daniel (1940-1996), professeur d’histoire, Claire (1942-1997), professeure documentaliste, Denise (née en 1944), professeure de lettres classiques, Alain (né en 1946), ingénieur et Christian (né en 1951), professeur de lettres-histoire.

À Bordeaux, à la fin des années 1930, il affichait des idées politiques nettement à gauche, mais hostiles au communisme et teintées d’anarchisme. En 1936, il fut un des organisateurs des universités populaires. En 1937, il compta parmi les promoteurs du mouvement œcuménique d’enseignants « L’Amitié », dont il devint membre du comité directeur. Il adhérait alors au Syndicat national des professeurs de l’enseignement secondaire (dénommé S3) et militait pour son adhésion à la CGT, qui échoua une nouvelle fois en 1937. Il participa donc à la fondation du Syndicat du personnel de l’enseignement secondaire (SPES) affilié à la FGE-CGT et en devint un des responsables académiques. Il fut un des rares grévistes contre les décrets Daladier-Reynaud, le 30 novembre 1938. Comme d’autres pacifistes, il bascula dans le camp des adversaires de Munich, par hostilité quasi théologique au nazisme considéré comme le mal absolu. Remobilisé en 1939 dans les services météorologiques, il fut démobilisé en juillet 1940.

Louis Joubert reprit son poste de professeur et commença à résister à l’occupant en distribuant de la presse clandestine ou en participant à des services de renseignements. Au printemps 1943, il devint un des responsables importants de l’OCM (Organisation civile et militaire) en tant que conseiller politique du chef de la région B (Aquitaine), André Grandclément, qui souhaitait élargir à gauche le mouvement. Quand ce dernier, poursuivi par la police française et la Gestapo, s’enfuit à Paris au mois de juillet, le nouveau chef de l’OCM, Rollot, lui confia un poste à l’état-major, chargé notamment de faire passer résistants et réfractaires en Espagne, dont son ancien élève, Francis Jeanson. Puis il fut envoyé réorganiser l’AS (Armée secrète) dans son département natal, les Deux-Sèvres, où il fit nommer Edmond Proust, instituteur d’origine protestante et créateur de la MAIF, chef de la Résistance pour les Deux-Sèvres, avec une équipe qui comprenait des communistes.

Fin 1943, début 1944, Louis Joubert fut chargé, avec le colonel André Thinières, autre responsable de l’OCM, d’une mission à Alger auprès du général de Gaulle, président du Comité français de Libération nationale, mission qui devint une véritable affaire, parfois présentée comme un appendice de « l’affaire Grandclément », divisant durablement résistants et historiens de la Résistance et dont certains aspects restent encore dans l’ombre.

André Grandclément, très anti-communiste, avait été « retourné » par les Allemands en échange de la non-déportation de sa femme, sa propre sûreté et de celles de ses camarades. Il avait accepté de mettre le lieutenant SS Friedrich Dohse, chef de la section IV de la Gestapo de Bordeaux, en relation avec Joubert afin de contacter le chef de la France libre. Le plan exposé par Dohse était de considérer le combat contre la Résistance comme une guerre régulière, soumise donc aux accords internationaux, en mettant en perspective une trêve ou un armistice avec la France libre, voire de constituer des « maquis blancs » pour contrer toute tentative de prise du pouvoir des communistes à la Libération. En réalité Dohse souhaitait discréditer le nouveau chef de l’OCM du Sud-ouest, Eugène Camplan, et Joubert lui-même. Ce dernier, se sentant menacé d’arrestation, selon son témoignage, se résigna à discuter avec Grandclément, puis Dohse, pour gagner du temps et profiter de l’accalmie dans la répression. Avec l’accord de Camplan et du chef de l’OCM à Paris, le colonel Touny, Joubert accepta d’aller porter les offres des Allemands au général de Gaulle, en compagnie du colonel Thinières. L’intérêt que les Allemands portaient au chef de la France libre aurait pu, à leur avis, permettre de renforcer sa crédibilité auprès des alliés occidentaux. Le 20 décembre 1943, les deux hommes passèrent en Espagne, cachés dans la propre voiture du SS Dohse, puis arrivèrent très rapidement à Alger, dans les premiers jours de janvier 1944. Après une première rencontre avec Rollot puis André Philip, ils purent entretenir De Gaulle des propositions allemandes, que le général refusa catégoriquement. Si c’était bien la réponse espérée par les deux émissaires, la méfiance fut de règle, de sorte qu’ils furent envoyés en résidence surveillée dans le sud Algérien à Bou Saouda puis Laghouat. Cet épisode, s’ajoutant à la « trahison » de Grandclément, conduisirent Emmanuel d’Astier de la Vigerie, commissaire à l’Intérieur du CFLN, à envoyer un message d’alerte à la résistance intérieure pour rompre avec l’OCM. L’échec de la mission Joubert-Thinières était patent et envenima un peu plus les rapports entre les résistants du Bordelais et avec les directions de la Résistance intérieure, de la France libre et les Anglais. Camplan fut d’ailleurs mystérieusement abattu le 19 janvier 1944, le DRM, Bonnier, s’empoisonna lors de son arrestation suite à une trahison, puis Grandclément fut exécuté dans un bois, après le débarquement, le 27 juillet.

Pendant son séjour forcé en Algérie, Louis Joubert eut l’occasion d’approfondir sa connaissance de l’Islam. Transféré dans le sud-Constantinois au printemps 1944, il fut témoin des graves événements qui s’y déroulèrent en mai 1945, et, selon lui, il intervint pour éviter un massacre, grâce à ses bonnes relations avec les autochtones à Aumale. Alors que Thinières avait pu reprendre du service dans l’armée dès juin 1944, c’est seulement en juillet 1945 qu’il fut blanchi après une longue enquête de la DST et put rentrer en métropole. Il ne reçut la carte de combattant volontaire de la Résistance qu’en 1957, sur l’insistance du général Rollot qui l’avait dans un premier temps considéré avec méfiance.

Louis Joubert réintégré dans son poste, reprit ses cours au lycée Montaigne de Bordeaux. Il enseigna pour une part de son service dans les « classes nouvelles » qu’il quitta à regret pour les classes préparatoires d’hypokhâgne et khâgne. Il enseignait aussi à la faculté des lettres de Bordeaux, donnait un cours d’Histoire de l’art à l’École d’Architecture et, chaque mois, assurait un enseignement d’Histoire de l’Église puis de missiologie à la faculté de théologie protestante de Montpellier dont il devint docteur honoris causa. Il donnait aussi des cours sur l’Islam contemporain à l’Institut d’études politiques de Bordeaux. En 1951-1952, il fut détaché au CNRS pour la préparation d’une thèse sur la rivalité franco-anglaise de la mort de Colbert au Traité de Paris (1683-1763), sous la direction de Charles-André Julien, qu’il n’acheva pas. Il refusa toutes les propositions de nomination dans un lycée parisien ou à la Sorbonne.

Anticolonialiste, il avait rédigé dès 1948 un manifeste avec des résistants membres de l’Église réformée, parmi lesquels André Philip, René Courtin, ainsi qu’avec Léopold Senghor. Il prit position lors des conflits indochinois, malgaches et maghrébins, en essayant de faire entendre à la fois les impératifs de la justice et du dialogue, ainsi que les réalités historiques et sociologiques que ses interlocuteurs métropolitains ignoraient trop souvent. Il ne se faisait cependant pas trop d’illusions sur les futurs gouvernements indépendantistes : les nationalismes représentaient pour lui les plus grands des dangers. Politiquement, il votait socialiste, était très antigaulliste depuis 1958 et, aux élections municipales de 1965, à Talence où il résidait, le ralliement au 2e tour de sa liste associative à une liste d’union allant des communistes au MRP, permit l’élection comme maire du socialiste Henri Deschamps, professeur de lettres.

Cette même année 1965, il fut nommé inspecteur général d’histoire-géographie chargé notamment des établissements français d’Afrique, d’Asie du sud-est et de l’Océan indien. Une telle nomination d’un professeur provincial, connu pour son anticolonialisme et son militantisme protestant par un ministre de l’Éducation nationale, Christian Fouchet, gaulliste historique, peut surprendre. Faut-il y voir seulement l’appui de l’inspecteur général Louis François qui souhaitait renforcer le poids des résistants dans l’inspection générale ?

Parallèlement, en septembre 1965, il fut chargé avec le pasteur Claude Bride, de Suisse, d’apporter un message de soutien du comité de la Société des missions évangéliques de Paris à l’Église évangélique du Cameroun qui avait dû faire face à une campagne d’assassinats.
Louis Joubert mena en effet de front sa mission d’inspecteur et celle de militant protestant. Il rédigea les programmes scolaires d’histoire-géographie pour l’enseignement dans ces pays d’outre-mer, tout en aidant des personnels des établissements français et les coopérants et, parallèlement, il apportait son aide aux jeunes Églises et aux missions protestantes. Depuis 1949, son rôle était important au sein de la Société des Missions évangéliques de Paris, et il participa à sa transformation en 1972 en Département évangélique français d’action apostolique (DEFAP) où les Églises des anciennes missions et de France étaient égales. Dans le cadre de "l’Amitié", il avait aussi participé à diverses rencontres avec des évêques et des théologiens catholiques, à l’origine d’un dialogue interconfessionnel. Et il intégra un comité d’experts chargé de préparer un ouvrage sur Les Églises chrétiennes et la décolonisation pour les éditions Armand Colin (Cahiers 151, Fondation nationale de sciences politiques, 1967). Il était cependant très profondément attaché à la laïcité, comme beaucoup de protestants de sa génération, dont les convictions laïques ne s’opposaient nullement à leurs convictions et engagements religieux.

Estimant qu’il ne pouvait plus rien apporter dans l’inspection après 1968, il prit en 1974 sa retraite à 65 ans, alors qu’il aurait pu poursuivre jusqu’à 70 ans. Installé dans la maison familiale de Mougon (Deux-Sèvres), il décida alors de devenir pasteur de l’Église réformée dans sa région natale, jusqu’en 1979. Jusqu’alors non encarté, à la faveur du mouvement des Clubs, il rejoignit le nouveau Parti socialiste après le congrès d’Épinay.

Louis Joubert était officier des Palmes académiques (1965), chevalier de la Légion d’honneur (1968), décorations, disait-il, liées à ses fonctions et qu’il n’avait jamais recherchées. Une rue du « pasteur Louis Joubert » existe à Niort, bordant le square du 19 mars 1962.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article137402, notice JOUBERT Louis [JOUBERT Daniel, Louis] par André Caudron, Alain Dalançon, version mise en ligne le 20 juin 2011, dernière modification le 1er décembre 2022.

Par André Caudron, Alain Dalançon

Louis Joubert
Louis Joubert
En classe de terminale au lycée Fontanes
Fausse carte d’identité
Retour à Alger avec son épouse en 1947
Réunion politique en 1956
Professeur devant sa classe vers 1960
Grand-père en 1976

ŒUVRE : Plus de deux cents textes pour des revues ou journaux protestants : L’Amitié (1937-1970), Études théologiques et religieuses (1955-1962), Réforme (1945-1957) ; pour Les Cahiers d’outre-mer, de Bordeaux (1948) – Trois cent cinquante articles, surtout d’histoire coloniale, dans le Larousse du XXe siècle et le Grand Larousse encyclopédique.

SOURCES : Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, 5. Les protestants (Henri Dubief), Beauchesne, 1993. — Hommes et destins, 5. Académie des sciences d’outre-mer (Marie-Christine Held et Robert Bonnal), 1984. — Dictionnaire de biographie française, CVI, 1992 (Henri Blamont). — Arthur Calmette, L’OCM. Organisation civile et militaire, PUF, 1961. — Henri Noguères, Histoire de la Résistance en France, 4. Robert Laffont, 1976. — Michel Chaumet, Jean-Marie-Pouplain, La Résistance en Deux-Sèvres (1940-1944), Geste, 2010. — Fabrice Grenard, La Traque des résistants, Taillandier, ministère des Armées, 2019. — La Nouvelle République du Centre-ouest.— Renseignements fournis par ses enfants.

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