ROLLE Jean, Gabriel

Par Claude Latta

Né le 1er juin 1905 à Grézieux-le-Fromental (Loire), mort à Montbrison le 25 décembre 1963 ; ouvrier tourneur puis technicien et chef de bureau d’études aux usines Chavanne-Brun à Montbrison (Loire), puis (1943) employé aux Mines de Saint-Étienne ; secrétaire de la section CFTC de Montbrison (1936), responsable du mouvement Combat dans le secteur Forez Ouest, capitaine de l’Armée secrète.

Jean Rolle
Jean Rolle
Archives familiales

Fils de Jean Pierre Rolle et d’Anne Fréry, Jean Rolle avait été victime, alors qu’il avait dix-sept ans, d’un grave accident du travail chez Chavanne-Brun où il était entré en 1922. Ouvrier tourneur, métallurgiste, il eut le bras pris dans un tour horizontal et a dû être amputé. Il devenant ensuite technicien puis chef de bureau au service de fabrication de l’atelier mécanique, toujours chez Chavanne-Brun. Il s’était marié à Anne Louise Jarrafoux dont il eut six enfants. L’aîné, son fils Pierre, né en 1927, l’aide en 1944 dans ses activités de résistance.

Chrétien convaincu, Jean Rolle fut un militant syndicaliste CFTC, devenu en 1936 secrétaire de l’union locale CFTC, ce qui le conduisit à s’affronter à la fois au patronat local et aux militants de la CGT, qu’ils soient de tendance confédérée ou unitaire. Ses convictions syndicales, le refus de la dissolution des centrales syndicales et plus tard celui de la Charte du travail et des Corporations furent déterminants dans l’engagement de Jean Rolle dans la Résistance. Il fut à l’origine du premier acte de résistance syndicale à Montbrison en mai 1941 : il refusa de signer, au nom de la section de la CFTC, les « Cahiers de vœux corporatifs » qui auraient demandé l’établissement d’un syndicat unique : ces cahiers devaient être remis à la sous-préfecture de Montbrison pour appuyer et justifier la demande de promulgation de la Charte du Travail. Ils avaient été approuvés par le patronat local et quelques membres de la CGT ralliés à la Révolution nationale.

Chrétien militant, Jean Rolle fit partie dès décembre 1941 du groupe montbrisonnais de diffusion des Cahiers du Témoignage Chrétien formé autour de l’abbé Dusserre, ancien du Sillon et directeur de la Maison des Œuvres, fondateur d’un groupe de réflexion au sein duquel Jean Rolle découvrit l’aspect totalitaire du nazisme et son incompatibilité radicale avec le christianisme. Il distribua Témoignage chrétien. Un premier groupe de résistance se forma qui cherche à s’organiser et à agir. Pendant l’été 1942, Fernand Mirabel, de Chazelles, membre de la CFTC et de Combat, demanda à Jean Rolle d’implanter le mouvement à Montbrison. Combat commençait à se structurer à Montbrison : il a onze à douze membres en septembre 1942, vingt-deux en octobre 1942. Jean Rolle implanta d’abord le mouvement parmi les militants de la CFTC et du PDP, parti démocrate populaire (Pierre Dupuy, CFTC, Antoine Bonche, PDP, Auguste Puzin, CFTC, René Wilm, CFTC, André Plasse, CFTC et JOC). Puis il étendit ensuite son recrutement à d’autres milieux : paysans de Roche-en-Forez – un village des monts du Forez - où Michel Breuil, agriculteur et sabotier, recruta une douzaine de paysans qui formèrent plus tard le groupe de soutien au maquis ; membres de la police locale (des sous-officiers de l’armée ont été incorporés comme agents de police).

Fin juin 1943, Jean Rolle fut victime d’une dénonciation « de la part de la direction des usines Chavanne-Brun qui n’hésita pas […] à demander des poursuites contre moi […] Enquêtes et perquisitions suivirent ces dénonciations et, c’est pour une grande part aux interventions de l’Inspection du Travail, d’un ingénieur de la Production industrielle [Jean Thomas] et de mes amis Résistants de la police que je dus de n’être pas interné. De mon côté, j’ai menacé mon patron de poursuites. Il a dû me verser 20 000 F. Ces dénonciations sont consécutives à une imprudence de ma part. J’ai en effet laissé par mégarde quelques journaux dans un tiroir de mon bureau. Mon patron me faisait épier depuis un an ».

Jean Rolle vécut désormais, pendant quelques mois, de l’indemnité qu’il a touchée. Lorsque cette somme fut épuisée, il trouva un travail et, de mars à mai 1944, fut employé par les Mines de Saint-Étienne et faisait les déplacements quotidiens par le train entre Saint-Étienne et Montbrison.

En décembre 1943, une visite à Montbrison du capitaine Marey, nommé chef de l’AS (Armée secrète) dans la Loire, décida de l’entrée du groupe Combat dans les structures militaires de l’AS. Marey nomme Jean Rolle chef militaire de secteur Ouest du Forez de l’AS. Jean Rolle a d’abord fait valoir qu’il n’a pas d’expérience militaire, ayant été réformé à la suite de son accident. Mais Marey répondit que c’était le caractère qui faisait les chefs, non l’expérience militaire. Marey et Calamand, responsable des MUR (Mouvements unis de Résistance), donnent ensuite des responsabilités départementales à Jean Rolle. Outre ses fonctions à l’AS, il s’occupa du NAP (Noyautage des Administrations publiques) et fut chargé de la Propagande et de la diffusion de la presse.

À Montbrison, Combat avait une trentaine de membres à la fin de 1943, 44 en juin 1944, 56 si l’on compta le groupe de Roche qui était un peu à part. Dans l’action, Jean Rolle s’entoura de Jean Thomas, chargé de « l’action immédiate », de l’abbé Varigas, curé de Pralong, responsable du sabotage des voies ferrées, de Joannès Cellard, ancien sergent de chasseurs alpins devenu policier au commissariat de Montbrison, choisi comme l’adjoint militaire pour le maquis. Les actions de Combat furent très variées : diffusion de la presse clandestine, protection et mise à l’abri des Juifs et des réfractaires au STO, Noyautage des administrations publiques, sabotages et coups de main (voies ferrées, lignes électriques, lignes téléphoniques).

Pendant tout le mois de juin 1944, Jean Rolle prépara l’installation du maquis à Roche, dans les monts du Forez : des armes sont reçues par parachutages, le ravitaillement et des lieux d’hébergement sont préparés. À la fin de juin 1944, le maquis s’installa à Roche. Au début d’août 1944, il avait un effectif de 107 FFI (90 sont originaires de Montbrison et de sa région). Ils furent installés dans trois jasseries (fermes d’altitude où l’on fabrique la fourme) : la jasserie Jean Petit, la jasserie de Probois et celle de Château Gaillard. Pendant que Rolle se consacra à ses activités départementales, la direction des opérations du maquis de Roche est confiée à Joannès Cellard, puis au lieutenant Millon. Le maquis de Roche (avec Jean Rolle) et le groupe Ange (maquis lié aux réseaux anglais Buckmaster) participèrent au combat de Lérigneux pour appuyer le maquis FTP qui, le 7 août 1944, devait faire face à une offensive de 450 GMR (membres des Groupements Mobiles de Réserve) et de 200 soldats allemands. Ils avaient pris l’offensive et occupé Lérigneux. Les maquis obligèrent les éléments de Vichy et les Allemands à se replier.

À la Libération, Jean Rolle, devenu capitaine de l’AS, assuma la responsabilité d’ensemble des actions des maquis des monts du Forez. Il fut membre, au titre des FFI, du comité local de Libération de Montbrison où il s’affronta durement aux membres du PC. Il fut décoré de la Croix de guerre et de la médaille militaire. Il n’avait pas d’ambitions politiques, participa seulement aux activités du MLN (Mouvement de Libération nationale, issu des MUR). En 1945, il reprit son travail à Saint-Étienne. Il connut une certaine amertume : en effet, il n’avait pas voulu que son chef, le commandant Marey, chef d’État-major des FFI de la Loire fasse en 1944 passer en Cour martiale les responsables de sa dénonciation qui, devant un tribunal militaire, auraient risqué la peine de mort. Il se réservait seulement la possibilité de faire condamner Chavanne-Brun par les tribunaux français. Mais, au terme de procès rendus interminables par la lenteur de la Justice, il ne put obtenir devant les tribunaux réparation – morale et matérielle - de son renvoi de 1943.

Jean Rolle mourut d’un cancer du poumon à cinquante-huit ans en 1963. Il incarna, dans la Loire, la participation du syndicalisme chrétien à la Résistance. Le mutilé du travail était devenu aussi, cas probablement unique, officier de l’Armée Secrète puis des FFI.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article137409, notice ROLLE Jean, Gabriel par Claude Latta, version mise en ligne le 22 juin 2011, dernière modification le 15 juillet 2016.

Par Claude Latta

Jean Rolle
Jean Rolle
Archives familiales

SOURCES : Témoignage de Jean Rolle (1945, 30 p.), Archives de l’IHTP, Institut d’Histoire du temps Présent et archives de la famille Rolle. — - ADL, 637 W, fiche de renseignements sur Jean Rolle adressée par la sous-préfecture de Montbrison au préfet de la Loire. — Collections du Journal de Montbrison et de La Liberté (Montbrison). — Témoignage d’Edouard Perroy, Archives de l’IHTP. — Entretiens avec Maurice Plasse (2003), frère d’André Plasse, membre du groupe Combat de Montbrison et avec Jean-Marc Rolle (2009), petit-fils de Jean Rolle.
Bibliographie sommaire : Bédarida (Renée), Les Armes de l’Esprit. Témoignage chrétien (1941-1944), Paris, Les éditions ouvrières, 1977. — Gentgen (colonel René), René Gentgen, Résistance Loire, Montferrat, Editions Esperluette, 1992. — Gentgen (colonel René), L’Armée secrète dans la Loire. Les combats de juillet à septembre 1944, Vincennes, Service Historique de l’Armée de Terre, 1992. — Gentgen (colonel René), La Résistance civile dans la Loire, Lyon, ELAH, 1996. — Latta (Claude), « Le mouvement Combat dans la Résistance montbrisonnaise », Actes du colloque organisé par Village de Forez les 24 et 25 avril 2009 à Montbrison (à paraître, automne 2009). — Luirard (Monique), Le Forez et la Révolution Nationale, Saint-Etienne, Centre d’Études Foréziennes, 1972. — Patin (Maurice) et Dumergue (Abel), De trop longs silences. Des chrétiens dans la Résistance, Mizérieux, éditions Claude Bussy, 1989, p. 42-43

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