LANGLOIS Henri, Georges, Gustave, Marie

Par Stéphanie Louis

Né le 13 novembre 1914 à Smyrne (désormais Izmir ; Turquie), mort le 13 janvier 1977 à Paris (Ile-de-France) ; membre fondateur La Cinémathèque française en 1936 ; membre fondateur de la Fédération Internationale des Archives du Film en 1938.

Henri Langlois est issu d’une lignée de « Français de l’étranger », souvent titulaires de postes influents : directeur de revue, sénateur, ambassadeur, correspondant de l’Institut de France. Son amour du cinéma le poussa à se définir comme la « brebis galeuse de la famille » et suscita l’incompréhension de son père, Gustave Langlois, journaliste et fondateur de l’Agence nationale française.

Né quelques mois après la mobilisation de son père, Henri Langlois ne le rencontra qu’en 1919 au retour de la Guerre. Durant ses cinq premières années, il noua des rapports privilégiés avec sa mère, Annie. Née Braggiotti, catholique fervente, américaine par son père, elle appartient à une famille d’artistes de Boston. C’est avec elle qu’Henri Langlois connut ses premières expériences de spectateur, quand, après l’Armistice, les premiers films français arrivent à Smyrne. Son frère cadet, Georges-Patrick, naquit en 1920. En septembre 1922, lorsque les Turcs entrèrent dans Smyrne et incendient la ville, la famille Langlois s’enfuit.

À Paris, Annie Langlois satisfait sa sensibilité artistique entre musées, concerts, théâtres et cinémas. Gustave Langlois entama, quant à lui, une reconversion professionnelle. Après quelques emplois de fortune, il devint représentant à Paris d’une manufacture d’équipement ferroviaire, la Fonderie moderne strasbourgeoise. Il déposa un brevet de purgeurs d’eau et de condensation, dont les royalties permirent à la famille de retrouver une certaine aisance financière.

Vers 1925, on offrit à Henri Langlois un appareil Pathé-Baby, qui lui permit de voir et revoir à domicile ses films favoris en format réduit. De plus, l’emménagement dans un vaste appartement du IXe arrondissement (14 rue Laferrière), situa le jeune passionné dans un quartier où se concentraient les salles de cinéma. À douze ans, il passait déjà ses jeudis et dimanche après-midi au cinéma. Dans ces mêmes années, il entama une collection qui regroupe tant les images de ses stars et les affiches de ses films préférés, des revues de cinéma, que de vieux appareils ou des chutes de pellicule. Il notait dans un cahier les génériques des films vus avec ses commentaires. Plus tard, il se passionna pour la musique moderne et l’art, avec un intérêt particulier pour le surréalisme.

Cette somme de curiosités et de pratiques passionnelles et spontanées dessina une silhouette singulière. Elle croisa en effet plusieurs tendances culturelles nées dans les années 1910-1920. Celle des collectionneurs d’appareils, tenants de l’histoire techniciste ; celle des cinéphiles, pionniers de l’esthétique et défenseurs d’un art cinématographique ; mais aussi, celle d’une fascination populaire pour les vedettes de l’écran. Ce syncrétisme d’intérêts personnels façonna l’empreinte imprimée par Henri Langlois à la Cinémathèque française, dont il était secrétaire général de la création en 1936 jusqu’à sa mort en 1977.

Cette quarantaine d’années d’omniprésence et d’investissement total dans les activités de l’association favorisaient l’identification de Langlois à la Cinémathèque française. À ce titre « l’Affaire Langlois », qui survint entre février et avril 1968, éclaira cette fusion symbolique. L’État, entré au Conseil d’administration de l’association, tenta d’évincer Langlois pour mauvaise gestion. Pour le défendre, une large part de la profession s’engagea, à titre personnel ou par l’intermédiaire des syndicats, toutes générations confondues.

Les cinéastes de la Nouvelle Vague étaient les avocats les plus fervents. Au sein d’une structure privée, Langlois réussit grâce à son renom à rassembler une collection unique, illustrative de l’histoire du cinéma dans le monde. Son intelligence du Septième art fit de la Cinémathèque française un lieu de valorisation, d’encouragement et de formation de la profession. En conservant et en montrant les films, il créa une école du regard. Ce véritable Musée fut rendu vivant par la programmation des œuvres, cette dernière étant d’ailleurs élevée au rang d’art. Simone Signoret rappela quant à elle le rôle de Langlois pendant l’Occupation, et notamment les projections clandestines organisées par ses soins. Les tenants d’un militantisme associatif et culturel nouveau, voué à la valorisation du patrimoine cinématographique, se voient portés dans la sphère publique et politique.

« L’Affaire Langlois » marque donc l’avènement d’une figure mythique, qui a tendance à masquer le rôle d’autres acteurs français importants dans ce domaine, notamment Raymond Borde et Bernard Chardère depuis Toulouse et Lyon dès la fin des années 1950. Il est vrai que la longévité de son activité dans le champ fait d’Henri Langlois une personnalité tutélaire, sinon incontournable.

Dans les années 1930, l’apparition du cinéma sonore conduisit à la disparition progressive des films muets dans les salles commerciales, générant chez les cinéphiles un sentiment d’urgence à sauver les témoins d’un art aimé. Or, la Cinémathèque nationale créée par l’État en 1933 échoua à rassembler un fonds. Après un échec volontaire au baccalauréat, Henri Langlois fut placé dans une imprimerie, où il rencontra un autre mordu de cinéma, le futur cinéaste Georges Franju. Ils écumaient ensemble les ciné-clubs qui diffusaient des films restés en marge du circuit commercial ou des classiques récents. Parallèlement, Gustave Langlois, qui destinait son fils à des études de droit, l’encouragea toutefois à envoyer son premier article à La Cinématographie française, corporatif alors dirigé par Paul-Auguste Harlé. À partir de 1935, Henri Langlois collabora ponctuellement à la revue. Il y côtoya notamment Lucie Derain, qui l’initia à la composition de programmes au Ciné-club de la Femme.

En 1935, Langlois et Franju créérent leur propre ciné-club, Le Cercle du cinéma. Les séances sont introduites par Jean Mitry, critique actif dans le mouvement des ciné-clubs depuis 1924, qui suggère aux deux jeunes gens l’idée de cinémathèque. Si la particularité du Cercle du cinéma est de ne pas proposer de discussion après les films, Annie Langlois ouvrit pourtant son salon à quelques invités de choix après les projections. C’est selon cette même logique réticulaire, non dépourvue de sociabilité mondaine, qu’Henri Langlois développa son action à la Cinémathèque française. Si l’association est fondée en 1936 avec Franju, Mitry et Harlé, Henri Langlois devint rapidement son principal représentant en France et à l’étranger.

Les textes parus dans La Cinématographie française esquissèrent les enjeux et les objectifs du projet. La collecte tendit non seulement à une documentation sociale mais aussi à l’histoire d’un art. Elle concerna donc tous les films, mais aussi les autres documents afférents. Elle dut bénéficier d’échanges avec l’étranger et surtout se prolonger par la vision des films.

Cette position fut originale dans le réseau des cinémathèques émergeant en 1938 avec la création de la Fédération Internationale des Archives du Film. L’organisation associa la Cinémathèque française au Museum of Modern Art de New-York, à la National Film Library de Londres et au Reichsfilmsarchiv de Berlin ; elle permit d’ailleurs à Langlois de sauver nombre de films pendant l’Occupation. Il y occupa le poste de secrétaire général jusqu’à sa mise en minorité et son départ en 1959 (Congrès de Stockholm). La rupture se cristallisa autour des problématiques de conservation des films, comme plus tard en France en 1968. L’influence de Langlois, accrue tout au long des années 1940-1950, resta néanmoins forte au sein de ce réseau en expansion.

En effet, celui qui affirmait en 1936 « conserver est bien, mais projeter est essentiel » (La Cinématographie française, 27 juin 1936), continue dans cette voie en proposant galas et rétrospectives. S’y ajoutent de nombreuses expositions non-film. Cette politique d’expositions permit de valoriser les fonds et construire l’image singulière de la Cinémathèque française à l’échelle nationale et internationale. Elle introduisit, à terme dans les cinémathèques, un nouveau type de pratiques tournées vers la communication spectaculaire des collections. Henri Langlois s’imposa comme modèle dominant en la matière, au moins jusqu’aux années 1990. La mémoire de ses programmations, compositions visuelles inspirées par une exceptionnelle intuition esthétique, reste vive.

L’ultime aboutissement de sa trajectoire est le Musée du cinéma que Langlois parvint à créer au Palais de Chaillot entre 1972 et 1975. Le dispositif monumental, de plus de 1500m², place les visiteurs dans une fascinante immersion féerique. L’itinéraire de dix-neuf salles déclina largement les prémices du cinématographe, les divers pionniers et écoles du muet sans oublier le parlant et les nouvelles esthétiques mondiales jusqu’aux années 1960. Le parcours s’acheva dans une petite salle de projection permanente.

Considéré comme le grand œuvre de Langlois, la réification de son investissement pour la Cinémathèque française, le Musée du cinéma devint intouchable après la mort de son concepteur. Notamment sous l’influence de Mary Meerson, compagne de Langlois depuis 1939. Objet d’un contentieux sans précédent, le musée fut reconnu œuvre de l’esprit en 1997 à l’issue d’une action en justice. Cette protection par le droit d’auteur parachèva la coalescence de Langlois à son action. Mais la destruction du musée, des suites d’un incendie en 1997, nourrit la « légende noire » qui entourait le personnage.

Son travail et son engagement furent toutefois distingués à plusieurs reprises : en 1959 par la Légion d’honneur, en 1973 par la médaille de vermeil de la Ville de Paris, puis en 1974 par un Oscar spécial à Hollywood et une promotion au grade de Commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres. Pionnier à bien des égards, Langlois reste néanmoins une personnalité controversée dont l’exégèse oscille entre hagiographie et critique virulente.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article137449, notice LANGLOIS Henri, Georges, Gustave, Marie par Stéphanie Louis, version mise en ligne le 30 juin 2011, dernière modification le 30 juin 2011.

Par Stéphanie Louis

ŒUVRE : Henri Langlois, [textes réunis et présentés par Jean Narboni], Trois cents ans de cinéma. Écrits, Paris, Cahiers du cinéma/ Cinémathèque française/ FEMIS, 1986.

SOURCES : Bibliographie :
Antoine Debaecque, « Sortir de la cinéphilie », in La cinéphilie. Invention d’un regard, histoire d’une culture. 1944-1968, Paris, Fayard, 2003, p.343-363. — Christophe Gauthier, Une composition française. La mémoire du cinéma en France des origines à la Seconde Guerre Mondiale, thèse de Doctorat, Université Paris 1, 2007. — Laurent Mannoni, Histoire de la Cinémathèque française, Paris, Gallimard, 2006. — Olmeta, La Cinémathèque française de 1936 à nos jours, Paris, CNRS éditions, 2000.
Sources imprimées :
Pierre Barbin, La Cinémathèque française. Inventaire et légendes (1936-1986), Paris, Vuibert, 2005. — Raymond Borde, Les Cinémathèques, Lausanne, L’Age d’homme, 1983. — Georges P. Langlois, P., Glenn Myrent, Henri Langlois, premier citoyen du cinéma, Paris, Denoël, 1986. — Georges P. Langlois, P., Glenn Myrent, Le Musée du cinéma Henri Langlois. Palais de Chaillot, La Cinémathèque française, Paris, 1984. — Henri Langlois, [textes réunis et présentés par Jean Narboni], Trois cents ans de cinéma. Écrits, Paris, Cahiers du cinéma/ Cinémathèque française/ FEMIS, 1986. — Huguette Marquand-Ferreux (dir.), Musée du Cinéma Henri Langlois, Paris, La Cinémathèque française / Maeght, 1991 [3 tomes]. — Richard Roud, Henri Langlois, l’homme de la cinémathèque, Paris, Pierre Belfond, 1985.
Sources filmiques : Edgardo Cozarinsky, Citizen Langlois, 65’, coul. / n. et b., VHS, France, 1994. — Jacques Richard, Le Fantôme d’Henri Langlois, 210’, coul. / n. et b., 35 mm, France, 2005. — Jacques Richard, Le Musée du cinéma Henri Langlois du Palais de Chaillot, 3’26, coul., 35mm, France, 1997.

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