JOUFFA Yves

Par Gilles Morin

Né le 28 janvier 1920 à Paris (XIIe arr.), mort le 13 janvier 1999 à Paris ; avocat au barreau de Paris, membre du conseil de l’Ordre des avocats (1979-1981) ; militant socialiste et résistant ; secrétaire des Étudiants socialistes révolutionnaires parisiens (1939) ; membre du bureau politique de l’UGS (1957-1959) ; membre du comité politique national du PSU (1963-1965) ; président de la Ligue française des droits de l’Homme et du citoyen (1984-1991) ; président d’honneur de l’Amicale des anciens internés et déportés de Drancy.

Yves Jouffa est issu de milieux juifs immigrés d’Europe centrale. Son grand-père paternel était ouvrier tailleur en Ukraine. Selon son témoignage autobiographique (publié dans Annette Kahn, Le fichier, préface de Serge Klarsfeld, Robert Laffont, 1993, p. 71-82), son père, Jankel, était né en Russie, à Jitomir, une petite ville proche d’Odessa. Il avait fui son pays en 1913, lorsque « en butte à des persécutions antisémites dans l’armée, il a un jour pris un coup de sang et tabassé un gradé avec un copain » et arriva en France avant la Grande guerre. Sa mère, Rebecca Brittman était née à Bucarest, mais arrivée en France à six mois, elle était issue d’un milieu initialement plus favorisé, son père étant patron d’une manufacture de bottes. Ses parents, après avoir été ouvriers tailleurs, s’installèrent au milieu des années 1930 comme commerçants, chemisier-bonnetier, tenant un magasin avenue Ledru-Rollin dans le XIe arr.

La famille Jouffa, qui n’était pas pratiquante, s’intégra rapidement. Sa mère, vraie parisienne d’adoption, devait conserver jusque dans ses vieux jours un accent caractéristique du Paris populaire. Son père, profondément laïc, à la limite de l’athéisme, ne fréquenta jamais les organisations communautaires. Ils employaient le yiddish uniquement lorsqu’ils ne voulaient pas que les enfants comprennent leurs conversations. La famille penchait à gauche et même à l’extrême gauche : Jankel Jouffa, qui avait travaillé avec les bolcheviks en Russie, était un lecteur du Quotidien dans les années 1920 et vota pratiquement toute sa vie pour le PCF, justifiant, malgré les critiques de son fils, tous les excès staliniens. Il fut naturalisé vers 1930 et renonça à sa nationalité russe. Il eut une sœur, sa cadette de six ans, qui mourut à vingt ans.

La scolarité d’Yves Jouffa fut tributaire des déménagements familiaux. Après l’école maternelle dans le XVIIIe arrondissement, il fréquenta une école communale de la rue Trousseau, brièvement une autre à Neuilly-Plaisance, jusqu’à ce que la famille s’installe définitivement dans le XIe arrondissement. Bon élève, Yves Jouffa passa le concours de bourse de deuxième série pour accéder au lycée. Il intégra le lycée Rollin (aujourd’hui Jacques Decour), directement en classe de 5e acquérant, pour se faire, le niveau d’anglais en deux semaines. Il obtint un prix d’excellence en classe de première et le bac philo avec la mention bien. Il présenta aussi le concours général en anglais et en allemand. Parmi les enseignants qui marquèrent sa scolarité se trouvait le communiste Jean Baby*, qui lui enseigna l’histoire-géographie au lycée. Puis il fréquenta, en 1938-1939, la faculté de droit de Paris, où il suivit avec beaucoup d’intérêt au Panthéon les cours de François Perroux, Henri Lévy-Bruhl* et Rouaste.

La misère ambiante de son quartier très populaire – il évoquait les vendeuses du Prisunic voisin devant se prostituer pour subsister – a contribué à sa sensibilisation politique. Très tôt, Yves Jouffa rechercha des réponses dans la doctrine marxiste. En classe de Première, son enseignant de français gratifia un de ses devoirs d’une annotation selon laquelle « l’autocritique et la critique marxiste ne sont pas au programme du bac ». Il adhéra à seize ans aux Jeunesses du Parti socialiste SFIO, au tout début de l’année 1936. Alors que les trotskystes venaient d’être exclus de l’Entente des Jeunesses de la Seine. Yves Jouffa rejoignit le courant pivertiste, animé par Lucien Weitz, lequel lui paraissait être le modèle de militant. Il vécut avec exaltation la période du Front populaire, les grèves et les bals dans les usines. Très engagé, il participa notamment aux grandes manifestations de 1936, à la présentation houleuse des ministres au peuple, au grand moment d’émotion que fut le meeting de Luna-Park où Léon Blum* justifia la non-intervention en Espagne. Lecteur et diffuseur du Populaire, il nourrissait vis-à-vis du chef de gouvernement des sentiments complexes, faits d’attraction et de répulsion, lui reconnaissant un charisme considérable.
Fin 1936, Yves Jouffa adhéra aux Étudiants socialistes, dont il devint rapidement secrétaire du groupe Nord de la Seine, puis, en 1938-1939, secrétaire du groupe de Paris, où il succéda à Henri Noguères*. Ce groupe, qui publiait la revue Essais et combats, comptait environ 700 adhérents qui se réunissaient rue de Beauvais. Parmi eux, Jean Rabaut (et non Rabaud), Paul Parpais*, le journaliste Rappaport, Simone et Jean Cornec*. Ils furent exclus au congrès de Creil pour avoir soutenu le texte de la Gauche révolutionnaire et formèrent la Fédération des étudiants révolutionnaires. Yves Jouffa appartenait au bureau de cette organisation. Il militait par ailleurs à la section du XIe arrondissement du Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP), animée par Charles Lancelle. Jouffa écrivit dans le journal du PSOP Juin 36, notamment pour dénoncer « les torchons antisémites » (numéro du 21 octobre 1938).

Bien qu’ayant des amis zyromskistes, Roger Stéphane et Maurice Siégel, Yves Jouffa était antimilitariste — à l’armée il saluera son capitaine de la main gauche — et pacifiste. Au moment de Munich, il se situait « en dehors », affirmant « ce n’est pas notre affaire », la Révolution prolétarienne devant pour lui régler le problème de la paix.

Yves Jouffa, qui ne fut pas mobilisé en 1939, se replia avec ses parents dans l’Eure. Il y postula pour un poste d’internat à Louviers, où il demeura quelques mois. Il rentra à Paris pour reprendre les cours à la faculté au début de 1940.

Mobilisé le 8 juin 1940, il fut envoyé à Dijon pour faire ses classes. Une semaine plus tard, des fusils furent distribués aux conscrits avec comme consigne « Vous ferez ce que vous pouvez ». Ces conscrits furent mis dans le dernier train allant de Dijon à Bordeaux avant l’arrivée des Allemands. Ils devaient s’embarquer pour l’Afrique du Nord lorsqu’un contre-ordre du maréchal Pétain leur parvint. Des officiers pleuraient et pour la première fois, Yves Jouffa songea à une trahison des autorités françaises. Caserné à Arros-Nay, à proximité de Pau, dans le 482e régiment d’infanterie, il fut désigné comme aide vaguemestre, puis, du fait de son goût pour le sport, moniteur de culture physique. Le 15 août 1940, les conscrits furent désarmés et incorporés, toujours en uniforme, dans les Chantiers de jeunesse. Transféré à Saint-Martin d’Uriage, Yves Jouffa découvrit l’existence du statut des juifs dans le Dauphiné et demanda alors à ses chefs de camps, puisqu’il n’était plus citoyen, d’être dispensé des obligations militaires et de la cérémonie aux couleurs. En février 1941, ses chefs le convoquèrent pour lui dire que, libéré, il ne pouvait se rendre à Paris, les Allemands interdisant le retour des juifs. Connaissant l’existence d’un passeur à Montceau-les-Mines, Yves Jouffa obtint d’être démobilisé dans cette ville.

Rentré chez ses parents, Yves Jouffa reprit ses cours à la faculté, fin février 1941, réussissant à obtenir sa licence en juin. Les persécutions et les menaces commencèrent à se préciser. Le magasin de ses parents fut administré géré par un administrateur “aryen”. Des accrochages opposèrent ce dernier à Yves Jouffa, car l’homme n’aimait pas les réflexions du type « J’aime mieux être à ma place qu’à la vôtre », et menaçait de les dénoncer aux Allemands.

Le 20 août 1941, au matin, Yves Jouffa fut arrêté par deux policiers français avec son père, rue Ledru-Rollin dans la première grande rafle centrée sur le XIe arrondissement. Un policier lui laissa une chance de s’échapper sous le prétexte de retourner chez lui chercher une couverture et ses cartes d’alimentation. Mais, pour ne pas laisser son père, il revint au bus stationné à la mairie du XIe. La centaine d’hommes raflés fut conduite à Drancy, où Yves Jouffa devait être interné durant treize mois. Dans ce camp, près de 100 000 hommes, dont 80 000 furent déportés et dont seuls 2 500 survécurent, furent par la suite internés. Rien n’était prévu pour leur arrivée, ni nourriture, ni ustensiles, ni paille pour les châlits… Pour improviser des gamelles, ils furent conduits à nettoyer des boîtes de conserves rouillées laissées par les soldats anglais. Ils furent accueillis par des inspecteurs de police français qui les dépouillèrent de tous leurs biens et prirent des renseignements sur les identités des internés dont l’âge allait de seize à plus de soixante-quinze ans. Ils furent répartis dans des « chambres », en réalité de futurs appartements sans cloison. Yves Jouffa, fut élu à l’unanimité chef de chambrée. Son statut de licencié en droit parisien en imposait à des compagnons, dont une moitié était yiddish et l’autre sépharade, et menaçaient de s’affronter. Le 21 août, une cinquantaine d’avocats et de magistrats arrivèrent, parmi lesquels Pierre Masse, François Lyon-Caen et Gaston Crémieux. Le camp, dans lequel fourreurs et tailleurs constituaient la masse des détenus, leur fit une véritable ovation. Ils prirent la direction de tous les services, assurant la juste répartition. Le commandant Guibert, ancien commissaire du XIIe arrondissement à la retraite, s’efforça d’être correct et d’organiser au mieux la pénurie.

Par chance, Yves Jouffa retrouva parmi les responsables du camp un rédacteur de la préfecture de police, Maurice Lugan, ancien condisciple du lycée Rollin. Volontaire national avant la guerre, entré à la Préfecture de police pour ne pas aller en Allemagne, il avait été à la fois l’ami et l’adversaire. Il devait lui sauver la vie et celle de son père. Yves Jouffa fut libéré le 14 septembre 1942 dans des conditions racontées par Michel Laffitte. Réfractaire au STO, Yves Jouffa rejoignit un groupe de FFI qui prit part aux combats de la libération en Normandie, où il termina la guerre.

De retour à Paris, il s’inscrivit comme avocat à la Cour de Paris et exerça de 1945 à 1992, commençant sa carrière dans le cabinet d’André Blumel. Ayant acquis une grande notoriété dans son milieu, il fut élu membre du conseil de l’Ordre des avocats de 1979 à 1981 et fut secrétaire de la Commission financière de l’Ordre. Il exerça par ailleurs comme professeur du droit de la construction à l’École spéciale d’architecture à partir de 1968.

Comme avocat, il traita de très nombreuses affaires. Il fut par exemple mêlé à la naissance de la station Europe n° 1, avec ses amis Siégel et Henri Noguères*, et se spécialisa dans les questions de construction. Mais il fut par ailleurs un avocat militant, qui assura la défense de nombreux militants syndicalistes, anticolonialistes et trotskistes et fut aussi conseil de nombreux Espagnols anti-franquistes.

Avec son ami Yves Dechézelles et Gisèle Halimi, Yves Jouffa fut durant la guerre d’indépendance de l’Algérie le défenseur de nombreux militants algériens, des deux côtés de la Méditerranée. Il plaida régulièrement pour des membres du Mouvement national algérien de Messali Hadj, dont il était proche, mais aussi du FLN. Mais le collectif des avocats FLN, avec maître Jacques Vergès, s’efforça de le faire destituer lors de la deuxième affaire des « porteurs de valises ». Ils s’affrontèrent aussi sur les méthodes, Yves Jouffa étant opposé aux pratiques de « ruptures » qui mettaient la vie ou la liberté de ses clients en danger pour faire progresser la cause. Il plaida encore en Nouvelle-Calédonie, à Nouméa, vers 1960, en appel, pour des Européens et des Kanaks. Il contribua encore au tribunal international des crimes de guerre au Vietnam.

Yves Jouffa se fit régulièrement défenseur de militants trotskistes, sans soucis des divisions de ces mouvements. Il plaida pour Michel Raptis*, dit Pablo, en Hollande, alors que celui-ci était poursuivi pour fabrication de fausse monnaie. Il fut l’avocat d’Alain Krivine* dont la candidature à la présidence de la République en 1969 avait été refusée, au motif qu’il était soldat. Yves Jouffa démontra que dans le code électoral le fait d’avoir accompli ses obligations militaires pour être candidat s’appliquait aux élections législatives mais non aux présidentielles. Le Conseil constitutionnel lui donna raison. Alain Krivine put se présenter étant soldat. Son colonel refusant de le laisser sortir, Yves Jouffa s’adressa au directeur de cabinet d’Alain Poher qui assumait l’intérim de la présidence de la République et se présentait conjointement. Il put lui faire comprendre que le résultat d’Alain Krivine pourrait intéresser Alain Poher. L’Élysée donna l’ordre au colonel de Krivine de se plier à la règle électorale qui prévoyait l’égalité entre les candidats et il obtint une permission pour la campagne.

Il fut élu au Conseil de l’ordre des avocats en 1979-1981. Il avait deux handicaps, être juif et de Gauche, d’autant que l’élection se fait à la majorité absolue. Il fut soutenu par le bâtonnier Petitit (démocrate chrétien) et fut secrétaire de la commission financière de l’ordre durant trois ans.

Yves Jouffa, bien que conservant, après guerre, des contacts avec ses anciens camarades socialistes, tels Noguères et Siégel, ne reprit pas d’activité politique durant une dizaine d’années. Dès les débuts de la guerre d’indépendance de l’Algérie, il recommença à militer politiquement de façon active. Malgré ses préventions envers le mouvement communiste, il participa à l’Assemblée mondiale pour la paix, à Helsinki, en juin 1955, y faisant une intervention. Mais il se lança surtout cette même année dans l’aventure de la Nouvelle gauche. Responsable du groupe du XVIe arrondissement en juin 1955, membre de la commission des conflits en janvier 1956, il entra à la commission exécutive nationale en janvier 1957. Membre fondateur de l’Union de la gauche socialiste (UGS), il entra au bureau politique de celle-ci en décembre 1957, mais, avec Yves Dechézelles et Roland Filiâtre*, il se heurta rapidement avec d’anciens militants du MLP, qu’il considérait comme des compagnons de route du Parti communiste. Il démissionna de l’organe directeur de l’UGS en mai 1959, car Gilles Martinet* ne l’avait pas soutenu, en dépit d’une intervention de Colette Audry, après avoir été dénoncé comme trotskiste par des responsables de l’ex-MLP, notamment Alphonse Garelli*. Celui-ci lui reprochait de « vivre en bourgeois », le désignant comme « son ennemi », ce à quoi Jouffa l’aurait qualifié de « voyou imbécile ». Il fut candidat de UGS dans le XIe (9e circonscription) en novembre 1958, obtenant 1969 voix (4,71 %).

Yves Jouffa participa ensuite à la création du PSU, né de la fusion de l’UGS, du PSA et du groupe Tribune du Communisme. Élu minoritaire de la motion C au CPN, à l’issue du Congrès d’Alfortville en janvier 1963, jusqu’en 1965, il donnait des cours au Centre d’études socialistes. Pour le PSU, il fut candidat dans le XIe arrondissement aux élections législatives de mars 1967. Proche de Jean Poperen, il fit campagne pour l’unité de la gauche et « pour un changement de régime et non un simple changement d’équipe ». Pour cela, il envisageait un programme de « véritable alternative socialiste », opposé au gaullisme, fondé sur un autre modèle de civilisation, rejetant « la société néo-capitaliste à structure autoritaire », à laquelle il opposait un régime « où le développement de la science et de la technique seront mis au service des hommes pour libérer non seulement de la faim et de la peur, mais aussi des contraintes du travail et de l’enrégimentement bureaucratique ». Il se détachait déjà pourtant du PSU, étant favorable à sa participation à la FGDS et au processus de rassemblement de la gauche dont il regrettait que ce parti s’exclue.

Quelques mois plus tard, après l’exclusion de Jean Poperen*, Yves Jouffa participa à la fondation de l’Union des groupes et clubs socialistes (UGCS), dont il fut pratiquement le n° 2 avec Colette Audry. Au moment des tractations pour la formation du nouveau PS en 1969, il refusa de suivre Jean Poperen au Parti socialiste d’Alain Savary, estimant que la fusion n’était pas complète sans la participation de la Convention des Institutions républicaines et il critiqua le mode de direction de l’organisation, souhaitant que l’UGCS garde son autonomie dans le nouveau parti. Ils furent exclus avec Jean-Pierre Biondi* et Gilles Desson*.

L’activité politique d’Yves Jouffa dans les années 1960, ne se réduisait pas à sa participation à la gauche dissidente. Juriste engagé, avocat anticolonialiste et défenseur des libertés, il participa aux colloques de Droit et démocratie, club dont il fut vice-président, participa aux activités du club animé par le bâtonnier William Thorp* et par Gaston Morice. Il fut aussi membre du Tribunal Russel. En 1967, il fut désigné comme membre du bureau national du MRAP – qu’il quitta sans bruit le trouvant totalement aux mains du PCF – et il était membre du bureau du Comité français de soutien au peuple vietnamien (recruté par Claude Bourdet*).

Jouffa rejoignit ensuite le Parti socialiste. Militant de la XIe section, fief parisien du CERES qui détenait, de plus, la majorité dans la fédération de Paris, il se vit préférer la candidature de Georges Sarre pour les élections législatives de 1973.

Daniel Mayer, son président depuis 1958, fit rentrer Yves Jouffa à la Ligue française des droits de l’Homme et du citoyen (LDH). Avocat engagé, défenseur des nationalistes algériens, socialiste atypique, membre des nouvelles gauches puis du PSU, il était représentatif de cette génération qui relança la ligue et devait la dominer jusqu’à la fin du siècle. Membre du comité central à partir de 1966, puis vice-président en 1983, il fut enfin président de 1984 à 1991, avant d’être nommé président d’honneur à partir de cette date. Expert de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), il réalisa de nombreuses missions dans la Grèce des Colonels, dans les territoires occupés en Israël (avec Robert Verdier*, Daniel Jacoby et Marie-Claire Mendès France) et la Guinée de Sékou Touré notamment. Alors que la Ligue défendait les comités de soldats, il fut, en 1975, avocat des « soldats mutins » qui avaient organisé une manifestation à Draguignan.

Henri Noguères, auquel il avait succédé à la tête du groupe de Paris des ES et qu’il avait retrouvé à la Libération au Populaire puis à Europe n° 1, prit en 1974 la direction de la Ligue qui, après 1981, critiqua la politique du gouvernement de gauche sur les questions de la liberté dans les casernes, le sort des immigrés, l’augmentation du nombre de détenus et la création d’un fichier antiterroriste. Yves Jouffa, vice-président de l’organisation en décembre 1983 entra plusieurs fois en conflit avec son président. Notamment au sujet de l’abrogation des tribunaux militaires car Badinter avait maintenu un tribunal en Allemagne et un outre-mer, ce que Hernu* avait imposé. Noguères voulait une déclaration, Jouffa obtint qu’il n’y en eut pas, mais il voulait donner sa démission de la vice-présidence. Toutefois, Noguères l’informa qu’il allait démissionner de la présidence alors que le procès Barbie approchait et qu’il voulait plaider. Il proposa à Jouffa de lui succéder et celui-ci fut effectivement élu au congrès de Marseille en 1984, à l’unanimité du comité central. Et cela, dans un contexte de montée spectaculaire de l’extrême droite.

La situation financière de la Ligue était catastrophique – il demanda une subvention à la Caisse des dépôts et consignations – et il dut gérer les rapports difficiles avec les gouvernements de gauche, paraphrasant souvent Wladimir Jankélévitch : « Nous serons la bonne mémoire de la gauche, pour être sa mauvaise conscience ». Il rencontra à plusieurs reprises Mitterrand, qui vint, alors qu’il était président en exercice, rue Jean Dolent au siège de la Ligue, rencontrer les responsables de celle-ci.

Jouffa contribua à la féminisation de la Ligue, à la rénovation de son local et sur le plan politique mena deux grandes batailles, contre la réforme de la nationalité, avec l’appui de cent associations et pour le droit de vote des étrangers. Il s’opposa à la demande de vote sans limite, proposé par Noguères et Madeleine Rebérioux*, estimant que cela allait tout faire échouer, et fut mis en minorité à la commission de résolution. Pour finir, le principe du vote local fut adopté. Il interpella Mitterrand sur le droit de vote et la démocratisation de l’armée en 1985. Celui-ci ne répondit pas à la deuxième question et sur la première leur dit « c’est une revendication juste mais c’est à vous de la faire avancer ».

À la fin de son mandat à la Ligue, la guerre du Golfe lui créa beaucoup de difficultés : la Ligue comprenait des tendances très diverses et il dut menacer de démissionner. Il refusait ce qu’il considérait comme de l’antiaméricanisme primaire et le soutien inconditionnel à Saddam Hussein. Il s’intéressa aussi, à plusieurs reprises, au problème des nationalistes basques. Il rendit visite à des basques en prison, et prit l’initiative d’aller voir un militant qui faisait la grève de la faim depuis trois semaines, se proposant en conciliateur sur proposition de Laurent Fabius. Jacoby participa à leur procès en Espagne comme observateur.

En tant que président de la Ligue, Yves Jouffa fut sollicité pour participer à divers organismes officiels. En 1982-1986, il fut membre de la Commission de réforme de la procédure pénale siégeant à la Chancellerie et fut nommé à la Commission consultative des droits de l’Homme auprès du ministre des Relations extérieures. Il appartint à la section des relations extérieures du Conseil économique et social en 1984-1986, et fut membre de la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme auprès du Premier ministre en 1989-1993. Yves Jouffa appartint également à la commission Marceau Long, avec pour objectif d’éviter la modification du statut de la nationalité, surtout pour les jeunes nés en France de parents étrangers.

Le gouvernement Rocard le désigna pour siéger au Conseil économique et social en septembre 1989 ; il y resta jusqu’en 1992. Il intervint contre un élargissement des relations économiques à la Chine après Tien An Men. Cette expérience lui permit de voir comment les syndicats et le patronat cohabitaient. Puis, il fut nommé conseiller d’État en service extraordinaire en 1992. Il fut encore membre en ces années du Conseil d’administration de la Fondation de l’Arche de la Fraternité et du Conseil supérieur de l’activité de la police nationale en 1993. Jouffa gardant son cabinet d’avocat jusqu’en 1992, il lui fut parfois difficile de concilier toutes ses activités.

À la présidence de la Ligue et dans les dernières années qui lui restaient à vivre, Yves Jouffa contribua au combat politique et juridique contre les révisionnistes. Ceux-ci en firent une de leurs cibles et, aujourd’hui encore, sur le site de Faurisson, repris par d’autres révisionnistes ou islamistes, circulent des accusations le visant, portées par Radio-Islam puis par Faurisson, reprises dans son procès par Maurice Papon, d’avoir été un collaborateur des nazis à Drancy, au côté du père de Michel Drucker… Il fut l’un des témoins de l’accusation lors des procès des gendarmes français du camp de Drancy en 1947, puis ceux de Klaus Barbie et de Maurice Papon. Lors de ce dernier, il était déjà gravement malade.

Outre ces différentes activités, Yves Jouffa publia de nombreux articles et collabora à plusieurs revues, dont l’organe de la LDH, Hommes et libertés.

Il mourut en 1999 et fut enterré au cimetière du Montparnasse. Ses archives ont été déposées au Centre d’histoire de Sciences Po, à Paris.

Marié, il eut deux enfants, François, historien du rock, et Jacques, puis épousa en deuxième noce, le 2 février 1968, Huguette Jeanne Beylau.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article137496, notice JOUFFA Yves par Gilles Morin, version mise en ligne le 8 juillet 2011, dernière modification le 3 décembre 2020.

Par Gilles Morin

ŒUVRE : collaboration à l’ouvrage collectif Liberté, Libertés, sous la direction de Robert Badinter, Ed. Gallimard, Paris, 1976. Rédige de nombreux articles dans la revue Après-Demain et dans la Gazette du Palais et des articles de doctrine sur le droit pénal et le droit à la construction dans diverses revues juridiques. Éditorialiste et directeur de la publication de la revue Hommes et Libertés.

SOURCES : Arch. Nat., F/1cII/564. — Archives d’histoire contemporaine (Centre d’histoire de l’Europe du XXe siècle), Fonds Yves Jouffa (1920-1999). Instrument de recherche dactylographié, par Emmanuelle Sourice. Voir la cote YJ 14. — Le Libérateur, 3 juillet 1955. — Bulletin de la Nouvelle gauche, janvier 1956 et février 1957. — Tribune du Peuple, n° 1, 14 décembre 1957. — Les élections législatives de 1958, 1962 et 1967, La Documentation française. — Tribune socialiste, 7 janvier 1961, 2 février 1963. — Fichier Adhérents de l’UGS. — Who’s Who in France, 1993-1994. — Michel Laffitte, Le camp de Drancy, Encyclopédie en ligne des violences de masse, http://www.massviolence.org/Le-camp-de-Drancy?artpage=5. — Entretiens de Gilles Morin et Gilles Manceron avec Yves Jouffa en 1998.

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