KRASUCKI Henri [KRASUCKI Hénoch, dit Henri]

Par Christian Langeois

Né le 2 septembre 1924 à Wolomin (Pologne), mort le 24 janvier 2003 à Paris ; ajusteur ; militant des JC-MOI clandestines et résistant FTP-MOI à Paris ; déporté ; membre du comité central (1956-1997) et du bureau politique (1964-1994) du PCF ; syndicaliste CGT, secrétaire de l’UD-CGT de la Seine (1953-1960), directeur de La Vie Ouvrière (1960-1980), secrétaire de la CGT (1960-1992), secrétaire général de la CGT (1982-1992).

Henri Krasucki était né dans la banlieue de Varsovie. Il avait quatre ans, en 1928, quand il quitta la Pologne avec sa mère Léa, pour rejoindre son père Isaac, émigré à Paris depuis 1926 pour des raisons économiques autant que politiques puisqu’il était recherché par la police. Isaac Krasucki né le 26 janvier 1902 à Varsovie, mort à Auschwitz le 9 février 1943 était de culture yiddish, d’une famille juive pieuse, mais intégrée à la vie polonaise. Il avait étudié à l’École primaire supérieure complète et avait fait son service militaire. Il militait au Parti communiste polonais, pour partie dans les milieux juifs mais aussi au-delà. Léa Borszczewska, née le 18 janvier 1903 à Wolomin (Pologne), essentiellement de culture yiddish, avait des parents très pieux. Communiste, elle était en conflit avec sa propre mère. L’un et l’autre avaient dû s’arracher à l’esprit religieux encore prégnant parmi la génération de leurs parents. Ils conservèrent toutefois les usages, les fêtes, la cuisine, toutes les affinités avec le milieu immigré juif polonais. Ils se marièrent à Paris, en 1929.

Les Krasucki habitèrent dans le XIXe arr. de Paris, successivement rue de Crimée et rue de Nantes, toujours à proximité des membres de la famille ou des camarades qui les avaient précédés. Henri Krasucki fréquenta sa première école rue Tandou dans le XIXe arr. de Paris, puis celle de la rue Barbanègre. En 1931 ou 1932, plus stabilisés, ils s’installèrent rue des Couronnes à Belleville près de l’école de la rue Levert, dans le XXe arr. de Paris, où Henri poursuivit sa scolarité primaire. Ils étaient arrivés en France sans envisager de retour. Isaac Krasucki déposa un premier dossier de demande de naturalisation en 1931, puis un autre en 1937, sans succès.

Les parents étaient ouvriers du textile, l’un et l’autre dans la branche du tricot mécanique industriel. Isaac Krasucki travailla dans des entreprises de la maille et Léa Krasucki, mécanicienne, montait les vêtements toujours pour des patrons mais souvent à domicile pour s’occuper de la cadette Liliane, née en 1933.

La famille parlait yiddish, y compris Henri Krasucki qui toutefois ne le lisait et ne l’écrivait pas. Ils durent apprendre le français par les cours du soir et en profitant de l’enseignement scolaire par l’intermédiaire du jeune Henri pour qui l’école joua un rôle essentiel. Les communistes créèrent la première organisation spécifiquement juive de Paris « Kultur Liga », puis des sociétés d’entraide, groupements de jeunesse, groupements culturels qu’Henri Krasucki fréquenta assidûment ainsi que le patronage laïc, « la Bellevilloise », rue Boyer. Dès 1933, il partit plusieurs fois en colonie de vacances du Secours ouvrier international à l’Ile de Ré. Il pratiqua le basket au Yiddisher Arbeter Sport Club, le Yask, club ouvrier juif affilié à la FSGT également fréquenté par Marcel Rayman et Victor Zigelman*. Plus tard il passa au football, comme gardien de but, au Club de l’Est puis à l’Entente sportive Belleville. Toute sa vie il demeura un fidèle lecteur de l’Équipe.

En février 1934, Henri Krasucki participa à ses premières manifestations, avec ses parents ou avec les pionniers, puis fut présent aux grands rassemblements du Front Populaire. À Belleville, le mouvement de solidarité avec l’Espagne républicaine était important. Avant son départ pour l’Espagne, les parents hébergèrent un de leurs amis, Szlomo Grzywacz.

Henri Krasucki avait le goût de l’étude et sans s’engager dans des études secondaires onéreuses, il fit une année supplémentaire au cours complémentaire de la rue Levert, puis, signe de ses qualités scolaires, il intégra la 5e du lycée Voltaire à Paris (XIe arr.) dans une section spéciale qui préparait l’entrée au Conservatoire des Arts et métiers. Toutefois, à la fin de l’année scolaire 1938-1939, contre l’avis de ses parents, il décida d’interrompre ses études en raison de la situation de la famille. Sa petite sœur Liliane, avait en effet un lourd handicap qui nécessitait des soins coûteux. Il décida alors de devenir ajusteur métallurgiste par la voie de l’apprentissage. À quinze ans, sur le conseil d’un ami, et à la lecture de la Vie de Beethoven de Romain Rolland, il découvrit les concerts, puis l’opéra, qu’il ne cessa dès lors de fréquenter avec assiduité.

Le 2 septembre 1939, à la veille de la mobilisation, Henri Krasucki adhérera aux Jeunesses communistes. Son père établit le contact avec la section juive de la JC-MOI. Peu connus de la police, leurs adhérents furent moins exposés par la dissolution des organisations communistes, le 26 septembre 1939. Les communistes juifs polonais de l’entourage des Krasucki approuvaient le Pacte germano-soviétique tout en maintenant leur anti-hitlérisme.

En octobre 1939, Henri Krasucki fut embauché dans une usine de Levallois comme jeune ouvrier. Durant la Drôle de guerre, il milita dans un groupe de base de la JC-MOI juive du XXe arrondissement de Paris.

Avec l’arrivée des Allemands, les Krasucki envisagèrent de partir mais, n’ayant aucun refuge, ils restèrent à Paris, comme beaucoup de juifs étrangers. Isaac Krasucki déclara toute la famille au recensement des juifs, jugeant qu’un refus aurait entraîné une véritable mise hors la loi aux conséquences incalculables. Henri Krasucki trouva un nouveau patron, rue de Romainville, cette fois avec un véritable statut d’apprenti ajusteur. En même temps, il suivit des cours théoriques à la Chambre de commerce et d’artisanat.

Le 15 juillet 1940 Naie Presse reparut clandestinement. Dès le mois de septembre-octobre, sous l’impulsion de Louis Grojnowski, la MOI disposait à Paris d’une structure assez solide et de relais non négligeables. La section juive de la JC-MOI en fit rapidement de même. Henri Krasucki s’y vit confier des responsabilités d’abord dans son quartier, puis dans le XXe arr. de Paris. Les jeunes communistes lançaient des petits papillons et des tracts de petit format, faits à la main selon la technique de l’imprimerie enfantine, depuis les escaliers du métro ou le balcon des cinémas.

Henri Krasucki participa à l’organisation de la manifestation du 13 août 1941 durant laquelle deux jeunes furent arrêtés puis fusillés : Samuel Tyszelman, « Titi », un ancien du patronage laïc et du YASK ainsi qu’Henry Gautherot. Depuis mai 1941, il avait quitté la maison avec son père. Clandestins, ils s’installèrent tous les deux dans une petite chambre près de la Porte des Lilas. Entré dans l’illégalité, il dut interrompre son apprentissage pour devenir résistant à temps plein. Avec l’autorisation de son responsable adulte Adam Rayski, il s’installa dans une chambre de bonne, rue Stanislas Meunier avec Paula Sliwka, juive polonaise, communiste engagée dans la Résistance.

En août 1942, Henri Krasucki, devenu Henri Mésenge, fut appelé à la direction parisienne des organisations de jeunes de la section juive de la MOI, membre du triangle clandestin. Il sélectionnait et préparait les jeunes à rejoindre les FTP-MOI. Son supérieur était Adam Rayski, le commissaire aux effectifs des FTP-MOI de Paris. Le 20 janvier 1943, son père qui participait à la coordination de la destruction de stocks de vêtements destinés aux soldats allemands du front russe, fut arrêté et envoyé à Birkenau d’où il ne revint pas.

Les Brigades spéciales lancèrent à partir de janvier 1943 la première des trois grandes offensives de l’année contre les organisations de la MOI parisienne. Les policiers repérèrent quelques jeunes de la section juive, d’abord vraisemblablement sur renseignement d’une jeune fille proche de leur milieu et se lancèrent à leur piste. Une centaine de jeunes militaient alors dans l’organisation. Cette filature aboutit à l’identification de dizaines d’entre eux dont « Bertrand », Henri Krasucki, « Martine », Paulette Sliwka et de Léa Krasucki. Ils furent arrêtés le 23 mars 1943, comme, dans les jours suivants, une soixantaine d’autres jeunes résistants. Dans la planque d’Henri Krasucki, parmi des documents politiques divers, furent découvertes des biographies, des fiches de contrôle et des listes de solidarité.

Henri Krasucki fut sauvagement battu, torturé longuement, y compris devant sa mère. Cependant du fait même du cloisonnement de l’organisation et du silence des jeunes, il ne semble pas que cette importante vague d’arrestations ait permis à la police de remonter d’autres filières. Les listes de militants trouvées en possession ou dans la chambre d’Henri Krasucki n’occasionnèrent pas de nouvelles chutes.

Après le commissariat de Puteaux et des séances à la police allemande, dans la seconde quinzaine d’avril, il fut mis au secret dans le quartier des condamnés à mort à la prison militaire allemande de Fresnes. Il en sortit le 21 juin 1943 pour être transféré à Drancy, où il retrouva sa compagne, sa mère et plusieurs de ses camarades arrêtés en mars. C’est comme juifs et non comme résistants qu’ils furent déportés par le convoi 55, vers Auschwitz le 23 juin.

Le 25 juin, le convoi 55 arriva en fin d’après-midi à Birkenau. Les hommes et les femmes furent séparés. Henri Krasucki, Samuel Radzinski et Roger Trugnan furent envoyés au travail, comme Léa Krasucki et Paula Sliwka de leur côté. Environ 600 furent gazés immédiatement.

Affectés dans un camp annexe d’Auschwitz, la mine de Jawischowitz, ils cherchèrent immédiatement le contact avec d’éventuels résistants. Le premier groupe de 150 déportés conduits là dès l’ouverture, en août 1942, avait été extrait des camps du Vernet, Gurs, Noé. Henri Krasucki fut affecté au travail comme aide à un mineur professionnel dans les conditions les plus dures d’un camp de concentration. Il devint le responsable du petit groupe de Français dans le Comité international, l’organisation collective de solidarité et de résistance du camp. Il côtoya des antifascistes, des communistes dont certains, tels Herman Axen et Kurt Goldstein, devinrent des cadres politiques de la RDA.

Le 18 janvier 1945, à l’approche des troupes soviétiques, le camp fut évacué. Après une marche de plusieurs jours et un transport par train, les survivants entrèrent au camp de Buchenwald. Henri Krasucki s’y trouva immédiatement en contact avec Ladislav Holdos, devenu Pedro, qui avait été un de ses chefs à Paris et il intégra le block 31 avec Roger Trugnan. Il fut incorporé dans l’organisation française de la résistance et membre de l’organisation militaire, responsable d’un groupe du parti et de jeunes. Le 11 avril 1945, il participa au dispositif de lutte des déportés pour libérer le camp. Il était dans la colonne qui marcha en direction de Weimar.

À Buchenwald même il remplit sa biographie pour la section communiste. La direction communiste du block indiqua : « Très bon élément, chef de groupe du parti, a fait à merveille le travail des jeunes Front National qui lui était confié. Cadre dirigeant régional des jeunesses, solide politiquement, intégrité absolue. Promet beaucoup pour la JC. » Le 28 avril 1945, Henri Krasucki était de retour à Paris, à temps pour participer à la manifestation du 1er mai. Du convoi pour Auschwitz du 26 juin 1943, comprenant 1 018 déportés, il restait soixante-douze ou quatre-vingt-six survivants selon les sources. Parmi ces survivants, sa mère, son amie, et Samuel Radzinski et Roger Trugnan. Après avoir écarté l’idée de se faire justice lui-même, il déposa plainte contre sa dénonciatrice Lucienne Goldfarb et « douze tortionnaires policiers » le 16 mai 1945. La plainte resta sans effet.

Après une période de repos, il termina son apprentissage au centre Bernard Jugault où il se syndiqua à la CGT en septembre 1945. Embauché comme ajusteur chez Athos à Paris (XIXe arr.), il y créa la section syndicale d’entreprise dont il fut secrétaire de septembre 1946 à mai 1947. Il partit ensuite chez Hispano-Brune, sans doute à la recherche de facilités pour militer. Il était membre de la direction de section du XXe arr. du Parti communiste, responsable aux jeunes. À vingt-deux ans, il se trouvait en décalage d’expérience avec les jeunes nés quelques années plus tard et se positionnait d’emblée, comme un cadre. L’ensemble des organisations de jeunesse ayant convergé dans l’UJRF en juillet 1945, Henri Krasucki siégea à son comité national et anima notamment un groupe de théâtre, la « Troupe Guy Mocquet ».

Henri Krasucki et sa mère constituèrent un dossier de demande de naturalisation en mars 1946. Bien que rien ne s’opposât formellement à cette demande, il fallut l’intervention, en avril 1947, de Georges Marrane, ministre de la population, pour la faire aboutir positivement le 24 juillet 1947. Dans son dossier, une note blanche datée du 2 juillet 1949, ne manquait pas, après une description de ses activités supposées, de conclure  : « il y aurait lieu de le tenir pour suspect du point de vue national ». Ces demandes de naturalisation indiquent qu’en juillet 1947, Henri Krasucki et sa mère avaient bien choisi de rester en France, quand beaucoup de cadres communistes issus de la MOI, retournaient dans leur pays d’origine, construire le socialisme, tels Adam Rayski ou Louis Bruno Grojnowski, anciens chefs d’Henri Krasucki dans la Résistance. Cela n’empêcha pas Léa Krasucki, en 1951, de rejoindre la Pologne, pour des raisons familiales, selon ses proches. Son fils lui rendit visite régulièrement.

Repéré dans sa section d’entreprise, connu par des cadres du parti comme de la CGT, Henri Krasucki fut proposé en 1948 comme secrétaire de l’Union locale CGT du XXe arrondissement. Parallèlement, de mai 1947 à mai 1948, il connut sa première expérience journalistique comme rédacteur en chef et unique rédacteur de L’Éveil du 20e . Tiré selon lui à 12 000 exemplaires, l’organe de la section du Parti communiste était la reprise du titre existant en 1940. Son investissement syndical reconnu, Henri Krasucki devint permanent de la CGT à la fin de l’année 1947. Cinq ans après son entrée dans la clandestinité, Henri Krasucki quitta à nouveau la vie professionnelle, cette fois de son plein gré.

En 1949, Henri Krasucki devint membre du bureau de la section communiste du XXe arr. et membre du bureau de l’Union départementale CGT de la Seine. Il fut à nouveau chargé des jeunes, puis de la propagande et de la diffusion de La Vie Ouvrière. En 1951, il siégeait au comité fédéral de la Seine du PCF.

En mars 1949, il se maria avec Micheline Esnault, secrétaire de Raymond Bossus alors élu communiste du XXe et membre de la direction du PCF. Le couple s’installa 6, passage Ramey dans le XVIIIe arr. jusqu’en 1952. Le couple eut deux enfants, Pierre et Françoise.

Henri Krasucki fut interpellé par la police, devant l’hôtel Astoria à Paris, le 24 janvier 1951, lors de la manifestation contre la venue en France du général Eisenhower. Dans cette période, Henri Krasucki enchaîna les formations militantes : l’école fédérale de la Seine en octobre- novembre 1947, celle des secrétaires de syndicat de l’union des syndicats en avril 1949 et le stage organisé par l’Union régionale CGT ; durant l’hiver 1950, il suivit l’école centrale de quatre mois du parti à Viroflay, avec entre autres Gaston Plissonnier, Roland Leroy, Pierre Gensous et Marcel Caille. Parmi les professeurs, Frédéric Joliot-Curie et Guy Besse le marquèrent particulièrement.

Henri Krasucki avait déjà côtoyé plusieurs dirigeants communistes et cégétistes de premier plan : ceux qu’il avait connus dans la clandestinité ou les camps, comme Marcel Paul à Buchenwald, Raymond Bossus, qui l’aida pour accélérer sa naturalisation en 1946, Lucien Monjauvis, Raymond Guyot, etc. Pour autant, sa promotion rapide semblait tout à fait naturelle à ceux qui militaient à ses côtés, tel Raymond Barberis.

Membre de la Section économique du comité central, il fut, en avril 1954, parmi les fondateurs de la revue Économie et Politique. Dès le second numéro, il inaugura une participation régulière par une étude sur « les salaires et les primes », question alors au cœur de la stratégie patronale.

En avril 1950, il publia deux articles, dans les pages « jeunes » de l’hebdomadaire de la CGT, Le Peuple : « Un enjeu qui vaut la peine de se battre : les conventions collectives » puis « Voici les journées de Printemps. Journées de la lutte pour la Paix et les revendications. » En novembre 1952, il fut invité à l’anniversaire de la Révolution d’Octobre à Moscou.
En 1953, aux côtés d’Eugène Hénaff, il devint secrétaire de l’Union des syndicats de la Seine et entra au bureau de la fédération PCF de la Seine dans lequel il côtoya Paul Laurent, Léon Mauvais, Eugène Hénaff, Roger Linet, Annie Besse (voir Annie Kriegel). En novembre suivant, lors de la réorganisation en quatre nouvelles fédérations, il siégea au bureau fédéral de Paris-Ville, tout comme Micheline Esnault-Krasucki son épouse.

Dès 1953, le poids particulier de Paris et de la région parisienne, la diversité et la spécificité des activités économiques lui permirent de se trouver associé aux activités nationales, aussi bien à la CGT qu’au Parti communiste.

En 1954, il élabora un projet syndical d’école du soir et d’université nouvelle pour l’UD.
Le 21 avril 1954, débutait en Tchécoslovaquie, le procès dit des « nationalistes bourgeois » et particulièrement de Ladislav Holdos, un de ses responsables des cadres FTP-MOI, Pedro à Buchenwald, ancien des Brigades, qui avait fait connaître Descartes à Henri Krasucki. Il fut condamné à treize ans de prison. Les notes préparatoires à son autobiographie, en 1991, faisaient référence à ces procès mais rien n’indique qu’Henri Krasucki ait revu Ladislav Holdos, ni en 1964 lorsque celui-ci vint à Paris, ni plus tard.

Au congrès de la CGT, en 1955, il fut élu à la commission administrative, rejoignant Pierre Lebrun, Marcel Paul, Léon Rouzeaud*, et André Linet*. Il présenta le rapport sur le programme d’action, rôle qu’il endossa ensuite très fréquemment lors des congrès, tant à la CGT qu’au PCF. Un signe de confiance car en cette période Benoît Frachon, secrétaire général de la CGT était engagé dans une controverse avec Pierre Le Brun.

L’année suivante, lors du XIVe congrès du Havre, Henri Krasucki devint membre suppléant du comité central du PCF, en même temps que Georges Marchais, Paul Laurent, Roland Leroy, Jean Breteau, Marcel Caille, et Madeleine Colin tandis que Georges Séguy entrait au bureau politique.

Intervenant au 31e congrès de la CGT à Ivry, 16 à 21 juin 1957, toujours rapporteur de la Commission du Programme et de « l’adresse en faveur de l’unité, aux adhérents, militants et dirigeants des autres centrales syndicales » il engagea, à son tour, la controverse avec Pierre Le Brun* sur le progrès technique et sur le droit de tendances dans la CGT. Trois jours plus tard, du 24 au 28 juin, il fut délégué au congrès de la Fédération syndicale mondiale avec Benoît Frachon.

Lors du comité central du PCF, les 11 et 12 décembre 1958, d’importantes divergences apparurent entre la fédération des métaux, dirigée par Jean Breteau, et l’UD de la Seine, dirigée par Henri Krasucki, au sujet du déroulement des négociations dans l’automobile et les accords d’entreprises chez Peugeot et Renault. Benoît Frachon critiqua l’attitude d’Henri Krasucki : « Krasucki ne peut pas dire qu’il a une excuse quelconque, nous en avons discuté ! » et celle de militants communistes et de membres du bureau politique : « il n’y a pas deux directions, une suffit et la direction c’est la fédération. »

Début juillet 1959, sur l’invitation du Conseil des Syndicats de Moscou, il conduisit une délégation en URSS. Il en fit un long compter rendu qui fît l’objet d’une publication lors d’un conseil général de la CGT de la Seine.

Mais Henri Krasucki devint véritablement un dirigeant national de la CGT comme directeur de La Vie Ouvrière (1960-1980) au décès de Gaston Monmousseau*. Élu au bureau confédéral de la CGT, il engagea un travail de transformation du journal, « de l’artisanat à la grande production, […] du journal d’une petite équipe avec des méthodes empiriques et peu de soutien politique à un journal hebdomadaire magazine syndical « grand public ».
Il en était de même pour l’administration, la qualification des personnels et les structures de travail, l’animation de la diffusion militante. Il n’hésita pas, lors d’une réunion du comité central du PCF de mars 1972, à intervenir pour estimer que « le PCF se bat mal pour son journal », comparant les efforts faits par la CGT pour la diffusion de la VO et ceux du PCF pour l’Humanité, et invitant toutes les organisations du PCF à changer leur activité dans ce domaine.

En permanence, la VO ambitionnait de s’adresser à un large public militant mais aussi à tout salarié désireux de s’informer. Le ton était familier, les sujets – évidemment politiques – traitaient du syndicalisme CGT, des actions revendicatives, sans évacuer les questions théoriques, économiques ou juridiques avec une part de recherche et d’innovation. Progressivement, les pages culturelles devinrent une référence dans la presse populaire.
Il publia des recueils d’articles : « Éloge du profit », « Nouvel éloge du profit », puis un livre, Syndicats et lutte de classes. Avec les syndicalistes des impôts qui y consacraient plusieurs semaines d’activité, il instaura la VO impôts. Il y accordait beaucoup d’importance, à la fois pour l’impact et l’utilité du contenu près les salariés, pour l’éditorial et pour l’équilibre financier qu’il apportait à l’hebdomadaire qui atteignait alors des niveaux de diffusion exceptionnels.

Henri Krasucki conduisit la représentation de la CGT au Conseil supérieur du plan (1961-1973), face à Valéry Giscard d’Estaing, Georges Pompidou et les représentants du CNPF des plus grandes entreprises, tel Ambroise Roux. Plus généralement, surtout à partir de 1960 et pendant plus de trente ans, il assura de nombreuses délégations, y compris internationales, et peu d’entreprises échappèrent à ses interventions. Les archives de l’IHS CGT recensent ainsi 579 brochures, préfaces, articles, et de plus de 1 400 discours, déclarations, en dehors des interventions dans les organes de la CGT et du PCF.

Lors du comité central du 13 au 15 janvier 1961 à Ivry, Henri Krasucki intervint pour joindre sa voix à ceux qui condamnaient Marcel Servin* et Laurent Casanova*. Les mises à l’écart s’étendirent à la revue Économie Politique, liée à la section économique du comité central, dirigée par Jean Pronteau*, qui publiait des études sur le capitalisme français en discordance avec les thèses officielles du PCF.

Le 23 janvier 1962, peu après 23 heures, une forte charge de plastic explosa dans la cave de l’immeuble du domicile d’Henri Krasucki, rue des Couronnes à Paris. Deux appartements au rez-de- chaussée et deux appartements au 1er étage souffrirent particulièrement de la déflagration, deux charges ayant été accrochées aux conduites de gaz alimentant l’immeuble par les hommes de main de l’OAS.

Lors du comité central des 5-6 octobre 1963, au cours d’un débat impliquant la CGT des métaux, Henri Krasucki fut mis en cause par Jeannette Vermeersch* à propos de ce qu’elle qualifia « de refus d’actions unitaires. » Lors du XVIIe congrès du PCF, du 14 au 17 mai 64, avec quatre nouveaux élus (Henri Krasucki*, Roland Leroy*, René Piquet*, Gaston Plissonnier*), le bureau politique connut son plus grand bouleversement de l’après-guerre et plus d’un quart du comité central fut renouvelé. Waldeck Rochet* fut élu secrétaire général.

Waldeck Rochet avait des ambitions pour le parti, les questions théoriques, la politique culturelle de même que l’amélioration des rapports avec les intellectuels devaient jouer un rôle dans cette évolution. Des actes devaient être faits. Lui-même, était un homme de culture, familier de la philosophie. Pour autant, il tenait par-dessus tout à l’unité du parti. Il choisit Henri Krasucki pour mener cette politique, lui aussi était un fidèle, discipliné et adepte de la maîtrise du changement. Il lui confia la responsabilité de la politique culturelle et des rapports avec le monde intellectuel.

Henri Krasucki membre du bureau confédéral de la CGT, conserva la fonction de directeur de La Vie Ouvrière et ses responsabilités. À plusieurs reprises il s’était engagé dans les débats sur les enjeux du progrès technologique. Il venait d’écrire, en mai 1964, un article dans la Nouvelle Critique, au sujet des ingénieurs et chercheurs. Il publiait dans les Cahiers du Communisme, La Pensée, et montrait sa sensibilité aux débats d’idées, à la culture. Louis Althusser*, comme Jean Bruhat* se félicitèrent qu’un ouvrier occupe cette responsabilité.

La préparation de la résolution du comité central d’Argenteuil qui se déroula en mars 1966 illustrait bien cette pratique : une large discussion du groupe de travail mais quand Louis Aragon* fit des propositions qui semblaient « aller trop loin pour ce que le parti peut accepter », Henri Krasucki, en liaison avec Waldeck Rochet, refusa et alla lui motiver ses désaccords. Puis devant une nouvelle série de propositions d’Aragon, il y eut finalement compromis : Les arts, la littérature et les sciences dures se voient reconnaître une indépendance de principe tandis que les sciences humaines et économiques font l’objet d’un contrôle a posteriori, puisqu’il est prévu que « les thèses contestées seront examinées au sein des organismes compétents.
Henri Krasucki fut l’interlocuteur de Louis Althusser à qui il alla transmettre « la seule bonne lecture du discours de Waldeck Rochet » à Argenteuil et le destinataire de la note qu’adressa le philosophe communiste « sur la politique du Parti à l’égard des travailleurs intellectuels » qui définit une nouvelle configuration du PC comme « intellectuel collectif ».
Plus largement, les initiatives, l’activité de la section des intellectuels communistes, dès le début de l’année 1965, se déployèrent de manière inédite avec de nombreuses rencontres qui traduisirent la volonté d’améliorer les rapports du parti avec les intellectuels communistes, les intellectuels en général. Rapports ponctués depuis une dizaine d’années par des crises et des tensions à répétition.

L’orientation qui guidait ces réunions était la suivante : mieux connaître pour mieux les prendre en compte les revendications et les aspirations des intellectuels ; cesser de considérer les activités intellectuelles d’un point de vue exclusivement idéologique afin d’être mieux en prise avec les contradictions à l’œuvre dans la société française ; associer sans réticence les intellectuels et en premier lieu les intellectuels communistes à cette politique.

Par discipline et par thèmes, des réunions associèrent de nombreux participants à l’élaboration de propositions concrètes telles une réflexion originale sur les problèmes de l’enseignement, sur les questions du cinéma avec la participation de cinéastes et critiques et de la télévision, sur les enjeux de la décentralisation culturelle à laquelle certaines municipalités apportèrent leur expérience. Elles dessinèrent les grandes lignes d’une politique culturelle novatrice qui marqua les années à venir.

Une de ces réunions, celle des philosophes, éclipsa toutes les autres dans la mémoire de ces années : « Les Rencontres philosophiques » de Choisy-le-Roi, les 22 et 23 janvier 1966, sous la présidence du secrétaire général du parti, se déroulèrent entre une quinzaine de philosophes, dans une large confrontation, devant un bureau politique silencieux, sans rapport d’ouverture, sans conclusions.

Les débats en paternité à propos de cette politique en direction des intellectuels sont riches. Si évidemment le maître d’œuvre en est Waldeck Rochet, la part que prit Henri Krasucki à sa préparation de longue haleine, à la densité des rencontres avec les intellectuels de toutes disciplines, la nature des débats philosophiques, l’élaboration de la résolution d’Argenteuil, l’affirmèrent comme un dirigeant de premier plan et lui firent acquérir des aptitudes hors du commun. Une question demeure : « Pourquoi n’a-t-il fait qu’un mandat comme responsable aux intellectuels alors que son action y semblait positive ? » Bien que son rôle fût essentiel, il ne marqua pas la mémoire militante dans ce domaine comme le fera son successeur Roland Leroy*.

Henri Krasucki et Micheline, son épouse, se séparèrent. Pour l’aider à s’occuper des enfants, sa mère anticipa son retour de Pologne. Georges Séguy dans Résister témoigne qu’à l’automne 1963, Benoît Frachon évoqua son remplacement à la tête de la CGT par plusieurs camarades possibles dont Henri Krasucki et lui-même. Entre-temps, en 1964, Henri Krasucki entra également au bureau politique du PCF, condition indispensable pour devenir secrétaire général. Ce qui, même s’il avait dû partager la décision, faisait protester Benoît Frachon  : « je ne le vois plus jamais ».

Dans le contexte de la nouvelle vague d’antisémitisme en Pologne comme de l’intervention de Benoît Frachon, violemment anti-israélienne lors de la clôture du congrès de la CGT de 1967, nous ne pouvons évacuer que ses origines juives polonaises aient pu jouer en défaveur de Henri Krasucki pour l’accession au secrétariat général de la CGT. Il semble pourtant qu’il était bien prévu, de longue date, que Georges Séguy soit le secrétaire général. Le poids des arguments en sa faveur suffit à ne pas retenir comme prédominante l’hypothèse antisémite, même si celle-ci est encore fréquemment évoquée. En outre, Benoît Frachon, vigilant sur les rapports entre la CGT et le Parti, a pu penser qu’Henri Krasucki n’aurait pas le même souci de se dégager d’une trop forte pression du parti. L’épisode de débats en pleine séance du comité central au sujet des accords Renault, en 1958, en était une illustration.

En 1967, à quarante-trois ans, à la veille de se consacrer totalement à la CGT, Henri Krasucki avait acquis une légitimité nouvelle dans l’ensemble du mouvement communiste et de la CGT, « équipier » de Georges Séguy. Toujours directeur de La Vie Ouvrière, il devenait responsable du secteur de la politique revendicative (1967-1982).

Ce mandat indiquait une position dominante et croissante dans la vie de la CGT. Il lui permettait de coordonner les luttes, de les animer, d’être le négociateur de la CGT, et cela au moment où, dès les premiers mois de 1967, le climat social était en rupture avec celui des années précédentes, ce qui se confirma tout au long de l’année.

Au cours du mois de mai 68, Henri Krasucki joua ainsi un rôle clé lors de la négociation des « accords de Grenelle ». Il prit de ce fait une place essentielle dans l’action de la CGT qui, faute de perspective de changement politique, engrangea des résultats pour les salariés. Il fut l’interlocuteur direct de Jacques Chirac, alors secrétaire d’État dans le gouvernement Pompidou. Si des rencontres préparatoires, officieuses et discrètes eurent bien lieu entre des responsables de la CGT et du gouvernement, l’ancien Président de la République, dans ses mémoires (Nil, 2009) évoque des rendez-vous clandestins dont la forme relève davantage du roman que des habitudes des militants CGT, à plus forte raison en Mai 68.

Présent, Henri Krasucki n’intervint pas lors du comité central le 1er décembre 1971, où fut présenté un rapport « Le PCF et les juifs ». Cela ne l’empêcha pas, de combattre vivement l’existence même de ce texte qui ne fut finalement ni adopté ni publié. Il n’ignorait rien, dans le détail, des vagues successives d’antisémitisme qui, en Pologne, frappaient ses proches, ses camarades. Si Léa, sa mère semble être revenue pour des raisons familiales précises, elle avait été forcément témoin de cette situation. Henri Krasucki écrivit le texte de d’intervention du PCF en direction du Parti Polonais pour examiner la situation des communistes, résistants, brigadistes, partis en Pologne à la fin des années 1940, contraints de rentrer en France et qui, de ce fait, n’avaient plus de droit à la retraite. Cette démarche n’aboutit pas.

Le 10 juillet 1972, la CGT approuva le contenu du Programme commun de gouvernement « qui constitue une base de rassemblement, d’union et de lutte des travailleurs, des masses populaires et des forces politiques, syndicales et sociales qui ont intérêt à la réalisation de ses objectifs » et en conséquence, elle « soutiendra le programme commun et participera activement à la lutte pour le faire triompher ». Lors du comité central des 24-25 janvier 1973, sur la « campagne des élections législatives », Henri Krasucki proposa une mise en sourdine de la CGT. Pour lui, une grande campagne politique des organisations du PCF dans les entreprises était désormais nécessaire avec la participation de tous les militants communistes, y compris ceux qui militaient à la CGT. Il atténua cette position en mars suivant lorsqu’il déclara : « il faut attacher la plus grande attention à la vie de la CGT. »

Il n’approuva pas l’initiative de Georges Séguy, prise selon lui sans délibération, d’appel au « vote à gauche » au premier tour des législatives de 1973. Ce fut l’objet de discussions entre eux. Henri Krasucki aborda au comité central des 19 et 20 mars 1974, consacré « aux cadres communistes », la question des cellules d’entreprises et déclara qu’il fallait déplacer un nombre important de communistes des syndicats vers les cellules d’entreprises.

Formé à l’école d’Eugène Hénaff* et de Benoît Frachon*, Henri Krasucki était un excellent négociateur, pilotant le dossier de bout en bout, en ayant une connaissance complète, et entrant dans les débats pratiques pour en faire ressortir les enjeux politiques. Ce fut le cas pour les accords sur la formation professionnelle, l’indemnisation chômage, les garanties lors des licenciements économiques et, plus tard, sur les contrats à durée déterminée. Cette aptitude à gérer, impulser les luttes lui donnait, incontestablement un poids énorme dans la CGT durant les années 1970.

Ces années furent celles de la crise économique mondiale, des redéploiements favorisant les stratégies de rentabilité des grands groupes et la sélection des activités jugées les plus rentables. Les batailles syndicales pour l’emploi, la défense de l’appareil productif et du service public, de grande ampleur, parfois violentes, se multiplièrent dans le pays avec les interrogations sur les stratégies de lutte que cela supposait.

Renault, les mines de fer, de charbon, la sidérurgie, Manufrance, Le Parisien Libéré, Grandin, le paquebot France, la Chapelle Darblay, autant d’exemples de luttes pour l’industrie, l’emploi, qui impliquèrent pour le responsable du secteur revendicatif de la CGT une conception syndicale élaborée, expérimentée, perfectionné nécessitant autant des éléments de dénonciation que l’élaboration de solutions alternatives, et le sens de la communication grand public.

En novembre 1976, au comité central, Henri Krasucki critiqua le discours des communistes lors des conflits sociaux. Pour lui, le PCF donnait l’impression de défendre les cadres et la hiérarchie au détriment des ouvriers. Les revendications salariales du PCF, d’augmentation en pourcentage, ne faisaient qu’accentuer les différences entre les ouvriers et les cadres.

Si Henri Krasucki intervint lors du comité central du 16 janvier 1976 qui préparait le 22e congrès, « trouvant que la notion de dictature du prolétariat était dépassée parce que trop étroite, et qu’elle ne correspondait plus à une réalité actuelle », il ne prit pas la parole en mars suivant lorsque la direction du parti donna un caractère critique à ses relations avec le PCUS. Ni quand Pierre Gensous*, alors secrétaire de la Fédération syndicale mondiale (FSM), confirma que les Soviétiques voulaient aligner la FSM sur leurs positions.

Lorsqu’un nouveau positionnement du PC sur la question de la maintenance de la force nucléaire française fut abordé au bureau politique, fin avril 1976, Henri Krasucki fut dubitatif. Il était absent quand cette question vint au comité central le 11 mai 1977. La CGT allait maintenir son opposition à la force de frappe nucléaire.

Il évoqua au comité central sa participation au congrès des syndicats de Moscou, au plus fort des désaccords entre le PCF et le PCUS, et fit état des constatations préoccupantes de la délégation : « discussions formelles, uniquement centrées sur les interventions de Brejnev ». Il dénonça la frilosité, le caractère sclérosé de ce congrès et le refus d’aborder les problèmes nouveaux. Il souligna la volonté des dirigeants du PCUS de dramatiser la situation internationale et affirma que les Soviétiques spéculaient sur la division du PCF.

Pendant que se tenaient les discussions entre le PCF et le PS sur l’actualisation du Programme commun de Gouvernement, dans l’introduction du document « Les solutions et propositions de la CGT » qui valaient rappel des revendications et propositions de la CGT, Henri Krasucki insista sur trois préoccupations dominantes : engager des mesures sociales immédiates et faire une politique sociale d’envergure ; viser une véritable transformation de la société par la réalisation rapide de nationalisations et la mise en œuvre d’une politique économique et industrielle susceptible de résoudre les problèmes auxquels le pays était confronté ; engager la démocratisation de la gestion des entreprises. Il notait que la CGT revendiquait quelques nationalisations de plus que le Programme commun « pour assurer la cohérence et les moyens d’une nouvelle croissance ». Le bureau confédéral précisa que la nationalisation concernait les groupes dans leur totalité y compris les filiales, ce qui affirmait son total soutien aux propositions du PCF, dans son conflit avec le PS.

En 1991, Henri Krasucki soutenait toujours « la demande d’actualisation, puis la rupture » et l’estimait « toujours justifiée et nécessaire ». Pour autant, il affirmait l’avoir considérée « trop brutale et avec des arguments qui ne pouvaient que rebuter et faciliter le jeu de Mitterrand*. De toute façon cela impliquait des pertes, mais elles pouvaient être plus limitées par une plus grande finesse et un plus grand savoir faire et savoir dire. La communication et la psychologie du grand public ne sont pas le fort des cadres ni des dirigeants communistes. C’est un problème ancien, culturel, et pourtant à plusieurs grandes époques… On peut chercher pourquoi, le fait est là. Mais la différence ne va pas plus loin. Il fallait mettre fin à l’équivoque et à la confusion ».

Remise en cause sur le plan politique, l’unité d’action se trouvait en difficulté au plan syndical d’autant qu’à partir de 1978, la CFDT entamait son recentrage. Malgré tout, la CGT afficha une volonté d’ouverture, la recherche d’une plus grande autonomie vis-à-vis du Parti communiste et une distanciation vis-à-vis de la FSM dont elle quitta le secrétariat. Ces questions furent au cœur des débats du congrès de Grenoble du 25 novembre au 1er décembre 1978. Au sein même de la direction de la CGT, se produisit un clivage entre des responsables. Henri Krasucki apparaissant ainsi comme « l’homme du Parti ». La réalité doit être nuancée. Henri Krasucki tirait les leçons des années 1970 et plus lucide que la plupart des dirigeants communistes souhaitait que la CGT avançât de son propre mouvement, mais il craignait le dérapage « réformiste », d’où, par exemple le clivage avec Georges Séguy sur les questions des relations avec la CFDT, dont il contesta la proposition de campagne de « syndicalisation en commun » et de mise en place du « Comité national d’unité d’action ».

Il se disait « préoccupé par tout ce qui favorise la confusion sur le terrain de la nécessaire lutte pour l’unité, alors que cela implique franchise et clarté sans agressivité ». Pour lui, « le recentrage de la CFDT, clair et sans ambiguïté, supposait de dire la vérité et d’organiser un débat public loyal avec les salariés », que « la CGT devait définir sa position pour l’unité d’action sur la base de conditions réelles existantes pour y parvenir. Donc à partir des positions et des actes réels et non supposés des directions de ces organisations à tous les niveaux ».

De son côté, Georges Séguy confirma sa volonté de « soustraire » la CGT à l’influence du PC, du moins aux aspects les plus outranciers de son orientation. Qu’Henri Krasucki aurait refusé cette inversion des rôles entre CGT et PC dans l’élaboration de la ligne stratégique du mouvement ouvrier. Ces différends laissèrent des marques profondes et très rapidement, Georges Séguy laissa apparaître sa lassitude.

Henri Krasucki détenait depuis plusieurs années une position éminente à la tête de la CGT. Dès 1979-1980, il apparut, comme le successeur naturel de Georges Séguy. Avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en mai 1981, la CGT se trouva dans une situation inédite. Tout en se voulant sans complaisance mais responsable, la CGT soutint plusieurs mesures gouvernementales, « tira tout ce qu’elle pouvait », en en soulignant parfois les limites. Mais assez vite, elle se trouva partagée entre le soutien qu’elle voulait continuer à apporter au gouvernement et sa volonté d’impulser des luttes revendicatives plus affirmées, elle haussa le ton, et peu à peu, mit au premier plan de son discours la critique et la revendication. La politique du gouvernement fut analysée en des termes presque analogues à celle de l’action patronale.

Le XLIe congrès, du 13 au 18 juin 1982, à Lille se prépara et se déroula dans ce contexte. L’actualité, l’urgence, n’étaient pas le repli, le durcissement, mais « comment faire face à cette situation à laquelle les syndicalistes n’étaient pas préparés, entre partenariat et conflictualité ? ». Henri Krasucki s’efforça, pris entre les plus contestataires vis-à-vis du gouvernement et les salariés qui de façon dominante pensaient« donnez- leur du temps, attendez, attendez », d’engager la CGT pour obtenir la concrétisation de mesures positives. C’est ainsi qu’il soutint par exemple l’importance des lois Auroux alors que de nombreux responsables de fédérations, hésitants, craignaient de se faire piéger par le CNPF.
Dès le début des années 1980, dans le contexte de débats difficiles dans la gauche, de poussée des idées libérales, Henri Krasucki fut victime de représentations disqualifiantes de la part de nombreux organes de presse et émissions de divertissement. Le dessin de Plantu dans Le Monde le montrait à plusieurs reprises en personnage vindicatif, aux petits yeux méchants, aux oreilles décollées, au long nez d’où perle une goutte, aux joues colorées par l’alcool. L’extension du stéréotype « un dirigeant syndical, alcoolique et imbécile » fut repris par le Bébête Show où il devint « Crabzuki ». Entre-temps il fut « le français de fraîche date » et ne fut pas épargné par les attaques à connotation xénophobe. En réaction, cent quarante responsables de la CGT lancèrent un appel, le 20 janvier 1983, pour répondre à cette campagne persistante. Cela n’améliora pas les relations souvent difficiles entre la presse et la CGT.

La sortie des ministres communistes du gouvernement, le 20 juillet 1984, libéra le PCF de la « solidarité gouvernementale », et permit l’affirmation sans retenue d’une ligne ferme et de la critique du PS. Une forte opposition interne s’exprima. Cette tendance au repli sur « l’entre-soi » communiste eut des conséquences sur la CGT. Alors que les conflits du travail étaient au plus bas depuis vingt ans, le PCF poussa la CGT à s’opposer plus vigoureusement au gouvernement socialiste. Henri Krasucki, secrétaire général depuis 1982, ne s’inscrivit pas, cette fois, dans cette orientation. Il fut critiqué nommément publiquement, « pour la mollesse de l’action de la CGT contre le gouvernement socialistes » par trois dirigeants parmi les plus importants de la CGT, lors du comité central du 20 mai 1985.

Qu’il ne fut informé qu’après coup, de la manifestation violente et spectaculaire à SKF d’ Ivry sur Seine, démontrait la divergence d’opinion mais aussi l’incompréhension, le manque de dialogue, de confiance qu’il y avait, durant les années 1980, entre le secrétaire général du PCF et celui de la CGT.

Un syndicat moderne, oui ! fut publié en mars 1987 aux Éditions sociales. C’était l’occasion pour Henri Krasucki de revenir sur 1981 : « Si la CGT avait forcé le trait, elle aurait été perçue comme excessive et partisane, si elle avait fait moins, elle aurait été reçue comme alignée. » Et de rendre un hommage appuyé à Mickaël Gorbatchev : « Les réformes engagées en URSS et qui prennent maintenant une dimension, un souffle qu’il est impossible d’ignorer, sont réellement décisives. Il était temps d’ailleurs ».

En 1988, il se maria avec Jacqueline Delhaye qui mourut en février 2012 .

À nouveau, des 12 et 13 octobre 1988, Henri Krasucki subit l’offensive de membres du comité central. Certains, dirigeants de la CGT, s’élevaient contre la « frilosité » ou les « réticences » de leur confédération à coller aux coordinations. Pour un dirigeant du Val-de-Marne « le mouvement des infirmières interpelle directement la CGT et sa pratique […] la coordination s’est faite en dehors du syndicat, il a manqué le rendez-vous. […] Souvent, le syndicat est replié sur lui-même, bureaucratique, et apparaît comme un repoussoir ».
La Carmagnole succéda à l’Internationale et à La Marseillaise, le 26 mai 1989 lors de la clôture du 43e congrès. Henri Krasucki y fut élu pour un troisième mandat. Devant la baisse qualifiée d’énorme de ses adhérents, une perte de près de 130 0000 de syndiqués, entre 1977 et 1987, il invita clairement et fermement les militants à modifier en profondeur leur pratique syndicale. Fidèle à sa voie « médiane » entre les « durs » et les partisans d’une « plus grande ouverture », il souligna que « tout le monde devait être à l’aise dans la CGT et qu’y adhérer ne supposait pas une adhésion à toutes ses idées de transformation sociale ».

S’il restait à la tête de la CGT, il pouvait sembler, à son tour, placé sous la surveillance de la direction du PCF. Trois membres du bureau confédéral siégeaient dorénavant au bureau politique du parti. Il était clair que ce qui apparaissait ainsi comme un partenariat privilégié entre la CGT et le PCF était contradictoire avec le document d’orientation et la détermination d’Henri Krasucki à promouvoir « un bouleversement de taille de la pratique syndicale afin qu’elle soit plus démocratique et plus proche des salariés ».

Le 12 novembre 1989, tout en considérant comme « une renaissance » les décisions du chef de l’État de la RDA, Egon Krenz d’ouvrir les frontières avec la RFA, Henri Krasucki déclarait : « Je ne crois pas qu’il y ait vraiment beaucoup de monde en RDA qui réclame : donnez-moi des patrons, je veux être exploité, je veux du capitalisme ». À la mi-décembre 1989, dans un monde communiste ébranlé par « la chute du mur de Berlin », un article du Monde évoquait la demande d’Henri Krasucki au bureau politique « que le débat se développe à l’intérieur du Parti communiste ». Une prise de distance qui ne fit que s’accentuer quand au comité central du 21 avril 1991, devant un parti désorienté, démobilisé, Georges Marchais proclamant « non, le Parti communiste n’est ni malade, ni en crise », Henri Krasucki résuma ce dialogue de sourd pour dire, avec sa malice habituelle : « Il ne me semble pas tout à fait exact ni satisfaisant de dire "Nous avons changé." Il faudrait plutôt indiquer : nous avons décidé de changer, nous voulons sincèrement le faire, nous essayons de le faire, nous avons commencé à le faire, nous avons du mal à le faire. Il faut changer en profondeur, beaucoup plus vite, du haut en bas, massivement. »

Dans Le Monde du 25 janvier 1990, le secrétaire général de la CGT avait publié un « point de vue » en hommage à Waldeck Rochet : « La fin et les moyens, le besoin de démocratie, de vérité, de pureté est une force immense. À l’Ouest pas moins qu’à l’Est ». Début 1991, Henri Krasucki s’engagea avec l’aide de deux auteurs dans la réalisation d’un livre à caractère autobiographique. Son objectif était de « répondre à un besoin politique, de principe, et pratique de la lutte, aux problèmes concrets réels de la période, présente et à venir, d’évoquer l’activité, le rôle d’un dirigeant national ». En fait, après six mois de travail, plus d’une centaine d’heures d’entretiens, il décida de tout arrêter en août 1991, le jour du putsch de Moscou. Il ne reprit jamais ce travail.

C’est Louis Viannet* « en l’absence d’Henri Krasucki, le tout décidé avec son plein accord », qui tint la conférence de presse de la CGT le 27 août 1991 : « Les événements en Union Soviétique. Problèmes économiques et sociaux en France. Réflexion de la CGT », « La portée des événements qui s’y déroulent est considérable pour les peuples d’Union Soviétique et bien au-delà, car les ondes des retombées en tous domaines du processus en cours ne laisseront aucun pays, aucun peuple indifférent. Les récents événements, la tentative de coup de force que la CGT a fermement dénoncé, son échec, dont nous nous sommes félicités, les réactions qui s’en suivent, sont autant d’accélération de l’engrenage de déstructuration, politique, économique, sociale, déjà fortement engagé et généré par les séquelles des décennies précédant la perestroïka ». Henri Krasucki était dans la petite maison de Jacqueline, dans la Sarthe, depuis le 19 août, date de l’état d’urgence en URSS. Son camarade Ianaev, dirigeant des syndicats soviétiques participait au coup de force, « c’est un gars bien, ça ne peut être complètement mauvais », commenta -t-il.

Le comité confédéral national de la CGT, qui s’était tenu du 11 au 14 juin 1991, tant dans sa préparation, son déroulement, le contenu de deux rapports, contradictoires ou complémentaires selon les commentateurs, faisait écrire à Michel Noblecourt dans Le Monde « Quelle est cette logique qui pousse les secrétaires généraux de la CGT à se lancer dans une vigoureuse autocritique de leur organisation à quelques mois de leur départ ? »

Effectivement, tirant le bilan de la décennie 1980, Henri Krasucki estimait que si le constat était amer pour des millions de salariés de toutes générations, la CGT avait accompli un travail considérable de réflexion, d’adaptation et de renouvellement dans bien des domaines, même si elle avait perdu des forces. « Oui nous sommes couverts de blessures, de grandes cicatrices pas encore refermées […] pourtant la CGT est debout. » Si la « véritable guerre menée par le patronat et le pouvoir est jugée responsable de l’affaiblissement de la CGT », il n’hésita pas à incriminer « toutes sortes de défauts, de carences, de mauvaises habitudes, de routines et de méthode bureaucratiques, de manque d’adaptation au nouveau et de comportements, soit périmés, soit inacceptables en toutes circonstances. [...] Des camarades, se sont considérés et se considèrent encore en mission dans la CGT. Gardiens d’une orthodoxie, entre guillemets, étrangère à la CGT. »

Le ton du XLIVe congrès, qui s’ouvrait le 26 janvier 1992 était donné. Le secrétaire général sortant, fut remplacé par Louis Viannet, qui ne l’avait pas toujours épargné. Le drapeau rouge soviétique affalé la veille de Noël, remplacé par celui de la Russie, un sentiment d’impuissance dans un PCF dans la tourmente, un projet de livre avorté, il transmettait néanmoins une CGT effectivement prête à un renouveau. À soixante-huit ans, dans son intervention finale, il affirme « j’ai beaucoup appris et changé, pour les choix décisifs je suis resté le même. »

En octobre 1991, une centaine d’anciens résistants et dirigeants du parti, dont Henri Rol-Tanguy, protestèrent contre la participation de Georges Marchais aux cérémonies du cinquantième anniversaire de la fusillade de Châteaubriand, « en raison de son attitude pendant la guerre ». La présence à ses côtés d’Henri Krasucki, secrétaire général de la CGT, ancien FTP-MOI, déporté résistant, cautionna celle du secrétaire général du PCF. En 1994, il quitta le bureau politique tout comme Georges Marchais*, Roland Leroy* et Charles Fiterman* puis, en 1997, le comité central.

Henri Krasucki s’exprima dans un « point de vue » du Monde du 22 avril 1995, « Atermoyer ou bien se décider », « Devant ce qu’il faut bien considérer comme un champ de décombres, chacune, chacun a, comme rarement, besoin de réfléchir au moment de voter au premier tour des élections présidentielles. […] Affirmer tout net le refus de la droite et le refus de ce qui a tant déçu, sans que cela soit un acte de défoulement sans lendemain, c’est bel et bien le vote pour Robert Hue. »

Après, en novembre 1988 « Mon Zénith à moi » l’émission de Canal +, il monta sur la scène pour la soirée des Victoires de la musique du 9 février 1999, « coiffé de la casquette du mélomane ». Télérama lui consacra trois pages « Camarade mélomane, on connaît le syndicaliste coriace. On découvre qu’entre deux « Internationale », à Auschwitz ou en congrès, il sifflotait Beethoven ». Se construisait ainsi une nouvelle image qui prenait à revers celle des années précédentes, celle de l’homme de culture, du résistant, du déporté.

En 1999, au congrès de la CGT, à Strasbourg, il posa pour la photo des secrétaires généraux avec Georges Séguy, Louis Viannet et Bernard Thibaud qu’il félicitait pour l’engagement nouveau de la CGT.

Il mourut le 24 janvier 2003, à l’âge de soixante-dix-huit ans, fut inhumé au cimetière du Père Lachaise. Un hommage « Henri Krasucki parmi nous » lui fut rendu sous la forme d’une soirée amicale et musicale, en présence de quatre cents personnes, le 12 mars dans la salle du comité central, au siège du PCF, place du Colonel Fabien.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article137530, notice KRASUCKI Henri [KRASUCKI Hénoch, dit Henri] par Christian Langeois, version mise en ligne le 13 juillet 2011, dernière modification le 10 février 2022.

Par Christian Langeois

Henri Krasucki en tenue de mineur à Ladrecht (Cévennes) le 23 avril 1981.

ŒUVRE : Syndicats et lutte de classes, 1969 ; Syndicats et socialisme, 1972 ; Syndicats et unité, 1980 ; Un syndicat moderne ? Oui !, 1987. L’ensemble aux Éditions Sociales.

SOURCES : Arch. comité national du PCF. — Arch. Institut CGT d’histoire sociale, notamment Fonds Krasucki, 7 CFD. — Arch. Préfecture de Police de Paris. — Arch. Nationales. — IMEC, CDJC, Archi. Privées. — Témoignages. — Presse citée. — Ouvrages et travaux : Jérôme Pelisse, Légitimation et disqualification du personnel politique ouvrier, une sociobiographie d’Henri Krasucki , Université Paris X Nanterre 1996-1997. — Denis Peschanski, Adam Rayski, Stéphane Courtois, Le Sang de l’étranger, Fayard, 1989. — Christian Langeois, Henri Krasucki, Cherche Midi Éditeur, à paraître 2012.

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