LABI Maurice

Par Frank Georgi

Né en 1930 à Gabès (Tunisie) ; secrétaire administratif ; militant socialiste et syndicaliste ; secrétaire fédéral des Jeunesses socialistes en Tunisie, puis membre du bureau national des JS ; secrétaire général de la Fédéchimie CGT-FO (1960-1972) ; cofondateur de la Fédération unifiée de la Chimie CFDT (1972).

Maurice Labi naquit en 1930 dans une famille juive du sud de Gabès, famille « très nombreuse et très modeste », selon sa propre expression. Son père ayant été interné et déporté lors de l’occupation allemande de la Tunisie, il fut contraint, à l’âge de douze ans, de travailler pour contribuer à faire vivre sa famille et interrompit sa scolarité après son certificat d’études primaires. En 1945, il adhéra aux Jeunesses socialistes (JS), dont il devint secrétaire fédéral pour la Tunisie. En 1951, il s’installa en région parisienne où il fut embauché Cité Malesherbes comme secrétaire administratif national des JS, alors dirigées par Pierre Mauroy*. Il fut membre du comité national, puis, en 1952, accéda au bureau national. Dans les rapports de congrès, le trésorier souligna à plusieurs reprises la charge de travail écrasante de l’unique salarié permanent du mouvement, et la modicité de sa rémunération. Maurice Labi contribua également aux premiers pas du nouvel « organe de combat des JS SFIO », Luttes. Nombre de ses articles portaient sur la question tunisienne, et, selon C. Bouneau, il joua un rôle important dans la relance du thème anticolonial par les JS. Dès décembre 1950, dans le bulletin Jeune militant, il avait dénoncé la répression sanglante d’une grève d’ouvriers agricoles en Tunisie et réclamé « l’indépendance dans l’Union française ». Dans Luttes, il publia en janvier 1952 un article intitulé « À quand l’indépendance de la Tunisie ? », et un an plus tard, un entretien posthume avec Ferhat Hached, dirigeant de l’UGTT, réalisé quelques jours avant son assassinat. Au moment de l’affaire des « blouses blanches », en février 1953, il prit la parole dans un meeting salle Wagram contre « la dictature et l’anti-sémitisme staliniens », aux côtés de Guy Mollet*, Daniel Mayer* et Pierre Mauroy*, et il signa dans Luttes un article au vitriol intitulé « Staline=Hitler. Hitler=Staline ».

Cette même année 1953, il abandonna ses responsabilités aux JS ainsi que son emploi de secrétaire administratif, en désaccord, semble-t-il, avec le projet de Communauté européenne de défense que soutenait Guy Mollet. Adhérent depuis 1951 à la CGT-FO (Fédération des Employés et cadres), il se vit proposer un nouvel emploi de secrétaire administratif par la petite Fédération de la Chimie. Il reprit parallèlement ses études, entra au Centre de formation des journalistes en 1957, prépara en deux ans à la Fondation des Sciences politiques une thèse de troisième cycle, sous la direction de René Rémond, consacrée à la première scission de la CGT en 1921. Ce travail, pour l’essentiel achevé dès le mois de mai 1958 et publié en 1964, ne fut soutenu en Sorbonne que le 14 juin 1962, devant un jury composé de René Rémond, Ernest Labrousse et Marcel David. Au lendemain du 13 mai, Maurice Labi avait mis en sommeil ses préoccupations universitaires au profit de l’action militante. Sur le plan politique, il rompit avec la SFIO, adhéra au PSA, puis, en 1960, au PSU. Il donna cependant la priorité à l’engagement syndical. Il fut dès 1958 choisi comme secrétaire général adjoint de la « Fédéchimie » Force ouvrière, alors à la recherche d’un second souffle, au terme du long mandat de Jean Coste. Après un court interrègne assuré par Louis Audibert et Henri Delaplace*, il fut élu en 1960 secrétaire général. Il mit au service de cette fédération, « pauvre » mais « méritante » selon lui, sa puissance de travail, ses talents d’organisateur et ses capacités intellectuelles. Il misa sur une politique de recrutement intensive (10 % par an en moyenne), des cotisations élevées, des investissements importants (locaux, personnel, équipement, presse, caisse de grève…), avec la volonté de faire de la Fédéchimie une organisation dynamique, capable de peser, au-delà même de son champ professionnel, et porteuse d’une ambition politique.

Ses grandes orientations s’affirmèrent très tôt. Dès 1959, lors de sa première intervention dans un congrès confédéral, il se posa en opposant résolu de Robert Bothereau*, dont il dénonça la « collaboration » avec le nouveau pouvoir. Au congrès de 1961, il fut repéré par la presse comme l’un des « jeunes syndicalistes » (J. Roy, du Monde) qui, n’ayant pas vécu la scission, apparaissaient décidés à remettre en cause l’immobilisme supposé de FO face aux nouveaux enjeux de la période. En 1963, il apparut comme une figure de proue du courant « moderniste » au sein de Force ouvrière, aux côtés de Robert Cottave* (Cadres), Antoine Laval* (Métallurgie) et Adolphe Sidro* (Employés). Cette nouvelle minorité lança cette même année un bulletin, Idées et actions, qui en exprimait les préoccupations. Labi brassait alors des thèmes qui le situaient clairement dans la nébuleuse de la nouvelle gauche : planification démocratique, réforme du Conseil économique et social, légalisation de la section syndicale d’entreprise, aspirations gestionnaires d’une « nouvelle classe ouvrière ». Par la branche d’industrie dont il avait la charge, comme par le « style militant » intellectuel (Karel Yon) qui était le sien, il personnifiait alors aux yeux d’une partie de la presse la « modernité » syndicale face aux « archaïsmes » de sa confédération. Ses orientations apparaissaient proches de celles de la gauche de la CFTC (CFDT en 1964) et de l’aile moderniste et mendésiste du PSU. Maurice Labi, s’il avait quitté ce parti dès 1961, peut-être pour mieux souligner le primat qu’il donnait à l’action syndicale, demeurait lié à certains de ses responsables, comme Michel Rocard*. En 1965, il participa, aux côtés de celui-ci et d’autres syndicalistes modernistes (Edmond Maire* et Marcel Gonin*, de la CFDT, Pierre Le Brun*, de la CGT) à la rédaction d’un « contreplan », publié sous le pseudonyme collectif de « Julien Ensemble ». Ses positions lui valurent l’hostilité tant de Robert Bothereau, puis d’André Bergeron, que de la minorité animée par Pierre Boussel* (« Lambert ») et Alexandre Hébert*, qui l’accusaient de vouloir « intégrer » le syndicalisme à l’État bourgeois.

La seconde grande préoccupation du jeune dirigeant fédéral était la recherche de l’unité. Le 19 décembre 1961, il participa à la manifestation contre l’OAS aux côtés de la CFTC et de la CGT, malgré le refus de sa confédération. Convaincu que la division constituait un facteur principal de la faiblesse du syndicalisme français depuis 1921 et que les évolutions récentes du communisme international ouvraient des perspectives nouvelles, de même que la déconfessionnalisation de la CFTC, il dénonça avec virulence le « repli sur soi » de sa direction confédérale. Il prit des initiatives audacieuses sur le terrain fédéral, proposant sans succès dès 1963 à ses homologues de la CGT et de la CFTC d’avancer vers l’unité organique de leurs organisations respectives. Membre du comité exécutif de l’ICF (Fédération internationale de la Chimie, proche de la CISL), il envisagea comme première étape une affiliation commune des trois centrales à cette Internationale professionnelle par le truchement d’un « comité permanent » dont il serait le représentant, procédure qui se heurta à de multiples oppositions. Il participa même à un voyage de trois semaines en URSS, à l’invitation des syndicats soviétiques, en compagnie de ses homologues chimistes, Roger Pascré* pour la CGT et Edmond Maire pour la CFDT. À cette occasion, il noua avec ce dernier des relations d’estime intellectuelle réciproque. Sur le plan politique, il se prononça en faveur d’une candidature unique de la gauche pour l’élection présidentielle de 1965, et, sur le plan syndical, pour une centrale unique, laïque, démocratique et socialiste. Les prises de position violemment anti-israéliennes de Benoît Frachon* lors de la guerre des Six jours le conduisirent cependant à dénoncer durement la CGT. Il renonça à la faire admettre à l’ICF, mais il s’opposa également à l’affiliation séparée de la Fédération des industries chimiques (FIC) CFDT. Celle-ci fut finalement admise en novembre 1968, et cette entrée fut suivie, deux ans plus tard, par la désaffiliation de l’organisation de Maurice Labi. Le secrétaire général de la Fédération internationale, Charles Levinson, entretenait en effet des relations détestables avec ce dernier, qui lui reprochait publiquement l’origine des « fonds considérables » dont disposait selon lui l’ICF. Cette accusation fut dénoncée par l’Américain comme une campagne de « diffamation » intolérable.

En Mai 68, Maurice Labi se situa résolument du côté des étudiants révoltés et se prononça, à l’instar de la CFDT, pour l’autogestion ouvrière. Le développement du mouvement des grèves lui fit espérer une possibilité de renverser le régime. Le 20 mai, il tenta, selon André Bergeron, de déborder la direction confédérale en demandant que les décisions soient prises par des assemblées plus larges que les organismes statutaires. Le 27 mai à Charléty, seul responsable FO à prendre la parole, il rejeta la négociation et se plaça dans une perspective révolutionnaire. En juin, il dénonça les fédérations CGT et CFDT, signataires d’accords, comme « capitulardes ». Il rédigea dans la foulée des événements un essai, La société en révolution, où il développa son analyse de Mai, reprenant la thématique du « tout est possible ». En 1969, il rendit public un « classement » des candidats à l’élection présidentielle, où il exprimait sa préférence pour Michel Rocard. Les relations de Labi avec André Bergeron, comme avec les « anarcho-lambertistes » de Force ouvrière, déjà bien dégradées, atteignirent un point de non-retour dans les années qui suivirent. Il condamna la « dérive droitière » de la direction, soutenue par une opposition interne complice, lui-même étant taxé de « gauchisme » et « d’aventurisme ».

1971 fut l’année de la rupture. En mars, au congrès fédéral de La-Colle-sur-Loup, Labi fit adopter des thèses sur le socialisme autogestionnaire, qu’il défendit en novembre lors d’un congrès confédéral très tendu, où il n’obtint que 4,5 % des voix sur son texte. À une courte majorité, le comité national de la Fédéchimie décida de convoquer à Toulouse pour le mois de février suivant un congrès fédéral extraordinaire pour tirer les conséquences de la situation. Parallèlement, Maurice Labi engagea des négociations discrètes avec la FIC de Jacques Moreau*, afin de préparer, avec la bénédiction d’Edmond Maire devenu secrétaire général confédéral, la fusion des deux organisations au sein d’une CFDT, désormais présentée comme la seule héritière authentique de l’esprit de la Charte d’Amiens. Cette démarche entraîna de violentes réactions à Force ouvrière. La confédération convoqua un congrès fédéral concurrent, réunissant les opposants à Labi, qui réaffirma sa fidélité à la CGT-FO et désigna Henri Delaplace comme secrétaire général d’une Fédéchimie « maintenue ». Elle engagea contre le premier une procédure judiciaire. La « forfaiture » de Maurice Labi fut expliquée par l’ambition personnelle et politique d’un « personnage » sans scrupule, dépeint comme étranger au syndicalisme véritable et au monde du travail, et qui ne serait bientôt pour FO qu’un « mauvais souvenir » (A. Bergeron). De son côté, le dissident fit ratifier par son congrès fédéral de Toulouse le protocole d’unification, lequel fut également accepté par le congrès extraordinaire de la FIC deux mois plus tard. L’« affaire Labi » entraîna une crise grave entre les deux confédérations.

En novembre-décembre 1972, le congrès de Nemours vit la naissance officielle de la Fédération unifiée de la Chimie FUC-CFDT. Dans les mois qui précédèrent ces assises, Maurice Labi, co-secrétaire général aux côtés de Jacques Moreau au cours de la période de transition, travailla à convaincre les syndicats FO de rejoindre la nouvelle organisation. Si un certain nombre d’équipes, surtout dans les grandes entreprises, le suivirent à la CFDT, le bilan fut au total très décevant, de quelques centaines à un millier d’adhérents, bien loin des 8 000 annoncés par Maurice Labi. Cet échec, ajouté aux difficultés provoquées par la confrontation de cultures syndicales très différentes et par la personnalité de l’ancien secrétaire général de la Fédéchimie, qui suscitait de fortes réticences chez certains responsables cédétistes, explique sans doute pourquoi celui-ci laissa entendre assez tôt qu’il ne briguerait aucun mandat au sein de la FUC. Il confirma sa décision au congrès de Nemours. Lié au Céres, il adhéra à la Fédération des Yvelines du Parti socialiste et compta parmi les signataires de la motion Chevènement pour le congrès de Pau du PS, en janvier 1975. Se rapprochant à nouveau du PSU, il signa l’appel en faveur d’un « front autogestionnaire » pour les législatives de 1978. Il ne joua plus par la suite de rôle syndical ni politique notable.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article137555, notice LABI Maurice par Frank Georgi, version mise en ligne le 14 juillet 2011, dernière modification le 12 juin 2020.

Par Frank Georgi

ŒUVRE : La grande division des travailleurs, Éditions ouvrières, 1964. — La société en révolution. Esquisse d’une solution syndicaliste, Éditions syndicalistes, 1968. — Articles et rapports.

SOURCES : Archives de la Fondation Jean-Jaurès : Fonds Pierre Mauroy (dossiers « JS »). – Presse des JS (archives de l’OURS) : Jeune militant, Luttes. — Archives interfédérales CFDT : archives de la FUC (dossiers sur la fusion FIC-Fédéchimie). — Congrès confédéraux de la CGT-FO 1959-1971. – Presse syndicale : FO hebdo ; Le syndicaliste militant (revue de la Fédéchimie CGT-FO). — Maurice Joyeux, « Un Rastignac de la Sociale : Maurice Labi », Le Monde libertaire, n° 179, mars 1972, p. 7. — Christine Bouneau, Socialisme et jeunesse en France 1879-1969, MSHA, 2009. – Alain Bergounioux, Force ouvrière, Le Seuil, 1975 et « Force ouvrière en Mai 68 », in René Mouriaux et alii, 1968. Exploration du Mai français, t. 2, L’Harmattan, p. 57-74. — Karel Yon, Retour sur les rapports entre syndicalisme et politique : le cas de la CGT-FO, thèse de Sciences politiques, Paris 1, 2008. — Tania Régin, Les relations intersyndicales françaises à la lumière des engagements internationaux 1948-1978, Université de Bourgogne, 2003. — Maurice Braud, « La CGT et l’autogestion. Quelques remarques », in Frank Georgi (dir), Autogestion. La dernière utopie ?, Publications de la Sorbonne, 2003, p. 271-286. – Frank Georgi, L’invention de la CFDT 1957-1970, L’Atelier/CNRS éd., 1995. — Guy Brucy, Histoire de la Fédération de la Chimie CFDT de 1938 à nos jours, Syros, 1997. — Jean-Louis Validire, André Bergeron, une force ouvrière, Plon, 1984. — André Bergeron, Ma route et mes combats, Ramsay, 1976. — Notes et renseignements fournis par Louis Botella, Karel Yon, Jean-Marie Pernot et Emmanuelle Jouineau ; témoignages de Jacques Moreau et d’Edmond Maire (juillet 2011).

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