Par Gilles Morin
Né le 6 mai 1932 à Auxerre (Yonne) ; fonctionnaire ; militant socialiste ; membre du comité national de la Nouvelle gauche, puis du comité politique national du PSU (1963-1969) ; expert du Parti socialiste.
Jean-François Kesler est issu d’une famille d’ouvriers agricoles en voie d’ascension socio-professionnelle et avide d’instruction. Son grand père maternel fut ouvrier agricole, puis, après son service militaire, il devint cheminot (homme d’équipe, puis chef d’équipe au PLM ; sa grand-mère maternelle était blanchisseuse à domicile. Son père, François Kesler, enfant de l’Assistance publique, fréquenta l’école jusqu’à l’âge de quatorze ans, fut ouvrier agricole jusqu’à sa mobilisation pour la Grande guerre, travailla ensuite comme magasinier dans un camp américain en France, puis après avoir passé des examens permettant d’accéder aux emplois réservés, il entra dans l’administration des contributions indirectes. Il finit sa carrière comme contrôleur. Sa mère, née Alice Jault, sans profession, était catholique alors que son père était non croyant. Il reçut une éducation religieuse et resta toujours pratiquant.
Jean-François Kesler fréquenta l’école primaire publique d’Auxerre, puis, boursier, entra au lycée Jacques Amyot de la ville, de la 6e jusqu’à la terminale. Son professeur de philosophie, communiste, qui le marqua, l’incita, lui, le « catholique de gauche », à lire Mounier. Admis en classe d’hypokhâgne au lycée Louis-le-Grand en 1950, mais ne supportant pas l’internat, il poursuivit ses études à la Sorbonne. Inscrit en histoire-géographie à la faculté de Lettres, il obtint une licence puis entra à l’Institut d’études politiques de Paris (1953-1955). Reçu à l’ENA, il partit au service militaire en 1956, affecté au service de météorologie au Bourget, mais fut rapidement réformé pour des problèmes de vue. Il entra alors à l’ENA en janvier 1957, appartenant à la promotion Vauban, avec Jacques Chirac. Son premier stage de six mois, à Grenoble, lui permit de compléter sa formation (il portait sur les études juridiques) ; puis il accomplit son stage en préfecture à Lille. En juillet 1959, il fut nommé contrôleur général de la Sécurité sociale, puis fut administrateur civil au Ministère de la Santé en 1960-1962.
J.-F. Kesler mena une double carrière, administrative et universitaire. Pensionnaire de la Fondation Thiers, il choisit, sur les conseils de Raymond Aron, une thèse d’État ès lettres et ès sciences humaines (sociologie) sur l’ENA. Attaché de recherches au CNRS et chargé de travaux dirigés à la faculté de droit de Paris de 1962 à 1968, il a été professeur à l’Université de Paris V et directeur du département des carrières sociales de l’IUT de Paris. Il fut aussi chargé de cours aux IEP de Grenoble et Strasbourg et chargé de conférences à l’École pratique des hautes études. Directeur adjoint de l’ENA (1983-1996), chargé de la recherche et de la formation permanente (qu’il créa), il fut enfin professeur à la Sorbonne (1996-2000).
Étudiant, Jean-François Kesler s’engagea en 1952 dans des Comités pour la paix, puis participa au Groupe des étudiants d’histoire (GEH-FGEL-UNEF), où il fit la connaissance de Michel Rocard. Il était hostile à la SFIO et, en janvier 1954, rejoignit la Jeune République (JR), dont il devint membre de la Commission exécutive. Il milita activement dans sa section étudiante et participa en son nom, au Regroupement de la gauche étudiante (RGE) qui rassemblait aux côtés de la JR des jeunes du MLP, dont son ami Paul Thibaud, et de l’Union progressiste. Ensemble, ils participèrent au rassemblement de la Nouvelle gauche au comité national de laquelle il siégea.
Engagé contre la guerre d’Algérie dès novembre 1954 – le soulèvement de la Toussaint 1954 se produisit lors du congrès de la JR – il participa en 1955 à l’organisation d’un séminaire de formation où vint Gilles Martinet, dont il resta proche. Admirateur de Mendès-France, il considérait que celui-ci allait dans le bon sens, mais n’allait pas assez loin.
Membre de l’UGS, J.-F. Kesler ne participa pas au congrès fondateur, ne pouvant venir de Lille à temps. Moins militant dans ses années à l’ENA, il reprit la totalité de ses activités politiques en 1959. Favorable à la fusion avec le PSA et le groupe Tribune du Communisme, il milita à la 14e section du PSU, à laquelle appartint Alain Geismar. Il entra au service de formation du parti dirigé par Jean Poperen*. Quand se posa la question de l’insoumission en octobre 1960, après le « Manifeste des 121 », Jean-François Kesler se montra favorable au texte Verlhac qui approuvait les insoumis « avant-garde courageuse » dans la lutte contre la guerre d’Algérie. Il participait au comité de rédaction de Perspectives socialistes.
Jean-François Kesler milita un temps dans son département natal, l’Yonne, où il participa à la campagne des législatives de novembre 1962 ; puis il s’attacha à la Nièvre, département d’origine de sa famille, où résidaient désormais ses parents. Militant à Nevers, il prit diverses responsabilités dans la fédération (trésorier, puis secrétaire fédéral adjoint).
Ayant pris position pour la tendance B (Depreux-Martinet), il fut élu au titre de cette tendance (qui s’allia avec les mendésistes pour former la nouvelle majorité) au comité politique national (CPN) du PSU en janvier 1963, à l’issue du congrès d’Alfortville. Il était toujours proche de Gilles Martinet, mais aussi en ces années de Pierre Belleville, Maurice Combes et André Garnier. Il était responsable de la commission santé du PSU en 1966, et il rédigea la partie sociale du programme du PSU pour les législatives de mars 1967. Parallèlement à son militantisme dans le PSU, il participait à l’action du club Jean-Moulin.
Il avait rencontré François Mitterrand dans la Nièvre dès 1964. En 1965, il soutint la campagne de Mitterrand. Favorable à l’association du PSU avec la FGDS, Jean-François Kesler, signataire du texte « le parti devant la perspective de la gauche unie » pour le congrès de juin 1967 (Tribune socialiste du 27 avril 1967), fut réélu au CPN du PSU au titre de la tendance minoritaire lors de ce congrès. Membre de l’association « Pour un pouvoir socialiste », fondée par Gilles Martinet en octobre 1967, il protesta contre l’exclusion de Jean Poperen dans Tribune Socialiste du 11 janvier 1968.
J.-F. Kesler demeura au CPN du PSU jusqu’en 1969, puis quitta ce parti en 1972, après le congrès de Lille. Avec Gilles Martinet, il participa à la rédaction du Manifeste « un socialisme pour aujourd’hui » qui fut suivi d’un départ collectif limité autour de l’ancien responsable de l’UGS puis du PSU. Séduit par le discours de Mitterrand à Épinay, Jean-François Kesler rejoignit le PS immédiatement dans la Nièvre. Il fut membre du comité des experts du parti, produisant divers rapports pour le PS, notamment sur la taxe pour la formation professionnelle.
Après avoir assisté à des réunions entre le CERES et Gilles Martinet, qui collaborèrent durant quelques années, Jean-François Kesler se détacha de ce dernier (tout en conservant avec lui des liens très forts d’amitié), étant rétif envers les positions du CERES qu’il considérait comme "gauchistes".
Dans la Nièvre, J.-F. Kesler prit aussitôt des responsabilités. Secrétaire fédéral à la formation durant deux décennies, secrétaire de la section de Château-Chinon durant plusieurs années, il devint assistant parlementaire du député Jacques Huyghues des Étages, élu en mars 1973. Il fit sa campagne de 1978. À la fin de l’année 1973, François Mitterrand lui proposa de remplacer Pierre Saury, son bras droit dans la Nièvre, après la mort de celui-ci ; il refusa car il ne voulait pas être en conflit avec le secrétaire fédéral Eugène Teisseire, ni devenir un homme lige inconditionnel du premier secrétaire du PS.
En 1983, Jean-François Kesler fut désigné par les militants du département comme suppléant du sénateur sortant Berrier, mais François Mitterrand lui fit demander par Pierre Bérégovoy de se retirer devant le docteur René-Pierre Signé (qui sera sénateur pendant 27 ans), ce qu’il fit.
Conseiller municipal de Château-Chinon durant deux mandats, de 1977 à 1989, Jean-François Kesler fut ensuite conseiller municipal à Nevers, de 1989 à 1995, aux côtés de Pierre Bérégovoy.
Après avoir été délégué à tous les congrès du PSU jusqu’à son départ de celui-ci, Jean-François Kesler le fut également à ceux du PS jusqu’au congrès de Rennes en 1990. Il quitta le PS en 2002, après avoir voté Jean-Pierre Chevènement à l’élection présidentielle, mais y revint en 2006 pour soutenir Ségolène Royal.
Jean-François Kesler a parcouru tout le spectre du monde syndical français. D’abord adhérent à la CFTC au Ministère de la Santé, mais favorable à la tendance Reconstruction, il passa à la CGT, considérant que la CFTC était très à droite dans ce ministère.. Lorsqu’il fut affecté au CNRS, il rejoignit le Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS), puis le SGEN en 1968. Mais, dans les années qui suivirent, il quitta ce syndicat, le trouvant trop gauchiste. En poste à l’ENA, il milita à FO (Syndicat de la haute fonction publique) ; il rédigea des notes pour la confédération et siégea comme membre de section au Conseil économique et social.
En dehors de ses travaux universitaires portant principalement sur l’administration, Jean-François Kesler restait passionné par les débats théoriques et par l’histoire. Collaborateur de la revue Perspectives Socialistes, proche de l’UGS puis du PSU, il participa au "Centre d’études socialistes". Il fut membre fondateur de l’ISER (Institut socialiste d’histoire et de recherches) en 1974, et collabora à la Nouvelle revue socialiste. Il s’interrogea sur la place des chrétiens et leur rôle dans la formation de la gauche, produisant un ouvrage pionnier sur la question et une série d’articles sur l’histoire du socialisme.
Il a été président de l’Institut Édouard Depreux de 1991 à 2013 et président-fondateur de "l’Université du temps libre" du Nivernais (1978-2012).
Il a épousé Évelyne Vigla le 3 juillet 1965 ; ils eurent deux fils, Emmanuel et Stéphane.
Par Gilles Morin
ŒUVRE : Bernard Gournay, Jean-François Kesler et Jeanne Siwek-Pouydesseau, Administration publique, Paris, PUF, 1967. — Sociologie des fonctionnaires, Paris, PUF, 1980. — L’ENA la société l’État, Paris, Berger-Levrault, 1985, 584 p. — De la gauche dissidente au nouveau Parti socialiste, les minorités qui ont rénové le PS, Toulouse, Privat, 1990. —Les Hauts Fonctionnaires, la politique et l’argent, Grandeur et décadence de l’état républicain, Paris, Albin Michel, 2006. — Le Pire des systèmes à l’exception de tous les autres, De l’énarchie, de la noblesse d’Etat et de la reproduction sociale, Paris, Albin Michel, 2007. Politique française, Paris, Ellipses, 2013, sous presse.
SOURCES : Courrier de l’UGS, 1er mars 1960. — Tribune socialiste, 2 février 1963. — Who’s Who in France 2002. — Entretien avec Jean-François Kesler, juillet 2011.