MARCHAND Jean-Pierre, René

Par Isabelle Coutant

Né le 20 mars 1924 à Paris (IVe arr) ; réalisateur de télévision depuis 1960  ; membre du Parti communiste (1948-1981)  ; secrétaire du syndicat des techniciens du cinéma CGT (1952-1954) ; secrétaire général du Syndicat français des réalisateurs de télévision, SFRT-CGT (1968-1983) ; administrateur de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, SACD (1992-2003).

La famille paternelle de Jean-Pierre Marchand appartenait à la petite bourgeoisie aisée. Son père, sensible aux idées de droite, lecteur de L’Écho de Paris, avait épousé sa secrétaire. La famille maternelle était plus populaire : le grand-père, électricien d’origine, était contremaître dans une entreprise industrielle. Jean-Pierre Marchand reçut une éducation catholique, porta l’uniforme des Scouts de France, mais à l’âge de quatorze ans, après la mort de sa mère, il s’éloigna de la religion en même temps que le débat autour des accords de Munich formait en lui de fortes convictions politiques.

À la veille de la guerre, son père, avocat d’affaires avait pris la direction d’une entreprise de fabrication d’uniformes. L’armistice venu, il poursuivit ses activités mais ses clients avaient changé. Il fut, plus tard, accusé de collaboration économique. Jean-Pierre Marchand prit ses distances. Étudiant en droit et sciences politiques, il fréquenta la Maison des Lettres, foyer inorganisé de résistance intellectuelle. Il y rencontra entre autres Pierre-Aimé Touchard, Jean-Pierre Chartier, Roland Dubillard, Alain Resnais, André Bazin. Il se découvrit une passion pour le théâtre et le cinéma. Comédien amateur, il rejoignit la Troupe de Théâtre Antique de la Sorbonne. Il interpréta les premières pièces de Roland Dubillard.

Jean-Pierre Marchand rejoignit un groupe trotskiste, le PCI, dont les activités résistantes se limitaient à la distribution de tracts en Sorbonne. Lors de la libération de Paris, il prit du service dans la Résistance et ramassa blessés et cadavres dans les rues. Puis il fit une préparation militaire mais, la guerre terminée, il décida, avec plusieurs camarades de la Maison des Lettres, parmi lesquels Dubillard et Resnais, d’organiser une compagnie de théâtre aux armées pour échapper à la vie des troupes d’occupation.  Les Arlinquins parcoururent la zone d’occupation française en Autriche.

De retour à Paris, licencié en droit, il chercha de quoi vivre. Quelques cachets de comédien à la radio, une nouvelle pièce de Dubillard, puis le rôle de Vaska dans Les Bas Fonds au Théâtre Pigalle. Eli Lotar, alors célèbre pour son film Aubervilliers, lui proposa un rôle d’animation dans un documentaire. Le film ne fut jamais terminé mais les relations d’amitié nouées avec Lotar et son épouse l’amenèrent à rencontrer la fille de celle-ci, Anne-Marie, par ailleurs fille de Vladimir Pozner*. Au contact de cette jeune femme, étudiante aux Beaux-Arts, il découvrit un Parti communiste plus ouvert qu’il ne l’imaginait. Il épousa Anne-Marie (qui devint créatrice de costumes) en 1948 et adhéra au parti cette même année.

Il fut alors engagé comme assistant sur un documentaire de John Ferno et Richard Leacocq. Vinrent ensuite deux stages d’assistant long métrage avec Henri Aisner et Louis Daquin. Il devint assistant en titre avec Clouzot, puis, de nouveau avec Daquin. Le film terminé, Daquin alors secrétaire général du syndicat des techniciens du cinéma, lui proposa d’occuper, en période de chômage, le poste, devenu vacant, de secrétaire administratif du syndicat (mars 1952). La fonction l’absorba complètement de 1952 à 1954. En 1954, il renoua avec la réalisation comme assistant d’Yves Allégret, puis de Joris Ivens et Gérard Philipe.

Ses premiers contacts avec la télévision datent de son engagement syndical, les premiers réalisateurs de la télévision étant syndiqués au « 92 ». L’occasion lui fut offerte de découvrir les studios de la rue Cognacq-Jay, alors occupés par la réalisation de « dramatiques » en direct.

Il commença à travailler à la télévision en 1957. Aux Buttes Chaumont, il devint rapidement l’assistant de Marcel Blüwal. Son militantisme syndical (notamment son rôle central lors de la grande grève de 1953 engagée contre une « chasse aux sorcières » à l’encontre de Stellio Lorenzi, René Lucot et Jean Thévenot) fut toutefois un frein à sa carrière : il n’accéda au statut de réalisateur qu’en août 1960, après le départ de Jean d’Arcy. Désormais reconnu, tout en réalisant des variétés, il s’attacha au documentaire et à la fiction, d’abord en « direct » puis en film. Il fut plusieurs années secrétaire général du SFRT (avec deux autres réalisateurs dont Paul Seban et Jean Lallier). Mais le syndicat fut perturbé par les répercussions de la vie politique au moment de la rupture du Programme commun.

Parallèlement, Jean-Pierre Marchand, toujours militant communiste, avait été élu membre du comité fédéral de Paris. Il s’associa au groupe « Rencontres communistes » qui s’était créé en marge de la fédération, groupe critique à l’égard de la politique du parti (lui reprochant notamment le centralisme démocratique et l’unité de pensée). Ils avaient créé Rencontres communistes Hebdo, lieu de réflexion et de débat, autour notamment d’Henri Fizbin (la liste du collectif fondateur figure dans le supplément au RCH n° 1, p. 8). Suite à la parution du premier numéro de RCH, en mai 1981 (numéro critique envers l’attitude du parti dans les péripéties du Programme commun), une résolution du comité fédéral de Paris parue dans l’Humanité du 1er juillet 1981 fit part de l’exclusion de tous les militants de ce groupe à la demande de la direction du Parti (voir les réactions dans les n° 7, 13, 16, 18 de RCH). Dans le n° 16 de RCH, en octobre 1981, Jean-Pierre Marchand répondit à la décision du comité central, dans un texte intitulé « Gare aux nouveaux retards. Voici le congrès. Progrès ou déclin ? » : « Il faut entamer une réflexion approfondie sur le centralisme démocratique. (…) Il faut en finir avec la discipline de pensée. (…) Si le parti veut m’exclure, ce sera au terme d’un débat politique où j’aurai personnellement le droit à la parole. »

Du côté professionnel, la liquidation de la RTF puis de l’ORTF, la création de la Cinq (Hersant-Berlusconi) et de la Six, la privatisation de TF1, avaient lourdement obéré la situation des réalisateurs, appelés, devant une multiplication d’employeurs diversifiés et renforcés dans leurs prérogatives, à se battre pour la liberté de création et le droit d’auteur. Une bataille s’engagea contre la pollution publicitaire. Le 18 février 1986, 3 000 auteurs réunis au Palais des Congrès proclamèrent leur refus des publicités et logos. Fort de cette manifestation, il intenta un procès à la Cinq après la diffusion de l’un de ses films, Yvette, avec le logo de la chaîne (diffusion du 10 août 1987). Au même moment, il informa TF1, à peine privatisé, de son refus des coupures publicitaires dans la Vallée des Espoirs. La programmation en fut annulée. Le procès engagé contre la Cinq donna à la Cour l’occasion de confirmer la valeur du droit moral des auteurs mais, en dépit du soutien de la SACD, il se retrouva relativement seul dans ce combat et, à part deux films policiers réalisés pour FR3, il vit tous ses projets annulés ou détournés.

Élu en 1992 au conseil d’administration de la SACD, il occupa cette fonction jusqu’en 2003. Dans le même temps, secrétaire général puis vice-président de la SRF (Société des Réalisateurs de Films), il s’investit, au nom de la Fédération européenne des réalisateurs, dans l’organisation du Symposium de Delphes (1988) et des Rencontres de Blois (1990). Il s’agissait de débattre sur le droit d’auteur (en Europe et aux États-Unis), la liberté de création, la spécificité de l’œuvre audiovisuelle sur le marché des biens. À Chaillot, le 1er mars 2000, il lança, au nom de la SRF, un appel pour la suppression du financement par la publicité des chaînes du Service public. En 2004, il fut élu président d’honneur du groupe « 25 Images », mouvement de réalisateurs qui a pour vocation d’accompagner la promotion et la création des œuvres de fiction à la télévision, de défendre les droits matériels et moraux des réalisateurs et de promouvoir leur statut d’auteur.

Jean-Pierre Marchand épousa Anne-Marie, fille de Vladimir Pozner, le 8 avril 1948, dont il a eu trois enfants : Nicolas né en 1949, Christophe né en 1950, Juliette née en 1954.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article137631, notice MARCHAND Jean-Pierre, René par Isabelle Coutant, version mise en ligne le 17 juillet 2011, dernière modification le 5 octobre 2022.

Par Isabelle Coutant

ŒUVRE : (filmographie sélective) : Les trois chapeaux claque, 1962 — La conspiration du Général Malet, 1963. — Julie de Chaverny, 1966. — Un homme, un cheval, 1966 — Un chalet en Éthiopie (doc), 1966 — Yanomami (doc), 1969 — Yvette, 1971 — La tête à l’envers, 1972 — Le lever du rideau, 1973 — L’ingénu, 1975. — L’ami dans le miroir, 1980 — Rien qu’une petite fille, 1981. — Bonnes gens, 1982. — La Dictée, 1983 — Le parfait amour, 1985. — La Vallée des espoirs, 1986.

SOURCES : Jérôme Bourdon, « Les réalisateurs de télévision : le déclin d’un groupe professionnel », Sociologie du travail, avril 1993 — Jérôme Bourdon et alii (dir.), La grande aventure du petit écran. La télévision française, 1935-1975, Paris, Musée d’Histoire contemporaine, BDIC, 1997. — Isabelle Coutant, « Les réalisateurs communistes à la télévision. L’engagement politique : ressource ou stigmate ? », Sociétés et représentations, CREDHESS, février 2001. — Entretiens avec J.-P. Marchand (1er juin 1998, 9 juin et 27 juin 2006) — J.-P. Marchand, « Activité intellectuelle du Parti et démocratie interne », dans Les intellectuels, la Culture et la Révolution, Conseil national du PCF, 9-10 février 1980, Éditions sociales, Paris, 1980, pp. 121-125. — Rencontres communistes Hebdo, n° 1, n° 7, n° 13, n° 16, n° 18.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable