MANUNTA Roger

Par Michel Pigenet

Né le 21 juillet 1926 ; conducteur d’engins, agent de maîtrise sur le port de Marseille (Bouches-du-Rhône) ; communiste, syndicaliste, membre de la commission exécutive de la Fédération CGT des Ports et Docks (1962-1964).

Roger Manunta était titulaire d’un brevet élémentaire industriel. Il adhéra aux Jeunesses communistes clandestines en 1943. Embauché sur le port de Marseille (Bouches-du-Rhône), docker professionnel, il exerça bientôt des responsabilités politiques. Secrétaire de cellule, il suivit les cours des écoles élémentaire et fédérale du Parti et appartenait au bureau de la puissante section Port et Marine en 1948. À ce poste et comme syndicaliste, il participa activement au très dur et long – du 10 mars au 19 avril 1950 - conflit au terme duquel le syndicat CGT, vaincu, perdit pour plus de dix ans une grande partie de sa capacité de mobilisation et d’action. Temps fort de la mémoire portuaire locale, l’événement devait marquer le jeune homme dont les qualités et le physique séduisirent Paul Carpita qui lui confia, en 1953, l’un des principaux rôles dans son film, Le Rendez-vous des quais, fiction censée se dérouler au plus fort des luttes du printemps 1950.

Cette parenthèse cinématographique brutalement refermée par la saisie du film, Manunta continua de gagner sa vie sur le port. Toujours syndiqué, il contribua à maintenir une présence cégétiste, à reconstituer les fils rompus et à surmonter les clivages nés de la grève. À l’instar de nombre de ses camarades marseillais, il n’accepta jamais les critiques émises par la Fédération des Ports et Docks sur la manière dont avait été lancé, conduit et prolongé un conflit indissociable des objectifs et des campagnes du PCF contre l’OTAN et la guerre d’Indochine. Douze ans plus tard, il jugea nécessaire de rouvrir le dossier devant le congrès fédéral afin de rappeler que la grève avait été votée à l’unanimité et pourquoi, conclue par une « défaite syndicale », elle ne constituait pas moins une « grande victoire » contre l’impérialisme et le colonialisme. Il ajouta que le redressement de son organisation aurait été plus rapide si elle avait bénéficié de la compréhension et de l’aide fédérale. De fait, l’intervention ne relevait pas seulement d’un souci d’interprétation historique, mais venait en appui de critiques redoublées à l’encontre de la direction fédérale et ses options tactiques. En 1962, en effet, le syndicat marseillais sortait victorieux d’une action qui, menée du 1er octobre au 13 novembre, s’était traduite par le refus des heures supplémentaires et la limitation de rendements. Outre les gains salariaux, la titularisation de 400 aspirants dockers et l’ouverture de négociations sur une nouvelle convention collective, le succès résidait aussi, pour la CGT, dans le ralliement des organisations concurrentes réunies au sein d’un comité unitaire bientôt soumis au contrôle de comités de chantier. Ceux-ci se révélèrent assez efficaces quand, à la suite de l’annonce, le 20 octobre, de la conclusion, sans la CGT, d’un accord séparé, les grévistes contraignirent les délégués de FO et d’un syndicat autonome à retirer leur signature. Indice du changement intervenu, les assemblées générales de grévistes recommencèrent à se tenir sur le port. Face au blocage des discussions conventionnelles, l’action reprit au printemps 1962. Alertée, la Fédération entra en relation épistolaire avec la direction du grand port. Au risque de court-circuiter et de contredire les militants locaux qui reprochèrent encore à Désiré Brest, qu’ils ne portaient pas dans leur cœur, d’avoir communiqué à l’administration un double du courrier confidentiel adressé au secrétariat fédéral. L’épisode enrichit un contentieux déjà lourd.

À propos de la syndicalisation des chômeurs embauchés sur les quais et des dockers « complémentaires », de la formulation des revendications – salaires, temps de travail… -, Manunta accusa la Fédération de s’écarter de la ligne confédérale. En foi de quoi, il précisa que la délégation marseillaise voterait contre le rapport moral. Bien que non suivi, sur ce point, par la majorité des congressistes, il entra à la commission exécutive fédérale. Il ne fut toutefois pas réélu, deux ans plus tard. Au cours de l’un des séances du congrès, le secrétaire du syndicat général du port de Marseille vint lire une motion de son organisation qui, opposée à la reconduction de Roger Manunta, expliquait que celui-ci n’avait « pas répondu aux espoirs que nous (avions) mis en lui ». Marius Gazelle ajouta qu’il était « dur de faire du syndicalisme avec ceux qui ne cherchent que le succès et qui n’ont pas l’esprit de sacrifice pour faire face aux difficultés de tous ordres ». D’autres appréciations, plus sévères encore, auraient pu laisser penser que Manunta avait définitivement rompu avec le syndicalisme. Il n’en était rien, mais à Marseille même, le militant, doté d’une belle prestance et de réels talents d’orateur, ne s’était pas fait que des amis. Son soutien à la formation d’un syndicat spécifique des conducteurs d’engins n’était pas du goût de tous les responsables qu’inquiétait la double perspective du possible morcellement de la corporation et de l’éviction des dockers intermittents d’une spécialité que les employeurs tendaient à réserver aux travailleurs mensualisés des entreprises. L’évolution prévisible des techniques faisait redouter que l’on ne favorise, à terme, la mensualisation du gros des dockers et la disparition du statut de 1947. Retenons, enfin, que dans la seconde moitié des années 1960, certains crurent détecter dans le tempérament de Manunta des prédispositions au « gauchisme ». De fait, c’est au nom de la CGT qu’il joua, en 1968, un dernier rôle d’envergure lorsque son dynamisme et son goût pour l’action lui valurent d’être porté au secrétariat du comité de grève. Après cet épisode, il s’effaça définitivement du devant de la scène syndicale et acheva sa carrière sur le port comme contremaître.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article137999, notice MANUNTA Roger par Michel Pigenet, version mise en ligne le 30 août 2011, dernière modification le 30 août 2011.

Par Michel Pigenet

SOURCES : Centre des archives contemporaines : 870150, art. 144. — Congrès de la Fédération nationale des Ports et Docks, les 13-14 juin 1962 (Paris) ; 17-18 juin 1964 (Paris). — Jean-Claude Lahaxe, Les communistes à Marseille à l’apogée de la guerre froide (1949-1954). Organisations et militants, engagements et contre-société, thèse d’Histoire (dir. J.-M. Guillon), Aix-Marseille II, 2002. — Robert Mencherini, « Les dockers et les guerres coloniales : les trois temps et la double articulation des luttes syndicales sur les quais de Marseille », Dockers de la Méditerranée à la mer du Nord. Des quais et des hommes dans l’histoire, Edisud, Aix-en-Provence, 1999, pp. 205-214. — Michel Pigenet, « Dimensions et perspectives internationales du syndicalisme docker en France dans la première moitié du XXe siècle », Dockers de la Méditerranée…, op. cit., pp. 215-223. Idem, « 1950. Les dockers français, ‘gardes-côtes de la paix’ », Images et mouvements du siècle. Chronique sociale, t. 2, Édition France-Progrès-ICGTHS, 1999, pp. 409-416. — Entretiens avec MM. Fortuni (8 avril 1999), Gouvard (18 juin 2000), Lanfranchi (8 avril 1999) et Leclercq (25 juin 1998).

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