KAHN Marcel-Francis

Par Daniel Couret, Jean-Guillaume Lanuque, Jean-Paul Salles

Né le 1er novembre 1929 à Paris ; médecin rhumatologue, professeur de médecine ; militant du SNESup ; militant du RDR en 1948 puis du PSU de 1960 à 1968, puis à compter de la fin 1968, de la Ligue communiste (LC) jusqu’en 1974, membre du Comité central de la LC, engagé dans les combats pour la défense des Algériens, des Vietnamiens, des Palestiniens et des pacifistes israéliens.

En zone libérée par le vietcong au Sud Vietnam en septembre 1967,
avec Jean-Michel Krivine. Photos de Roger Pic.

Né à Paris le 1er novembre 1929, dans une famille juive, Marcel-Francis Kahn fut élève au lycée Carnot (Paris, XVIIe arrondissement) de 1936 à 1939, puis au lycée Gay-Lussac, à Limoges, de 1940 à 1943. En 1944, âgé de quinze ans, il devint agent de liaison des FFI dans la région de Grenoble. Puis après une nouvelle année de scolarité au lycée Carnot (1945-46), il fit ses études de médecine à Paris, de 1947 à 1954. Dès son internat des hôpitaux, il choisit la rhumatologie comme spécialité et exerça à l’hôpital Bichat, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Il fut chargé de recherches à l’INSERM et devint professeur à la faculté de médecine de Paris en 1966.
Il fut membre de nombreuses sociétés savantes ou centres de recherches en France et à l’étranger (États-Unis, Grande-Bretagne, Tunisie, Grèce) et participa comme orateur invité à de nombreux congrès internationaux (Lisbonne, Rome, Londres, Alger, Liège, Bruxelles, Madrid, Tokyo, Budapest, Osaka, Moscou, Nuremberg).
Il épousa Régine (Réna) Cukier, ancienne déportée rescapée des camps, décédée en 1974. S’étant évadée du ghetto de Varsovie en 1942, arrêtée dans la partie aryenne de la ville et parlant polonais et non yiddish, elle fut déportée comme travailleuse esclave. Elle avait connu dans le ghetto celui qui allait devenir en France un éminent psychiatre, Stanislas Tomkiewicz. La famille de Réna fut en totalité exterminée.
Peu après la guerre, en 1948, il fut adhérent du Rassemblement Démocratique Révolutionnaire (RDR), un parti initié par Jean-Paul Sartre et David Rousset notamment, qui rejetait à la fois le réformisme de la SFIO et le stalinisme du PCF. Actif durant la guerre d’Algérie, Marcel-Francis Kahn fut aux côtés des militants du FLN. Adhérent du PSU depuis 1960, il milita dans ce parti jusqu’en 1968. Hostile à l’intervention militaire américaine au Vietnam, en 1966 il adhéra au Comité Vietnam national (CVN) créé par Laurent Schwartz, Madeleine Rebérioux et par la JCR. À l’occasion d’un premier séjour au Nord Vietnam avec Gisèle Halimi, il rencontra brièvement Ho Chi Minh en mars 1967. Un peu plus tard, en septembre 1967, il passa une semaine dans les maquis Vietcong du Sud avec le Docteur Jean-Michel Krivine et avec le cinéaste Roger Pic (ces deux derniers y restèrent 15 jours). Ils étaient en mission d’observation pour le Tribunal Russell. « Reçus, sous les arbres, par le Front national de libération (FNL), nous avons pu enquêter sur les conséquences de l’intervention américaine ainsi que sur la remarquable organisation du service de santé des maquisards vietcongs » (J.-M. Krivine, 2005). Un peu plus tard, il a soigné Pham van Dong, Premier ministre de la République Démocratique du Vietnam puis Président du conseil des ministres du Vietnam unifié. Il fut un des fondateurs du Front de solidarité Indochine (FSI), qui succéda au CVN, en 1971, et devint un de ses principaux animateurs. Il fut vice-président de l’Association médicale franco-vietnamienne (AMFV), qui procura notamment aux maquis du FNL leurs deux premiers appareils de radio portatifs, des trousses de chirurgie d’urgence et des médicaments. C’est au sein du CVN qu’il se lia à des militants de la JCR et du PCI-SFQI, le Docteur Jean-Michel Krivine et son frère cadet Alain. Il fut également très proche de François Maspero, militant et ami.

Durant les grèves de mai-juin 1968, il fut envoyé à la Sorbonne par le SNES-Sup, dont il était un militant actif, pour être le médecin de la faculté occupée. Membre du BN du SNESup, en février 1969, avec 200 de ses collègues, ils manifestèrent à la Sorbonne leur solidarité aux centaines d’étudiants présents pour soutenir leurs camarades réprimés pour avoir occupé le Rectorat (Le Figaro, 13 février 1969, Papiers M.-F. Kahn.). Appartenant à la majorité sortante, au congrès de mars 1969, il fit le rapport sur « Le SNESup et la loi d’orientation », dite loi Faure : « Tout ce que la loi pouvait avoir de progressiste et de libéral s’est rétréci, regrette-t-il, comme une peau de chagrin, annulé ou inversé par les décrets qui se sont succédé depuis 5 mois : pouvoir discrétionnaire des recteurs, décrets électoraux, structure centralisée des CHU, menace contre la recherche, projet de statut des enseignants : tout concourt à cloisonner, hiérarchiser, maintenir l’ ordre ». « La montagne a accouché d’une souris » et « aucun des problèmes fondamentaux de l’Université n’est résolu », poursuit-il. Il convient donc de dénoncer la participation en lui opposant un contrôle avec les étudiants et les chercheurs de toutes les formes d’organisation qu’il apparaîtra opportun de mettre en œuvre (Texte ronéoté tiré des Archives de Bernard Herszberg, cité par Danielle Tartakowsky in "Le SNESup et Mai-Juin 68"). Cet engagement syndical fut de longue durée. On le voit très critique, en 1983, contre une majorité désormais proche du PC, qu’il estime trop frileuse dans sa dénonciation des atteintes aux libertés commises dans les pays de l’Est et en URSS (cf. sa tribune dans le Bulletin du SNESup, en 1983, en prévision du congrès, intitulée « Pour une ligne internationale du syndicat moins bétonnée » in Papiers M.-F. Kahn).

Il fit partie du Secours rouge, une organisation de solidarité avec les militants réprimés, en France ou à l’étranger. Elle avait été créée au printemps 1970, à l’initiative du PSU et de diverses organisations d’extrême gauche, soutenue activement par d’anciens résistants prestigieux, anciens membres du Parti communiste, comme Charles Tillon ou Jean Chaintron, Roger Pannequin, co-présidée par Jean-Paul Sartre. C’est dans le cadre de cette organisation que Marcel-Francis Kahn, à l’époque professeur de médecine à l’Hôpital Lariboisière à Paris, conduisit en Jordanie un groupe d’une dizaine de jeunes médecins, militants des diverses organisations gauchistes. Par Beyrouth et Damas, ils se rapprochèrent de la Jordanie. Finalement, lui le plus expérimenté, fut le seul à aller jusqu’à Irbid, au nord de la Jordanie pour soigner les militants de la résistance palestinienne assaillis par les soldats bédouins du roi Hussein de Jordanie. Il raconte que ce fut la seule fois qu’il mena une action militante avec une arme à la ceinture ! Il rendit compte de ce voyage dans le journal Le Monde et fut interviewé par l’hebdomadaire de son organisation (Rouge n° 82, 5 octobre 1970, consacre les pages 6 et 7 à cette question, reproduisant l’interview de M.-F. Kahn sous le titre « de retour des zones libérées de Jordanie »). La semaine précédente Rouge dénonçait en Une « Hussein assassin de la résistance palestinienne » et annonçait l’envoi à Damas, par le Secours rouge, de médecins et de médicaments (Rouge n°81, 28 septembre 1970). Cet internationalisme chevillé au corps l’amena aussi à présider dans les années 1970 un Comité de Défense du peuple grec.(Papiers M.-F. Kahn).

Sympathisant avec le courant trotskyste représenté par la JCR et le PCI-SFQI, deux organisations dissoutes le 11 juin 1968, il quitta le PSU à l’automne 1968, et rejoignit l’organisation clandestine constituée autour des Comités rouges, dans laquelle il milita, de septembre 1968 à avril 1969. Il fut membre de la Ligue communiste (LC), dès sa fondation, en avril 1969. Il devint membre de son comité central. Du mois de décembre 1969 au mois de mai 1970, il présida le Comité national de solidarité avec les 3trois soldats du contingent de Rennes (Serge Devaux, Alain Hervé, Serge Trouilleux), accusés « d’incitation de militaires à la désobéissance », pour avoir publié un journal ronéotypé demandant que les soldats puissent bénéficier des mêmes droits politiques que les citoyens. Ce combat fut soutenu par de nombreuses personnalités, comme Michel Rocard et Jean-Paul Sartre, par la plupart des organisations de gauche et d’extrême gauche, à l’exclusion du parti communiste, par des syndicats (Salles, 2005, p.72-73). En février 1973, il fut un des responsables du Groupe Information Santé (GIS), à l’origine de l’appel de 331 médecins qui reconnaissaient avoir pratiqué ou aidé à pratiquer l’avortement, alors illégal en France. Membre du comité central de la LC jusqu’à sa dissolution, en juin 1973, il fut le coordinateur de la campagne contre la dissolution de la Ligue en direction des personnalités, des partis de gauche et organisations démocratiques. Mais, n’ayant pas supporté la « tentation militariste » qui amena le Service d’ordre de la Ligue communiste à tenter d’interdire par la force le meeting d’Ordre nouveau le 21 juin 1973, il quitta vite l’organisation, sans cesser d’entretenir des liens d’amitié avec Daniel Bensaïd et les frères Krivine.
Il signa avec eux, mais aussi avec Raymond Aubrac, Gisèle Halimi, Janette Habel, Maurice Rajsfus, Laurent Schwartz, Pierre Vidal-Naquet et près de 200 autres militant.e.s, le texte « En tant que Juifs… » paru dans Le Monde le 18 octobre 2000. Les signataires déniaient aux dirigeants de l’État d’Israël le droit de parler en leur nom : « Personne n’a le monopole du judéocide nazi. Nos familles ont eu leur part de déportés, de disparus, de résistants », affirmaient-ils, « aussi le chantage à la solidarité communautaire, servant à légitimer la politique d’union sacrée des gouvernants israéliens, nous est-il intolérable ». Répondant à Alain Finkielkraut qui avait réagi au texte précédent, Daniel Bensaïd, Rony Brauman et Marcel-Francis Kahn reprirent plus longuement la plume, toujours dans Le Monde (8 novembre 2000), pour affirmer notamment que « la seule solution [au conflit israélo-palestinien] passe par la reconnaissance de droits égaux, par le dépassement des nationalismes bornés au profit d’une citoyenneté démocratique et laïque, par la reconnaissance des torts faits aux Palestiniens, par une coexistence débarrassée de l’intolérance religieuse et du droit du sang ». Marcel-Francis Kahn fut un des co-fondateurs de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) et un de ses principaux animateurs. Il effectua à ce titre plusieurs voyages à Gaza et en Cisjordanie. Il fut également président du Collectif des citoyens juifs et arabes de France, une association qui luttait pour la Paix en Palestine, et un des organisateurs du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont commencé en mars 2009.
Très sensible également aux persécutions endurées par les Juifs et au judéocide, dans les années 60 il avait participé en tant que médecin à la prise en charge médicale et juridique d’anciens déportés. Après l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie – en août 1968 -il fut arrêté à Prague par la police pour avoir tenté d’aider l’ancien ministre Frantisek Kriegel en butte à la persécution antisémite. Il profita d’un congrès médical à Moscou pour aider les « Refuzniks » persécutés et interdits d’émigration. Enfin, aux côtés de Pierre Vidal Naquet, il participa aux combats contre les pseudo historiens révisionnistes comme Robert Faurisson.
Chef du service de rhumatologie à l’hôpital Bichat de 1975 à 1997, il put continuer à travailler à la Faculté comme Professeur de rhumatologie jusqu’en 1999. Il n’a jamais fait de clientèle privée et est un ennemi farouche des "charlatans", à commencer par les homéopathes.
En 2007, il appela à voter pour Ségolène Royal, en précisant qu’il appelait à voter socialiste pour la première fois.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article138076, notice KAHN Marcel-Francis par Daniel Couret, Jean-Guillaume Lanuque, Jean-Paul Salles, version mise en ligne le 4 septembre 2011, dernière modification le 28 novembre 2021.

Par Daniel Couret, Jean-Guillaume Lanuque, Jean-Paul Salles

En zone libérée par le vietcong au Sud Vietnam en septembre 1967,
avec Jean-Michel Krivine. Photos de Roger Pic.

ŒUVRE : Éditeur et coordonnateur de L’Actualité rhumatologique, Éditions Elsevier Masson, 56 volumes depuis 1964. — Avec Olivier Meyer, Jean-Charles-Piette, André-Paul Peltier, Maladies et syndromes systémiques, Flammarion, 2000 (Grand Prix du livre médical de la ville de Paris, décerné par l’Académie de Médecine). — En collaboration avec Bernard Amor, Dictionnaire de la polyarthrite rhumatoïde et des rhumatismes inflammatoires chroniques, édité par l’Association française des Polyarthritiques et des Rhumatismes inflammatoires chroniques (AFP), 2012, 400 pages. — Auteur ou coauteur de 400 publications médicales. — Réalisateur de deux films qui ont reçu le Grand Prix du Cinéma médical des Entretiens de Bichat.

SOURCES : Témoignage oral et écrit de Marcel-Francis Kahn, 2019. — Journal Rouge. — Docteur Jean-Michel Krivine, Carnets de mission au Vietnam, 1967-87, Paris, Les Indes savantes, 2005, 250 pages et photos. — Jean-Paul Salles, La Ligue communiste révolutionnaire (1968-1981). Instrument du Grand Soir ou lieu d’apprentissage ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005, 425 pages. — www.snesup.fr : Le SNESup en mai-juin 68, version revue et augmentée par Danielle Tartakowsky, 45 pages (consulté le 15 octobre 2019).

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable