BERTRAND Louis, Philippe. [Belgique]

Par Jean Puissant

Molenbeek-Saint-Jean (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 15 janvier 1856 − Schaerbeek (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 17 juin 1943. Ouvrier marbrier, militant syndical, fondateur du Parti ouvrier belge (POB), journaliste, publiciste, propagateur de la coopération, député de l’arrondissement de Soignies (pr. Hainaut) puis celui de Bruxelles, conseiller communal et échevin de Schaerbeek, vice-président de la Chambre, ministre d’État, historien du mouvement social et du POB.


Enfance

La jeunesse de Louis Bertrand est connue jusque dans ses détails grâce à ses exceptionnels et intéressants Souvenirs d’un meneur socialiste, rédigés à l’âge de septante ans et édités en 1927.

Louis Bertrand naît dans un faubourg populaire, au n°79 de la chaussée d’Anvers, de parents d’origine wallonne. Son grand-père paternel est fermier près de Jodoigne (aujourd’hui pr. Brabant wallon, arr. Nivelles). Son père, Pierre Joseph, né en 1828, travaille, après l’école primaire, comme apprenti aux carrières de Gobertange, situées dans la commune de Mélin (aujourd’hui commune de Jodoigne), avant de s’installer à Bruxelles comme ouvrier marbrier. Sachant lire et dessiner un plan, il ne tarde pas à devenir un contremaitre apprécié, semble-t-il, de ses ouvriers qui lui offrent chaque année un cadeau. « Gai » et « taquin » de nature, le père confère ce trait de caractère à son fils ainsi que sa profession. La mère de Bertrand, Émerance Julie Delporte, naît à Waterloo en 1835, d’un père marchand de charbon à Bruxelles, décédé précocement d’un accident de travail. Elle est et restera catholique pratiquante.

La famille Bertrand s’installe rue du Peuple au n°18, à proximité de l’impasse des Hannetons. Louis Bertrand a six frères et sœurs, dont l’un mourra en bas âge, et l’autre, employé d’assurances, à vingt ans.
Le salaire du père ne suffit pas à entretenir la famille. Aussi une mansarde est-elle aménagée pour y loger des ouvriers à la semaine qui paient deux à trois francs plus le café du matin, vers 1864. L’un des « logeurs », Émile Flahaut, qui sera syndicaliste à Paris et à Bruxelles et membre de l’Association internationale des travailleurs (AIT), travaille sous les ordres du père Bertrand et se lie avec lui.

Louis Bertrand grandit dans un milieu où la culture paternelle se transmet sous forme de proverbes, sentences et maximes répétés inlassablement, par exemple, pour recommander l’effort personnel : « compter sur les souliers d’un mort, c’est s’aventurer à marcher longtemps pieds nus ». L’enfant passe ses vacances à la campagne à Waterloo chez sa grand-mère − qui avait six ans en 1815 −, elle le nourrit de récits de la bataille.
Louis Bertrand poursuit ses études à l’école primaire communale qu’il quitte en 1868 pour gagner sa vie. Son père, gravement malade − un abcès dentaire non guérissable à l’époque −, mais heureusement affilié à la Caisse de prévoyance des ouvriers de Bruxelles, perçoit deux francs d’indemnité de chômage par jour pendant plusieurs mois. C’est insuffisant : l’héritage de 1 000 francs laissé par la grand-mère maternelle est dépensé à cette occasion. Louis Bertrand, aîné des enfants, décide alors d’abandonner l’école malgré l’opposition maternelle, et de vendre avec un ami, le journal libéral progressiste, La Chronique, qui commence à paraître. Timide, il ne gagne le premier jour que dix centimes au lieu du franc prévu, puis s’enhardit, écoule ses cent journaux quotidiens. Afin d’augmenter son chiffre d’affaires, il joint à La Chronique, d’autres journaux, français notamment, dont La Lanterne de Henri Rochefort.


Ses universités

Cette activité occupe Louis Bertrand pendant plus d’un an au terme duquel il est placé par son père en apprentissage chez un tailleur de pierre bleue afin d’y apprendre les bases de la taille. La longue journée de douze heures est difficile et dure, les outils sont lourds, la pierre récalcitrante mais les ouvriers ont l’habitude de chanter, coutume encouragée par le patron. C’est dans cet atelier qu’il découvre à la fois l’alcoolisme et l’anticléricalisme ouvrier. En 1871, il devient apprenti marbrier. Durant son apprentissage, pendant deux ans, il suit les cours d’adultes puis fréquente l’école de dessin de Schaerbeek et Saint-Josse (Bruxelles).

Le premier contact de Louis Bertrand avec l’AIT remonte au Congrès de Bruxelles de septembre 1868. Émile Flahaut, qui est délégué des marbriers parisiens, rend visite à la famille Bertrand et entraîne le père et le fils de douze ans et demi à une séance du soir au cirque. Le père de Louis Bertrand est affilié au Syndicat des marbriers, réorganisé par Émile Flahaut à son retour de Paris, après la levée du siège en 1871. Les membres du Comité du syndicat travaillent chez Tainsy, l’atelier du père Bertrand, et André où le jeune Louis travaille. Le refus de ces patrons d’employer des responsables syndicaux est à l’origine d’une grève qui revendique le droit de faire partie du syndicat et une augmentation de salaire de 25%. Les patrons répliquent par un lock-out. Le conflit dure pendant six mois en 1872.
Louis Bertrand participe alors à ses premiers meetings et manifestations. À la suite d’un meeting et d’un cortège qui reconduit les orateurs, venus de Liège et de Verviers, à la gare du Nord à Bruxelles, il est reconnu par le vicaire de sa paroisse. Il assiste en effet à la messe, est membre de la confrérie de Saint-François-Xavier et fréquente la bibliothèque paroissiale de Saint-Roch toute proche du domicile familial. Accusé de faire partie de l’Internationale, il s’en défend en affirmant qu’il s’agit d’un cortège de marbriers en grève. Mis en demeure de choisir la paroisse ou l’AIT, Bertrand quitte la paroisse et gagne l’AIT.

Il est rare de pouvoir observer précisément les raisons et les circonstances de l’entrée en militantisme. Le récit de Louis Bertrand, très riche de ce point de vue, mérite d’être relevé. Bertrand, personnalité fondamentalement modérée, relate que s’il s’agit bien là de sa rupture avec l’Église et les associations catholiques, le curé de la paroisse lui commande à ce moment des petits travaux (presse-papiers en marbre) qui lui permettent de gagner quelque argent pendant la grève. « Le dimanche matin donc, au lieu d’aller à la grand’messe comme j’en avais l’habitude, j’allais en ville, à la Grand’Place, chez le marchand de journaux, Cheval, acheter l’Internationale. J’allais aussi à la galerie Bortier acheter quelques brochures et bouquins à bon marché,... » (Souvenirs d’un meneur socialiste, vol. 1, p. 107). Il s’agit là d’une rupture exemplaire avec la culture traditionnelle et la formation dans la culture nouvelle.

Louis Bertrand s’inscrit à l’AIT et fait la connaissance de Désiré Brismée, César De Paepe*, Eugène Steens* et Laurent Verrycken. Il lit beaucoup, à la paroisse − il a lu les romans historiques d’Henri Conscience, des ouvrages du député catholique Coomans* − . Émile Flahaut lui fait lire Victor Hugo, Eugène Sue, L’histoire des prolétaires. Il retrouve dans un coffre de ses parents, l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau, éditée en livraisons. Bertrand publie son premier article en 1875 dans La Persévérance, l’organe des marbriers : « Oppression politique et religieuse ».
C’est à la Chambre syndicale des ouvriers marbriers, sculpteurs et tailleurs de pierre que Louis Bertrand milite activement. Il en devient le secrétaire. Émile Flahaut essaye de l’entraîner aux réunions d’un groupe blanquiste en relation avec le Comité central révolutionnaire, créé à Londres par Edouard Vaillant, Émile Eudes, Ernest Granger, etc. Le groupe comprend plusieurs ouvriers marbriers, notamment français, venus travailler sur les grands chantiers des boulevards de Bruxelles et de la Bourse. Mais la « conspiration » ne le séduit guère.

Louis Bertrand assiste régulièrement aux séances de l’AIT en 1874. Il en devient le secrétaire correspondant en septembre 1875. Mais divisée, déchirée, réduite à quelques dizaines de militants à Bruxelles, l’AIT est impuissante à réussir ce qu’elle n’a pu faire au moment de sa grandeur maximale en 1868-1870, c’est-à-dire réunir l’ensemble des corporations ouvrières de la capitale. Le 18 octobre 1874, il représente les marbriers à la quatrième réunion ayant pour objectif de fédérer les syndicats sous sa houlette.

Louis Bertrand est également membre des Solidaires. Il fait partie du Comité en 1874. Il est assidu aux réunions, mais, après avoir insisté en avril 1874 pour créer un nouvel organe de propagande de l’association, il est destitué en avril 1875 du comité de propagande, avec d’autres, en raison de son inactivité.

1874 apparaît bien chez Louis Bertrand comme une année clef. Il a dix-huit ans, participe à toutes les formes possibles d’associations ouvrières, y compris « clandestines ». La réunion du 18 octobre 1874 se heurte à l’aspect politique que veulent lui donner les internationalistes, à savoir protester contre l’expulsion d’un journaliste français. Les syndicats sont réticents. Le 21 décembre suivant, il est décidé de créer une fédération, la Chambre du travail, fédération des sociétés ouvrières de Bruxelles. Toutes les corporations qui acceptent ses principes y seront admises, contre l’avis de certains membres de l’AIT qui veulent exclure les associations ouvrières entretenant des contacts avec les autorités. L’AIT appuie le projet, si elle n’en est pas à l’origine. D. Paterson* préside les réunions ; chargé du secrétariat en juin 1875, il démissionne le 19 juillet afin que les corporations ouvrières hostiles à l’AIT ne puissent penser que c’est cette dernière qui suscite et dirige la Chambre.

La Chambre du travail reçoit l’adhésion des marbriers, des menuisiers, des tailleurs, des bijoutiers, des passementiers, des cigariers, des mécaniciens. C’est à ce moment que Louis Bertrand en devient le secrétaire. Le bijoutier français, Gustave Bazin, y joue, en sous-main, un rôle central. La nouvelle organisation a pour objectif la création de syndicats, leur fédération, la propagande en milieu ouvrier mais aussi la formation intellectuelle de ses membres. Des conférences de culture générale sont organisées, des cours de comptabilité, de grammaire sont donnés par des réfugiés français et surtout des leçons d’économie sociale sont dispensées par César De Paepe. Bertrand devient la cheville ouvrière de toutes ces activités. Laurent Verrycken le qualifiera plus tard de « jeune homme peu instruit, entraîné par Gustave Bazin et Sellier* » (enseignant français qui joue un rôle culturel actif pour les adhérents de la Chambre).

La fin de l’année 1875 voit Louis Bertrand défendre ses premières positions personnelles. Elles apparaissent fondamentalement syndicales : refus de faire intervenir la Chambre dans le mouvement de solidarité à l’égard des détenus de Nouvelle Calédonie, non par hostilité à ce type d’action − les marbriers y participent −, mais par volonté de maintenir la nouvelle organisation dans un cadre purement syndical, tentative de fédérer les marbriers à l’échelle nationale, collectes en faveur de grévistes de Charleroi sans travail, etc. Il présente les Trade unions anglaises comme un modèle et formule, le 24 juillet 1876, des critiques à l’égard de la France « où les ouvriers cherchent trop leurs droits politiques ».

Au mois d’août 1876, la revue, L’Économie sociale, publie les comptes-rendus des conférences organisées par la Chambre du travail et consacre un numéro au travail des femmes et des enfants. Lorsque les organisations gantoises lancent une campagne de pétitionnement pour sa réglementation, la Chambre du travail y participe activement. Elle propose d’ailleurs de créer une Union nationale ouvrière. Gustave Bazin estime toujours qu’il doit s’agir d’une organisation exclusivement économique. Louis Bertrand, pour sa part, soutient le 8 décembre 1876 que « politique et économique doivent aller de pair ». Une réunion nationale est organisée dans cette perspective, à Bruxelles le 10 décembre. Il y défend l’union de toutes les organisations syndicales du pays qui pourraient, le cas échéant, exercer une pression politique, comme c’est le cas en ce qui concerne le travail des femmes et des enfants. Il met l’accent sur le côté pratique et non doctrinal de la démarche. Cette réunion et la décision de convoquer un congrès à Gand (Gent, pr. Flandre orientale, arr. Gand) sont à l’origine de l’explosion de critiques internationalistes contre Bertrand, la Chambre du travail et son projet. Le 9 avril 1877, cette hostilité entraîne sa démission de secrétaire correspondant de l’AIT de Bruxelles.


Le militant social-démocrate

Au cours du printemps 1877, Louis Bertrand répond dans les meetings, par des articles dans Le Mirabeau, aux attaques dont il est l’objet de la part des « vieux » internationalistes bruxellois qui ne veulent pas d’une « fédération » concurrente à l’AIT, et de la part des autonomistes et anarchistes, y compris étrangers comme celles de James Guillaume dans le Bulletin de la fédération jurassienne, bastion de la position anti-autoritaire au sein de l’AIT fédérative. Trente ans plus tard, dans l’Histoire de la démocratie (vol. 2, p. 303 et suivantes), Bertrand prétend qu’il tentait de rapprocher les Wallons autonomistes, les Flamands influencés par les socialistes allemands. Or au Congrès de Bruxelles du 10 décembre 1876, au Congrès de Gand d’avril 1877, puis à celui de Bruxelles en juin 1877, on observe la défense ardente de la position initiale de Bertrand, à savoir une union des associations purement ouvrières, l’insertion ponctuelle et facultative dans la vie politique, la référence aux Trade unions anglaises. Il semble bien défendre une stratégie particulière qui est celle des principaux animateurs de la Chambre du travail depuis sa création.

Louis Bertrand se heurte ainsi à tous les courants organisés dans le pays − Gustave Bazin est obligé à ce moment de quitter la Belgique −. À vingt-et-un ans, il reste seul à défendre cette perspective principalement syndicale. Or les militants gantois et anversois, excédés par le manque de résultat des congrès précités, créent le Parti socialiste flamand. Les internationalistes bruxellois fondent à leur tour le Parti socialiste brabançon auquel Bertrand adhère. Obligé de choisir ses alliés, il se tourne vers les socialistes flamands, Edmond Van Beveren*, Edouard Anseele, Philippe Coenen*. Au Congrès international de Gand en septembre 1877 auquel il peut participer en raison d’un récent accident de travail − il est secrétaire de séance les 11 et 12 septembre −, Louis Bertrand défend l’insertion politique du mouvement ouvrier. Avec Philippe Coenen, il propose la résolution votée : « le prolétariat, organisé comme parti distinct, opposé à tous les autres partis formés par les classes possédantes, doit employer tous les moyens politiques tendant à l’émancipation sociale de tous ses membres. » Le ralliement de Bertrand à la lutte politique est incontestable mais la question est bien le contrôle de la classe ouvrière, des organisations existantes.

Louis Bertrand adhère à toutes les organisations qui apparaissent, pour y défendre ses positions et lutter inlassablement contre l’influence des « vieux » internationalistes, des anarchistes, des autonomistes et des indifférents. Mais sa position n’est pas aussi précaire qu’elle paraît puisqu’il a l’appui non pas entier, complet, sans nuance mais réel néanmoins, de César De Paepe*, sur lequel il insiste beaucoup dans ses Souvenirs, et celui, bien sûr, des marbriers et des corporations qui les suivent au sein de la Chambre du travail.

Au début de 1878, Louis Bertrand prend la parole à divers meetings en faveur du suffrage universel. Il est prêt à s’allier à la bourgeoisie favorable à l’élargissement du droit de vote. Puis son nom disparaît des rapports de police pendant plus d’un an. Dans ses Souvenirs, Bertrand note qu’à ce moment, il court les librairies, achète et lit beaucoup. C’est l’occasion de rédiger une première étude sur les salaires en Belgique. Sur les conseils de De Paepe, elle est envoyée à Die Zukunft, revue socialiste à Berlin, qui la traduit et la publie et paie 940 marks (400 francs) à l’auteur. Ceux-ci sont investis dans la création de La Voix de l’ouvrier le 5 mai 1878, un hebdomadaire, dont Bertrand est le principal sinon le seul rédacteur.

À la suite d’une catastrophe minière dans le Borinage (pr. Hainaut) en avril 1878, Louis Bertrand écrit une brochure, Aux ouvriers mineurs belges. À cette occasion, il visite le bassin houiller et découvre les mineurs tout comme à Gand, l’année précédente, il avait découvert les ouvriers du textile. Le jeune marbrier rencontre ainsi, pour la première fois, la grande industrie, ses particularités par rapport aux « métiers » employant des ouvriers très qualifiés qui forment le monde syndical bruxellois. En septembre, il est délégué, avec Van Beveren, pour représenter les socialistes belges au Congrès international de Paris, interdit par les autorités françaises.

En juin 1879, Louis Bertrand est congédié à la suite d’un incident d’atelier. Il ne retrouve pas de travail à Bruxelles. Il est manifestement signalé. Plus tard, selon son témoignage, il apprend que ce seraient les clients de son employeur qui auraient fait pression pour qu’il licencie le secrétaire du Syndicat des marbriers. Il lui est impossible d’abandonner ses activités à Bruxelles d’autant qu’il se marie le 15 septembre 1879 avec Marieke, polisseuse en bijouterie. La reconversion est donc nécessaire.

Recommandé par César De Paepe, Louis Bertrand devient vendeur, chez le libraire Kiestemaeker*, puis s’installe à son compte dans une petite maison qui lui sert également de logement, rue au Beurre, contre l’église Saint-Nicolas au centre de Bruxelles, à deux pas de la Grand Place, haut lieu des organisations ouvrières. En octobre 1879, avec Ernest Vaughan, il crée La Trique, hebdomadaire satirique illustré, et écrit des brochures : Les accidents dans les mines en 1879, Cinquante années de bonheur et de prospérité en 1880. Il place des abonnements pour des revues comme Le socialisme progressif de Benoit Malon, vend des ouvrages publiés par livraisons. Pour vivre, Bertrand doit écrire et vendre journaux, revues et livres. Lors d’une visite à Bruxelles, B. Malon, informé par De Paepe de la difficile situation de Bertrand, le recommande à Francois Chaté qui lui fait faire des travaux de comptabilité et le fait engager, à temps partiel, dans un négoce de vin. Puis François Chaté lui fait rencontrer Léon Fontaine qui l’emploie également et le charge de l’administration de l’Ingénieur conseil, organe spécialisé lancé en juin 1880. Sa vie bascule du monde manuel au monde intellectuel. Plutôt journaliste qu’orateur, il y trouve incontestablement l’équilibre souhaité mais ses moyens d’existence restent précaires et directement liés à l’évolution politique. Le militantisme volontaire devient aussi nécessité.

L’union des socialistes flamands et brabançons, le 12 janvier 1879, le Parti ouvrier socialiste belge (POSB), ne met pas fin aux oppositions antérieures. Louis Bertrand s’intéresse aux problèmes miniers, il donne des meetings dans le Borinage, diffuse La Voix de l’ouvrier. Les internationalistes répondent à cette campagne par des meetings dans la région et cherchent à revitaliser les anciennes sections de l’AIT. La Fédération rationaliste, que contrôle Désiré Brismée, organise une collecte pour les victimes de catastrophes minières et remet les fonds à ces sections au lieu de participer aux efforts de la Chambre du travail et de La Voix de l’ouvrier qui est devenu son organe. Dans une lettre du 17 mai 1879, César De Paepe justifie cette attitude et affirme qu’il ne s’agit pas d’une opposition au sein du POSB. Cette fois, Bertrand prend la tête de la protestation contre les expulsions de socialistes étrangers, le français Paul Brousse et l’allemand Johan Most, afin de ne pas laisser ce terrain à l’AIT.

Un groupe d’étudiants crée le Cercle démocratique durant l’été 1879. Toutes les fractions socialistes de la capitale s’y précipitent et tentent d’en prendre le contrôle : la Chambre du travail, l’AIT, les anarchistes, les blanquistes qui apparaissent à Bruxelles. Louis Bertrand propose la fusion avec la Chambre du travail, et Verrycken, la fusion avec l’AIT. Emmanuel Chauvière tente de l’entraîner sur les positions socialistes révolutionnaires. C’est avec ce dernier qui crée Les Cercles réunis, que la confrontation est la plus violente. Emmanuel Chauvière tente d’étendre son réseau dans le Hainaut, publie Le Droit du peuple, concurrent de La Voix de l’ouvrier, en 1880. On y dénonce la modération de la Chambre du travail et de L. Bertrand. L’accord de toutes les tendances pour revendiquer le suffrage universel en 1879-1880 n’empêche pas l’affrontement violent sur toutes les autres questions, la tactique à suivre, etc.

L’incident de Châtelineau (aujourd’hui commune de Châtelet, pr. Hainaut, arr. Charleroi) est caractéristique. Le 16 octobre 1879, appelé par Jean Callewaert* à donner un meeting à des mineurs grévistes, Louis Bertrand y prône la reprise du travail en raison de l’absence d’entente entre les ouvriers des divers bassins et d’organisation systématique. À l’issue du meeting, le commissaire d’arrondissement, à la tête de gendarmes, somme le rassemblement de se disperser et provoque des incidents graves. Louis Bertrand et son compagnon quittent la salle par une porte dérobée afin de gagner Gilly (aujourd’hui commune de Charleroi) où les attend un autre meeting. Le soir même à Bruxelles, on dénonce la lâcheté, le manque de virilité du « jeune endormeur » qui fuit par la fenêtre et refuse de se mettre à la tête des ouvriers pour combattre les forces de l’ordre. Cette affaire sera utilisée contre Bertrand, accusé également d’être un mouchard par Emmanuel Chauvière à qui il retourne « le compliment ». Cette terrible confrontation n’empêche pas l’organisation d’une vaste campagne en faveur du suffrage universel, lancée par un manifeste du POSB en décembre 1879. Louis Bertrand, comme membre de la direction du parti, en est l’un des signataires.

Le Congrès national tenu à Bruxelles le 1er janvier 1880 décide d’un pétitionnement et d’une manifestation le 15 août pendant les festivités du cinquantenaire de l’indépendance. Louis Bertrand fait partie du comité central organisateur. Une vaste campagne de propagande est entreprise dans tout le pays. Quatre candidats ouvriers sont présentés aux élections législatives de juin à Bruxelles. La manifestation du 15 août qui réunit quelques milliers d’ouvriers dans la capitale constitue la seule « fausse note » dans l’atmosphère d’exaltation patriotique de l’été 1880. En cela, elle est révélatrice d’un malaise profond, « lueur sinistre sur l’aurore du plus grand jour du glorieux 1880 », écrit le Journal de Bruxelles, mais c’est un échec. La participation reste limitée ; les conséquences politiques ultérieures sont nulles.

Le mouvement est déchiré à Bruxelles. Dans le Borinage (pr. Hainaut), le discours révolutionnaire de Emmanuel Chauvière retient plus l’attention que celui, modéré et systématique, de La Voix de l’ouvrier. Le second de Louis Bertrand, Ferdinand Monnier qui se consacre au travail dans cette région, rejoint Emmanuel Chauvière. Le 14 avril 1880, une assemblée de mineurs à Cuesmes (aujourd’hui commune de Mons, pr. Hainaut, arr. Mons) refuse d’entendre Bertrand. Le tirage de La Voix de l’ouvrier qui, selon son témoignage, ne dépasse pas mille exemplaires, s’effondre. Endetté, Bertrand doit céder en mars 1881 l’hebdomadaire aux socialistes gantois qui apurent les dettes aux imprimeurs mais découvrent d’autres créances, notamment de Michel Thonar de Huy (pr. Liège, arr. Huy). Le journal disparaît le 25 septembre 1881. Bertrand qui veut lancer une revue, ne réunit pas suffisamment de souscripteurs.

Louis Bertrand fréquente le Congrès international de libre pensée d’août 1880 à Bruxelles, le Congrès du POSB à Huy en août 1881 et le Congrès international de Coire de septembre 1881 dans les Grisons en Suisse. Il y est délégué des socialistes belges dont il est devenu l’une des principales figures. À ce moment, la réforme électorale est défendue au Parlement. Le Parti libéral qui forme le gouvernement ne dispose que d’une maigre majorité. L’aile progressiste fait pression pour obtenir l’extension du suffrage, notamment par l’adjonction de la capacité aux conditions d’exercice du suffrage. La stratégie menée par Louis Bertrand − voir sa brochure datant de 1881 La question électorale. Suffrage capacitaire et suffrage universel − consiste à entraîner les libéraux progressistes à revendiquer le suffrage universel et donc à s’allier avec les plus radicaux d’entre eux pour influencer leurs parlementaires.

La Ligue nationale pour la réforme électorale voit le jour en juillet 1882. Louis Bertrand participe à la création de l’Union démocratique. Cette dernière veut doter le mouvement réunissant socialistes et radicaux favorables au suffrage universel, d’un programme plus précis et pratique de revendications à réaliser grâce à la réforme électorale. Cette stratégie qui aurait pu conduire à la formation d’un parti « radical-socialiste », se poursuit certainement jusqu’en 1887. Elle conduit Bertrand, César De Paepe et d’autres à s’affilier à l’Association libérale en 1884 afin de pouvoir participer au choix des candidats aux élections. Cette tentative n’est pas du goût des socialistes flamands plus rigoureux ou qui, tout simplement, ne trouvent pas le même type de répondant du côté libéral que leurs collègues bruxellois. En 1883-1884, Bertrand se rallie même à la proposition de Victor Arnould et consorts de représentation des intérêts : « Si on ne donne pas à chaque intérêt un droit de représentation, on verra les différentes catégories d’individus lutter entre eux (sic) et user de pression pour rester les maîtres. »

Détaché du milieu ouvrier par son évolution professionnelle et intellectuelle, Louis Bertrand continue à écrire des brochures − trois en 1882-1883 −, des almanachs ouvriers. Il collabore à La Sentinelle de Verviers en 1882-1885 où l’oppose, en 1883, une vive polémique avec Charles Delfosse sur les moyens du mouvement socialiste. Avec ce dernier, excellent dessinateur, il crée en 1883 Les hommes du jour, hebdomadaire biographique illustré. Cette évolution pouvait l’écarter du mouvement ouvrier. Il n’en est rien. Persuadé que les grands discours « paroles, paroles », les attitudes doctrinales ne permettront jamais l’émergence d’un parti ouvrier, Bertrand pose inlassablement la question d’un programme pratique, d’un mouvement associatif dynamique avec les mutualités, les coopératives. « Je suis pour la politique des résultats... », dit-il dans La Sentinelle du 23 décembre 1883. Ce dernier aspect est nouveau chez Bertrand. Syndicaliste jusqu’en 1879, il ne paraît porter attention à aucune autre forme d’association. Il est vrai qu’il a connu chez les marbriers des embryons de coopérative de consommation et de production faibles et éphémères.

C’est de Gand avec le Vooruit (en avant) et d’Anvers avec De Werker (le travailleur), que vient le modèle de la coopérative de consommation dont Louis Bertrand devient l’un des principaux initiateurs à Bruxelles : la boulangerie ouvrière, future Maison du peuple en 1881, recrute parmi les adhérents des syndicats affiliés à la Chambre du travail et ceux de la section socialiste flamande de Bruxelles. Bertrand rédige les statuts de la coopérative qui connaît une croissance régulière et décide d’adhérer au POSB en 1883. Dès 1885, quatre cents familles sont affiliées. Voici l’ancrage ouvrier.

La réforme électorale de 1883 qui introduit le suffrage capacitaire à la Commune permet à de nombreux ouvriers de la grande ville de devenir électeurs, soit ex officio pour les dirigeants d’associations, les diplômés soit après examen. Les efforts du libéralisme progressiste pour former des électeurs ouvriers nombreux rendent nécessaires des efforts comparables du côté socialiste, malgré l’hostilité à la réforme, pour empêcher que la classe ouvrière ne rallie purement et simplement le libéralisme. Des ligues ouvrières se créent dans l’agglomération. Louis Bertrand rédige le règlement de la Ligue ouvrière de Bruxelles fondée en février 1884. En juillet, elle est à l’origine de la Fédération des ligues ouvrières et sociétés démocratiques de l’agglomération. Il est membre de son Comité. Un programme communal dont il est certainement l’auteur, du moins l’un des auteurs, est élaboré.

Louis Bertrand est l’un des principaux tenants du Socialisme communal. En août 1884, il peut faire reparaître La Voix de l’ouvrier qui devient l’organe de la fédération. Après cinq années difficiles, grâce à François Chaté à nouveau, qui en assure la comptabilité, Bertrand est engagé comme expéditeur à La Réforme, quotidien libéral progressiste, créé en février 1884. Il retrouve ainsi un minimum de moyens d’existence. Il est choisi comme candidat, avec quatre ouvriers, par la Ligue ouvrière de Bruxelles pour les élections communales. Leur candidature n’est retirée qu’à la dernière minute, après de longues négociations avec les libéraux, afin de ne courir aucun risque de voir les catholiques l’emporter et dans un réflexe de préservation de l’enseignement public de la ville. Ce repli est à nouveau vivement critiqué par le Vooruit. Ces élections, victorieuses pour le Parti libéral, permettent l’entrée de quelques représentants ouvriers dans certains conseils communaux. Entretemps, le gouvernement catholique fait voter une nouvelle loi sur l’enseignement primaire qui suscite l’indignation des « anticléricaux ». Appel est fait au Roi pour qu’il la refuse. Le roi la sanctionne néanmoins. Un manifeste républicain est rédigé. Louis Bertrand le signe. Il est arrêté lors d’une manifestation républicaine, son domicile est perquisitionné. Il fait l’objet d’une instruction pour complot puis d’une condamnation à cent francs d’amende.


La création du Parti ouvrier belge (POB)

En février 1885, Louis Bertrand fait partie du comité organisateur du Congrès ouvrier convoqué par la Ligue ouvrière de Bruxelles. Cette fois, la sauce prend. Bertrand prépare le rapport introductif, préside les débats des 4 et 5 avril 1885 à Bruxelles. Cinquante-neuf sociétés sont représentées dont vingt-quatre syndicats. C’est bien le ralliement de la classe ouvrière organisée à la lutte politique. Les socialistes flamands proposent simplement l’adhésion de tous au POSB. Bertrand et César De Paepe, dans une séance privée, obtiennent l’abandon de cette exigence et la formation d’un nouveau parti, ouvert à tous, le Parti ouvrier belge (POB) dont le premier Congrès se tient à Anvers en août 1885 et qui est présidé par Bertrand et Edmond Van Beveren.

Louis Bertrand joue certainement un rôle non négligeable dans cette évolution depuis 1875. Si depuis, le parti est devenu incontestablement socialiste, le POB apparaît bien en 1885 comme la concrétisation de l’Union ouvrière belge, proposée en 1876, comme l’organe politique des associations ouvrières fédérées. L’absence du terme socialiste dans le nom du nouveau parti maintient la porte ouverte pour les syndicats, les mutualités et les plus modérés, les plus apolitiques. Le POB se constitue comme l’organe politique des associations ouvrières fédérées. Bertrand fait partie du Conseil général du nouveau parti. Il en sera le secrétaire.

L’objectif politique est le suffrage universel mais il faut diffuser l’idée, susciter de nouveaux groupes. Il est décidé de créer un quotidien bon marché, Le Peuple, le 13 décembre 1885. La Voix de l’ouvrier cesse de paraître. Louis Bertrand figure dans le premier comité de rédaction. Quelques semaines plus tard, il devient administrateur du journal. Peu auparavant, il avait créé, toujours avec François Chaté, Les Messageries de la presse. Il vend l’entreprise prometteuse, quitte La Réforme et devient donc, au début de 1886, un des premiers permanents du POB par l’intermédiaire de son journal. Avec Jean Volders, il en est le principal rédacteur politique. Il trouve dans le journalisme, dans la création d’une collection de livres à bon marché, la rédaction de nombreux ouvrages (onze de 1885 à 1888) de quoi satisfaire son militantisme. Inversement, Bertrand est peu présent dans les meetings et les assemblées. « Il déteste profondément les réunions publiques », écrit son ami Charles Delfosse en 1895.

Louis Bertrand est l’auteur le plus prolixe du jeune parti à ses débuts. Il se manifeste comme l’un des quatre principaux dirigeants du parti, spécialisé dans l’écrit comme Volders, le tribun, l’est dans le discours, C. De Paepe le théoricien, et Edouard Anseele l’organisateur et le tacticien, mais en retrait par rapport aux Bruxellois qui, plus que lui par le Vooruit, ont une influence nationale grâce au Peuple.

Politiquement, Louis Bertrand est fondamentalement modéré et pragmatique, ce qui n’interdit pas chez lui une certaine vigueur dans l’écriture, une vivacité de propos qui, parfois, lui attirent certains ennuis. Mais il appartient bien avec constance et ténacité à la droite du parti. Cette direction se place durant l’une des périodes les plus agitées pour le pays et pour le POB avec les grèves durement réprimées de 1886, l’enquête de la Commission du travail, les tentatives de grève générale en 1887 et 1888 et les grèves générales du suffrage universel en 1891 et 1893. En mars 1886, Le Peuple dégage la responsabilité du POB à l’égard de la grève. Tout en condamnant les pillages et les incendies, en réclamant le jugement des coupables, le journal critique la vigueur de la répression. Le POB refuse, dans un premier temps, de participer à l’enquête sur le travail de 1886 et obtient la démission de E. Picard de la Commission mais la Fédération bruxelloise décide d’être présente à l’enquête orale. Louis Bertrand siège au bureau et participe activement aux discussions. Au Congrès de Mons d’août 1887, il rédige et défend, avec Edouard Anseele, la motion de la direction du POB postposant la grève générale, réclamée notamment par les partisans d’Alfred Defuisseaux*, et proposant, après une étude minutieuse, le renforcement de l’organisation et la convocation d’un nouveau congrès. Cette motion est votée seulement par 59 voix contre 34 et 24 abstentions après le retrait de la fraction Defuisseaux.

En avril 1891, au Congrès qui débat de la grève générale en faveur du suffrage universel, contre les mineurs hainuyers qui exigent qu’on en fixe la date, Louis Bertrand et son acolyte de toujours, Edouard Anseele, obtiennent que la responsabilité de la grève soit laissée au Parlement, donc au gouvernement qui se prononcerait contre la révision. Dans ses textes également, Bertrand prône inlassablement l’organisation patiente et systématique avant toute action. En juillet 1889 à Paris, il participe au Congrès socialiste international « possibiliste ».

La révision de la Constitution obtenue, Bertrand prend part activement à la campagne électorale de 1893-1894. Il rédige une dizaine de brochures à l’intention de catégories spécifiques du nouvel électorat : « petits fermiers et ouvriers agricoles », « ouvriers du bâtiment », « employés de commerce », etc. Il est candidat à Bruxelles et à Soignies (pr. Hainaut).

Louis Bertrand est élu député de l’arrondissement de Soignies, région de carrières. Après l’adoption de la représentation proportionnelle en 1900, il devient député de l’arrondissement de Bruxelles jusqu’en 1926. Au Parlement, il se signale par diverses interpellations et surtout plusieurs propositions de lois. Parmi ses interpellations, figurent celles ayant trait aux pratiques d’agiotage et à la dénonciation de pratiques douteuses, voire frauduleuses, dans la constitution de sociétés anonymes et mettant en cause des personnalités politiques ou de la magistrature, sont les plus importantes (charbonnages de Cassel, compagnie austro-belge des pétroles).

Dans un article du Peuple de mars 1903, Louis Bertrand s’en prend à un conseiller à la Cour d’appel, conseil de la Minière belgo-brésilienne. L’affaire est portée devant les tribunaux. Débouté en première instance, le magistrat, critiqué par l’arrêt, obtient sa condamnation en appel. Il dépose alors à la Chambre une proposition de loi interdisant aux magistrats d’avoir une activité dans les affaires « industrielles, commerciales et financières » et, dans le développement de celle-ci, dénonce deux magistrats qui ont rendu le jugement en appel et qui, eux-mêmes, sont administrateurs de société « en déconfiture ». Prise en considération, la proposition sera réactualisée en 1919 par Émile Vandervelde*, ministre de la Justice, et coulée sous forme de loi.

Les propositions de loi de Louis Bertrand couvrent des domaines variés : statut des ouvriers des pouvoirs publics en 1895, enquête sur la situation des personnels des chemins de fer, postes et télégraphes de l’État non concernés par la législation sur les règlements d’ateliers en 1896, réglementation de la durée du travail, du travail de nuit et du repos hebdomadaire en 1895 cosignée par d’autres socialistes, l’abbé Daens* et l’indépendant Theodor, et opposée à la proposition de Georges Helleputte* cosignée par la jeune droite. Elle introduit, par exemple, la journée des huit heures pour les personnels de l’État et défend le principe du repos dominical, aspect précurseur de la loi de 1905.

Louis Bertrand est l’un des défenseurs de la représentation proportionnelle en 1898-1899. En 1910, il est renvoyé à la cinquième place au poll législatif, une place en principe non élective. Une campagne active permet au POB d’emporter cinq sièges et à Bertrand d’être élu. Député pendant plus de trente ans, vice-président de la Chambre de 1918 à 1926, il démissionne le jour de son septantième anniversaire, le 15 janvier 1926, et marque ainsi la fin de ses activités publiques.

Louis Bertrand s’est affirmé durant sa carrière de député comme un partisan convaincu de la tactique parlementaire du POB, de l’alliance avec le Parti libéral pour faire tomber la majorité catholique et accéder au pouvoir. Il mène, en 1909, une vive polémique avec Louis De Brouckère* dans Le Peuple en faveur du ministérialisme. Il est certainement l’une des principales personnalités du POB, franchement et définitivement située à la droite du parti. Son opposition à la reprise du Congo léopoldien par la Belgique est purement pragmatique ; la colonisation retirera des moyens nécessaires à l’amélioration de la condition ouvrière. Sa longue carrière parlementaire, active certainement, ne constitue pourtant pas l’essentiel de son engagement. Il n’a pas le profil de « débatteur » prolixe et dynamique. D’autres députés socialistes, en particulier ceux issus de la bourgeoisie libérale comme Émile Vandervelde, Léon Furnémont, prennent l’ascendant sur le groupe parlementaire et peu à peu sur le parti tout entier.


Le socialisme municipal

Les deux axes de la vie militante de Louis Bertrand sont l’action coopérative et l’action communale auxquelles s’ajoute son activité de publiciste. Élu conseiller communal à Schaerbeek en 1895 sur une liste de coalition avec les libéraux progressistes, il devient échevin des Finances dans un collège réunissant les deux fractions libérales et le POB, avec seize sièges sur trente-et-un. Il est amené, à diverses reprises, à suppléer le bourgmestre libéral, malade, à partir de 1902. Il apparaît comme la personnalité forte de ce collège.

Louis Bertrand, plutôt favorable depuis 1884 aux alliances électorales avec les libéraux pour arriver au pouvoir, est un des principaux théoriciens et praticiens du « socialisme communal » du nom d’une de ses œuvres de 1890. Défenseur par principe des institutions communales, conservatoire des libertés, il l’est aussi, plus tactiquement en raison de la possibilité pour les socialistes d’accéder plus rapidement au pouvoir local qu’au pouvoir national, mais il se fait aussi le penseur de la transformation du régime politique et économique par l’intermédiaire de la commune, se basant ainsi sur les travaux de César De Paepe de 1874, tout en leur apportant des propositions puis des réalisations pratiques. Cette perspective est éclairée par le succès socialiste aux élections communales de 1895 qui dispose de plusieurs majorités absolues et de participation aux collèges de grandes villes. Bertrand souligne que les cinq plus grandes communes du pays ont eu des échevins des Finances socialistes. Tout ceci permet d’importants développements.

La Fédération bruxelloise du POB adopte en 1900 un rapport sur le socialisme municipal de Eugène Vinck* et de Louis Bertrand qu’ils présenteront ensuite au Congrès de l’Internationale à Paris. L’émancipation du prolétariat passe par « la conquête du pouvoir public. Mais ce pouvoir n’est pas exercé seulement par l’État même dans les pays les plus centralisés. Les grandes villes, les grandes communes jouent un rôle considérable. » La conquête du pouvoir communal permet de peser sur le pouvoir central, de réaliser des réformes, de former des administrateurs socialistes. Le Congrès amende le texte en refusant le concept de « socialisme municipal », critiqué par les « marxistes », mais en soulignant l’importance du rôle des socialistes à la tête des pouvoirs locaux, et décide de convoquer un congrès international des conseillers communaux socialistes.

En 1890, Louis Bertrand avait défini les principes du programme communal du POB. La commune doit être un acteur économique et social. La commune (ou les fédérations de communes) doit gérer elle-même ses transports publics, construire des logements ouvriers avec des capitaux provenant des institutions de bienfaisance, de la caisse d’épargne de l’État. Des ateliers communaux peuvent réaliser l’essentiel des travaux publics, des magasins communaux peuvent réguler à la baisse les prix à la consommation. Les ateliers sont susceptibles d’être gérés par les syndicats, les magasins par les coopératives. Les employés et ouvriers bénéficient d’un régime de travail favorable (rémunération, heures de travail), ce régime devant être introduit dans les cahiers des charges des adjudications publiques et appliquée donc aux ouvriers employés par les entreprises engagées dans des travaux publics. La commune permettrait donc de répandre l’application des revendications ouvrières avant même toute législation nationale. Les organismes unifiés de bienfaisance doivent servir de base à un vaste système d’assurances sociales. Enfin, la commune, grâce à l’instruction obligatoire et l’entretien des enfants scolarisés, jouerait un rôle capital dans la formation du citoyen. La cohérence de l’ensemble est évidente, il s’agit bien de l’amorce d’un système global de réforme de la société. Le programme du POB de 1893, adopté à Quaregnon (pr. Hainaut, arr. Mons) l’année suivante, reprend l’essentiel de ces dispositions auquel s’ajoute néanmoins d’un point de vue fiscal, l’adoption de l’impôt progressif sur le revenu. « La commune est l’organe social destiné à amener insensiblement la transformation du régime capitaliste en régime collectiviste. Elle constitue le pouvoir élu, le mieux en rapport avec les nécessités locales placé sous la dépendance la plus directe des volontés des populations. » (Léo Meysmans*) (Le Peuple, 27 novembre 1895). C’est l’aboutissement à l’échelle communale, du proudhonisme collectiviste de C. De Paepe dont Bertrand apparaît donc comme un des meilleurs vulgarisateurs. Ce programme est adopté par l’ensemble du parti à l’unanimité. Mais Gustave Defnet, déjà échevin des Finances à Saint-Gilles (Bruxelles), attire l’attention sur l’impossibilité pratique de réaliser ce programme.

À Schaerbeek en 1895, Louis Bertrand devient échevin des Finances dans un collège dominé par les libéraux doctrinaires − il y a au conseil dix doctrinaires, trois progressistes et trois socialistes − et dont le président, le bourgmestre, Kennis, est choisi au sein de la grosse minorité « indépendante » qui compte quinze conseillers. Bertrand dégage d’abord des moyens financiers, avec la conversion de la dette et de nouveaux emprunts, puis investit massivement dans l’urbanisation et l’extension des équipements de la commune. Il utilise, à cet effet, l’idée défendue, naguère par François Haeck, de taxer les plus-values réalisables ou réalisées par les propriétaires qui bénéficient des investissements communaux (voiries, égout, etc).
Louis Bertrand est donc un des principaux acteurs de la croissance de Schaerbeek, plus forte qu’aucun autre faubourg bruxellois à l’époque, au point que le bon historien de Bruxelles, Verniers, le qualifie « d’ingénieur de la commune ». Il défend le principe de la construction de logements à bon marché par la commune, ce qui est repoussé par les libéraux et l’opposition. Est créé alors Le Foyer schaerbeekois en 1899, la première société municipale de logements, dont Bertrand devient l’administrateur délégué en 1926 (316 maisons vendues et 1.105 logements en location). Il s’agit d’une société anonyme dont sont actionnaires la commune, le bureau de bienfaisance, les hospices, la cantine communale ainsi qu’un élu communal par parti dont Bertrand pour le POB.

Par ailleurs les conseillers socialistes, avec leurs représentants au collège, dont Louis Bertrand, influencent le politique menée en matière de bienfaisance publique, de statut des employés communaux, de minimum de salaire, d’instruction publique domaine où les libéraux, progressistes notamment, ont trouvé avec les socialistes une incontestable entente. Il apparaît de ce point de vue comme l’un des initiateurs importants du municipalisme social-démocrate dans la capitale. Il renonce à ses mandats locaux en 1920.


La coopération, mamelle du socialisme à la belge

D’un point de vue plus général, la coopération reste la préoccupation majeure de Louis Bertrand. Administrateur de la Maison du peuple de Bruxelles, il se consacre plus précisément à la promotion de la coopération. Une première brochure, La coopération, ses avantages, son avenir, paraît en 1888. L’année suivante, il entreprend le lancement d’un organe mensuel, Les coopérateurs belges, auquel il adjoint un Almanach annuel consacré à la propagande, à l’éducation et la formation coopératives. « La coopération n’est pas un but mais un moyen... ni utopie ni panacée. » Mais il s’agit d’un moyen de formation de l’ouvrier et d’amélioration de sa situation mais surtout de consolidation du parti ouvrier. L’affirmation de 1888 se modifie sensiblement au cours du temps. Si jamais Bertrand ne remet en cause l’engagement politique des coopératives (cf. Coopération et socialisme, nouvelle édition, Bruxelles, 1904), la coopération est de plus en plus perçue comme un moyen de transformation de la société c’est-à-dire comme un objectif en soi. C’est le sens du mensuel, Les coopérateurs belges, qui tente de stimuler l’ensemble du mouvement coopératif et lorsqu’il affiche : « consommateurs de tous les pays, unissez-vous », on devine une incontestable évolution par rapport au projet initial. E. Bernstein dans Socialisme historique et social démocratie pratique évoque « avec quel sentiment de pitié théoricienne, j’écoutai ... Louis Bertrand lorsqu’au Congrès de Coire, il se mit à parler de coopération. » Or le succès des grandes coopératives, celle de Bruxelles en particulier, non seulement a impressionné le « révisionniste allemand » mais aussi les opérateurs de la coopération belge. Émiettement et particularisme en constituent les faiblesses les plus criantes.

Louis Bertrand poursuit l’objectif de fédérer les institutions existantes au sein du POB depuis 1887. Après l’échec de ces tentatives en 1890, Bertrand, par l’intermédiaire des Coopérateurs belges, milite activement dans ce sens et convoque en 1894 un Congrès général des coopératives avec cet objectif. Le nouvel échec relance, par un rapport de Victor Serwy présenté au Congrès de Verviers de 1898, le débat au sein du POB. En 1899, est fondée la Fédération des coopératives belges, uniquement socialistes, dont il est le président. En son sein, une direction commerciale anime le magasin de gros (whoole sale), l’Office coopératif s’occupe de propagande et de politique générale. Bertrand préside régulièrement les congrès annuels du nouvel organe, assiste aux congrès coopératifs nationaux, à l’étranger et à ceux de l’Alliance coopérative internationale. Il siège au Comité central de cette alliance de 1904 à 1921. Au Congrès de Crémone de 1907 en Italie, il présente un rapport dont la conclusion est claire : « Constitution d’une propriété commune, substitution de l’industrie et du commerce coopératifs à l’industrie et au commerce compétitifs ». Bertrand présente également des rapports sur la coopération aux Congrès socialistes internationaux de Londres de 1895 et de Hambourg de 1910.

Louis Bertrand, sollicité par son ami intime, Edouard Anseele, siège également au Conseil d’administration des sociétés anonymes, De Verenigde wevers, de la Banque belge du travail, adossées à la coopérative gantoise du Vooruit. Il est cofondateur en 1907 de la société d’assurances, La Prévoyance sociale, qu’il préside. C’est par une relation commerciale, après publicité dans Les coopérateurs belges puis fourniture du savon Sunlight dans les coopératives socialistes, que Louis Bertrand devient administrateur en 1900 de Lever Belgium qui établit une usine à Forest (Bruxelles) pour répondre à l’augmentation de la demande. Il justifie cette entrée dans une société anonyme capitaliste par la politique sociale menée à Port Sunlight (Liverpool, Grande Bretagne) et les conditions de travail dans l’usine belge, notamment la journée des huit heures. Cette attitude fait l’objet de critiques acerbes d’adversaires politiques mais aussi au sein du parti. Bertrand siège au Conseil général et au Conseil d’administration de la Caisse générale d’épargne et de retraite (CGER) de 1919 à 1938.


Fin de partie

Louis Bertrand siège au Conseil général du POB, puis au Bureau de celui-ci de 1885 à 1920. Il en est le secrétaire en 1891-1892. Il est membre du bureau bruxellois de l’Internationale présidée par Émile Vandervelde*, il assiste donc à son échec en août 1914 et participe aux négociations qui conduisent au transfert du siège du bureau de Bruxelles, occupé par les Allemands, à Amsterdam aux Pays-Bas.

Resté en Belgique durant la Première Guerre mondiale, l’activité de Louis Bertrand mêle municipalisme et coopération. Il est rapidement associé au Comité national de secours et d’alimentation, créé par Ernest Solvay et présidé par Émile Francqui. Il fait partie de son Comité exécutif. Il préside le Comité local et cantonal de Schaerbeek, est membre du Comité provincial du Brabant. Il participe à diverses œuvres d’orphelins de guerre, de protection de l’enfance, de la société coopérative d’alimentation de Bruxelles, des restaurants bruxellois, de la caisse d’avance et des prêts, etc. Bertrand assiste aux réunions de parlementaires belges chez Warocqué d’abord, à la Société générale ensuite, à l’issue des réunions du comité national.
Bertrand participe, sur les instances d’Ernest Solvay, à l’hommage solennel rendu au cardinal Mercier pour son attitude devant l’occupant. Il est à l’origine de l’hommage national à E. Solvay, quatre-vingt ans en avril 1918, en l’honneur duquel il rédige son étude, E. Solvay réformateur social.

Toutes les activités de guerre de Louis Bertrand sont placées sous la double préoccupation de rendre service à la population et de maintenir l’Union sacrée, symbolisée par le soutien à l’enseignement libre confessionnel, qui, refusant à Bruxelles l’emploi du flamand dans les sections professionnelles et industrielles, est privé des subsides officiels par décision allemande. Sollicité par Michel Levie et le père Rutten*, Louis Bertrand obtient l’aide des communes de l’agglomération, de Schaerbeek en particulier. Il n’est donc pas étonnant de le voir figurer dans les réunions des principaux parlementaires et dirigeants du Comité national et de diplomates étrangers au mois de novembre 1918 à Bruxelles, ni de le voir convoqué par le roi à Lophem. Devant le souverain, il défend le programme du POB : suffrage universel, journée de huit heures, abrogation de l’article 310 du Code pénal, et s’oppose à l’idée de la formation d’un gouvernement de techniciens, plaidant pour le maintien de l’union nationale.

Le 21 novembre 1918, Louis Bertrand est fait ministre d’État avec Adolphe Max, Ernest Solvay, Émile Francqui, Michel Levie. Il est élu vice-président de la Chambre. Bertrand est donc également, en Belgique occupée et après l’armistice, un élément capital de l’intégration du POB dans le système et les institutions politiques du pays. Toute son attitude durant la guerre renforce ce courant, en constant accord avec les dirigeants du Comité national, E. Solvay et É. Francqui.


Le publiciste

Enfin, durant toute sa carrière, Louis Bertrand écrit. Journaliste, brochurier, auteur d’ouvrages importants, il laisse une œuvre considérable. Fondateur et rédacteur de La Voix de l’ouvrier (1878-1881 et 1884-1885), de La Trique (1889), des Hommes du jour (1884), du Peuple qu’il dirige de 1896 à 1907, il est, pendant deux ans, correspondant parlementaire de La Flandre libérale. Il est rédacteur parlementaire à La Flandre libérale durant les années 1890. Il est également le successeur, en 1919, de Jules Destrée* à la tribune libre du grand quotidien bruxellois, Le Soir. Ce qui ne manque pas de susciter des remous au sein du POB où les partisans de L’Exploité de Joseph Jacquemotte, sanctionnés par la direction du parti, argumentent que les collaborations aux organes bourgeois sont, elles, admises sans critique. Il abandonne cette collaboration en décembre 1925. Les très nombreuses brochures, plus d’une cinquantaine, concernent les problèmes communaux, coopératifs, appellent les électeurs à voter socialiste, exposent le programme du POB. Bertrand est le créateur et le directeur de la Bibliothèque populaire en 1886, collection d’ouvrages qui préfigure la série de L’Églantine, mais surtout il développe très tôt l’histoire ouvrière et l’histoire du mouvement ouvrier, du POB.

La première approche de ce type est certainement représentée par Cinquante années de bonheur et de prospérité (1880) puis La Belgique en 1886 (2 vol., 1886), L’histoire de la coopération en Belgique (1902-1903) et surtout L’histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830 (1906-1907), les biographies d’Edouard Anseele et César De Paepe. Il ne s’agit donc pas d’une œuvre de retraité mais d’une œuvre militante de qualité, destinée à l’éducation et à la formation des lecteurs, des militants mais aussi à l’explication et à la légitimation du mouvement qui se structure et se positionne dans le système politique. L’œuvre de Louis Bertrand, toujours utilisée avec profit aujourd’hui, constitue la base de l’histoire sociale et politique du socialisme. Elle a été longtemps l’objet de simples démarquages et suites.

Retiré de l’action politique, Bertrand publie encore quelques travaux, en particulier La rémunération du travail en régime capitaliste, coopératif, socialiste (1930) où il poursuit ses réflexions sur le salaire entamées un demi-siècle plus tôt : « Alors que jadis les détenteurs du capital étaient à la fois les maîtres à l’atelier et dans l’État, aujourd’hui grâce à l’organisation des salariés... et grâce aux droits politiques qu’ils possèdent, leur influence grandit et s’affirme davantage tous les jours. » (p. 220)

C’est surtout les Souvenirs d’un meneur socialiste (1927) qui marquent cette période. Mémoires classiques, peut-être mais qui, dans le premier volume surtout, apportent quantité d’anecdotes significatives, utilisées dans ce texte. Peu à peu, souvenirs et histoire politique se mêlent et le deuxième volume redevient un ouvrage général. La famille de Louis Bertrand, par exemple, pudiquement évoquée dans le premier volume, disparaît totalement du deuxième. L’un des aspects les plus intéressants de ce livre réside dans l’évocation régulière des influences subies, des lectures entreprises ; le socialisme français surtout avec Louis Blanc, Charles Fourier, Charles-Henri de Saint-Simon, Pierre-Joseph Proudhon, Adolphe Blanqui, les belges de Laveleye et Quetelet, A. Smith et Robert Owen aussi mais également Karl Marx, Le capital, au grand étonnement de E. Bernstein qui découvre les quatre volumes dans la bibliothèque de son hôte. « Oui, j’ai lu le capital... du moins en grande partie. »
Louis Bertrand compare les écrits de Marx, excepté le premier volume du Capital, à Wagner, « lourds, peu clairs et trop métaphysiques » réservés à une élite. Bertrand, fondateur au sens propre et complet du terme du POB, avec Edouard Anseele, César De Paepe, Jean Volders, animateur, pédagogue du mouvement ouvrier par son pragmatisme bon enfant qui n’empêche pas une certaine verve, une vivacité certaine dans l’expression écrite, offre l’image et la réalité d’une personnalité marquante.


En manière de conclusion

Le rôle de Louis Bertrand est déterminant pendant vingt ans, de 1875 à 1895. Son socialisme, indéniable, répété dans ses écrits, contraste avec son pragmatisme voire son opportunisme. Son existence, son ascension sociale ont adouci progressivement sa vision du monde et du mouvement ouvrier et lui ont laissé penser que celle-ci s’assimilait à celles-là. Son dernier biographe, le meilleur aussi, Pierre Van den Dungen, écrit : Louis Bertrand « s’est positionné sans conteste en socialiste modéré mais non en homme politique modérément socialiste. »

À la suite de la manifestation du 15 août 1880 en faveur du suffrage universel, Edouard Anseele et Edmond Van Beveren dorment chez lui, tous trois à même le sol dans la cuisine sur quelques exemplaires de La Voix de l’ouvrier. « Étant là étendus par terre, tous trois, imaginez-vous que quelqu’un dans la nuit, se serait écrié : Toi Van Beveren... tu auras ta statue... Toi Anseele, tu deviendras le chef d’une coopérative puissante... tu seras deux fois ministre... Toi, Bertrand, tu seras vice-président de la Chambre des représentants, ministre d’État, grand cordon de l’ordre de Léopold ». (Souvenirs d’un meneur socialiste, vol. 1, p. 188-189).

« Homme d’œuvre » comme il se définit lui-même, Louis Bertrand est Grand Cordon de l’ordre de Léopold et commandeur de la Légion d’honneur.

Louis Bertrand figure dans L’Hydre du socialisme en Belgique, caricature parue dans La Bombe du 21 juin 1879.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article138873, notice BERTRAND Louis, Philippe. [Belgique] par Jean Puissant, version mise en ligne le 14 novembre 2011, dernière modification le 7 octobre 2023.

Par Jean Puissant

ŒUVRE
- Publications courantes
Aux ouvriers mineurs belges, s.l., mai 1878 − Les accidents dans les mines, Bruxelles, mai 1879 − Cinquante années de bonheur et de prospérité , Bruxelles, 1880 − Rapport van de Belgische socialisten over punt VI van het kongres van 1880, ‘s Gravenhage, 1881 : traduction Domela Nieuwenhuys − La question électorale - suffrage capacitaire et suffrage universel, Bruxelles, 1881 − Lettre ouverte à M. Paul Janson sur la réforme électorale, Bruxelles, 1882 − La réforme électorale, s.l., s.d. − Le projet Arnould et consorts et la représentation des intérêts, Bruxelles, août 1883 − Propriété cléricale et propriété bourgeoise - Réponse à M. Paul Janson, Bruxelles, 1883 − La crise économique de Belgique et M. Eug. Pirmez, Bruxelles, février 1885 − Essai sur le salaire, Bruxelles, Paris, 1885 − Le parti ouvrier et son programme, Bruxelles, 1886 − Le général Vandersmissen, sauveur de l’ordre, Bruxelles, 1886 − Qu’est-ce le socialisme ?, Bruxelles, 1887 − Pauvre Belgique, Bruxelles, 1887 − Une visite au Familistère de Guise, Guise, 1888 − Le minimum de salaire et les adjudications de travaux publics par la section de législation ouvrière de la fédération bruxelloise du POB, Bruxelles, 1886 − Le logement de l’ouvrier et du pauvre en Belgique, Bruxelles, 1888 − La coopération - ses avantages - son avenir, Bruxelles, 1888 − Stanley, sa vie, ses voyages, ses aventures, Bruxelles, 1890 − La question ouvrière et la conférence internationale de Berlin, Bruxelles, mars 1890 − La révision - Suffrage universel - Représentation proportionnelle et des intérêts, Bruxelles, décembre 1890 − Les accidents du travail, Bruxelles, 1890 − Léopold II et son règne (1865-1890), Bruxelles 1890 − Le général Vandersmissen, Bruxelles, 1890 − Socialisme communal, Bruxelles, 1890 − La journée de huit heures, Bruxelles, 1891 − La coopération, Bruxelles, 1893 − Die Genossenschaft – Kooperation, 1893 − Aux nouveaux électeurs, Bruxelles, 1894 − Vier brieven aan onze broeders van den buiten, Gand, 1894 − Aux paysans - Lettres ouvertes aux petits fermiers et ouvriers agricoles, Bruxelles, s.d. − Aux instituteurs, Bruxelles, s.d. − Le parti ouvrier aux ouvriers du bâtiment, Bruxelles, s.d. − Le parti ouvrier aux carriers et tailleurs de pierre, Bruxelles, s.d. − Aux ouvriers du vêtement, Bruxelles, s.d. − Le parti ouvrier aux employés de commerce, Bruxelles, s.d. − À bas le vote plural, Bruxelles, s.d. − Aux travailleurs des mines, Bruxelles, 1894 − Le socialisme communal, 1895 − Le budget de la justice dans ses rapports avec la question sociale, Bruxelles, 1895 − Aux électeurs communaux, Bruxelles, 1895 − Le droit à la vie et ses conséquences logiques, Bruxelles, 1895 − Exposé de la situation financière au 31 décembre 1895, présenté au Conseil communal, le 24 mars 1896, Bruxelles, 1896 − Commune de Schaerbeek - Crèches de la rue de L’Abondance et de la rue Vondel, 1897 − Un mot à tous, Bruxelles, 1897 − Projet de taxe spéciale pour couvrir les frais de service des incendies, Bruxelles, 1897 − Het congoleesche gevaar, Gent, 1898 − Habitations ouvrières – Conclusions, Bruxelles, 1898 − Construction d’habitation à bon marché par la Commune, Bruxelles, 1898 − Recht op het leven en zijn logische gevolgen, Gent, 1898 − L’organisation de la bienfaisance publique - Proposition de mesures préventives contre la misère, Schaerbeek, 1900 − Wat willen de socialisten ?, Gent, 1900 − Les précurseurs du mouvement coopératif, Bruxelles, 1902 − La question du gaz à Schaerbeek. Régie communale ou monopole ?, 1902 − Wat willen de socialisten ?, 2ème édition, Gent, 1902 − Les brigandages financiers à la Chambre, Bruxelles, 1902 (traduction en néerlandais) − Les accidents du travail, Bruxelles, 1902 − Les élections du 25 mai et la tactique du parti ouvrier, Bruxelles, 1902 − Le gouvernement et l’alcool, Gand, 1903 − Les carnets du roi, Bruxelles, 1903 − Magistrature et finance. Le procès Hayoit de Termicourt contre Louis Bertrand, Bruxelles, 1903 − Coopération et socialisme, Bruxelles, 1904 − Commune de Schaerbeek - Création de quartiers nouveaux - Emprunt - Impôts nouveaux, Bruxelles, 1904, (traduction en néerlandais) − Les élections du 29 mai envisagées au point de vue socialiste, Bruxelles, 1904 − Le gouvernement protecteur des brigandages financiers, Gand, 1905 − Examen critique des modes d’intervention des pouvoirs publics en matière d’habitations à bon marché et spécialement en ce qui concerne le logement des classes les plus pauvres - Rapport de Louis Bertrand de la commune de Schaerbeek, s.l., 1905 − « Die sozialdemokratische Bewegung in Belgiën vor 1848 », Die neue zeit, 1905 − Le Foyer Schaerbeekois, société anonyme de construction d’habitations ouvrières fondée le 2-2-1899, Schaerbeek, 1905 − La Belgique économique, sociale et financière, Gand, 1905 − La lutte électorale de 1906 − Le programme des trois partis, Bruxelles, 1905 − La limitation de la durée du travail - Une réforme urgente, Gand, 1906 − Rapport sur la situation de l’administration des affaires de la commune pendant l’exercice 1906-1907, Bruxelles, 1907 − « Die genossenschaftliche Bewegung in Belgien und ihre Resultate », dans Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, Bd. 20 (1905), S. 55-79 − Douze ans de gestion communale à Schaerbeek. Les grands travaux de transformations, les réformes démocratiques, Bruxelles, 1907, (traduction en néerlandais) − Création de quartiers nouveaux - Second emprunt. Commune de Schaerbeek, Bruxelles, 1907 − Die genossenschaftliche Bewegung in Belgiën und ihre resultate, s.d. − Le catéchisme du consommateur, Bruxelles, s.d. (traduction en néerlandais) − Le scandale congolais, Bruxelles, 1908 − Un peuple trompé par un roi, par un « patriote écœuré », Bruxelles, 1908 − Service des eaux - Comptes de l’exercice 1908 et historique du service, de 1899 à 1908 - Commune de Schaerbeek, Bruxelles, 1909 − 1884-1909 - 25 années de domination cléricale, 1909 − Les socialistes dans le récent débat scolaire, Gand, 1910 − Des relations entre les coopératives et les partis politiques, 1910 − Les méfaits du gouvernement clérical, 1912 − Contre le privilège plural - Pour l’égalité politique, Gand, 1912 − La politique financière des cléricaux, 1913 − Création d’une taxe des pauvres - Centimes additionnels aux droits de succession - Commune de Schaerbeek, Bruxelles, 1913 − Rapport sur les habitations à bon marché, 1919 − Préface à La coopération, cours donné à l’École socialiste du dimanche à Bruxelles, en 1919, par Victor Serwy − La lutte contre la vie chère, 1919 − Socialisme réaliste, Bruxelles, 1923 − Pour sauver la Belgique, Bruxelles, 1924 − Organisation de l’arbitrage entre les patrons et les ouvriers, Rome, 1925 − De Arbeidsgeschillen. Verzoening en scheidsrechterlijke bemiddeling, s.l., 192 − Les conflits du travail, s.l., 1927 − L’église, la propriété et le communisme, Bruxelles, mars-avril 1929.
- Ouvrages généraux/historiques
La Belgique en 1886, 2 vol., Bruxelles, 1886 − Histoire de la coopération en Belgique. Les hommes - Les idées - Les faits, 2 t., Bruxelles, 1902-1903 (traduction en russe) − La Belgique économique, sociale et financière dans 75 années de domination bourgeoise - 1830-1905, Gand, 1905 − Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830, 2 t., Bruxelles, 1906-1907 (traduction en russe) − César De Paepe, sa vie, son œuvre, Bruxelles, 1909 − La naissance d’une ville : Schaerbeek depuis 50 ans : 1880-1910, Bruxelles, 1912 − Ernest Solvay, réformateur social, Bruxelles, 1918, (traduction en néerlandais, italien et russe) − L’occupation allemande en Belgique 1914-1918, Bruxelles, 1919 − Schaerbeek pendant la guerre 1914-1918, Bruxelles, 1919 − L’ouvrier belge depuis un siècle, Bruxelles, 1924 − Edouard Anseele, sa vie, son œuvre, Bruxelles, 1925 − Souvenirs d’un meneur socialiste, 2 vol., Bruxelles, 1927 − La rémunération du travail en régime capitaliste, coopératif, socialiste, Bruxelles, 1930.
- Collaboration aux journaux, quotidiens, hebdomadaires, mensuels
La Persévérance, 1874-1876 − La Voix de l’ouvrier, (1878-1881, 1884-1885), rédacteur en chef − Le Mirabeau, Verviers, 1877 − La Sentinelle, Verviers, 1882-1884 − La Trique, 1879, directeur − Les hommes du jour, 1883-1884, codirecteur − Le Peuple, 1885, administrateur délégué, directeur, rédacteur en chef, rédacteur − L’Avant-garde, 1885-1887 − Les Coopérateurs belges (1889-1914), directeur, rédacteur en chef − Le Journal des correspondances, 1898 − La Flandre libérale, Chronique parlementaire − L’Avenir de Schaerbeek, 1904-1914 − La coopération belge, 1905 − Almanach des coopérateurs belges, années 1892 à 1913 − Le Soir, 1919-1925 − L’action communale et provinciale, 1921 − L’Émancipation.
- Collaboration aux revues : La société nouvelle, 1885-1914 − L’Avenir social, 1896-1914 − La revue de Belgique, 1896 ; À l’étranger : Die zukunft, Berlin − Le socialisme progressif, Lugano − La revue socialiste, Paris − La revue politique et parlementaire, Paris − La revue municipale, Paris − Le mouvement socialiste, Paris.

SOURCES : SERWY V., La coopération en Belgique, 4 vol., Bruxelles, 1940-1952 − WOUTERS H., Documenten betreffende der arbeidersbeweging ten tijde van de Ie Internationale (1866-1880), delen II-III, Leuven-Paris, 1971 (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 60) − VERCRUYSSE C., La jeunesse de Louis Bertrand 1874-1885, Mémoire de licence inédit ULB, Bruxelles, 1971 − ABS R., Louis Bertrand. Militant socialiste, Bruxelles, 1980 − ABS R., « Bertrand Louis », dans Biographie nationale, vol. 37, col. 40.55 − PUISSANT J. , Le socialisme municipal... − VAN DEN DUNGEN P., Louis Bertrand (1856-1943). La foi du marbrier, acteur et témoin de la naissance du socialisme belge, Bruxelles, 2000 − Louis Bertrand et l’essor de Schaerbeek, Bruxelles, 2000.

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