LAMOUREUX Marcel, Louis

Par Albert Ayache

Né le 10 décembre 1897 à Bordj Bou Arreridj (Algérie), mort le 19 février 1971 à Bagnolet (France) ; colon dans le Tadla de 1928 à 1950 ; propagandiste socialiste puis communiste auprès des paysans ; secrétaire de la Région communiste du Tadla après 1945, membre du comité central du PCM jusqu’en 1949 ; emprisonné en 1951, expulsé vers la France en 1953.

Né dans une famille française d’Algérie fortement ancrée dans le milieu colonial -son père était administrateur de commune mixte, sa mère, fille d’un Commissaire de police -, Marcel Lamoureux fit des études secondaires à Alger, obtint le brevet d’arabe, suivit les cours de l’École d’agriculture de Maison-Carrée près d’Alger. Lorsque la guerre éclata, engagé volontaire, il combattit en France sur le front et reçut la Croix de guerre. À la démobilisation, il fit de l’agriculture en Vendée ; revint en Algérie, y occupa plusieurs emplois dont celui de gérant d’un grand garage algérois.

En 1928, il quitta l’Algérie pour le Maroc et s’établit dans le Tadla avec sa mère qui avait obtenu des autorités du Protectorat deux lots de colonisation dont l’un revint à son fils.

Marcel Lamoureux fit la connaissance de Gaston Plateau* et de Pouch*, puis, en 1932, celle d’Eugène Paumard* revenu du Cambodge. Les rapports furent d’abord distants, peu cordiaux entre cet « algérien » que sa formation portait vers la droite - il manifesta avec les « colons tondus » en février 1934 à Rabat - et ces hommes de gauche : « les trois moscoutaires » (partisans de Moscou bien que membres de la SFIO parce que le Parti communiste était interdit au Maroc), comme les appelaient leurs voisins. Puis les rapports se réchauffèrent jusqu’à devenir bons. Après un meeting socialiste où Pouch avait pris la parole, M. Lamoureux adhéra au Parti socialiste (1935). Il participa, dès lors, à toutes les actions de ses amis en faveur des paysans du Tadla et des pasteurs de la montagne, et à la dénonciation aux autorités locales des exactions et de l’exploitation dont ils étaient les victimes de la part de chefs locaux, de grands propriétaires marocains et de colons.

Mais irrité par la politique de faiblesse des gouvernements de « Front populaire », il démissionna, en même temps que Paumard, de la SFIO, tandis que Plateau, élu socialiste au 3e collège, y demeurait. Partisan de l’unité entre socialistes et communistes, Marcel Lamoureux semble suivre Marceau Pivert en reprenant dans Maroc socialiste en 1937, la formule : « En avant pour la prise du pouvoir. Tout est possible. »

Étroitement surveillé pendant la période de Vichy, il n’en conservait pas moins des rapports étroits avec ses amis arabes et berbères dont il parlait la langue, rêvant même de créer des maquis de montagne. Le 8 novembre 1942, à peine le débarquement américain avait-il eu lieu que, sur ordre des Services de sécurité à Rabat, il était arrêté en même temps que ses amis, Paumard, Plateau, malade, et Gaston Delmas qui, assigné à résidence dans le Tadla en 1941, était venu prendre la place de Pouch reparti pour la France en 1937 ou 1938. Ensemble, ils furent conduits au camp d’internement d’El Hadjeb, au sud de Meknès. Ils en sortirent en janvier 1943 pour rejoindre Léon Sultan et adhérer au PCM qui avait été créé dans la clandestinité.

Désormais, c’est là que tous les quatre devaient militer : Plateau pour peu de temps, puisqu’il mourut en 1944, les trois autres pendant de nombreuses années dans les instances dirigeantes du Parti, Paumard et Delmas à Casablanca, Marcel Lamoureux dans le Tadla. Marcel Lamoureux y était revenu après quelques mois. Il y retrouvait ces rudes populations attachées à leurs terres et leurs libertés ; ces paysans connaissaient bien les hommes qui, depuis de longues années, n’avaient pas cessé de les aider et de les appuyer au mépris de leurs propres intérêts. Assisté de son vieil ami Ben Mahdi* et de sa compagne, Françoise Baldéras, il parcourut les souks de la région pour persuader paysans et pasteurs de la nécessité de se grouper et de se défendre. Pour les rassembler, pas d’organisation rigide mais la forme souple du « groupe communiste » où quelques militants, dans une hutte, (« noualla »), une maison ou une tente, se concertaient, puis se dispersaient pour appeler aux réunions, au marché suivant.

Les résultats furent étonnants. À Béni Mellal, des centaines de berbères assaillirent des « moghaznis » qui voulaient conduire Lamoureux au poste de l’Officier des Affaires Indigènes, et les contraignirent à le relâcher. Au 1" congrès national du PCM, en avril 1946, il fit son entrée au milieu de plusieurs dizaines de délégués en djellabas blanches, paysans du Tadla parmi lesquels étaient Ahmed Ben Mahdi et Maati Yousfi qui furent élus membre du comité central. En février 1947, en sept jours et au cours de huit meetings, 45000 fellahs accoururent pour les entendre en compagnie d’Ali Yata venu de Casablanca. Ils étaient 15 000 à Béni Amir, 5 000 à Béni Mellal. Là encore, Ali Yata et El Mahdi furent arrêtés pour vérification d’identité. Mais les assistants attendirent -refusant de bouger - et firent une ovation aux deux orateurs à leur sortie du bureau des Affaires Indigènes. C’en était évidemment trop.

Le Résident général Eirik Labonne, jugé trop libéral, fut rappelé. Avec son successeur, le général Juin, la répression s’alourdit. La prison, la bastonnade attendaient les Marocains soupçonnés de communisme. Secrétaire régional du Parti communiste au Tadla, Lamoureux encouragea la nomination, au secrétariat du Parti, d’Abdeslam Bourquia*, interprète à la Conservation foncière de Kasbah Tadla, qui avait fait en 1942 la connaissance des trois amis : Plateau, Lamoureux, Paumard, et avait adhéré au mouvement « Libération ». La marocanisation rapide du parti était un de ses objectifs.

Au 2e congrès, en avril 1949, il laissa la place. Il n’était plus membre du comité central et El Mahdi le remplaça à la tête de la région de Tadla. Il quitta son lopin de terre dans le Tadla, pour venir à Casablanca avec sa famille.

Mais à la Pentecôte 1951, le Tadla et son environnement montagneux furent en émoi... Un montagnard, Ahansali, « obéissant à la volonté de Dieu », tuait ou blessait, les 13 et 15 mai, six pique-niqueurs de la Pentecôte. A l’occasion de l’enquête sur le tueur, les policiers de la brigade rurale de Casablanca - dit une note de la Vigie marocaine du 27 juin - furent chargés de faire la lumière sur l’affaire des incendies de récoltes de colons dans le Tadla au cours de l’été 1947. Des incendiaires retrouvés firent « des révélations desquelles il résulterait que le promoteur des actes criminels... n’aurait été autre qu’un certain Lamoureux propagandiste communiste à l’époque colon dans la région. Il en avait disparu quelques jours avant les crimes des tueurs de la Pentecôte ».

Lamoureux fut arrêté le 26 juin 1951 alors qu’il embarquait avec sa famille sur un bateau en partance pour la France. Ben Mahdi qui lui avait succédé comme secrétaire du Parti dans le Tadla fut lui aussi arrêté et torturé. Emprisonnés pendant un an et demi, ils furent libérés en 1953 après une ordonnance de non-lieu. Sa santé gravement altérée, Lamoureux fut expulsé. En France, il reprit son activité militante.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article139100, notice LAMOUREUX Marcel, Louis par Albert Ayache, version mise en ligne le 4 mars 2012, dernière modification le 16 août 2020.

Par Albert Ayache

SOURCES : Maroc socialiste, 30 octobre 1937 et 5 février 1938. — L’Espoir notamment année 1945. — Arch. Affaires étrangères (Paris) : guerre 1939-1945, Alger CFLN. 958, 67-69. — Arch. des Affaires Indigènes, Service historique de l’armée (Vincennes). — Témoignage d’Eugène Paumard. — Albert Ayache, Le mouvement syndical au Maroc, 1.1 et 2. — G. Oved, La gauche française et le nationalisme marocain, t. 2. — Jean Vaugien, Évolution d’une tribu berbère du Maroc central, les Aït Ouirra (Juillet 1950 – janvier 1951), [Rapport de recherche] Bureau des Affaires indigènes de el-Ksiba, 1951. En ligne sur HAL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02554107v1.

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