BRACOPS Joseph. [Belgique]

Par Jean Puissant

Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 30 mai 1900 − Anderlecht (Bruxelles), 30 mai 1966. Instituteur communal, franc-maçon, militant syndical socialiste, président de la Centrale générale des services publics, résistant, bourgmestre socialiste d’Anderlecht, député de l’arrondissement de Bruxelles.

Fils de Charles Bracops, fondeur en métaux précieux, socialiste et athée, Joseph Bracops est né rue aux Laines, en plein centre de Bruxelles. Il poursuit ses études à l’École normale de la ville de Bruxelles et obtient son diplôme en 1919. Il devient instituteur communal à Anderlecht et le reste jusqu’en 1945.

Dès 1918, Joseph Bracops crée, à l’École normale, un cercle Jean Jaurès réunissant les étudiants d’avant-garde. Il fait partie des Amis de l’exploité dont il dirige la section saint-gilloise. Lors du deuxième Congrès de cette organisation, le 27 février 1921, Bracops défend la motion minoritaire qui demande la rupture immédiate avec le Parti ouvrier belge (POB) et l’adhésion à la IIIe Internationale. Il s’oppose ainsi à la tendance majoritaire dirigée par Joseph Jacquemotte et Charles Massart.

Adversaire de la participation du mouvement à l’action parlementaire et donc aux élections, Joseph Bracops n’est pas fondateur du Parti communiste belge (PCB) en septembre 1921. Considéré néanmoins comme un « dangereux militant » d’extrême-gauche, il est poursuivi mais non jugé dans le cadre de l’affaire du « Grand complot » communiste en 1923.

Le 30 mai 1927, Joseph Bracops prend la parole à un meeting du Secours rouge international (SRI) en faveur de Sacco et Vanzetti. À l’occasion d’un voyage en URSS comme délégué de l’Union des syndicats de Bruxelles, à l’invitation des syndicats soviétiques en 1927, il mène une enquête sur la situation de l’Opposition « trotskyste ». À son retour, il organise, à Bruxelles, un meeting où il présente les résultats de ses observations qui vont dans le sens de la défense de l’Opposition. Une vive polémique l’oppose alors à Joseph Jacquemotte dans Le Drapeau rouge d’octobre 1927 à janvier 1928. Mais il ne rallie pas les organisations trotskystes à la suite de leur exclusion du PCB.

En fait, malgré cet indéniable intérêt pour la situation et le débat au sein du monde communiste, Joseph Bracops est surtout militant syndical. À peine diplômé, il adhère à la Centrale du personnel enseignant socialiste dont il devient, à la tête d’une nouvelle majorité, l’un des responsables. En 1929, il est élu membre du Comité exécutif national et est responsable de L’Étincelle, l’organe de la centrale, ainsi que du supplément pédagogique mensuel qui porte le même nom.
En 1929, Joseph Bracops est, avec Peeters*, délégué de la Centrale à l’Intersyndicale des services publics. Il porte alors ses premières attaques contre l’Internationale des travailleurs de l’enseignement (ITE) à laquelle la Centrale a adhéré en 1924 et où est présent et influent le syndicat des enseignants russes. La Centrale belge abandonne alors l’ITE et se rallie au Secrétariat professionnel international de l’enseignement (SPIE) qui s’est créé à Amsterdam. Il en devient le secrétaire général de 1932 à 1945 et collabore à ses Cahiers. Ainsi en 1934, il publie un article, Dans l’Autriche en convulsion, Vienne sous la loi martiale.

La carrière de Joseph Bracops souligne très vite l’importance politique et culturelle de l’enseignement. Il est en effet le fondateur, en 1934, du Centre permanent de défense de l’école publique qui se manifeste par la publication de périodiques, notamment L’École libérée, de tracts, d’affiches défendant l’école officielle. Il est également membre de la Ligue de l’enseignement. Dirigeant syndical national, il siège également au bureau du conseil général du POB en 1930 ainsi qu’au comité fédéral du POB à Bruxelles. Il donne des cours, dans les deux langues, à l’École ouvrière supérieure, et des conférences dans tout le pays.

La Centrale des enseignants socialistes participe activement à la campagne de solidarité avec l’Espagne républicaine et Joseph Bracops fait partie d’une mission internationale en Espagne en 1937. L’Étincelle, dont il est le principal rédacteur, prend vivement position contre la non-intervention et contre la reconnaissance du gouvernement de Burgos.

Dès le début de la Seconde Guerre mondiale, Joseph Bracops s’oriente précocement vers la résistance à l’occupant allemand − il est reconnu résistant civil à la date du 1er juillet 1940 −, qu’il encourage dans le milieu enseignant bruxellois, en particulier à Anderlecht. Il écrit dans Le Peuple dans la rubrique « Étranger », et dans L’Espoir, clandestins. En mars 1942, il fait partie du Bureau national du parti reconstitué. Il s’oppose nettement aux projets d’union travailliste qui regrouperait socialistes et démocrates chrétiens après la guerre, en raison de son engagement en faveur de l’école publique. En 1942, il est probablement l’auteur d’un tract, 1917 - 1942. À la population belge - à bas les déportations.
Arrêté une première fois en mars 1941, Joseph Bracops est à nouveau arrêté le 18 novembre 1942. Incarcéré à la prison de Saint-Gilles, il est ensuite envoyé au camp de Breendonk (commune de Willebroek, pr. Anvers-Antwerpen, arr. Malines-Mechelen), où il est emprisonné six mois, puis poursuit un parcours infernal dans les lieux de détention de l’Allemagne nazie : Aix-la-Chapelle, Cologne, Hagen, Kassel puis Büchenwald, Lublin, Auschwitz, Mauthausen, Melkon Danube, Ebensee. Libéré le 6 mai 1945 par l’armée américaine, il rentre à Bruxelles, le 25 mai, épuisé mais prêt à reprendre l’activité politique. « Je vous reviens ardemment démocrate et socialiste. »

La position dominante de Joseph Bracops dans le syndicalisme enseignant contribue, certainement en partie, à son élection comme premier président de la Centrale générale des services publics (CGSP) lors du Congrès de fusion d’août 1945. Mais dès l’année suivante, il démissionne de cette fonction pour participer aux élections législatives. Toujours convaincu de la grande nécessité du travail syndical, il ne peut, comme il le souligne dans sa lettre de démission du 13 janvier 1946, « se soustraire à l’impératif catégorique de la lutte politique contre la réaction ».

Joseph Bracops est élu membre du bureau du Parti socialiste belge (PSB) à l’issue du « Congrès de la victoire » de juin 1945, participant ainsi au renouvellement de la direction du parti mais surtout à l’introduction de militants issus de la résistance. Il mène donc, à son retour de captivité, une double activité politique et syndicale, choisissant définitivement la première lors de la constitution des listes de candidatures pour les élections législatives de février 1946. Les statuts de la CGSP interdisent en effet le cumul de mandats syndical et politique représentatif.

Membre de l’exécutif de la Fédération de Bruxelles, élu député en 1946, Joseph Bracops devient l’une des principales personnalités de l’arrondissement. Au Parlement, il poursuit sa double lutte en faveur de l’enseignement public et du statut des enseignants. « Un pays se refait plus par ses écoles que par ses armées. » Défenseur de l’enseignement officiel, il refuse absolument en 1946 l’accès d’inciviques au cadre enseignant, s’oppose à la politique du ministre Pierre Harmel, favorable à l’enseignement catholique, et critique l’engagement d’enseignants issus de ce réseau dans l’enseignement de l’état.

Porte-parole du PSB contre la politique du gouvernement catholique homogène de 1950 à 1954, Joseph Bracops est également le défenseur attitré de celle du ministre socialiste, Léo Collard*, de 1954 à 1958. Il est d’ailleurs l’un des signataires socialistes du Pacte scolaire en 1958. Membre de la commission de l’Instruction publique, il est rapporteur de ces budgets de 1954 à 1958. Ses interventions portent également sur les problèmes communaux et provinciaux. Il se prononce, en 1963, en faveur d’une grande agglomération bruxelloise dotée d’un conseil métropolitain tout en sauvegardant l’autonomie communale. Il est l’auteur de propositions de lois à propos des missions syndicales, du statut syndical, des rémunérations et pensions, congés de maternité des agents de ces administrations.

Élu conseiller communal en 1946, Joseph Bracops manifeste un grand intérêt pour les questions communales. Cela vient de sa nomination comme bourgmestre d’Anderlecht en 1947 : il succède à M. Renard*. Il apparaît comme le type de municipaliste socialiste dans une commune industrielle en pleine expansion : « nous sommes les gestionnaires de la chose publique et il n’y a ni majorité, ni minorité qui compteront lorsqu’il s’agit de celle-ci. » Aucun domaine ne le laisse indifférent : écoles bien sûr, service incendie, personnel communal, urbanisme, finances communales.
La gestion communale est modernisée et rationalisée tandis que la commune voit sa population croître rapidement. Joseph Bracops préside les commissions administratives des établissements scolaires communaux. Il met en place une commission de conciliation et de consultation pour le personnel communal, un centre de rééducation des jeunes chômeurs. Les moyens du Foyer anderlechtois (société de logement social) sont augmentés, des homes pour vieillards créés ainsi qu’un institut médico-chirurgical, un stade, le bassin de natation du CERIA, les abattoirs sont modernisés, etc.

Anderlecht, commune industrielle et donc peuplée d’ouvriers, devenue « socialiste » avec la démocratisation du suffrage en 1919, le reste après la Seconde Guerre mondiale, grâce au municipalisme de Joseph Bracops, dont les réalisations permettent de maintenir une fraction importante de classes moyennes dans la mouvance du PSB. Anderlecht se révèle être un des bastions de la ceinture rouge de Bruxelles que le passage du successeur de Bracops au Parti libéral n’affecte pas fondamentalement, du moins dans un premier temps. Il est également à l’origine du jumelage de sa commune avec celles de Boulogne-Billancourt (département des Hauts-de-Seine, France), de Neuköln (Berlin, Allemagne), de Hammersmith (Londres, Grande-Bretagne) et de Zaandem (Amsterdam, Pays-Bas) en 1955.

Membre de la direction de l’Union des villes et des communes, Joseph Bracops la préside ad intérim en 1961, pendant le mandat ministériel de Joseph Spinoy*, puis en devient le président en 1965. Il est également membre du Comité international du Conseil des communes d’Europe. Il fait partie de délégations belges au Bureau international du travail (BIT), aux congrès de l’Union interparlementaire, à l’Organisation des Nations Unies (ONU) de 1956 à 1957.

Président du conseil d’administration de la Prévoyance sociale, président de la Fondation Joseph Lemaire, Joseph Bracops exerce également d’autres fonctions comme celle de président des Amitiés belgo-yougoslaves. Il rencontre Tito, à plusieurs reprises, mais rompt avec la Yougoslavie en 1956, en raison de son rapprochement avec l’URSS et de l’absence de condamnation nette de l’intervention soviétique à Budapest. Ce dernier fait, témoignage de l’engagement radical de sa jeunesse, permet également de définir la position de Bracops, anti-communiste sans complaisance, parlementariste convaincu.

Le passé syndical de Joseph Bracops, son action municipaliste, son rôle important au Parlement en font un archétype de la social-démocratie belge du milieu du siècle. Après 1945, il participe à la fondation de la revue, Marginales, avec Albert Ayguesparse et De Muyser. Attentif à la littérature et à l’évolution des arts, il est également soucieux de la sauvegarde de la Maison d’Erasme, de la transformation d’une vieille bâtisse du parc Astrid en maison des artistes. Il fait introduire le principe de consacrer dans tout nouveau bâtiment communal, 1% du budget à la décoration artistique.

Résistant civil et résistant par la presse, Joseph Bracops est titulaire de nombreuses distinctions honorifiques belges et étrangères : Chevalier de l’ordre de Léopold avec palmes, croix de guerre, médaille de la résistance, croix du prisonnier politique avec six étoiles, grand officier de l’ordre de Léopold, commandeur de l’ordre de Léopold avec rayure d’or, chevalier de la Légion d’honneur, commandeur de l’ordre du Mérite de la République italienne, commandeur de l’ordre d’Orange Nassau, etc.

Décédé des suites d’une affection pulmonaire, Joseph Bracops est enterré civilement. Franc-maçon, il appartient à la loge du Libre examen du Grand Orient. Époux, en 1945, de Carmen Waucquez, professeure puis directrice à l’École normale de l’État à Berkendael (Ixelles) dans la région bruxelloise, il en a deux enfants. Carmen Bracops préside le Centre public d’aide sociale (CPAS) d’Anderlecht de sa retraite jusqu’au 1er avril 1983. Elle est trésorière du PS local.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article139421, notice BRACOPS Joseph. [Belgique] par Jean Puissant, version mise en ligne le 4 mars 2012, dernière modification le 5 avril 2024.

Par Jean Puissant

ŒUVRE : Étapes de la révolution russe, Bruxelles, 1937 − Collaboration à L’Étincelle, Vers l’école libérée, Le Peuple, L’Espoir, Le Monde du travail, Le Bulletin de la ligue de l’enseignement, Socialisme, Socialistische standpunten.

SOURCES : Notices nécrologiques dans la presse et les périodiques − Notice réalisée par M. Lanners, section Journalisme de l’Université libre de Bruxelles, années 1980.

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