BRISMÉE Désiré, Jean, François. [Belgique]

Par Jean Puissant

Gand (Gent, pr. Flandre orientale, arr. Gand), 27 juillet 1822 − Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 16 février 1888. Typographe, imprimeur, fondateur de l’association rationaliste Les Solidaires, de l’association Le Peuple pour la démocratie militante, de la section belge de l’Association internationale des travailleurs, militant rationaliste et personnalité centrale du courant social-démocrate à Bruxelles et en Belgique, compagnon de Jeanne Costaguja, époux de Marie-Elisabeth Debuyger.

Le père de Désiré, Alexis, Paul Brismée (1793-1849), originaire de Peruwelz (pr. Hainaut, arr. Tournai), gagne Gand en 1815, où il épouse Jeanne Antoinette Van Brabant. Il est marchand de charbon dans un quartier populaire. Sur l’acte de naissance de Désiré, son deuxième enfant − il a deux frères et une sœur −, il est qualifié de « négociant ». Les témoins sont pharmacien et employé. Quelques années plus tôt, le père Brismée était électeur censitaire, parmi les 920 électeurs les plus imposés de Gand sur un total de 1 672. Il appartient donc alors à la classe moyenne. Plus tard, il est mentionné comme « particulier », terme servant à qualifier les rentiers.

À la veille de la Révolution belge, en juillet 1830, la famille Brismée s’installe à Bruxelles au Marché au Charbon, n˚86. Le père y est inscrit comme « praticien » puis, plus tard, il s’installe place Saint-Géry comme « homme d’affaire ». Selon le témoignage de César De Paepe*, son gendre, qui constitue, avec Louis Bertrand, la principale source d’information à propos de Désiré Brismée, ce dernier aurait souvent narré dans ses souvenirs d’enfant, les événements de l’été 1830. Son père aurait participé à l’insurrection, aurait été lié d’amitié avec Charlier dit « la jambe de bois ». Réalité ou légende familiale, le récit semble indiquer une adhésion et une radicalité significative à la Révolution belge. A. Lepeer, biographe attentive de Brismée, n’a pu découvrir d’éléments plus précis à ce propos, pas plus que les raisons et circonstances de l’accès au travail de Désiré.

Désiré Brismée est mis en apprentissage à l’école typographique de Nicolas Coulon, à l’âge de onze ans, selon Louis Bertrand, vers 1833 donc. Cet apprentissage précoce est-il dû aux difficultés économiques de la famille ? Le père est-il victime de la crise qui accompagne et qui suit la révolution ? Ou au contraire observe-t-on là une mise en apprentissage classique à cet âge où l’enfant ne gagne effectivement pas immédiatement sa vie ? La suite, en effet, fait penser aux traditions corporatives.

Désiré Brismée travaille à l’imprimerie Joseph Voglet. Au décès de ce dernier en 1843, il se met en ménage, à l’âge de vingt et un ans, avec la veuve du maître imprimeur, âgée de plus de quarante ans, Jeanne Costaguja (1800-1880). Il deviendrait ainsi maître-imprimeur. Aucune mention de mariage n’a été retrouvée même si Jeanne est communément appelée Brismée, que leurs enfants, reconnus (?), portent bien le nom de leur père. Par ailleurs, il est bien question également d’imprimerie Brismée. A-t-il hérité de son père en 1849 ? De toute manière, l’activité professionnelle de Brismée, bientôt essentiellement militante, ne lui permettra jamais de rouler sur l’or. Les déménagements successifs, nombreux, prouvent bien qu’il ne s’agit pas d’un atelier important fortement équipé.

En 1856, Désiré Brismée est qualifié d’appartenance à la classe moyenne inférieure. La même année, il apparaît comme patentable aux catégories inférieures, comme « gazettier » puis, plus tard, comme « bouquiniste » de 1864 à 1871, jamais donc comme imprimeur. Par ailleurs, on sait que certains Voglet ont travaillé dans l’atelier familial, qui emploie également des ouvriers, des apprentis, comme le sera César De Paepe par exemple. L’entreprise constitue, de toute manière, un lieu social et familial important.

Par son union avec la veuve Voglet, Désiré Brismée devient « allié » des Voglet* (beau-frère, beau-père, oncle ?), de Joseph, Jules, Désiré, tous trois typographes, qui apparaissent régulièrement dans les milieux des diverses organisations ouvrières et de Prosper, violoniste et chanteur ambulant aveugle. Brismée et sa compagne ont deux filles, Henriette, Jeanne (1845-1871) et Jeanne, Albertine (1847-1869) qui seront respectivement les épouses de César De Paepe* en 1865 et de Eugène Hins en 1868. L’ensemble du milieu familial participe activement à la vie politique et sociale de la capitale. Jeanne Costaguja décède en 1880. Cinq ans plus tard, Désiré Brismée épouse à Paris Marie-Élisabeth Debuyger, née à Paris en 1852. Elle est la fille de Charles Debuyger, ouvrier mécanicien, présumé communard, socialiste révolutionnaire, voire anarchiste. Ils ont deux fils, Aimé Charles Camille, né en 1886, et Désiré Edmond César, né en 1887, qui aideront plus tard leur mère à diriger l’imprimerie Veuve Brismée, qui a toujours pour principaux clients, les organisations socialistes et ouvrières. La tradition familiale reconnaît bien l’union de Désiré avec la veuve Voglet comme l’origine de l’imprimerie Brismée. Elle ne survivra pas au décès de Marie-Élisabeth Debuyger.

Les témoignages évoqués ci-dessus restent les seules sources sur les débuts politiques de Désiré Brismée Elles ne sont attestées par des sources externes, notamment policières, qu’à partir de 1849. On sait néanmoins que Joseph Voglet, qui serait d’origine française, a imprimé en 1836 Les affaires de Rome de l’abbé Lammenais. Il connaît Lucien Jottrand* qui se propose d’y rééditer un ouvrage de Louis De Potter. En 1839, l’imprimerie qui publie un Appel à l’armée est surveillée par la police. Un certain Charles Joseph Voglet, libraire éditeur, est membre de l’Association démocratique à sa création. On ignore la date d’entrée de Brismée chez Voglet mais il travaille indiscutablement dans une entreprise proche des milieux démocratiques et radicaux.

Selon les témoignages de César De Paepe et de Louis Bertrand, repris ultérieurement sans apport d’éléments probants nouveaux, Désiré Brismée aurait été mêlé aux meetings de Jacob Kats*, dans les années 1840 et aux événements de 1848. Ce n’est pourtant qu’en janvier 1849 que son nom apparaît pour la première fois dans un rapport de police. On note qu’il vend des cartes pour le banquet démocratique et républicain du Palais royal. Edouard André, président de la Réunion fraternelle organisatrice du meeting du Prado du 25 mars 1849 à Molenbeek-Saint-Jean (Bruxelles), signale, dans sa plainte contre les « provocations » qui ont perturbé la rencontre, Brismée, imprimeur, comme témoin. La tradition rapporte qu’il serait arrivé en retard mais aurait participé aux bagarres à l’extérieur de la salle. Le récit de César De Paepe associe également le nom de son beau-père à la création de la société coopérative de production, L’Alliance typographique, en 1849, ce qui est inexact lorsqu’on vérifie la liste des fondateurs et non prouvé ultérieurement. A. Lepeer arrive à la conclusion, partagée ici, que De Paepe ou Brismée lui-même déjà l’a associé à toute la préhistoire du mouvement ouvrier à Bruxelles. Une telle narration porte en elle ainsi la légitimation historique du courant politique, incarné et symbolisé, à juste titre, par Désiré Brismée. Mais autant s’en tenir ici à ce que relatent explicitement les sources consultables, en opposition donc avec la tradition historiographique socialiste (voir les sources ci-dessous).

Par contre, Désiré Brismée imprime, en 1849, la brochure de G. Mathieu*, orateur du meeting du Prado, Un mot à tous. Il imprime en 1850 les statuts de la Franche cordialité des ouvriers marbriers. Il commence donc sa carrière d’imprimeur démocrate. En 1852, le 24 août, il est signalé comme participant à une manifestation démocratique aux côtés de Louis Labarre, Ch. Potvin, Nicolas Coulon, etc. Ce ne sont que péripéties, mais significatives de la naissance du militant considérable que devient ensuite Brismée.

C’est en effet en 1854, à l’âge de trente-deux ans, que le nom de Désiré Brismée apparaît définitivement à l’avant-plan. Le 21 août 1854, il figure parmi les fondateurs de l’Affranchissement qui, outre l’organisation de funérailles civiles pour ses affiliés décédés, « a pour mission d’accélérer autant que possible l’avènement de l’émancipation morale et matérielle de l’homme ». À la suite de la désintégration des groupes démocratiques (impasse politique, répression policière et judiciaire), de l’échec des associations professionnelles de production, c’est par l’anticléricalisme, le combat en faveur de la laïcisation de la société que ces militants cherchent à s’organiser et à gagner plus d’audience dans l’opinion publique largement indifférente aux problèmes sociaux en cette période de croissance économique et de mutations sociales rapides. Ce milieu participe donc à l’agitation contre la loi dite des couvents sous le gouvernement De Decker en 1857.

Le 29 juillet 1857, Désiré Brismée, à la suite d’un différend sur les fondements idéologiques et pratiques d’une telle association, est l’un des principaux fondateurs d’une nouvelle société, Les Solidaires, « association pour l’enterrement civil, caisse de secours mutuels, d’assistance fraternelle, de prévoyance et de propagande. » C’est à propos du mutuellisme, défendu par Brismée, influencé par P.-J. Proudhon* et dénoncé par Jan Pellering*, qui soutient le point de vue purement révolutionnaire que la scission s’opère. Mais cette fois, comme imprimeur et éditeur démocratique, Brismée gagne une stature qui lui permet d’entraîner dans son sillage une fraction importante du mouvement démocratique et laïc à Bruxelles.
En effet, Désiré Brismée, dont Louis Bertrand assure qu’il est contremaître de l’atelier imprimant La Nation dès 1848, assure l’impression du National de L. Labarre* de février 1855 à mai 1856, puis de la nouvelle Nation du même journaliste. Il est poursuivi par la Cour d’assises du Brabant comme imprimeur éditeur, responsable d’un article violent contre la duchesse de Brabant, femme du futur Léopold II, princesse d’une Autriche absolutiste − il refuse d’en dénoncer l’auteur, Labarre lui-même − afin de permettre de continuer la parution. Il est condamné le 16 juin 1856 à un an de prison ferme, à 1.000 francs d’amende et aux frais de justice. Ayant quitté le tribunal avant le prononcé du jugement, Brismée se voit violemment reprocher par le magistrat réactionnaire, De Bavay, « la lâcheté des démocrates ». Il se présente alors spontanément à la prison pour y purger sa peine. Le geste ne permet pas de sauver La Nation.

Le 7 décembre 1856, toujours imprimé chez Désiré Brismée, paraît un nouvel organe de L. Labarre, Le Drapeau « socialiste et anticlérical ». Labarre quitte Bruxelles en décembre 1857, en laissant le titre à l’imprimeur qui diminue sensiblement le prix du journal sans parvenir à le maintenir en vie pendant plus d’une année, jusqu’au 9 décembre 1858. L’éditeur est, à nouveau, poursuivi pour un article regrettant l’échec de l’attentat d’Orsini en janvier 1858 contre Napoléon III mais il est, cette fois, mis hors cause, l’auteur de l’article, L. Labarre, ne s’en cachant pas. Il est devenu l’organe des Solidaires.
En octobre 1858, Désiré Brismée est également l’imprimeur du Journal du peuple. Cette fois, sa notoriété est incontestable. La polémique, qui entoure ces événements, illustre bien l’importance de ce qui se produit alors dans les milieux démocratiques de Bruxelles. Elle a un indéniable aspect personnel et est connue par un échange d’articles dans La Tribune du peuple du 10 novembre 1861 et par le compte-rendu d’une réunion de l’Affranchissement en 1874. Jan Pellering laisse entendre que la société aurait collecté pour payer l’amende et les frais du procès de juin 1856. On aurait appris ensuite que l’emprisonnement de Brismée résulte d’un accord rémunéré entre lui et Labarre et qu’il ne s’agirait donc pas d’un emprisonnement purement « politique ». De la prison de Nivelles, le 25 février 1857, Désiré Brismée répond : « J’affirme devant Dieu et les hommes que s’il est au monde un être qui ose avancer qu’avant ou après mon emprisonnement, j’aie pris avec lui (Labarre) un engagement... ne fût-ce que d’un centime, je dis que cet être est un imposteur. » Quelques jours après la fin de la peine de Brismée, Les Solidaires sont créés. Mais le conflit personnel n’est qu’un élément. Jan Pellering écrit : « citoyen, vous doutez trop de la force fraternelle de la démocratie. Faut-il vous demander si c’est le secours mutuel ou bien l’union de la démocratie qui a payé pour l’un de nous mille francs d’amende et les frais du procès ? » C’est bien là implicitement l’opposition entre le courant révolutionnaire et celui désormais représenté par Brismée, de l’association mutuelle.

En 1861, les Solidaires tentent de créer effectivement une caisse de prévoyance et une coopérative de consommation, La Solidarité, dénoncée immédiatement et énergiquement par Jan Pellering. Désiré Brismée lui répond que Les Solidaires doivent redoubler de persévérance et de zèle, pour mener à bonne fin, leur utile et salutaire entreprise, « ce palliatif contre l’égoïsme individuel » qui doit, sinon sauver les ouvriers, du moins amoindrir l’effet que « produit fatalement sur eux, dans la société actuelle, l’organisation du vol, de la rapine, de l’exploitation et de l’égoïsme qui y prédominent. Je trouve qu’il y a assez longtemps que nous indiquons le mal et, qu’au lieu d’indiquer le remède, il est grandement temps de l’essayer. » Le remède, en l’occurrence, fait long feu mais la tentative de sa réalisation marque bien la frontière entre le socialisme révolutionnaire répété de Pellering et de Coulon et le socialisme à venir, à travers la constitution d’associations ouvrières diverses, destinées à améliorer le sort des ouvriers et à matérialiser pour eux, l’idée théorique du socialisme, défendu par Désiré Brismée. La rupture intervenue en 1857 se confirme et s’approfondit.
En mars 1864, une nouvelle polémique, dans La Tribune du peuple, entre Nicolas Coulon et César De Paepe* la souligne encore. Désormais, le mouvement ouvrier socialiste en Belgique pourra se nourrir à deux sources de tradition clairement démarquées. Il ne serait donc pas étonnant dans cette perspective si les proches de Brismée - ce dernier lui-même -, lui avaient façonné un passé qui légitime historiquement, aux yeux des ouvriers bruxellois, ce courant face au passé des grands anciens, Jan Pellering* et Nicolas Coulon.

En 1860, Désiré Brismée est à l’origine de l’association, Le Peuple pour la démocratie militante, qui tente de fédérer les forces ouvrières et démocratiques. Émanation des Solidaires, mais à laquelle adhèrent également des membres de l’Affranchissement, l’association Le Peuple, édite, à partir du 2 mai 1861, l’hebdomadaire, La Tribune du peuple (« justice et bien-être social »), qui est également l’organe des Solidaires et est imprimé par Brismée. Il a pour objectif « de faire comprendre à tous les membres de la société que la parfaite jouissance de leurs droits est impossible à atteindre tant que la justice ne présidera pas à l’organisation sociale, tant que l’enseignement par une réforme radicale n’aura pas répandu la lumière parmi tous les hommes, tant que l’équilibre ne sera pas établi entre le capital et le travail, aussi longtemps enfin que l’égalité selon les lois de la nature n’aura pas détrôné les privilèges... nous réclamons : En économie politique, la réforme sociale ; En politique, la souveraineté populaire exclusive ; En religion, nous défendons le rationalisme... la liberté de conscience et le libre examen. »

L’association Le Peuple organise régulièrement des meetings publics en faveur de la Pologne martyre, des ouvriers gantois en grève, de l’abolition du délit de coalition, du suffrage universel et contre les mesures d’expulsion d’étrangers. Le 26 décembre 1863, invités par le Cercle des campagnards ardennais à Patignies (aujourd’hui commune de Gedinne, pr. Namur, arr. Dinant), plusieurs orateurs de l’association prennent la parole, dont E. Steens*, C. De Paepe et Désiré Brismée qui prononce un discours uniquement anticlérical. Le 27 avril 1862, il propose la création d’une section d’agitation intellectuelle pour « propager, par la publication de brochures, les idées de la démocratie et du socialisme et extirper, du cœur des masses, le fanatisme religieux contraire à la liberté ». Les marques distinctives du Peuple sont le suffrage universel, l’école obligatoire, les associations au service de la classe ouvrière. Brismée écrit ainsi dans La Tribune du peuple, le 22 février 1862 : « il suffit d’avoir un peu de bon sens pour comprendre que le suffrage universel est seul légitime. Dans une association quelconque, dans une société de secours mutuels par exemple, par qui sont élus les membres chargés d’administrer cette société ? N’est-ce que les associés qui savent lire et écrire ? Non, mais par tous les sociétaires sans distinction. Il doit en être de même dans cette association plus grande qu’on appelle la Nation... »
Désiré Brismée répond ainsi aux arguments d’un N. Coulon, d’un J. Pellering, ou à ceux de libéraux progressistes. L’idéologie générale est proudhonienne. L’influence, même si elle est étendue ponctuellement à Charleroi, Namur, Patignies, Tubize (aujourd’hui pr. Brabant wallon, arr. Nivelles), est principalement circonscrite à Bruxelles où c’est le milieu des artisans indépendants qui est principalement concerné.

Désiré Brismée participe du 26 au 28 septembre à Bruxelles, avec Léon Fontaine et Joseph Paz, à une conférence internationale convoquée par Garibaldi au nom d’une Association pour la création de congrès démocratiques et qui devait aboutir, dans l’esprit d’un Mazzini*, à la création d’une Association fédérative universelle. Une section belge se constitue effectivement au sein des Solidaires. Mais hostile au républicanisme nationaliste de Mazzini, Karl Marx* prend de vitesse ces initiatives en proposant aux ouvriers anglais la création de l’Association internationale des travailleurs (AIT). C’est Léon Fontaine qui poursuit les contacts dans ce sens et non Brismée.
Les Solidaires ne participent pas au Congrès de Sint-Martin’s Hall à Londres en 1864, mais ce sont eux qui obtiennent, l’année suivante, la représentativité de l’AIT en Belgique et non l’Association fédérative. Pour participer à la Conférence administrative de Londres de septembre 1865, Désiré Brismée, pressenti, propose le nom de son gendre, C. De Paepe, qui y représente donc la première section belge de l’AIT, l’association, Le Peuple. Son organe devient, l’année suivante, celui de l’AIT en Belgique.
Désiré Brismée porte le n˚8 dans la liste des premiers adhérents de l’AIT en Belgique. Il n’apparaît pas dans son Comité avant 1868. Pourtant, il y joue un rôle essentiel directement et indirectement. Imprimeur-éditeur de son organe de 1866 à 1873, membre du Conseil général belge suite à sa désignation par le Congrès belge du 25 décembre 1868, correspondant pour le Borinage (pr. Hainaut), beau-père de César De Paepe, principal théoricien de l’AIT en Belgique, correspondant pour l’étranger et de Eugène Hins, secrétaire général du Conseil général belge en 1868, Brismée est aussi l’un de ses principaux propagandistes lors de l’expansion de l’AIT dans les bassins industriels de Wallonie en 1868-1869. Du 3 mai 1868 au 11 avril 1869, il tient cinquante-cinq meetings, principalement en Hainaut, soit plus d’un par semaine en moyenne.
Cette campagne de Désiré Brismée commence par un meeting antimilitariste sous les auspices des Francs-ouvriers à Verviers (pr. Liège, arr. Verviers) en janvier 1868. Puis la section bruxelloise de l’AIT envoie une adresse de solidarité aux ouvriers de Charleroi à la suite de la fusillade de l’Épine le 26 mars 1868 ; elle est imprimée par Brismée qui propose de créer un comité de défense judiciaire des grévistes inculpés. Il se rend sur place pour rencontrer les blessés − son frère vit à Gilly (aujourd’hui commune de Charleroi, pr. Hainaut, arr. Charleroi) − et donne son premier meeting hennuyer le 9 mai à Dampremy (aujourd’hui commune de Charleroi). L’acquittement triomphal des inculpés par la Cour d’assises du Hainaut à Mons le 20 août donne un extraordinaire écho à cette campagne de meetings.

Il n’est donc pas étonnant si, à la suite des grèves du Borinage et de Seraing en avril 1869, Désiré Brismée, avec les autres membres du Conseil général, est un des premiers inculpés. Le procureur général, De Bavay, décide de frapper « un grand coup sur ces bandits. » Une perquisition a lieu au domicile de Brismée qui est accusé, avec ses camarades, « d’association de malfaiteurs » et de « provocation » des grèves en cours. Au juge d’instruction, le 11 juin, Brismée déclare : « Le nouvel ordre des choses qui doit prendre la place de l’ancien ordre, je le vois moi dans la substitution de l’association coopérative à l’exploitation de l’homme par l’homme. » L’instruction tourne court, les détenus sont libérés, un non-lieu général clôt l’affaire. Mais pour la famille Brismée, c’est le drame, la jeune femme de Eugène Hins, emprisonné durant un mois, meurt. Le Parquet avait refusé de libérer le détenu malgré de l’état de santé de son épouse. Nombreux sont ceux, personnes, journaux, qui n’hésitent pas à parler « d’assassinat ».

Ces événements dramatiques, arrestations et emprisonnements sans fondement, épreuves personnelles, ne peuvent masquer le déchirement qui s’est opéré au sein de l’AIT en Belgique. S’en prenant directement à la personnalité de Brismée, dénoncé comme dirigeant autoritaire et intéressé, une scission apparaît à Bruxelles, peu importante quantitativement mais qui, liée à la répression judiciaire, jette un trouble profond parmi les jeunes associations internationalistes. Sous la conduite de B. Delesalle*, de Prosper Esselens*, la gestion de La Tribune du peuple est critiquée. Le journal doit une importante somme à Brismée et, bien qu’organe de l’AIT, il est toujours la propriété de l’association Le Peuple.

Le groupe dissident fait paraître La Nouvelle tribune du peuple qui s’emploie à jeter le discrédit sur Désiré Brismée et ses gendres. On prétend même qu’il les bat à l’occasion. Les scissionnistes créent les Affranchis, tentent de se fédérer avec la Fédération boraine de Charles Coudroy, les Affranchis de Jumet. L’opération est un échec politique mais le grand essor internationaliste est cassé net. Le nouvel organe de l’AIT, L’Internationale, qui paraît le 17 janvier 1869, est toujours imprimé chez Brismée. Ce journal n’empêche pas le déclin aggravé par la guerre franco-prussienne, la Commune de Paris qui provoque l’hystérie réactionnaire et marginalise l’AIT puis, et ce n’est pas le moins important, le boom économique de 1871-1873 qui provoque la hausse des salaires et entraîne la désaffection des ouvriers du mouvement associatif.
La scission provoque une nouvelle séparation des deux ailes du mouvement ouvrier à Bruxelles, les révolutionnaires d’un côté, les « associationnistes » de l’autre. L’activité wallonne de Brismée se termine en avril 1869 mais elle se perpétue à Bruxelles jusqu’à l’extinction de l’AIT en 1882.

Désiré Brismée apparaît au sein de la direction de l’AIT de Bruxelles en octobre 1868. Il propose que soient distingués désormais, la direction nationale, le Conseil général dont il fait partie, et la section bruxelloise de l’AIT dont il est désormais l’un des principaux dirigeants. Il participe activement aux Congrès de l’AIT de 1868 à Bruxelles, de 1869 à Bâle, de 1872 à La Haye (Pays-Bas), de 1874 à Bruxelles (fédéraliste).
En 1868, délégué de la section bruxelloise, Désiré Brismée préside la troisième séance du 7 septembre. Il fait un rapport sur le développement de l’AIT en Belgique et propose de tenir séance à la salle du Cirque, plus vaste que celle du Cygne, afin de permettre à un plus large public d’assister aux séances de soirée. Il se prononce enfin, à l’occasion du débat sur la grève, fermement pour la création « d’associations de consommation et de production. » ... « Il ne me paraît pas moins utile de se débarrasser de l’exploitation des boutiquiers que de celle du patron » puis « d’institutions de crédit non entre particuliers, mais entre associations de producteurs ». À ce titre, il rencontre immédiatement la contradiction de J. Pellering*.

Délégué au Congrès de Bâle en septembre 1869, Désiré Brismée est vice-président du bureau. Il fait également partie de la commission Droit d’héritage dont il présente le rapport : il se prononce en faveur de son abolition. Il obtient la majorité relative sur cette proposition alors que De Paepe s’abstient. Il vote en faveur de la propriété collective du sol et se prononce pour l’appropriation collective des instruments de travail. « Toutes les sociétés de résistance du monde n’arracheront pas la classe des travailleurs à la domination du capital, que seules la transformation de la propriété et la mise entre les mains du travailleur des instruments de travail feront arriver le résultat désiré. » Sur la question de la grève, il explique les pouvoirs que s’est donné le Conseil fédéral belge d’approuver ou non le mouvement annoncé après analyse de la situation.

Au Congrès de La Haye en septembre 1872, Désiré Brismée est le véritable patron de la délégation belge. Il s’oppose vivement à la création de sections françaises de l’AIT en exil, se prononçant donc pour leur intégration aux sections autochtones. Il justifie cette attitude par l’infiltration des milieux des anciens communards par des indésirables et la volonté de les refuser au sein des associations existantes. Il s’oppose, sur ce point, à Marx qui soutient, contre lui, la candidature de Sorge à la vice-présidence du congrès. Il se prononce, au nom des Belges, en faveur « non (d’) une augmentation, mais (d’) une limitation des pouvoirs du Conseil général » et donc, pour la même raison, en faveur de la diminution des cotisations. « Le Conseil général de l’AIT, organe de l’AIT et non l’inverse » n’aurait donc ni politiquement ni financièrement les moyens d’intervenir dans les affaires d’un pays. Il s’oppose également à l’exclusion de Michel Bakounine, de Guillaume, et à la constitution d’un parti politique de la classe ouvrière dont l’objectif serait de s’emparer du pouvoir. Les Belges se retrouvent donc dans l’opposition contre la majorité qui suit Marx et ses amis, ce qui ne les empêchent pas de se retrouver, à leurs côtés, pour refuser l’adhésion à l’AIT, de sections composées de bourgeois, ou voter le transfert du Conseil général à New York.

Cette position centriste est réaffirmée au Congrès fédéral belge en décembre 1872 à Bruxelles. Désiré Brismée s’oppose à la volonté des Fédérations de La Vesdre (pr. Liège, arr. Verviers) et du Centre (pr. Hainaut), de supprimer purement et simplement le Conseil général. Il y défend l’idée d’un conseil général au service de l’AIT et exécutant ses décisions. Mais la légitimité du Conseil général de New York est niée. Par contre, il propose une réforme des statuts de l’AIT Belgique « sur des nouvelles bases plus fédéralistes ». Le Conseil fédéral belge ne serait plus bruxellois mais compterait huit représentants de la capitale plus un délégué par fédération régionale et se réunirait chaque mois. Cette proposition est, cette fois, acceptée.

Désiré Brismée appartient bien à une troisième voie, « entre Marx et Bakounine », centriste, comme le sont souvent les Belges, mais il se retrouve nettement, tout en restant collectiviste, dans le courant autonomiste, anti-autoritaire et apolitique de l’Internationale. Au Congrès fédéraliste international de Bruxelles en septembre 1874, il le confirme, en défendant le rapport de César De Paepe sur l’organisation des services publics dans la société future, contre les anarchistes qui l’attaquent vivement. En 1873-1874, il fait partie du Bureau fédéral international.

En Belgique, le courant anti-autoritaire radical l’emporte pourtant et le Conseil fédéral belge est transféré à Verviers, centre de l’importante fédération de La Vesdre qui s’est, toujours sans hésitation, rangée au sein de cette tendance. Leur organe, Le Mirabeau, devient l’organe de l’AIT Belgique en décembre 1873. Désiré Brismée n’est plus dès lors qu’un dirigeant parmi d’autres de la Fédération bruxelloise qui s’étiole rapidement avec le non-renouvellement de l’adhésion de la plupart des associations ouvrières. C’est l’échec manifeste de plus de dix ans d’efforts, d’autant plus qu’au sein de ce milieu très réduit, l’accord n’est pas parfait. Laurent Verrycken*, par exemple, défend des positions plus nettement anarchistes, plus proches certainement de celles de Coulon et Pellering qui se retrouvent au Cercle populaire en 1873.

Désiré Brismée s’affirme toujours, notamment dans un discours prononcé à Ensival (aujourd’hui commune de Verviers) le 28 septembre 1873, comme un ferme partisan de la création d’associations ouvrières de secours mutuels, de production et de consommation. Le 18 octobre 1874, lors d’une séance de l’AIT où sont convoqués les représentants des corporations, Brismée propose de tenter, à nouveau, la création d’une fédération des associations, indépendante de l’Internationale. C’est l’origine de la Chambre du travail, fondée en 1875. Au grand dépit des « vieux » internationalistes, la Chambre du travail, sous l’impulsion de Gustave Bazin et de Louis Bertrand, cherche à créer une Union ouvrière nationale à la fin de 1876. Ils ne ménagent guère leurs critiques à l’égard de la nouvelle organisation. Querelle des anciens et des modernes, telle que la définit Louis Bertrand, mais aussi différence de stratégie et d’impact des deux mouvements.
La vieille AIT vivote, au moins jusqu’en septembre 1882, avec des reprises momentanées et la volonté obsolète d’essayer de coiffer les mouvements qui apparaissent et se développent. Désiré Brismée anime régulièrement les réunions de l’AIT et donne de fréquents meetings à Bruxelles, en province, dans le Hainaut surtout en 1879. Les Solidaires se réunissent souvent, chaque semaine, et témoignent d’activités constantes.

Désiré Brismée adhère, en 1877, au Parti socialiste brabançon qu’il représente au Congrès socialiste international de Gand en septembre 1877. Il y défend un rapport consacré « à l’attitude du prolétariat à l’égard des divers partis politiques ». En 1880, le Comité central, en faveur du suffrage universel, décide de présenter, aux élections législatives de juin 1880, quatre candidatures ouvrières dont celle de Brismée qui apparaît, à cette occasion, comme une figure emblématique du mouvement ouvrier à Bruxelles, avec celle de Nicolas Coulon. Les candidats ouvriers obtiennent de 600 à 639 voix, les élus libéraux de 4.924 à 5.500 voix.

Dans la foulée de cette campagne électorale, une manifestation nationale en faveur du suffrage universel se déroule le 15 août 1880 à Bruxelles. Désiré Brismée prend la parole à un des meetings qui la suit. Cette candidature provoque une proposition d’expulsion de Brismée de l’AIT de Bruxelles par les socialistes révolutionnaires qui viennent d’y adhérer. En juillet 1882, Brismée représente le Cercle des soirées populaires rationalistes au Comité de la Ligue nationale pour la réforme électorale à laquelle participent des libéraux progressistes.
Selon Louis Bertrand, Désiré Brismée aurait fait partie encore de l’Union démocratique en 1882, de la Ligue ouvrière de Bruxelles en 1884, mais aucune source ne confirme cette participation. Il a alors soixante ans. A. Lepeer explique cette abstention, qu’elle croit,erronément antérieure, par « l’anarchisme » croissant de Brismée. Or, de 1877 à 1882, il se rallie bien à l’idée de la lutte politique. Il est peut-être proche d’un milieu plus socialiste-révolutionnaire auquel appartient son « jeune » beau-père, Charles Debuyger. Il imprime l’unique numéro du Drapeau rouge, organe de la Ligue collectiviste anarchiste, en 1880 mais n’apparaît dans aucune organisation de ce milieu.
Par contre, Désiré Brismée n’imprime ni La Voix de l’ouvrier (1878-1880) (1884-1885), ni Le Peuple qui paraît dès 1885. Il n’est présent ni en avril ni en août 1885 à la formation du Parti ouvrier belge (POB). Il ne figure pas parmi les signataires du Manifeste républicain de 1884.

Au Congrès du POB d’août 1887 à Mons, au moment de la scission qui conduit à la formation du Parti socialiste républicain (PSR), Désiré Brismée est élu − il réunit le plus de voix − membre du Conseil général sur proposition de Jean Volders qui le présente comme « un ancien combattant de l’AIT, bien connu dans les bassins houillers ». Cette élection au moment où Volders, contesté par les dissidents, se retire du Conseil général, est une tentative d’utiliser un nom connu dans les régions qui fournissent les gros bataillons de la scission.

Aucune source n’indique que Désiré Brismée a effectivement milité au POB à ce moment. Il est vrai aussi que la sphère de la vie privée a peut-être été plus importante : la mort de sa vieille compagne en 1880, le mariage en 1885, deux fils en 1886 et 1887, l’âge, la lassitude, l’inadaptation aux changements, autant d’hypothèses non confirmées de ce retrait. Par contre, il est net que le POB, César De Paepe, son gendre − il le reste manifestement sentimentalement −, feront de ses funérailles un grand événement symbolique des premières années du jeune parti au moment où il traverse de difficiles circonstances en 1887-1888, la participation d’une foule importante, le passé du défunt apportent une légitimation bien nécessaire à ce moment.
En fait, il semble bien que, dans la dernière partie de sa vie, Désiré Brismée se préoccupe surtout de libre pensée. Son discours au Congrès international de Gand de 1877 est à nouveau très anticlérical. Il consacre ainsi une partie de son énergie à l’organisation à partir des Solidaires qu’il dirige toujours, d’une Fédération des sociétés rationalistes de Bruxelles en 1873, puis d’une Fédération nationale formée par le Congrès de Bruxelles des 25 et 26 décembre 1874, puis de la Fédération universelle de libre pensée en août 1880. Brismée fait partie du comité chargé de rédiger le règlement de cette fédération. Cette activité rationaliste apparaît bien à nouveau comme un substitut à l’action ouvrière. Les règlements successifs de ces organisations ressemblent fort à ceux de l’AIT.
Devant l’échec de l’AIT, « classiquement », Désiré Brismée choisit le terrain de la lutte anticléricale où il a d’ailleurs le soutien de C. De Paepe, plus que celui de la lutte sociale ou politique. Il refuse néanmoins d’isoler l’une des autres et établit constamment, dans ses discours, des ponts entre elles. On considère généralement l’anticléricalisme belge comme une conséquence de la situation intérieure mais aussi de la présence de fortes émigrations françaises républicaines et de gauche après le coup d’état de Napoléon « le petit » et suite à la répression de la Commune.

Désiré Brismée a traditionnellement d’importants contacts avec les Français. J. Voglet est né à Paris, il a édité Lamennais. L’imprimerie Voglet-Brismée semble être un lieu de référence à Bruxelles en 1852. En 1871, les français, Émile Aubry, Ernest Vaughan, Emmanuel Chauvière, pour ne citer qu’eux, trouvent refuge et travail chez Brismée. Louis Bertrand écrit : « Les débuts de la proscription furent terriblement pénibles. La plupart arrivaient ici sans ressources. Désiré Brismée, malgré sa pauvreté, ouvrit sa maison à tous et, toute la journée, sa vieille compagne faisait du café et coupait des tranches de pain pour en rassasier les faméliques. » (Socialisme, II, p. 80). Cette attitude vaut en 1848, en 1852, en 1871.

L’AIT de Bruxelles rend ainsi hommage à sa femme, Jeanne Costaguja : « Tous les orateurs ont fait l’éloge de l’épouse Brismée qui, de son vivant, avait ouvert sa porte à tous les révolutionnaires. Sa conduite lui a valu le surnom de « mère ». » Les Solidaires sont un des lieux d’accueil des communards réfugiés à Bruxelles et ils organisent, à plusieurs reprises, des collectes, des fêtes-repas, des soirées de chansons − et Brismée n’hésite pas à chanter à ces occasions −, pour soutenir financièrement les proscrits, leur trouver du travail, défendre les républicains, puis les communards contre les attaques dont ils sont victimes et surtout organiser la solidarité avec ceux qui sont menacés d’expulsion.
Cette particularité récurrente ne doit pas cacher qu’à chaque occasion, Désiré Brismée, au nom d’un incontestable internationalisme, est au premier rang de ceux qui protestent contre les régimes réactionnaires et la répression des courants démocratiques en Pologne, dans l’empire austro-hongrois, en Italie, en France. Il est ainsi chargé, en 1861, de transmettre à Londres, une adresse des démocrates bruxellois à Kossuth et Mazzini. En 1865, Brismée imprime le n°5 de La Tribune de l’internationaliste Ch. Limousin, saisie à Paris. En janvier 1870, il édite et imprime l’Appel aux frères russes de Bakounine. Les contacts avec Bakounine sont à l’origine de la mésentente avec Marx en 1870-1872 alors que les Bruxellois avaient été ses alliés en 1868 et que, sur le fond, le collectivisme de Brismée et de De Paepe était plus proche de Marx que de Proudhon, a fortiori de Bakounine.

Un des rôles majeurs de Désiré Bismée après Voglet est d’avoir offert aux courants démocratiques une imprimerie, instable peut-être avec plus de dix adresses connues, mais permanente, qui a imprimé de nombreux journaux. Outre La Nation (1856), Le Drapeau (1856-1869), Le Journal du peuple (1858), La Tribune du peuple (1861-1869), L’Internationale (1869-1872), La Persévérance (1874-1876), organe des ouvriers marbriers, Le Drapeau rouge (1880), il imprime de nombreux comptes-rendus de congrès, des brochures, des tracts, les rapports des sociétés rationalistes, La Raison, revue anticléricale (1883-1885). Il y met souvent du sien. La Tribune du peuple lui doit de l’argent. En 1877, L’Internationale lui est redevable de 1 700 francs or.
D’un autre côté, ce qui explique aussi le maintien de l’imprimerie, Désiré Brismée a une clientèle politique, pas toujours de ses opinions, qui constitue un fonds de commerce fluctuant peut-être mais récurrent tout au long de la période. L’imprimerie Veuve Brismée restera, par la suite, une entreprise largement sollicitée par les organisations socialistes. Si Brismée n’apparaît pas comme l’ancêtre « naturel » du POB, tel que César De Paepe et Bertrand nous en laissent l’image, si sa trajectoire n’est ni exemplaire ni exemplative de la démocratie de 1840 à sa mort, il n’en demeure pas moins qu’il s’affirme nettement comme un pôle majeur de l’aile social-démocrate du mouvement ouvrier belge.

De 1857 à 1880 certainement, Désiré Brismée est un pilier de l’action démocratique et ouvrière par les Solidaires, le Peuple, l’AIT. Sans lui, César De Paepe serait-il devenu l’un des principaux théoriciens socialistes de l’époque, son imprimerie le centre d’attraction pour de nombreux proscrits, pour d’innombrables militants ? Sa pensée ne domine pas son action mais l’inverse. Il varie souvent à propos de la question politique. Partisan du suffrage universel au début des années 1860, il est un adversaire résolu de l’ancrage politique du mouvement ouvrier pendant l’AIT, pour reprendre l’idée en 1877.
Par contre, Désiré Brismée apporte deux constantes irréductibles, l’anticléricalisme et le courant associatif. L’anticléricalisme, développé sans discontinuité, veut libérer le travailleur non seulement de son aliénation économique et sociale mais aussi et surtout de l’aliénation idéologique aux croyances et préjugés. De ce point de vue libre exaministe, athée certainement, violemment antireligieux, Brismée marque son époque. La limitation du travail des enfants, l’instruction obligatoire doivent permettre la formation d’individus libres, conscients et combatifs. L’association mutuelle de secours, de production et de consommation, qui formera la base et l’originalité de la social-démocratie belge, apportera aux travailleurs les moyens de leur émancipation sociale et économique. Acteurs d’associations autonomes, de communes indépendantes fédérées les unes aux autres, les travailleurs modifieront ainsi le régime inique imposé par la bourgeoisie. C’est bien là du « proudhonisme » influencé par la situation belge, bien différent aussi par l’apport collectiviste de C. De Paepe, que Brismée soutient fermement en particulier au Congrès de 1874 de l’AIT.

Désiré Brismée est également un internationaliste convaincu, présent aux divers congrès internationaux de 1869 à 1877, qui n’a pas hésité à mettre ses pratiques en accord avec ses convictions. Mais il représente également une figure contradictoire comme celle de ses adversaires de toujours, Nicolas Coulon et Jan Pellering. Incontournable comme eux à Bruxelles, il a pesé sur son entourage, de son autorité d’artisan indépendant, croissante encore avec l’âge. Nombreux sont les militants qui ont été brisés à son contact comme au leur.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article139437, notice BRISMÉE Désiré, Jean, François. [Belgique] par Jean Puissant, version mise en ligne le 5 mars 2012, dernière modification le 6 décembre 2023.

Par Jean Puissant

ŒUVRE : Lettres d’un guillotineur à un futur guillotiné, Bruxelles, 1865 − Causerie socialiste. Association et travailleur AIT Ensival 27 septembre 1873, Bruxelles, 1873 − De l’attitude du prolétariat à l’égard des divers partis politiques, rapport présenté au Parti socialiste brabançon, Bruxelles, 1877.

SOURCES : WOUTERS H., Documenten betreffende de geschiedenis der arbeidersbeweging (1831-53), delen I-III, Leuven-Paris, 1963 (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 27) − WOUTERS H., Documenten betreffende de geschiedenis der arbeiderwbeweging (1853-1865), Leuven-Paris, 1966 (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 40) − WOUTERS H., Documenten betreffende de geschiedenis der arbeidersbeweging ten tijde van de Ie Internationale (1866-1880), delen I-III, Leuven-Paris, 1970-1971 (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 60) − FREYMOND J. (dir.), La Première Internationale. Recueil de documents, 4 vol., Genève, 1962-1971 − BERTRAND L. , Histoire de la coopération en Belgique. Les hommes - Les idées - Les faits, 2 t., Bruxelles, 1902-1903 − BERTRAND L., Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830, 2 t., Bruxelles, 1906-1907 − LEPEER A., Een proeve tot biografie van Désiré Brismée, een socialistisch militant (1822-1888), Onuitgegeven licentiaatsverhandeling, RUG, Gent, 1965 − DEVREESE D., Documents relatifs aux militants belges de l’Association internationale des travailleurs, Louvain-Paris, 1986 (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 79) − ABS R., « Brismée (Désiré, Jean-François) », dans Biographie nationale, vol. 37, col. 95-100 − La République belge, 26 février 1888 (icono).

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