DEFRÉ Alice, Thérèse, Théodorine, épouse BRON. Pseudonyme : Jean Fusco.

Par Jean Puissant

Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 28 octobre 1850 – Cannes (département des Alpes Maritimes, France), 26 février 1904. Femme d’œuvre, première femme présidente d’un Bureau de bienfaisance, collaboratrice de la presse socialiste, membre du Parti ouvrier belge.

Alice Defré-Bron est la fille de Louis Defré (1814-1880), avocat libéral, bourgmestre d’Uccle (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), qui a suivi les conférences de Victor Considérant* en Belgique et qui, sous le pseudonyme de Joseph Boniface, est l’un des principaux polémistes anticléricaux du milieu du siècle.

Issue donc des milieux bourgeois libéraux de la capitale, Alice Defré épouse en 1874 Arthur Bron (1840-1900), ingénieur de l’Université de Liège, régisseur puis directeur en 1878 des Hauts-Fourneaux de Monceau-sur-Sambre (aujourd’hui commune de Charleroi, pr. Hainaut, arr. Charleroi) et fondateur des Boulonneries du Nord à Marchienne-au-Pont (aujourd’hui commune de Charleroi, pr. Hainaut, arr. Charleroi) en 1891.

Alice Bron s’installe donc au cœur du bassin industriel de Charleroi en pleine croissance. Elle explique en 1897 : « Tout de suite la classe ouvrière m’aima, moi je lui devins toute dévouée. Malgré cela, je restais une mondaine, une bourgeoise, cossue, charitable, certes, mais consacrant plus de temps à son moi égoïste qu’à ses devoirs de fraternité ».

Les grèves du printemps 1886 secouent l’existence provinciale du couple (voir leur participation au Cercle littéraire et la Libre pensée de Marchienne). L’usine est épargnée par les « émeutiers » en raison de l’attitude de ses ouvriers qui, selon Alice Bron, en défendent l’intégrité du 27 au 28 mars mais aussi de la présence d’un bivouac de cent soldats du 28 au 30 mars. Il n’empêche que les événements la bouleversent et Alice Bron parcourt sa commune à l’écoute des plaintes ouvrières... « Prêchons le calme et la patience aux déshérités ; soyons actifs à combattre la misère ; dévoilons les crimes de lèse-pitié ; forçons par tous les moyens les gens à être charitables. »

Alice Bron crée et subsidie une école ménagère à Monceau, puis une société féminine de secours mutuels. Son intérêt pour la classe ouvrière et pour les femmes s’additionne. En 1897, elle écrit : « La femme et le peuple ne sont-ils pas des jumeaux procréés par l’injustice et la tyrannie ? Ne sont-ils pas victimes tous deux de lois iniques faites et appliquées par l’homme d’une part, la bourgeoisie de l’autre ? » Elle propose ses services à l’hospice de Virton (pr. Luxembourg, arr. Virton), où l’administration libérale, ayant congédié les religieuses, ne trouve pas de personnel laïque. On lui attribue ainsi le titre de « première infirmière laïque » du pays. Elle provoque vite le scandale en réunissant pensionnaires, hommes et femmes, au réfectoire comme elle joint un coq aux 21 poules du poulailler.

En 1893, Alice Bron est élue au bureau de bienfaisance de la commune de Monceau dont elle devient bientôt la présidente. Le fait entraîne une intervention, au Parlement, qui conteste la nomination d’une femme à cette fonction. En 1894, dans son livre Les gavés et les meurts de faim, elle raconte : « Je commençai ma tournée et, dès les premières heures, j’eus une révolte contre une société qui permettait de telles détresses corporelles et morales ; j’eus un dégoût profond pour ceux qui, sans honte, exploitent les chefs de famille et paient leur luxe et leurs plaisirs de toutes ces vies humaines, de toutes ces larmes, de toutes ces inénarrables souffrances. Et je me promis de me consacrer toute à atténuer, dans la mesure de mes moyens d’action, les effets lamentables de pareils dénis de justice, de dénoncer les crimes odieux des capitalistes qui bénéficient de l’impunité, de lutter sans trêve ni merci pour les petits, les humbles et les meurtris ». Des passages de cet ouvrage sont publiés par Le Peuple.

Alice Bron adhère au Parti ouvrier belge (POB). Gustave Defnet l’invite à collaborer régulièrement à l’organe du POB, Le Peuple. Elle le fait pendant près de trois ans. Elle donne meetings et conférences notamment à propos de la réforme des bureaux de bienfaisance qu’elle préconise. Mais le 28 août 1897, on lui interdit de collecter en faveur des suppliciés anarchistes de Montjuich, à l’intérieur du pavillon de la coopérative, la Maison du peuple, à l’exposition de Bruxelles. Elle renonce à sa collaboration au Peuple et dénonce l’hypocrisie des hommes politiques qui, comme Jules Renkin*, Carton de Wiart*, Lorand*, Émile Vandervelde*, acceptent de participer à un comité d’aide mais refusent tout geste pratique de solidarité avec « les victimes de la réaction espagnole ».

Dans un vigoureux pamphlet, Appel aux honnêtes gens, en 1897, Alice Bron fustige l’arrivisme au sein du POB, les tentatives d’alliance anticléricale avec des libéraux - « vous n’êtes plus qu’un parti politique, un parti bourgeois » -, les exclusions qui frappent les militants d’extrême-gauche. Dans cette critique, elle est soutenue par l’organe namurois devenu anarchiste, La Bataille. Elle est annoncée, en vain, au Congrès socialiste indépendant de Liège, le 11 avril 1898, qui réunit exclus du POB et anarchistes.

Mais la politique n’intéresse pas Alice Bron. Elle le justifie en 1894 : « Surtout qu’on ne m’accuse pas de faire de la politique ; je l’ai en horreur parce qu’elle signifie la plupart du temps intolérance et injustice, parce qu’elle dessèche le cœur et tue les beaux élans généreux au profit des satisfactions d’ordre personnel ».

Lors d’un meeting à Seraing (pr. et arr. Liège), Alice Bron précise que « le socialisme que je défends est un socialisme libertaire ». Libérale progressiste, femme d’œuvre en 1886, elle s’est rapprochée du POB, sans doute à l’occasion de son mandat au bureau de bienfaisance de Monceau. Elle propose une profonde réforme de ces bureaux mais, contrairement à certains socialistes, défend leur maintien notamment en 1896. « … Certes, on établira des pensions de retraite pour les vieux ouvriers et les invalides du travail ; des caisses pour couvrir les pertes du chômage ; on pourrait même faire de la mutualité une obligation, d’autres créations suivront et malgré cela, malgré tout, je prétends que si on supprime la bienfaisance publique, on la rétablira. On aura beau tout prévoir - ou, avec la présomption humaine, s’imaginer tout prévoir - il surviendra encore des cas particuliers qui nécessiteront des secours particuliers. »

Alice Bron propose en 1894 de créer, pour financer les dépenses des taxes de luxe, des taxes sur les bénéfices, les honoraires des professions libérales mais surtout un droit de succession de 50% au 3ème degré, de 100% à partir du 4ème. « Ce qui doit disparaître, c’est cette protection officielle donnée aux riches, aux cumulards, aux odieux bonshommes égoïstes qui crèvent de bonne chair ; c’est cet abandon légal de créatures qui ont faim, froid, qui souffrent. Et pourquoi, je vous prie ? La nature ne nous crée-t-elle pas tous de même ? La naissance et la mort sont-elles différentes pour les riches et pour les pauvres ? Ne venons-nous pas pareillement au monde dans l’ordure, pour nous évanouir dans la pourriture et l’oubli final ? »

Dans sa critique du parlementarisme du POB en 1897, Alice Bron lui demande : « Si vous voulez absolument être des parlementaires - triste race - tâchez au moins de l’obtenir le moins salement possible, la propreté absolue n’existant jamais en politique. Et, pour cela, mettez-y le temps. Dussiez-vous attendre cinq, dix, quinze, vingt ans, attendez mais arrivez seuls. » Elle insiste également sur l’indépendance syndicale. « Si les aspirants députés ne peuvent se passer de l’appui syndical, les syndicats peuvent parfaitement se passer de l’action parlementaire et, par conséquent, se développer, je ne dirai pas en dehors du socialisme - et ce ne serait pas à leur conseiller - mais en dehors du parti ouvrier. »

Devenue veuve, Alice Bron gagne l’Afrique du Sud pour devenir infirmière aux côtés des Boers, victimes de l’impérialisme britannique. On ne sait rien sur ce séjour. Elle meurt en 1904 à Cannes où elle est inhumée dans une fosse commune civile.

Alice Bron laisse donc une œuvre politique qui n’est pas sans intérêt même si le regroupement de l’extrême-gauche antiparlementaire, opposée à l’alliance avec les libéraux et des libertaires, est un échec. Elle laisse également quelques romans, sans valeur littéraire mais utiles en raison des informations véhiculées. « Elle pourrait, bien malgré elle, être classée parmi les naturalistes les plus rigoureux », écrit G. Van Welkenhuysen. Elle accompagne pourtant ses écrits, de préfaces anti-naturalistes critiquant vivement Émile Zola pour sa vision perverse des ouvriers et outrancière de la bourgeoisie. Du moins a-t-elle rejoint plus tard Zola dans sa dénonciation du conformisme bourgeois. Son statut de bourgeoise aisée lui a permis une incontestable liberté de ton, soulignée aujourd’hui par les féministes, mais aussi les socialistes qui trouvent en elle une des premières manifestations d’existence de femmes socialistes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article139467, notice DEFRÉ Alice, Thérèse, Théodorine, épouse BRON. Pseudonyme : Jean Fusco. par Jean Puissant, version mise en ligne le 5 mars 2012, dernière modification le 5 janvier 2020.

Par Jean Puissant

ŒUVRE : Sous le pseudonyme de Jean FUSCO, Isidore Pistolet, doctrinaire de l’avenir, Bruxelles, 1884 – Mademoiselle Corvin, Paris, 1886 – Pietro Seracini. Mœurs d’artistes, Paris, 1890 – Chez nous, Paris, 1894 – BRON A., Les gavés et les meurts de faim, Bruxelles, 1894 – La réorganisation de la bienfaisance publique, Bruxelles, 1896 – Appel aux honnêtes gens, Bruxelles, 1897 – Hôpitaux étrangers. Comment nos malades devraient être soignés, Bruxelles, 1903.

SOURCES : GOFFIN L., Une femme extraordinaire : Alice Bron, bourgeoise contestataire, No Moncha, 6, 1971, 86 p. – BRUWIER M., « Le socialisme et les femmes », dans 1885-1985. Du POB au parti socialiste, Bruxelles, 1985, p. 309-334 – Portrait à l’Institut Émile Vandervelde, Bruxelles.

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