LLOBÈRES Charles

Par André Balent

Né le 12 juillet 1922 à Thuir (Pyrénées-Orientales), mort le 4 avril 2007 à Perpignan (Pyrénées-Orientales) ; instituteur puis inspecteur départemental de l’Éducation nationale ; évadé de France ; militant communiste ; militant du SNI puis du SNIDEN.

Fils de Jacques, François, Joseph Llobères*, cultivateur (en 1922) à Thuir et d’Anne Nou, Charles Llobères naquit dans une famille militante. Son père Jacques, né en 1882, sa mère Anne Nou, née en 1890 (décédée en 1954) et son oncle Sylvestre Llobères* furent tous trois des militants communistes de Thuir pendant les années 1930. Sa sœur Denise épousa le militant communiste thuirinois Sauveur Quintane*.

Charles Llobères se maria à Thuir le 15 avril 1946 avec Hélène, Thérèse Payré dont il eut deux filles, Annie et Claude. Durant une grande partie de sa vie, ceux qui le connurent ont pu constater sa ressemblance frappante avec le chanteur Charles Trenet qui vécut de longues années à Perpignan.

Dès son enfance, Charles Llobères vécut dans une ambiance de militance communiste. Lui-même expliqua qu’il parcourait l’Humanité dès qu’il sut lire. Son père milita au Parti communiste dès sa fondation. Bûcheron puis ouvrier agricole, il avait ouvert avec sa femme une épicerie-mercerie à Thuir, grosse bourgade des Aspres, au sud-ouest de Perpignan, à douze kilomètres de cette ville. Bon élève, marqué par l’influence d’Isidore Clerc, directeur de l’école de Thuir qui lui communiqua le goût de l’étude et de la lecture. Charles Llobères se présenta, à l’issue du cours supérieur au concours départemental des bourses (première série) afin de pouvoir poursuivre sa scolarité secondaire au collège de Perpignan. Il fut reçu onzième. Mais la patente payée par son père fut jugée trop élevée pour pouvoir obtenir cette bourse. Ses parents envisageaient un apprentissage de menuisier lorsqu’il fut reçu au concours départemental des bourses (deuxième série) qui lui permit d’intégrer l’école primaire supérieure de Perpignan à la rentrée d’octobre 1935. Dès lors, demi-pensionnaire à Perpignan, il rentrait tous les soirs à Thuir. Mais les études ne l’empêchèrent pas de participer aux travaux des champs et partit, l’été avec d’autres adolescents camper au Racou, près d’Argelès ou à Collioure.

Charles Llobères poursuivit ensuite ses études en deuxième et troisième année à l’EPS de Perpignan. Mais, entre temps, à quatorze ans, il avait adhéré au groupe de Thuir des JC qui groupait alors une dizaine de membres et dont le secrétariat était assuré par Étienne Maso. Il participait à la diffusion militante de L’Avant-Garde, à des collages d’affiches et aux fêtes du parti et des jeunesses. À cette époque, il n’éprouvait qu’admiration pour la « transformation exemplaire de la société qui élaborait en Union soviétique ». Il avoua, beaucoup plus tard que « les échos des crimes staliniens ne nous [lui et ses camarades de la JC] troublaient pas ». Il fut bientôt très concerné, par la Guerre civile espagnole qui soulevait beaucoup d’intérêt et de passions dans les Pyrénées-Orientales, département frontalier dont beaucoup d’habitants avaient des relations de toutes sortes avec le pays voisin. À Thuir, le PC participait activement aux collectes en faveur des républicains et son père eut l’occasion d’aller à plusieurs reprises à Barcelone. Charles Llobères confessa dans son autobiographie que, avec ses camarades communistes, ils en voulaient « à ces anarchistes qui contestaient la hiérarchie, l’autorité » et qu’ils accusaient d’affaiblir leur camp en empêchant l’organisation du combat contre l’adversaire commun ».

En octobre 1938, Charles Llobères entra en quatrième année à l’EPS pour préparer le concours d’entrée à l’école normale de Perpignan. Grand lecteur, lui qui avait vécu jusqu’alors dans l’ignorance de la religion chrétienne, découvrit la Bible à partir d’une version espagnole qu’il récupéra sur une des routes qui conduisaient les réfugiés de la Retirada vers le camp d’Argelès-sur-Mer : sa vision de la religion fut modifiée par cette lecture. En 1939 ses parents, sa sœur et son beau-frère accueillirent de espagnols républicains envoyés par le PC.

En 1988, Charles Llobères pensait que les « explications du parti communiste [à propos du pacte germano-soviétique] ne nous convainquirent qu’à moitié. Mais le sentiment qui dominait parmi les communistes thuirinois était, selon lui, que « le parti devait avoir raison » et qu’ « il fallait le suivre, même si c’était plus difficile » dans « une situation peu confortable, encore moins quand on a mauvaise conscience ». Mais, dans un premier temps, les communistes thuirinois ne purent nouer de contacts avec les organisations clandestines du PC et de la JC.

En octobre 1940, il rentra à l’EPS préparer le brevet supérieur. Plusieurs professeurs le marquèrent, parmi lesquels Louis Mas*, professeur de mathématiques et Jean Vieilledent, professeur de sciences naturelles et directeur de l’EPS. Ce fut pendant l’année scolaire 1940-1941 qu’il entama une liaison avec Hélène Payré, une Thuirinoise âgée de seize ans qui devait sa femme après la Seconde Guerre mondiale. Communiste, Llobères fut « étonné » par l’attitude courageuse du député-maire SFIO de Thuir, Louis Noguères*, un des quatre-vingt parlementaires qui refusèrent de voter les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940 car il ne croyait « pas un socialiste capable d’une telle résolution ». À l’EPS, un jeune communiste, Jean Rostand, lui remettait l’Humanité clandestine et les tracts des JC. Il reprit ainsi contact avec l’activité politique. Jusqu’à l’arrestation de ce dernier, le 9 février 1941, il l’aida occasionnellement à distribuer des tracts de la JC, faisant ainsi son entrée dans l’action clandestine. Pendant cette année scolaire, il décida d’abandonner la perspective du brevet supérieur et décida de se présenter au concours d’entrée à l’école normale. Reçu premier sur treize candidats, il ne put effectuer son entrée à l’École normale d’instituteurs de Perpignan, car comme toutes les autres, elle avait, entre temps été supprimée par Vichy en application de la loi du 18 septembre 1940 et du décret du 15 août 1941. Il entra donc, comme ses camarades de promotion, en octobre 1941, interne en seconde au collège de Perpignan, le futur lycée de garçons de la ville.

En septembre 1941, l’arrestation de son oncle Sylvestre pour « outrages au chef de l’État » puis sa condamnation à trois mois de prison le révoltèrent et accrurent encore davantage son rejet de Vichy. Mais c’est à la fin de 1942, après l’occupation de zone sud par les forces allemandes, qu’il reprit contact, par l’intermédiaire de son père avec l’organisation clandestine du PC qu’il avait perdu de vue depuis l’arrestation de Rostand. Il distribua des tracts dans son village natal avec Michel Léal* et Auguste Nivet. Mais bientôt, il fut menacé par le STO. Les premiers réfractaires de Thuir, contactés par deux militants communistes, Gilbert Mestres et Pierre Mach*, constituèrent à Caixas, dans les Hautes Aspres, un premier maquis. Au printemps de 1943, Llobères participa au ravitaillement de ce maquis. Mais l’arrestation de Pierre Mach sema le trouble dans son esprit. Le retour de captivité de son beau-frère Sauveur Quintane* qui intégra presque aussitôt l’action clandestine l’amena à envisager une autre solution que celle, aléatoire, des premiers maquis. Comme beaucoup de Catalans, résidant dans un département frontalier, la possibilité de rejoindre les forces de la France Libre était l’alternative, même si elle répugnait aux dirigeants communistes — dont ceux de Thuir — qui pensaient qu’il fallait renforcer la résistance intérieure, le FN et les FTPF plutôt que de servir de supplétifs aux « gaullistes » de la résistance extérieure. Avant de s’engager plus en avant dans l’action clandestine, il présenta la première partie du baccalauréat à laquelle il fut reçu « avec mention bien sans trop travailler ».

Sauveur Quintane le mit, dès juillet 1943, en contact avec les FTPF du département. Il prit contact avec le responsable interrégional « cadres », Marceau Dupin* qui résidait dans un hôtel de la place Cassanyes à Perpignan. Ayant rédigé une « bio », et muni d’une fausse carte d’identité, il aurait dû, en théorie, devenir un agent de liaison des FTPF avec d’autres départements. Mais Dupin fut arrêté le lendemain avec toutes ses bios. Mis au courant du danger, Llobères revint à Thuir et décida de se cacher dans un mas isolé où habitait une belle-sœur de Bonaventure Ausseil*, militant du PC, ami de son père. Décision d’autant plus judicieuse que, par ailleurs la convocation pour le STO lui était parvenue. D’autre part, il apprit rétrospectivement que la section spéciale de Montpellier le condamna le 31 janvier 1944. Mais, la planque, dans son esprit n’était que provisoire car il avait pris la décision de rejoindre les FFL car selon lui l’action du PC dans sa volonté de mettre en place des formations de FTPF et constituer des maquis lui « apparaissait brouillonne, conduite par des responsables parfois incapables ou même inconscients ». Il refusa donc à Michel Léal de reprendre contact avec les FTP en gare de Perpignan. Son père prévint François Cros, de nationalité espagnole, qui, de Prats-de-Mollo organisa son passage en Espagne. En deux jours, à pied, il atteignit Prats-de-Mollo puis la frontière. Grâce à l’aide d’un contrebandier, toujours à pied, il atteignit Olot puis, avec le train, Gérone où il savait qu’il retrouverait son ami Jean Pujol, militant thuirinois de nationalité espagnole en qui il avait toute confiance. Avec la complicité d’un cheminot il put rejoindre Barcelone en train revêtu d’uniforme de caporal de l’armée espagnole prêté par un conscrit complice. Il put contacter la Croix rouge française de Barcelone (le « consulat bis », antichambre officieuse des FFL après avoir été une officine giraudiste. Avec une situation régularisée, il attendit pendant plusieurs semaines d’être transféré en Afrique du Nord via Madrid et Malaga. Le 2 décembre 1943, enfin deux bateaux transportèrent Llobères et ses compagnons « évadés de France » au Maroc. En tant que volontaire il avait la possibilité de choisir son affectation. Diplômé, on pouvait le recruter dans l’aviation. Il choisit cette arme avec, en prime, une formation de pilote aux États-Unis. Il suivit une formation initiale à la base aérienne de Casablanca. Le 15 mai 1944, il embarqua sur un Liberty Ship pour les États-Unis. Il fut affecté à la base de Craig Field à Selma (Alabama) puis, début septembre 1944, à la Hauthorne School of Aeronautics à Orangeburg (Caroline du Sud) où il apprit le pilotage et enfin, le 25 novembre 1945 à nouveau à la base aérienne de Gunter Field (Alabama) où il reçut son diplôme de pilote le 1er février 1945. Il y poursuivit son entraînement pour devenir pilote de chasse. Après un séjour à Maxwell Field, et un peu de tourisme, il quitta les États-Unis le 19 juin 1945. Le 3 juillet, il était à Oran. Il quitta l’Algérie par avion le 24 septembre 1945 et démobilisé revint à Thuir.

Il dut terminer ses études professionnelles interrompues par la guerre tout en préparant la deuxième partie du baccalauréat. Il entra en octobre 1945 à l’École normale d’instituteurs de Foix (Ariège), car, quelques années après la guerre, les écoles normales de Foix et de Perpignan furent regroupées : les garçons des Pyrénées-Orientales allaient à Foix alors que les filles de l’Ariège poursuivaient leurs études normales à Perpignan. À la rentrée de 1946, il retrouva son département d’origine et fut affecté pour une année scolaire à La Bastide, petite commune des Hautes Aspres. De 1948 à 1957, il fut instituteur en classe de perfectionnement à Thuir et de 1957 à 1960, il enseigna les Lettres et l’Histoire-Géographie au cours complémentaire de Thuir. Ayant été reçu en 1960, au concours de recrutement d’Inspecteurs départementaux de l’Éducation nationale (IDEN), il fut nommé cette même année à Langres (Haute-Marne) où il demeura jusqu’en 1963. IDEN à Villeneuve-sur-Lot de 1963 à 1968, il fut ensuite affecté dans les Pyrénées –Orientales. Il y fut chargé de la vaste circonscription de Prades englobant le Riberal roussillonnais, le Conflent, le Capcir et la Cerdagne.

Charles Llobères milita dans les rangs du Parti communiste français jusqu’en 1956. Il fut un temps secrétaire de cellule à Thuir et dut se résoudre à exclure de vieux camarades qui avaient bien connu André Marty. et lui avaient conservé son estime. En 1985, il estimait qu’agissant de la sorte, par raison d’ « efficacité », il avait « abdiqué une partie de son intelligence ». Selon son témoignage la connaissance « historique » de la réalité soviétique lui ouvrit les yeux. « Désillusionné », il ne rompit avec le parti en 1956, sans que, selon lui, l’affaire hongroise ait joué un rôle particulier dans sa décision. Toutefois, toujours pour des raisons d’ « efficacité », il vota longtemps pour le PCF, avant de se rapprocher du PS dans les années 1970. Il envisagea d’adhérer au PS mais il ne l’a pas fait « pour des raisons professionnelles » et pour « garder son indépendance ».

Militant syndicaliste, Llobères, était, dès le 13 décembre 1946, secrétaire de la commission des jeunes du syndicat unique de l’enseignement des Pyrénées-Orientales (FEN). Il fut élu au conseil syndical du SU de l’enseignement par l’Assemblée générale du 24 novembre 1947 où, avec Bassole, Baylard*, Bazerbe*, Cavaillé, Gazeu*, Georges Mas, Montagut*, Pey, Sors* et Sunyer, il représentait les enseignants du premier degré. Le passage à l’autonomie de la FEN en 1948, entraîna la fin du SU. Llobères appartint pendant quelque temps à la direction du SNI dont Léon Sors assura le secrétariat départemental jusqu’à sa mort en janvier 1952. Il abandonna ensuite ses responsabilités syndicales. Par la suite, il adhéra au SNIDEN (FEN) dont il fut un temps le secrétaire départemental pour les Pyrénées-Orientales. En 1969, il inspecta, à la demande de parents d’élèves l’instituteur d’Enveitg, un village de Cerdagne. Il fut interpellé par les militants de l’École Émancipée et cet incident fut évoqué par Christian Baudelot et Roger Establet dans leur livre L’école capitaliste en France. Llobères fut très affligé par tout cela et fut longtemps tenaillé par le remords.

Après sa retraite, il publia (1980) un témoignage biographique d’un grand intérêt où il retraça ses années de jeunesse et de guerre (1935-1945).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article139524, notice LLOBÈRES Charles par André Balent, version mise en ligne le 4 mars 2012, dernière modification le 9 mars 2015.

Par André Balent

OEUVRE : Autobiographie citée dans les Sources, traitant de la période 1935-1945.

SOURCES : Arch. com. Thuir, état civil, acte de naissance de Charles Llobères et mentions marginales. —Archives du SNI et du syndicat unique détenues par Michel Ribera, instituteur retraité des PO, consultées en juillet 1984. — Christian Baudelot et Roger Establet, L’école capitaliste en France, Paris, François Maspero, 1971, 347 p. —Charles Llobères, Tu gagneras ta liberté. Récit, Perpignan, L’histoire au singulier, imprimerie Michel Fricker, 1980, 198 p. — Georges Sentis, Les communistes dans la Résistance dans les Pyrénées-Orientales. Biographies, Lille, Marxisme / Régions, 1994, 183 p. [p. 130]. —Entretien avec Charles Llobères, Thuir, 2 avril 1985. —Souvenirs de l’auteur de la notice.

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