MASCOLO Dionys, Orphée, Alcibiade

Par Jérôme Duwa

Né le 11 février 1916 à Saint-Gratien (Val-d’Oise), mort le 20 août 1997 à Paris (XIIe arr.) ; membre du comité de lecture, puis responsable du secteur étranger de Gallimard, essayiste et philosophe, occasionnellement acteur ; résistant (MNPGD, Combat) ; militant communiste (1946-1950).

Originaire du sud de l’Italie, le père de Dionys Mascolo exerça divers métiers, dont celui de commissaire-priseur. Lors de la naissance de Dyonis, il était musicien. Ses opinions politiques étaient celles d’un homme de droite. Après avoir habité Saint-Gratien, la famille vécut au Raincy, puis s’installa à Paris vers le milieu des années 1930. Au moment de la mort de son père, Mascolo avait à sa charge sa mère et un plus jeune frère. Après avoir passé le baccalauréat par correspondance, il se forma ensuite par lui-même, porté par sa seule passion pour la littérature, la philosophie et la lutte politique.

Avant d’entrer dans la maison Gallimard comme membre du comité de lecture, grâce à l’amitié du neveu de Gaston Gallimard, Michel, qui avait été son condisciple à l’École alsacienne, Mascolo fut garçon de courses durant deux ans et secrétaire administratif au Comité d’organisation des métaux non-ferreux. Il devint ensuite responsable du secteur étranger de Gallimard.

Durant l’Occupation, à partir de 1943, Mascolo participa sous le nom de lieutenant Masse au Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés (MNPGD) dirigé par François Mitterrand*, alias Morland. Il faisait partie de la « bande à Antelme » qui comprenait aussi Marguerite Duras, sa compagne depuis l’été 1942. Il avait fait la connaissance de cette jeune écrivain prometteuse dans le cadre de ses fonctions chez Gallimard ; elle lui présenta Robert Antelme au printemps 1943. Dans le cadre de leurs activités de résistance, les trois amis firent la connaissance d’un militant communiste, le futur sociologue Edgar Morin*, qui convainquit d’ailleurs Mascolo de prendre sa carte au Parti communiste français.

À la fin de la guerre, grâce à l’intervention de François Mitterrand, alors membre du gouvernement provisoire, il se rendit en Allemagne avec Georges Beauchamp pour y chercher Robert Antelme, déporté, qui se trouvait à Dachau « à bout de force ». Il relata cet épisode dans Autour d’un effort de mémoire, publié en 1987.

Avec Robert Antelme et Marguerite Duras, il participa à la fondation des Éditions de la Cité universelle. Il y publia en avril 1946, sous le pseudonyme de Jean Gratien, une Introduction à des Œuvres choisies de Saint-Just. Deux autres livres furent publiés par ces éditions : L’Espèce humaine de Robert Antelme et L’An zéro de l’Allemagne d’Edgar Morin.

La commune exclusion du Parti communiste en 1950 de Duras, Antelme et Mascolo tenait essentiellement à la polémique engagée avec les cadres de la Commission des intellectuels dirigée par Laurent Casanova*, assisté de Jean Kanapa* et Pierre Daix*. D’accord avec ses amis, Mascolo partageait le point de vue d’un écrivain italien dont ils avaient publié une interview dans Les Lettres françaises, le 13 juin 1947 : Elio Vittorini. Tous préconisaient l’absence d’intervention du Parti communiste dans le domaine de la création artistique. Mais cette option ne correspondait pas à la ligne politique du réalisme socialiste, notamment défendue par Louis Aragon.

Pour Mascolo, le peu de crédit dont bénéficiait à ses yeux la bureaucratie stalinienne du PCF n’eut pas pour conséquence de le détourner du communisme, auquel il entendait bien « s’entêter » à rester fidèle. Ce terme d’ « entêtement » est repris en sous-titre d’un recueil de ses textes : À la recherche d’un communisme de pensée (1993). Le communisme de pensée ne forma pas un idéal inaccessible, il existait concrètement dans l’amitié et au sein de la classe ouvrière. Si sa défiance s’était accrue au fil du temps à l’égard de « l’organisation » communiste, sa confiance en « l’énergie révolutionnaire » ou en « l’exigence communiste vivante », comme il l’écrivit encore en novembre 1967 dans Le Nouvel Observateur, ne s’était jamais altérée. Le vote communiste demeurait à son sens le seul à entraîner la « condamnation de la bourgeoisie capitaliste française ».

Trois ans après son exclusion du Parti communiste français, en 1953, Mascolo publia chez Gallimard son grand ouvrage intitulé Le Communisme. Le besoin constitua le point de départ fondamental de cette pensée matérialiste : le « refus révolutionnaire » passe par la conscience d’un manque élémentaire, qui exige absolument son dépassement, « sans idée préconçue » de ce vers quoi l’on se dirige. En 1955, clarifiant le sens du mot « gauche », il opposa la pensée révolutionnaire à la revendication de « gauche », par essence humaniste. Il y a déjà une conception de l’homme dans la pensée de « gauche », alors que le seul critère valide pour le révolutionnaire est celui de la négation de l’état de fait de la société.

L’appartement qu’il occupait rue Saint-Benoît avec Marguerite Duras devint à partir de l’après-guerre un lieu d’échanges intellectuels très actifs, réunissant des révolutionnaires en marge des réunions de cellule du Parti communiste : on parle du « groupe de la rue Saint-Benoît ». On y croisait Maurice Merleau-Ponty, Edgar Morin, Claude Roy*, Maurice Nadeau, Jacques-Francis Rolland, Jean-Pierre Vernant*, Jean Pouillon…

Mascolo s’y singularisa par son charisme exceptionnel. À la parution de son livre sur Le Communisme, deux commentaires signalèrent l’importance de l’ouvrage et furent emblématiques de la reconnaissance de son auteur : celui de Maurice Blanchot, qu’il connaissait depuis 1943, pour avoir travaillé sur la demande de Gallimard à composer son recueil Faux pas, et celui d’André Breton.

Ses rapports avec les surréalistes ne firent que se renforcer jusqu’à la dissolution du groupe parisien en 1969. Deux jeunes surréalistes contribuèrent particulièrement à renforcer ces relations : Gérard Legrand (1927-1999) et Jean Schuster (1929-1995), deux fidèles de la rue Saint-Benoît. L’un et l’autre représentèrent le groupe surréaliste dans le cadre du Comité d’action contre la poursuite de la guerre en Afrique du Nord (1955) dont Mascolo était à l’origine. Ils s’associèrent également au Cercle international des intellectuels révolutionnaires (1957), qui prolongea les actions du Comité en y intégrant le soutien aux insurgés hongrois et polonais de 1956. Ces deux organisations engagées dans le combat anticolonial débouchèrent logiquement sur la Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie (1960) appelée communément Manifeste des 121. Ce texte fut directement inspiré par Mascolo, qui y associa d’abord Jean Schuster, avant que Maurice Blanchot n’apportât à son tour sa contribution décisive. Ce dernier était d’ailleurs sorti de sa réserve politique en 1958, en se déclarant solidaire du journal anti-gaulliste Le 14 juillet dirigé par Mascolo et Schuster. Aux côtés de Blanchot, Mascolo soutint également à partir de 1960 le projet d’une Revue internationale, qui ne vit finalement pas le jour : il s’agissait de prolonger le changement politique consécutif au Manifeste des 121.

Après la fin du conflit algérien, la nouveauté politique du régime cubain séduisit Mascolo qui se rendit avec de nombreux intellectuels à l’invitation de Fidel Castro avant de s’en désolidariser, lorsque le leader cubain exprima en 1968 son soutien aux troupes du Pacte de Varsovie occupant la Tchécoslovaquie. Peu de temps avant, au printemps 1967, Mascolo avait pu prendre la mesure du désir de liberté s’exprimant dans la société tchèque : il avait accompagné ses amis surréalistes organisant une exposition à Prague sur Le Principe de plaisir à la faveur des assouplissements du régime conduit par Alexander Dubcek.

Durant les mois de mai et juin 1968, l’unité des intellectuels anti-colonialistes et anti-gaullistes se reconstitua naturellement à Paris : nombre d’entre eux se retrouvèrent dans le Comité d’Action étudiants-écrivains qui se réunissait à la Sorbonne, puis à Censier, et qui se dota d’un organe, la revue Comité (n° 1, octobre 1968) : Blanchot et Mascolo en furent les contributeurs essentiels.

Le grand mouvement d’union révolutionnaire par delà les partis officiels qui avait commencé à se réaliser au cours des années 1950 se perpétua à travers les comités de 68. Les années qui suivirent furent celles d’un reflux révolutionnaire, mais Mascolo ne se laissa pas gagner par le pessimisme. Je suis ce qui me manque, cette sentence propre à l’espèce humaine, qu’il formula en 1987 dans son livre sur Robert Antelme est celle d’un communisme indépassable.
Il se maria le 12 février 1977 avec Solange Leprince.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article139553, notice MASCOLO Dionys, Orphée, Alcibiade par Jérôme Duwa, version mise en ligne le 5 février 2012, dernière modification le 4 juillet 2022.

Par Jérôme Duwa

ŒUVRES : Le Communisme. Révolution et communication ou la dialectique des valeurs et des besoins, Gallimard, 1953. – Autour d’un effort de mémoire. Sur une lettre de Robert Antelme, Maurice Nadeau, 1987. – À la recherche d’un communisme de pensée, Fourbis, 1993. – Haine de la philosophie. Heidegger pour modèle, Jean-Michel Place, 1993. – Nietzsche, l’esprit moderne et l’Antéchrist, Fourbis, 2000. – De L’amour, Benoît Jacob, 1999. – Entêtements, Benoît Jacob, 2004. – Sur le sens et l’usage du mot « gauche », Éditions Lignes, 2011.

SOURCES : Arch. Dionys Mascolo / Imec. – Arch. Jean Schuster / Imec. – Pierre Assouline, Gaston Gallimard. Un demi-siècle d’édition française, Balland, 1984. – « Avec Dionys Mascolo », Lignes n° 33, Hazan, mars 1998. – Maurice Blanchot, L’Amitié, Gallimard, 1971. – André Breton, Perspective cavalière, Gallimard, 1970. – Ariane Chebel d’Appollonia, Histoire politique des intellectuels en France. 1944-1954 tome II, Éditions complexe, 1991. – Jérôme Duwa, 1968, année surréaliste, Imec éditions, 2008. – Jérôme Duwa, « Le manifeste des 121 : "nous conduire à voir, non à oublier " », Écrire et publier la guerre d’Algérie. De l’urgence aux résurgences, sous la direction de Thomas Augais, Mireille Hilsum, Chantal Michel, Éditions Kimé, 2011. – « Le dossier de La Revue internationale, 1960-1964 », Lignes n° 11, Séguier, 1990. – Jean Mascolo et Jean-Marc Turine, Autour du groupe de la Rue Saint-Benoît de 1942 à 1964. L’esprit d’insoumission, Benoît Jacob vidéo, 2002. – Pierre Péan, Une Jeunesse française. François Mitterrand 1934-1947, Fayard, 1994. — Le 14 juillet, Lignes, rééd. 1990. — État civil.

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