LAGROSILLIÈRE Joseph [LAGROSILLIÈRE Marie, Samuel, Joseph]

Par Justinien Raymond

Né le 2 novembre 1872 à Sainte-Marie (Martinique), mort le 6 janvier 1950 à Paris (XVe arr.) ; avocat ; négociant ; agriculteur ; militant socialiste depuis 1896 ; député de la Martinique de 1910 à 1924 et de 1932 à 1942 ; ne prit pas part au vote du 10 juillet 1940 ; exclu du Parti socialiste SFIO en novembre 1944, réintégré en 1948 ; franc-maçon.

Joseph Lagrosillière appartenait à une famille créole de propriétaires, relativement fortunée. Après avoir accompli ses études secondaires aux Antilles, il suivit, à partir de 1894, les cours de l’École coloniale et de la Faculté de droit de Paris. Licencié en droit, il s’inscrivit aux barreaux de Paris et de Tunis avant de regagner la Martinique où il continua l’exercice de sa profession d’avocat, devint bâtonnier de l’Ordre à Fort-de-France, tout en exploitant comme agriculteur et comme commerçant les plantations familiales.

Au cours de ses études à Paris, Lagrosillière adhéra en 1896 au Groupe des étudiants collectivistes, fonda en 1897 le groupe des Antilles socialistes : il entrait ainsi dans le mouvement socialiste qu’il devait servir avec quelques éclipses. Au premier congrès général des organisations socialistes françaises de la salle Japy à Paris (1899) il représenta trois groupes de la Guadeloupe adhérents du POF : le syndicat des ouvriers du Canal et de Sainte-Anne, et le groupe socialiste du Gosier. Par sa propagande, par l’action du journal Le Prolétaire qu’il dirigeait, il devint, à partir de 1901, le chef de file du mouvement ouvrier antillais, le principal organisateur de groupements socialistes et de syndicats. Militant parallèlement dans la Libre Pensée, il combattit le cléricalisme dont il dénonça à plusieurs reprises l’action aux Antilles dans l’Humanité. En 1902, il fut candidat socialiste aux élections législatives et échoua. Il devait perdre sa femme dans l’éruption de la montagne Pelée. Après cette catastrophe, Lagrosillière gagna la France et dénonça les scandales qui, selon lui, présidaient à la distribution des secours. Dans le Mouvement socialiste, dans une brochure, Le cas Gérault-Richard, il mit en cause le directeur de La Petite République engagé dans des tractations aux Antilles. Les ripostes furent vives, en France et à la Martinique. Alors Lagrosillière quitta les Antilles et, pour deux ans, alla s’installer en qualité d’avocat à Saint-Pierre-et-Miquelon où il continua sa double action militante. C’est de cette terre lointaine qu’en mai 1905, il salua par un télégramme l’unité socialiste réalisée en France. Il représenta la fédération de la Martinique aux congrès nationaux de Chalon-sur-Saône (octobre 1905) et de Saint-Quentin (1911).

Revenu à la Martinique, il y prit la direction du Prolétaire, fut élu conseiller général par le canton de Sainte-Marie et, en 1910, au premier tour, député socialiste de la 2e circonscription de l’île (arr. de l’Est) par 5 760 voix sur 15 406 inscrits et 10 566 votants. Il reprit sa place au barreau de Paris. Battu au conseil général, mais nommé maire de Sainte-Marie, il fut réélu député en 1914, au premier tour, par 7 480 électeurs sur 16 248 inscrits et 13 504 votants. Mais il n’appartint à aucun groupe pendant cette onzième législature. En 1919, il fut cependant réélu comme socialiste, redevint conseiller général de Sainte-Marie, tout en restant maire du chef-lieu du canton. À nouveau éloigné du Parti socialiste, il ne fut pas réélu en 1924. Il reprit rang au barreau de la Martinique et il fut élu président du conseil général de l’île. Aux élections législatives de 1928, son siège échut à L.-O. Frossard, mais Lagrosillière avait rallié la SFIO et il fut, cette année-là, un de ses délégués au congrès de Bruxelles de l’Internationale ouvrière socialiste. En 1932, sous son égide, il fut réélu député par 6 226 voix sur 24 295 inscrits et 8 939 votants. L’année suivante il quitta la SFIO. Le 23 octobre 1933, il compta au nombre des vingt-huit députés qui rompirent avec la discipline du groupe parlementaire pour voter le projet de redressement financier du gouvernement Daladier. Le 9 novembre, il s’inscrivit à l’Union socialiste et républicaine, groupe parlementaire du Parti socialiste de France, dit parti néo-socialiste, constitué quatre jours plus tôt. Sous son drapeau, Lagrosillière fut réélu en 1936 député dans la même circonscription : arrivé en tête au premier tour avec 6 116 voix, il l’emporta au second par 8 718. Vivant à Paris, sous l’occupation allemande, il se rapprocha du Parti socialiste reconstitué clandestinement et son appartement devint un lieu habituel de réunions clandestines.

Au cours de sa carrière parlementaire, Lagrosillière siégea tour à tour aux commissions de la Marine militaire, de Législation civile et criminelle, des Comptes définitifs et économies, des Colonies, du Suffrage universel. Il s’intéressa aux questions de leur ressort et notamment à celles qui touchent à l’économie de la Martinique : aux sucres, rhum et alcool, aux droits de douane, à la marine marchande.

Par ses articles dans la presse socialiste, par ses interventions dans les congrès, il s’efforça de donner à la SFIO une doctrine sur les problèmes coloniaux. Le 26 mai 1926, au congrès de Clermont-Ferrand, il critiqua les positions qu’elle avait prises antérieurement, leur imprécision, leur caractère purement négatif. Il reprocha au parti socialiste de s’en remettre à l’idée d’une internationalisation des colonies sous l’égide de la SDN, au lieu d’apporter la solution nationale qu’il se doit d’élaborer dans un esprit socialiste. « Aux Colonies, comme dans la métropole, déclara-t-il, le socialisme doit poursuivre son objectif révolutionnaire de la transformation de la propriété capitaliste en propriété sociale » (C. rendu, p. 561).

Les 21 et 22 juin 1934, Lagrosillière comparut devant les assises de la Seine, accusé d’avoir été corrompu par les démarcheurs de la banque Adam qui avait fondé la Société générale pour le développement de la Martinique. Il reconnut la matérialité des faits, niant qu’il s’agît de corruption. Il fut un temps privé de ses droits politiques. Il avait été initié le 21 juin 1899 par la Loge maçonnique Les Trinitaires. Selon d’autres documents, c’est en avril de la même année qu’il avait été initié. Il devint compagnon en 1900 et Maître en 1901. Selon un document des archives du Grand Orient, il avait été élevé à la Maîtrise non pas aux Trinitaires, mais à la Loge Les Étudiants. Il démissionna des Trinitaires en octobre 1904. Par la suite il fut affilié aux loges suivantes : France et colonies (Grand-Orient) en 1905, il fut radié pour défaut de paiement en 1908 ; Les Étudiants (Grand-Orient), il fut radié de cette loge pour défaut de paiement en 1909 ;L’Internationale (Grand-Orient), en mai 1927. Il participa à la fondation, en mai 1909, de la loge Droit et Justice à Fort-de-France (sans doute Grand-Orient), dont il fut (à une date inconnue), l’Orateur. Après la seconde Guerre mondiale il ne reprit pas ses activités maçonniques.

Brochure : La Question de la Martinique, Paris, 1903, in-16, 91 p. (Extrait du Mouvement socialiste des 1er et 15 décembre 1902). Bibl. Nat. 8° Lk 12/1 535.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article139631, notice LAGROSILLIÈRE Joseph [LAGROSILLIÈRE Marie, Samuel, Joseph] par Justinien Raymond, version mise en ligne le 10 février 2012, dernière modification le 5 novembre 2019.

Par Justinien Raymond

ŒUVRE : Journaux : Lagrosillière a collaboré aux journaux suivants : Le Prolétaire, son organe martiniquais dont il était directeur. — L’Aurore. — La Presse coloniale. — Le Mouvement socialiste.

SOURCES : Arch. Ass. Nat., dossier biographique. — Hubert-Rouger, La France socialiste, op. cit., p. 365. — L’Humanité, 13 mai 1905, 10 juin 1910. — La Nouvelle Revue socialiste, 1re année, n° 8, 15 juillet-15 août 1926, pp. 555 à 562. — Le Populaire, 23 et 24 juin 1934. — Arch. OURS, dossier biographique. — France-Antilles, 1er décembre 1972. — J. Jolly, Dictionnaire des parlementaires français, t.6, PUF, 1970. — M. Gaudart de Soulages et H. Lamant, Dictionnaire des Francs-maçons français, Albatros, 1980.

ICONOGRAPHIE : L’Humanité, 10 juin 1910. — La France socialiste, op. cit., p. 365.

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