LUPI Dominique

Par Jacques Girault

Né le 26 septembre 1885 à Piana (Corse), mort le 4 décembre 1979 à Toulon (Var) ; instituteur puis professeur ; militant syndicaliste ; militant socialiste SFIO dans le Var ; conseiller d’arrondissement, conseiller général, adjoint au maire de Toulon.

Son père, charretier et petit propriétaire, « sujet italien » en 1885, sa mère qui tenait la boulangerie du village, firent donner une éducation religieuse à leurs deux enfants. Dominique Lupi, plus tard, ne fit pas baptiser les siens. L’instituteur du village le prépara au brevet élémentaire et à l’École normale d’instituteurs d’Ajaccio où il entra en 1903, à la différence de son frère qui échoua au concours et devint militaire. Les trois années d’école normale contribuèrent à une ouverture d’esprit tout en imposant une dure discipline. Il fut remarqué pour la qualité de son expression écrite. Nommé successivement à Galeria, à Propriano, à Corbera, il devint instituteur au cours complémentaire de Bastia en 1923. Il se maria en août 1909 à Galeria avec la sœur de son ancien directeur à Bastia. Son beau-frère qui écrivait en langue corse lui apporta beaucoup.
Après avoir effectué en 1907 un an de service militaire dans l’infanterie à Antibes (Alpes-Maritimes), Lupi adhéra à l’Amicale des instituteurs. Il était abonné avant 1914 à la Revue de l’enseignement primaire et primaire supérieur, à L’École émancipée (pour sa partie pédagogique essentiellement), à l’Humanité, à La Guerre sociale et aux Temps nouveaux.
En Corse, l’Amicale entretenait des rapports étroits avec l‘administration. Or le vice-recteur faisait régner la terreur dont l’affaire Paoli en 1912 fut un exemple. L’Amicale ne prit pas immédiatement position contre le déplacement arbitraire de cet instituteur. Aussi la petite section syndicale, affiliée à la section du Rhône de la Fédération nationale des syndicats d’instituteurs, décida-t-elle de rédiger un bulletin mensuel. Lupi en fut le responsable dès le premier numéro en mars 1912, rédigé en « ortografe simplifiée » selon les règles de Barès et imprimé à Saumur (Maine-et-Loire) par une imprimerie ouvrière. Il signa, dès le numéro de juillet 1912, un article réclamant l’unification des traitements. Ces instituteurs syndiqués animaient la vie de l’Amicale. Ils lui firent prendre position dans l’affaire Paoli. Au congrès de Chambéry, en août 1912, le délégué corse occupa, en raison de cette affaire, une place importante. Peu après, un député corse demanda la dissolution des syndicats, ce que fit le ministre Guist’hau, le 23 août. Le conseil syndical, le 5 septembre, décida de se soumettre à l’ordre préfectoral par trois voix contre deux (dont celle de Lupi). Devant les pressions des syndiqués, la section syndicale survécut péniblement encore quelques mois.
Dominique Lupi, un des sept premiers instituteurs corses, signa le Manifeste des instituteurs syndiqués et fut frappé de la peine de « réprimande » par le vice-recteur, le 18 octobre 1912, sanction levée le 12 décembre 1913. Il démissionna de l’Amicale peu après, désapprouvant son esprit de collaboration avec l’administration.
Lupi, qui votait régulièrement pour les candidats du clan Landry, clan de « gauche », appartenait alors au petit groupe de socialistes de Bastia qui se réunissait sous le portrait de Gustave Hervé.
Réformé en 1913, Dominique Lupi, non mobilisé, approuva la politique de « l’Union sacrée » jusqu’à la fin des hostilités. Il désapprouvait le pacifisme de l’École émancipée qu’il continuait à recevoir pour sa partie pédagogique, mais fut un « fervent adepte » de la révolution russe. Socialiste SFIO, il suivit la majorité ralliée au communisme, mais revint à la fin de 1921 à la « vieille maison ». Préparant le concours de l’inspection primaire, il se mêlait peu à la vie politique.
Sur le conseil de l’inspecteur d’Académie corse du Var, Lupi obtint une nomination comme instituteur à l’école de La Moutonne, dans la commune de La Crau en octobre 1925. Après un an à La Garde, puis à l’école du quartier du Pont-du-Las à Toulon où habitait une forte colonie corse, ayant obtenu trois certificats de licence à la faculté des Lettres d’Aix, il fut délégué comme professeur adjoint de Français et d’Italien à l’école primaire supérieure Rouvière où il enseigna jusqu’à sa retraite en juin 1940. Fréquentant les associations sportives locales, selon la police, il commentait dans ses classes les résultats sportifs, tous les lundis matins.
Dominique Lupi, membre de la section départementale du Syndicat national des instituteurs, ne militait pas, mais donnait des cours du soir pour adultes à la Bourse du Travail. Initié dans la loge « La Réunion » du Grand-Orient de France en 1931, il franchit régulièrement tous les degrés.
Abonné au Populaire, adhérent à la section socialiste SFIO de Toulon, Dominique Lupi devint membre de sa commission administrative en 1932. Après la scission des amis de Pierre Renaudel, il resta au Parti socialiste SFIO et participa à la réorganisation du Parti. Il partageait les analyses de Jacques Toesca. Toutefois, pour les élections municipales de 1935, il désapprouva l’entente avec les amis de Louis Gozzi. Réticent vis-à-vis de la réunification syndicale, il présida néanmoins un meeting de fonctionnaires contre les décrets-lois, le 15 mars 1936 à la Bourse du Travail. Non membre du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, il présidait, le 7 novembre 1936, une réunion des Amis de l’Union soviétique. Militant de la Ligue des droits de l’Homme, de la Libre Pensée, il adhérait aussi au Rassemblement universel de la Paix.
Après le décès de son collègue de l’école Rouvière Alexandre Carréga, Lupi le remplaça pendant quelques mois au secrétariat général de la Fédération départementale des fonctionnaires. Il fut désigné comme candidat socialiste SFIO pour lui succéder au Conseil d’arrondissement dans le troisième canton de Toulon (Est de la ville). Sa profession de foi soulignait qu’il était « un militant sportif ». Il s’occupait en effet de rugby et animait le journal Toulon-sports tout en devenant administrateur du Rugby Club Toulonnais de 1937 à 1967. La campagne électorale, comme lors de l’élection complémentaire de Joseph Risterucci comme conseiller municipal, se fit essentiellement sur le thème du soutien au gouvernement Léon Blum, réponse directe aux critiques des communistes. Le 24 janvier 1937, il obtint 1 442 voix sur 11 504 inscrits et fut élu, le dimanche suivant, avec 2 816 voix. Il fut désigné comme président du Conseil d’arrondissement et déposa, en 1938, une motion demandant la suppression de ces assemblées qu’il jugeait inutiles.
Le sous-préfet de Toulon, à la fin de 1937, indiquait à son sujet : « jouit d’une réelle autorité ». Sa connaissance de l’Italien lui valait des nombreux liens avec l’immigration transalpine. En raison de son mandat de conseiller d’arrondissement, il intervint à plusieurs reprises pour empêcher l’expulsion d’Italiens antifascistes. Bruno Bassano le fit nommer « Président d’honneur de la Ligue italienne des droits de l’Homme et du Citoyen ». Pour les conflits du travail, il fut désigné par les syndicats et le Préfet comme arbitre pour la partie ouvrière. Il intervint notamment lors de la grève à la fin de 1937 lancée par le syndicat des employés des transports en commun de la société des automobiles Delahaye. Le 10 décembre 1937, il devint secrétaire général du Comité départemental de Front populaire et secrétaire du comité de Toulon (selon la police, il le présida). En janvier 1939, il annonça qu’il ne serait plus candidat à cette responsabilité.
Dans le Parti socialiste SFIO, Lupi émit des réserves lors de la non-intervention en Espagne, mais approuva les positions de Léon Blum à partir de 1938, se séparant ainsi de Toesca. Au congrès fédéral du 21 mai 1939, il soutint à la tribune la motion Blum.
Au début de la guerre, Dominique Lupi fut dénoncé dans la presse locale (Le Petit Var, 21 octobre1941) comme officier de la loge « La Réunion ». Son départ à la retraite lui évita la révocation. Il participa à la Résistance avec le groupe « Libération » ou en relations avec Marc Baron et le vénérable de la Loge, Paul Custaud. Il donna des renseignements aux réseaux F2 et Jade Fitzroy. Il portait alors un faux nom, Liccia, habitant 12 rue Chevalier Paul à Toulon né à Bastia. Il quitta quelque temps Toulon pour l’Isère où il entra en relations clandestines avec les résistants de Saint-Marcellin (Isère).
A son retour à Toulon, Lupi participa à quelques séances du Comité local de Libération et à la reconstitution de la section socialiste et de la Franc-Maçonnerie. Au sein du comité de la fédération socialiste SFIO, en octobre 1944, il fut, selon les Renseignements généraux, délégué aux Jeunesses socialistes. Il figurait parmi les cinq militants, membres du comité fédéral clandestin de la SFIO, “exemptés de comparaître“ devant le comité fédéral du 4 décembre 1944. Il fut élu au comité fédéral lors de la réunion suivante.
Lupi, candidat aux élections municipales du 29 avril 1945, sur la liste conduite par Risterucci, arrivée en deuxième position, obtenait 10 331 voix sur 60 364 inscrits (cinquième de la liste). Pour le second tour, une seule liste se présenta composée selon les rapports de force. Il fut élu en avant-dernière position avec 30 972 voix. Délégué aux logements, à l’état civil, il s’occupa des questions de réquisitions.
Pour l’élection au Conseil général, la situation dans le quatrième canton de Toulon (Est de la ville et proches communes) faisait problème. Le conseiller sortant, l’ancien député socialiste SFIO Michel Zunino n’avait pas réintégré le Parti et se présentait avec l’étiquette « Front national ». La fédération socialiste SFIO ayant décidé de maintenir tous ses candidats, Dominique Lupi, resté seul contre lui au deuxième tour, fut élu, le 30 septembre 1945, avec 3 871 voix sur 10 869 inscrits. Au Conseil général, il fit partie de la commission des travaux publics comme secrétaire, de la troisième commission (agriculture, instruction publique, vœux), de la commission des transports, de celles des œuvres de sécurité sociale, des HBM et des sinistrés, des bourses scolaires (dont il fut le rapporteur). Il représenta l’assemblée départementale au conseil d’administration de l’office public d’HBM, au Conseil départemental de l’instruction primaire, au comité départemental de l’enseignement technique, au comité consultatif du travail, au comité départemental d’agrément pour la reconstruction, à la commission d’appel des lois d’assistance, à la commission tripartite des salaires du personnel des établissements hospitaliers, à la commission de surveillance des prisons, au syndicat des communes du littoral varois. Il ne retrouva pas son siège en mars 1949 arrivant en troisième position avec 1 852 voix sur 11 090 inscrits le 20 mars. Le RPF maintint son candidat. Il fut battu au deuxième tour avec 2 374 voix par le communiste Zunino. Il ne sollicita pas de nouveau mandat par la suite.
Son activité politique se concentra à la vie politique, fort mouvementée, de Toulon. En octobre 1947, il fut un des dix conseillers municipaux socialistes élus. Les vingt-trois socialistes et communistes, faute d’accord, permirent au RPF Louis Puy, minoritaire, d’être désigné à la tête de la municipalité. En mars 1949, à la suite d’un scandale, la dissolution intervint. Aux élections générales du 8 mai 1949, la liste « d’action républicaine et socialiste pour une meilleure administration de Toulon », avec cinq MRP et une majorité de socialistes eut sept élus, dont Lupi qui obtint 10 863 voix et signes préférentiels. Il devint vice-président du Bureau de Bienfaisance. Le RPF conserva la mairie (16 élus), le PCF obtenant 14 élus.
Aux élections municipales générales du 26 avril 1953, Lupi figura parmi les sept élus de la « liste républicaine et socialiste » avec 10 200 voix et 2 399 signes préférentiels (troisième position) sur 73 245 inscrits. Le socialiste Édouard Le Bellegou devint maire à la suite d’un accord avec la liste ARS du maire sortant à la suite d’un accord négocié par une délégation socialiste où Dominique Lupi, doyen d’âge des élus socialistes, joua un grand rôle. Il devint quatrième adjoint, délégué à l’Instruction publique, au théâtre et aux beaux-arts. Cette entente s’avéra fragile. En février 1955, une « bombe » selon la presse éclata. En dépit des orientations nationales de la SFIO, les socialistes toulonnais s’entendirent avec les communistes pour former une nouvelle majorité. Lupi restait quatrième adjoint avec les délégations du contrôle des services concédés, des élections, des personnels, du nettoiement. Là encore, Lupi, avec l’accord de cinq autres conseillers socialistes, avait négocié avec les communistes un « protocole d’accord » sur « un programme administratif » sauvegardant « l’indépendance politique » de chacun. Mais à la suite du désaccord d’un édile socialiste, sensible à la pression d’une grande partie des élus socialistes du Var, l’opération ne dura pas et, quelques jours plus tard, faute d’une majorité, le conseil municipal fut à nouveau dissous. Lors des réunions du comité de la fédération socialiste, Lupi réaffirma sa pleine solidarité avec Le Bellegou. Le 22 mai 1955, Lupi, réélu sur la « liste d’action municipale républicaine et socialiste » avec 11 278 voix et signes préférentiels (cinquième position), resta quatrième adjoint à la suite d’un nouvel accord avec les élus communistes. Ses délégations furent l’Instruction publique, les musées, la bibliothèque, l’école des Beaux-Arts, les fêtes et cérémonies, le théâtre. Après les événements de Hongrie, à l’automne 1956, les délégations étant retirées aux adjoints communistes, il devint deuxième adjoint au maire avec notamment les délégations culturelles en novembre 1956.
Au renouvellement du 8 mars 1959, la liste « d’union républicaine et socialiste d’action municipale » recueillit 12 758 suffrages et neuf élus, dont Lupi. Les communistes proposèrent un accord municipal dans le cadre d’un conseil dirigé par un maire communiste puisque les élus communistes étaient plus nombreux. Maurice Arreckx fut élu après trois tours de scrutin. Le scrutin devint majoritaire. Le 14 mars 1965, la liste du « Front démocratique pour la défense des libertés locales et des intérêts toulonnais », avec Lupi, obtint 8 982 voix sur 95 789 inscrits, se retira pour le deuxième tour sans donner de consignes de vote.
Dominique Lupi continua à militer au sein de la section socialiste de Toulon, toujours chargé des questions de la presse. Membre du comité fédéral dans les années 1960, il participa à des rencontres en novembre 1970 entre Le Bellegou et Édouard Soldani pour « parler des élections municipales ». Il participa aux négociations avec le maire sortant qui échouèrent pour un accord municipal qui ne se fit pas. Sans donner d’explications, il ne figura pas sur la liste des partis de gauche aux élections municipales de 1971. Il ne partagea pas les réticences de nombreux socialistes varois à l’égard du nouveau Parti socialiste et du Programme commun de la gauche.
Lupi ne put lire un message d’adieu des socialistes toulonnais aux obsèques de son ami Le Bellegou. Ce texte fut publié dans la presse locale.
En raison d’une longévité exceptionnelle, il était un des types de socialistes toulonnais, franc-maçon, corse, « strictement socialiste », électoraliste, réticent à l’égard du communisme, dévoué et discipliné.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article139637, notice LUPI Dominique par Jacques Girault, version mise en ligne le 10 février 2012, dernière modification le 29 mars 2022.

Par Jacques Girault

SOURCES : Arch. Nat., F7 14996.. — Arch. Dép. Var, 2 M 3 52, 6 35 ; 4 M 49, 50, 54, 59 2, 3, 4 3 ; 18 M 13 ; 3 Z 2 10, 14, 23, 16 5, 10. — Arch. OURS, fédération du Var. — Arch. Fondation Jean Jaurès, 12 EF 83. — Arch. Jean Charlot (Centre d’histoire sociale du XXe siècle). — Archives Jean Charlot (Centre d’histoire sociale du XXeme siècle. Université de Paris I). — Archives Julien Sauli et Étienne Verniéri. — Presse locale. — Renseignements fournis par l’intéressé, par sa fille. — Notes de Jean-Marie Guillon. — Sources orales.

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