MATARASSO Léon, Albert dit Léo (dit Sorel)

Par Frédérick Genevée

Né le 2 juillet 1910 à Salonique (Empire ottoman, aujourd’hui Grèce), mort le 14 février 1998 à Paris ; résistant ; avocat communiste puis tiers-mondiste.

Léo Matarasso naquit à Salonique d’Albert Matarasso et d’Esther Cohen. Sa famille appartenait à l’importante communauté juive séfarade de cette ville surnommée la Jérusalem des Balkans. On y parlait le judéo-espagnol mais la famille Matarasso était aussi francophone et francophile. Albert Matarasso était banquier et propriétaire de L’Indépendant, journal francophone de la communauté juive. Léo Matarasso était donc né sous souveraineté ottomane. En 1912, il devint grec après la défaite ottomane lors de la première guerre balkanique et la prise de contrôle de la ville par la Grèce. Il ne maîtrisait pourtant aucune des deux langues. Léo Matarasso arriva en France en 1925-1926 sans doute pour poursuivre sa scolarité. Il fut naturalisé en 1932. Il poursuivit alors des études de droit à Toulouse, passa un doctorat dans cette discipline et s’inscrivit au barreau de Paris en 1934.

Poursuivant ou voulant accélérer son intégration républicaine, il fut initié en 1933 à la Loge Fraternité des peuples à Paris, affiliée au Grand Orient de France. Il devint maître en 1938. Il est peu probable qu’après la guerre, il continua d’être maçon même si le PCF leva l’interdiction de la double affiliation en 1945.

Il évolua alors dans les milieux surréalistes et artistiques comme son oncle Henri et son cousin Jacques, libraires à Paris puis à Nice. Léo Matarasso fut mobilisé au début de la guerre et se réfugia en juillet 1940 à Aurillac dans le Cantal, département d’origine de sa femme, Blanche Poirier, elle-même avocate et avec laquelle il a eu une fille Agnès. Il rejoignit le mouvement de résistance Libération-Sud en juillet 1942 dont il prit la direction dans le Cantal en mars 1943 sous le pseudonyme de Sorel. En contact avec son frère Jacques, réfugié dans la clinique psychiatrique dirigée par Lucien Bonnafé à Saint-Flour en Lozère, il servit notamment d’intermédiaire pour l’impression des œuvres résistantes de Paul Éluard.

Léo Matarasso participa au directoire départemental des MUR et adhéra au PCF en septembre 1943. Illégal à partir de février 1944, il fit partie du Comité départemental de Libération. Après la guerre, il milita au Mouvement national judiciaire et fut choisi en 1946, après avis positif de la commission des cadres du PCF, par Joë Nordmann pour devenir l’un de ses collaborateurs. Il fit venir chez lui, avenue Hoche ses parents qui firent partie des rares survivants de la communauté juive de Salonique. Son frère Jacques était alors ingénieur et permanent de la CGT.

En 1948, il présenta un rapport à la réunion des juristes communistes et participa à la vie de l’Association internationale des juristes démocrates. En 1949, il vota l’exclusion de la section yougoslave sur fond de rupture entre Tito et Staline. Avec Joë Nordmann, il participa aux grands procès de la guerre froide comme les affaires Kravchenko et l’Internationale des traîtres. De 1952, date de sa création à 1955 qui en vit la fin, il fut rédacteur en chef de la Revue progressiste de Droit français. En 1952, il participa à la défense collective des inculpés du « complot des pigeons ». Il défendit notamment Jacques Duclos* alors inculpé d’atteinte à la sûreté de l’Etat. En 1955, il fut élu au bureau national du Secours populaire.

Avec la guerre d’Algérie, Léo Matarasso devint l’un des principaux avocats anticolonialistes. Il forma un tandem efficace avec Maître Gisèle Halimi lors des événements d’El Halia (Procès d’El Halia en Algérie) en 1958. Il fut notamment le défenseur d’Henri Alleg ; c’est lui qui l’incita à écrire ce qui devint La Question et fit sortir les manuscrits de la prison. Convaincu du caractère essentiel de ce témoignage sur la torture, il chercha à le faire publier en dehors des maisons d’édition du PCF et finit par convaincre Jérôme Lindon à la tête des éditions de Minuit de la faire.

En 1960, il offrit « l’asile professionnel » à Georges Kiejman alors jeune avocat. Ils partagèrent plus de trente ans le même cabinet, rue de Tournon. Ce fut aussi un spécialiste des affaires de presse et en 1963, il fit condamner Maurice Papon pour saisie illégale de Libération.

L’expérience algérienne fut pour lui essentielle et lui fit découvrir les réalités du tiers-monde qui devint le centre de gravité de son action. Il fut le défenseur de Ben Barka, d’Henri Curiel… Il participa en 1966 au Tribunal Russell contre la guerre du Viet-Nam.

Il entra en conflit avec la direction du PCF à propos de mai 1968. Il signa alors une tribune à la direction du PCF publiée dans Le Monde avec une quarantaine d’intellectuels communistes. Les 1er et 3 juin 1968, il participa au débat entre la direction du PCF et les contestataires. On peut aussi penser que l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie contribua à l’éloigner du PCF. À partir de 1969, il participa à la revue contestatrice Politique Aujourd’hui. Cette participation et ses critiques politiques lui auraient valu d’après René Boyer, lui-même avocat et alors secrétaire du comité du Ier arrondissement du PCF d’être exclu formellement du PCF. On ne trouve trace de cette décision dans les archives du PCF mais elle aurait eu lieu en octobre 1969 en même temps que celle de l’avocat Roger Dosse dont l’exclusion temporaire est attestée par ces mêmes archives.

Malgré cette rupture, il poursuivit son action contre la guerre du Viet-Nam et participa au comité Viet-Nam National. Il approfondit alors sa réflexion juridique et politique notamment sur les Tribunaux d’opinion. Il s’associa ainsi aux efforts du socialiste de gauche italien Leilo Basso pour créer la Ligue Internationale pour les Droits et la Libération des Peuples en 1976. Il en devint même le premier président. Le 4 juillet de la même année, il fut l’un des principaux rédacteurs de la déclaration d’Alger. À l’initiative de la fondation Leilo Basso et de la ligue internationale, les participants y adoptèrent la Déclaration universelle des droits des peuples. Cette déclaration eut un fort retentissement et servit d’appui aux tribunaux d’opinion comme le tribunal Russell 2 sur l’Amérique Latine. Elle fut aussi au fondement de la création du Tribunal Permanent des Peuples en 1979. Léo Matarasso s’investit ensuite notamment pour la cause palestinienne, la défense de la révolution sandiniste qui faisait face à l’intervention américaine… Attaché culturellement au PCF, il ne rejoignit aucune autre organisation politique.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article139889, notice MATARASSO Léon, Albert dit Léo (dit Sorel) par Frédérick Genevée, version mise en ligne le 10 mars 2012, dernière modification le 29 avril 2021.

Par Frédérick Genevée

ŒUVRE : La Nationalité française, commentaire du Code de la nationalité française, Paris Editions techniques, 1948. — Préface à Jacques Duclos, Écrits de la prison, Editions sociales, 1952

SOURCES : Archives comité nationale du PCF. — Archives du Grand Orient de France. — Fonds Nordmann, IHTP. — La Défense, la revue progressiste de droit français. — L’Humanité. — Hommage à Léo Matarasso, séminaire sur le droit des peuples, CEDETIM, LIDLP, CEDIDELP, L’Harmattan, 2004. — Gisèle Halimi, Le Lait de l’oranger, Gallimard, 1988. — Entretiens avec Laure et Jacques Matarasso.

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