Par Jules Pirlot
Liège (pr. et arr. Liège), 12 juillet 1908 − Liège, 6 août 1968. Instituteur puis professeur de mathématiques, dirigeant syndical de la Centrale socialiste du personnel enseignant, militant communiste, résistant, conseiller communal de Liège, député de l’arrondissement de Liège de 1946 à 1949 et de 1965 à 1968, secrétaire général puis président du Parti communiste belge.
La mère d’Ernest Brunelle, Hélène Vincent, native de Paris, ménagère, est une femme de gauche. Son père Arthur Burnelle, né à Fexhe-Slins (aujourd’hui commune de Juprelle, pr. et arr. Liège) dans la région liégeoise, est un ouvrier armurier travaillant à son domicile. Il est de tendance anarchiste mais il évoluera vers le socialisme puis le communisme. Il affronte les « forces de l’ordre » lors d’une manifestation pour le suffrage universel en 1911.
Ernest Burnelle grandit sur les hauteurs de Liège, dans le quartier Saint-Gilles, aux confins de Saint-Nicolas, parmi les enfants de mineurs et d’armuriers. Il reçoit une éducation athée. Diplômé instituteur par l’École normale Jonfosse de la ville de Liège à dix-neuf ans, il poursuit avec succès un régendat scientifique à l’École normale de l’État de Nivelles (aujourd’hui pr. Brabant wallon, arr. Nivelles). En autodidacte, il approfondit ses connaissances en mathématiques, étudie l’allemand, l’anglais, l’italien et le néerlandais et s’intéresse à la langue russe.
En 1930, à l’issue de son service militaire comme sous-officier d’artillerie, il devient instituteur puis professeur de mathématiques à l’Institut Jonfosse (école moyenne).
Adepte d’une pédagogie et d’une politique progressistes, Ernest Burnelle participe aux formations de l’Internationale des travailleurs de l’enseignement (ITE, liée à l’Internationale syndicale rouge), organisées en France en 1935, 1936 et 1937. Sur son terrain liégeois, influencé par Théo Dejace*, il se lance dans le syndicalisme et devient, en 1937, président de la régionale liégeoise de la Centrale du personnel enseignant socialiste, organisation syndicale affiliée au Parti ouvrier belge (POB). Il devient secrétaire du Comité d’action du personnel enseignant liégeois et du Front commun syndical rassemblant divers syndicats sectoriels.
L’époque est au rapprochement des socialistes et des communistes. Les jeunes enseignants de gauche, comme Burnelle et Dejace, appuient la Jeune garde socialiste unifiée (JGSU), le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA) et le Rassemblement universel pour la Paix (RUP). Depuis le début des années 1930, Ernest Burnelle est un admirateur de l’URSS et de Julien Lahaut. En 1938, il adhère secrètement au Parti communiste belge (PCB), vu l’interdit pesant alors sur les fonctionnaires. En 1939, lors de la guerre de Finlande, il entraîne son organisation syndicale régionale à désavouer l’orientation anti-soviétique du POB.
Ernest Burnelle est mobilisé dès septembre 1939 et cantonné à Beez (aujourd’hui commune de, pr. et arr. Namur) près de Namur. Le 10 mai, son unité bat en retraite vers Narbonne (département de l’Aude, France) mais est rattrapée sur la Marne et capturée par l’armée allemande. Considérée comme flamande, elle est libérée à sa rentrée en Belgique sur le territoire de Beauraing (pr. Namur, arr. Dinant).
Ernest Burnelle revient chez lui et reprend son travail d’enseignant. Il milite dans la structure clandestine du PCB. En mars 1941, il reçoit la mission de publier Liberté, organe de la fédération liégeoise. Il fait partie, sous le pseudonyme de « Louis », de la direction du Front wallon pour l’indépendance du pays, prototype liégeois du Front de l’Indépendance (FI), et devient, pour un temps, rédacteur en chef de La Meuse, organe du FI. Il doit passer à la clandestinité. Faute de lui mettre la main dessus, les Allemands arrêtent son père. Commence alors pour Burnelle une vie de déplacements continuels qui se poursuit d’ailleurs après la Libération. Cadre communiste, résistant armé, on le retrouve, en juillet 1942, comme responsable de l’agitation et de la propagande au Borinage. En octobre 1943, il est transféré comme secrétaire politique à Charleroi. En octobre 1944, il devient responsable national de la propagande puis en février 1945, rédacteur en chef du Drapeau rouge.
Ernest Burnelle ne répond pas à l’invitation de la ville de Liège à reprendre son poste à l’école, choisissant ainsi de poursuivre sa carrière politique. Il est élu député de Liège et conseiller communal en 1946. Au Parlement, il utilise son expérience d’enseignant pour intervenir sur le budget de l’instruction. La même année, il entre au Comité central du PCB et devient secrétaire politique de sa fédération. Dès cette époque, son esprit critique déplait à la direction nationale. Il est appelé à Bruxelles, en mai 1947, comme secrétaire national à la propagande puis rétrogradé à Liège comme secrétaire d’organisation en mai 1948. Burnelle redevient rédacteur en chef du Drapeau rouge en août 1949 mais est renvoyé en 1950 comme secrétaire politique à Liège. Une note de la commission de contrôle s’interroge d’ailleurs sur les causes de cette instabilité et souligne qu’en 1949, il s’est désolidarisé de la direction du PCB, estimant que la collaboration entre le Bureau politique et le Comité central est infructueuse. En 1950, lors d’une conversation privée qui sera rapportée, il déclare qu’au parti « on ne peut pas dire ce qu’on pense ». En 1949, il n’est pas réélu député. Il démissionne de son mandat communal et ne jouera plus de rôle politique au niveau local.
Après l’assassinat de Julien Lahaut en 1950, Ernest Burnelle apparaît, avec René Beelen, comme le principal dirigeant de la fédération liégeoise. Celle-ci entreprend une critique de la ligne du PCB jugée sectaire et coupée des masses. En 1952, après la défaite électorale communale de l’automne, Burnelle devient le porte-parole d’une opposition intérieure. Il est invité au Bureau politique à partir du 1er décembre. La session du Comité central de mai 1954 qui se tient après un nouvel échec aux élections législatives, est décisive. La ligne défendue par le Bureau politique est remise en cause. Burnelle est élu officiellement au Bureau politique avec quelques amis et entre au Secrétariat.
C’est l’équipe de Ernest Burnelle qui prépare le XIe Congrès, un tournant dans l’histoire du PCB. Il se tient du 9 au 12 décembre 1954 à Vilvorde. Edgar Lalmand, secrétaire général, y présente le rapport du Comité central sortant. C’est un rapport autocritique rédigé dans la ligne impulsée par Ernest Burnelle. Ce dernier, élu secrétaire général, prononce le discours de clôture. Il apparaît bien comme le véritable numéro un du PCB. Ce n’est qu’en 1961 qu’il recevra le titre de président. Ce titre de caractère honorifique, à l’époque où Julien Lahaut l’avait porté, prend alors un caractère bien plus opérationnel.
La « période Burnelle » est caractérisée par une critique du sectarisme et des fautes du passé comme la substitution à l’objectif d’abdication de Léopold III du mot d’ordre « Vive la république ! » qu’il a pourtant assumé comme rédacteur en chef du Drapeau rouge en 1950, ou encore, comme l’obstination à refuser le compromis d’un service militaire de dix-huit mois après le succès du mouvement contre les vingt-quatre mois. La nouvelle ligne vise le contact avec les masses. Elle renoue avec les orientations de la période 1935-1939, l’aspiration à l’unité du mouvement ouvrier, l’investissement des militants communistes dans la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), le positionnement du PCB comme relais politique du mouvement syndical. C’est au cours de cette période que les concepts de dictature du prolétariat, de parti d’avant-garde sont retirés des statuts.
Le Congrès de Vilvorde a évité toute crispation sur la question de l’URSS. Le XXe Congrès du Parti communiste de l’Union Soviétique (PCUS) de 1956 vient ébranler bien des convictions et ne soulève pas l’enthousiasme d’Ernest Burnelle. Il approuve l’intervention soviétique en Hongrie, au nom de la lutte contre les fascistes qui veulent reprendre le pouvoir dans ce pays. Dans ses discours, Burnelle établit un parallèle avec l’intervention franco-anglaise contre l’Egypte la même année, pour dire à l’Occident qu’il n’a pas de leçons à donner. Il apprécie finalement la politique de Nikita Khrouchtchev, premier secrétaire du PCUS, la coexistence pacifique et la conception d’un passage au socialisme en Europe occidentale par la voie parlementaire et une succession de réformes. En 1964, le renversement de Khrouchtchev inquiète le PCB. En 1965, il sera confronté au cas « Willems », un militant envoyé en formation avant-guerre, disparu dans un goulag, réhabilité et intégré à la société soviétique, mais dont le retour en Belgique pourrait être l’occasion d’une campagne antisoviétique, ce que Burnelle ne souhaite pas.
Fin des années 1950 et début des années 1960, le PCB soutient le Front de libération nationale (FLN) algérien, le mouvement lumumbiste au Congo et la révolution cubaine avec une modération qui énerve parfois les jeunes communistes, plus pressés d’agir. Le PCB s’oppose bien entendu à la guerre menée par les Américains au Vietnam. Il combat l’appartenance de la Belgique à l’Organisation du traité Nord Atlantique (OTAN) et se méfie du processus de construction d’une communauté européenne occidentale. Quand le Parti communiste chinois développe sa critique à l’égard du « révisionnisme soviétique », Ernest Burnelle apparaît comme solidaire de l’URSS et pourfendeur de la politique maoïste. A l’époque du « printemps de Prague », il évoque la nécessité de démocratiser le socialisme mais insiste sur la souhaitable unité du mouvement communiste international et sur l’alliance nécessaire entre la Tchécoslovaquie et l’URSS. Nul ne sait comment il aurait réagi à l’intervention militaire survenue quelques jours après son décès.
Sur le plan de la politique intérieure, les élections de 1958 montrent que la nouvelle ligne n’a pas inversé la tendance. Il faut attendre celles de 1961 et surtout les élections communales de 1964 et les législatives de 1965 pour voir une embellie. Ernest Burnelle redevient député de Liège.
Le PCB récolte les fruits de son rôle dans les grèves de 1960-1961 et d’un autre ajustement de ligne. En effet, Ernest Burnelle renoue avec l’objectif d’une Belgique fédérale qui est le sien dès la veille de la guerre et qui a été abandonné au début des années 1950. Il n’oublie jamais son engagement wallon. Il partage les vues de Julien Lahaut sur l’autonomie wallonne et participe au Congrès national wallon de Bruxelles en 1948. Il est parfaitement à l’aise dans le Mouvement populaire wallon (MPW) et impulse la participation des communistes à la pétition de masse pour un référendum d’initiative populaire. Le PCB mène campagne pour le fédéralisme et les réformes de structures anticapitalistes. Burnelle est le porte-parole de la gauche syndicale wallonne. Il aspire à une nouvelle Belgique, fondée sur trois régions et non sur une séparation communautaire.
Alors que le PCB progresse en électeurs et en nombre de membres, la scission du mouvement communiste international a des retombées en Belgique. Autour de Jacques Grippa, figure importante de la Résistance, un courant prochinois se constitue. Il critique le révisionnisme du PCB et son abandon du marxisme-léninisme. Les tensions internes deviennent vives et se terminent par des exclusions au Congrès de 1963. Ernest Burnelle ne pratique pas le compromis. Pour lui, l’appel à l’unité du mouvement communiste international est une invitation à isoler la Chine. La scission reste marginale mais gêne le PCB en cette période de redressement. La direction groupée autour de Burnelle subit ensuite la fronde de René Noël, autre résistant de grande stature, qui s’appuie sur la fédération du Borinage (pr. Hainaut) et critique un rapprochement trop complaisant à ses yeux avec la FGTB et le Parti socialiste belge (PSB). Il prépare à Cuesmes (aujourd’hui commune de Mons, pr. Hainaut, arr. Mons), une alliance avec des chrétiens progressistes, l’expérience de l’Union démocratique et progressiste (UDP) est en marche.
La vision d’avenir d’Ernest Burnelle repose sur l’espoir d’une radicalisation de l’Action commune socialiste, d’une croissance parallèle du PSB et du PCB, d’une consolidation du front commun syndical avec la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) et du détachement des démocrates-chrétiens liés au Mouvement ouvrier chrétien (MOC), de la droite du Parti social-chrétien (PSC).
Pour le PCB, 1965 marque une apogée. Les années suivantes voient un reflux du nombre de membres. En 1966, Le Drapeau rouge cesse sa parution quotidienne et devient un hebdomadaire. Ernest Burnelle s’inquiète du manque d’activités des cellules d’entreprise, du manque d’initiatives et d’unité intérieure, des hésitations et de la démotivation des militants. Il faut dire que le PSB se redresse et que le Rassemblement wallon est devenu un concurrent sérieux. En 1966, René Beelen, vice-président du PCB, et principal dirigeant liégeois, décède laissant un vide que sa fédération ne peut combler.
Ernest Burnelle est réélu député en mars 1968. En juin, il est frappé par une hémorragie cérébrale, en plein discours, dans son quartier d’origine, lors d’un colloque des mouvements wallons. Il a gardé un domicile à Liège et est affilié à une cellule locale, même s’il réside à Ixelles chez sa compagne, Lucienne, dite Lucette, Bouffioux, avocate, veuve d’un prisonnier politique, elle-même résistante, militante communiste depuis 1936. En raison de cet éloignement de sa cité, Burnelle n’a plus souhaité faire partie du conseil communal.
Le 6 août, Ernest Burnelle décède sans être sorti du coma. La participation massive à ses funérailles montre son ancrage dans le mouvement ouvrier. Les discours de circonstance sont prononcés par l’ambassadeur d’URSS, un représentant du Parti communiste français, Frans Van den Branden au nom de l’aile flamande du PCB, et Marc Drumaux*, vice-président et successeur d’Ernest Burnelle à la tête du PCB. Tour à tour, ils saluent la mémoire d’un ami indéfectible de l’URSS, d’un Wallon qui comprend les Flamands, de celui qui a vaincu le sectarisme et le dogmatisme et lutte pour le socialisme et la démocratie. Au cimetière liégeois de Robermont (Liège), Rodolphe Gillet, au nom du Front de l’indépendance, rend hommage au résistant.
Par Jules Pirlot
SOURCES : CArCoB, dossiers Burnelle, Bouffioux et Willems de la CCP − XIe Congrès du Parti Communiste de Belgique, Vilvorde, 9-12 décembre 1954. Solutions belges pour le progrès social, la paix et le socialisme, Bruxelles, 1956 − Ce que veulent les communistes, rapport au XIIIe Congrès du PCB, Bruxelles, 1957 − Le XIVe Congrès du Parti communiste de Belgique, Anvers, 1963 − BURNELLE E., « Le problème des réformes et de la révolution en Belgique », La Nouvelle revue internationale, Prague, 1964, réédition dans les Cahiers marxistes, n°46, juin 1978 ; Courrier hebdomadaire du CRISP, 17 janvier 1964 et 3 décembre 1965 - « Petites fleurs rouges de la grande grève, contribution à l’histoire du PCB 1960-1965 », Cahiers marxistes, n°222, juin-juillet 2002 − DELFORGE P., « Burnelle Ernest », dans DELFORGE P., DESTATTE P., LIBON M. (dir.), Encyclopédie du mouvement wallon, t. I, Charleroi, 2000 − PIRLOT J., « Burnelle Ernest », dans Dictionnaire biographique des militants du mouvement ouvrier en Belgique, t. 1, Bruxelles, EVO, 1993, p. 245-246.