DRISCOLL Mary [épouse FOSTER]

Par Marie Terrier (nouvelle notice, janvier 2012)

Née le 14 janvier 1874, à Londres ; décédée le 13 mars 1943, à Londres ; meneuse dans la grève des allumettières de Bryant&May, en 1888.

Mary Driscoll naquit à Londres, dans une famille d’immigrés irlandais pauvres. Sa mère, Elizabeth, née Cunningham, travaillait fréquemment pour la fabrique d’allumettes Bryant & May. Son père, Patrick Driscoll, fut docker toute sa vie. Au début des années 1880, Mary vivait avec ses parents et son unique sœur, Margaret (Mog), dans le quartier pauvre de Whitechapel. Puis, la famille s’installa un peu plus au sud de l’East End, dans le quartier de Poplar, tout près des docks.

En 1888, année de la grève, Mary Driscoll n’avait que quatorze ans. Elle était une des nombreuses « ouvrières non-qualifiées » (unskilled workers) auxquelles étaient réservés les travaux dits « saisonnier  » (casual work). Comme nombre de ses camarades, elle avait commencé à travailler très jeune, alternant le travail en usine et à domicile, ainsi que la cueillette des fruits et du houblon. Mary Driscoll travaillait ainsi pour Bryant & May, l’un des plus gros employeurs du quartier. Le nom qui fut donné aux ouvrières de cette usine, « petites allumettières » (matchgirls), traduit une réalité (la plupart des ouvrières était en effet très jeunes), mais tend à masquer la maturité et l’activisme de ces jeunes filles et de ces femmes qui s’étaient déjà mises en grève quelques années plus tôt.

Dans les années 1880, les conditions de travail chez Bryant & May commencèrent à attirer l’attention des philanthropes et des socialistes. Le soufre utilisé pour la fabrication des allumettes pouvait empoisonner les ouvrières, provoquant, entre autres, une nécrose de la mâchoire (phossy jaw). En plus du danger auquel elles étaient exposées, les ouvrières étaient particulièrement exploitées, leur maigre salaire étant amputé au moindre prétexte. Mi-juin 1888, lors d’une réunion à la Fabian Society, Clementina Black, qui dirigeait la Women’s Protective and Provident League (Ligue féminine de protection et de prévoyance – WPPL), attira l’attention des socialistes sur les conditions de travail des ouvrières de l’East End, notamment celles de Bryant & May. Fin juin 1888, les socialistes Annie Besant (de la Fabian Society) et Herbert Burrows (de la Social Democratic Federation - SDF - dirigée par Henry Mayers Hyndman) décidèrent de mener une enquête afin d’alerter l’opinion publique. Il est fort probable que Mary Driscoll se trouvait parmi les trois ouvrières qu’ils interrogèrent. Rappelons qu’en répondant aux questions des journalistes, les ouvrières risquaient de perdre leur emploi. Le 23 juin 1888, Annie Besant publia un article choc, « White Slavery in London » (« L’Esclavage des blancs à Londres ») dans The Link, le journal qu’elle avait fondé avec William Thomas Stead en février 1888. Elle y dénonçait le montant scandaleusement élevé des dividendes versés aux actionnaires de la firme, comparés aux salaires de misère des ouvrières. Elle y décrivait également les longues journées de travail, le peu d’importance accordé à la santé des ouvrières, l’attitude tyrannique du contremaître et surtout les amendes et autres déductions ponctionnées sur les salaires en tout illégalité (la loi de 1887 sur le paiement en nature et sur les amendes infligées aux salariés, le Truck Act, interdisait ces pratiques). Annie Besant et ses collègues socialistes espéraient mobiliser l’opinion publique, nourrissant l’espoir que la pression médiatique obligerait les dirigeants de la firme à mieux traiter leurs ouvrières. Ils en appelèrent ainsi à un boycott des allumettes de Bryant&May et narguait ses dirigeants en les invitant à tenter de porter plainte pour diffamation.

La stratégie d’Annie Besant, qui n’avait pas anticipé la réactivité des ouvrières elles-mêmes, fut contrariée. Les employeurs firent pression sur les ouvrières pour qu’elles signent des déclarations qui contredisaient les affirmations de son article. Cette attitude suscita beaucoup de protestation et trois ouvrières, dont Mary Driscoll, furent licenciées au début du mois de juillet. Presque immédiatement, quelque 1 400 de leurs collègues, hommes et femmes, que la propagande socialiste des années 1880 avait contribué à politiser, se mirent en grève, s’organisèrent et défilèrent dans les rues de l’East End. Ils reçurent alors le soutien de divers groupes socialistes et syndicaux (dont la Fabian Society, la SDF, la Socialist League et la WPPL) qui relayèrent leur cause dans la presse et les aidèrent à organiser des rassemblements. Un comité de grève fut établi avec une caisse qui permit aux grévistes de percevoir un revenu. D’après l’historienne Louise Raw, qui s’est intéressée de près au rôle des ces ouvrières, longtemps restées anonymes, dans leur propre grève, Mary Driscoll et sa sœur Mog se trouvent sur la photo souvent reproduite du comité de grève : debout en haut à droite, à droite d’Annie Besant ; Mary ayant la main posée sur l’épaule de sa sœur (voir la photo ci-dessus). Les grévistes instaurèrent une discipline qui leur permit de lutter contre les « jaunes ». Une délégation de douze grévistes accompagnée d’Annie Besant et Herbert Burrows, rencontra des parlementaires (le socialiste et libéral Robert Bontine Cunninghame Graham, ainsi que Charles Conybeare, un député radical). Ce fut très probablement Clementina Black qui demanda au London Trades Council (Fédération des syndicats londoniens) d’assister les grévistes dans leurs négociations avec leurs employeurs car elle était en contact avec George Shipton, son secrétaire, qui soutenait les initiatives de la WPPL. Au cours de ces négociations, Bryant&May accepta de faire disparaître les diverses formes de retenue sur salaire, de réembaucher toutes les ouvrières grévistes, de construire une salle à manger afin que les ouvrières ne déjeunent plus directement sur leur lieu de travail, au milieu des vapeurs toxiques, et de reconnaître le Matchmakers’ Union (le syndical mixte des ouvriers fabricants d’allumettes) nouvellement créé. Largement soutenue par l’opinion publique, cette grève déclenchée par des ouvrières non-qualifiées eut un retentissement national.

Les sources ne permettent pas de déterminer l’engagement syndical de Mary Driscoll après la grève. Cependant, grâce aux recherches de Louise Raw, on sait, qu’en 1894, Mary Driscoll épousa un voisin, Thomas Foster, ouvrier sur les docks. Ils eurent onze enfants, dont cinq survécurent. La famille vécut avec peu de moyens. Thomas, devenu alcoolique, était parfois violent. Après sa mort, en 1916, Mary Foster réussit à monter un petit commerce. Même si elle ne savait ni lire, ni écrire, elle fut une commerçante respectée dans sa communauté. Elle prit en charge ses petits-enfants pendant la maladie d’une de ses filles. Fière de ses origines irlandaises, elle affichait des portraits de républicains, tel que Michael Collins, dans sa maison. Mary Foster survécut aux bombardements de 1940-41, mais elle mourut en mars 1943, à l’âge de 69 ans.

Les sources et les informations sur les allumettières de Bryant & May sont rares. Ces ouvrières ont souvent été oubliées au profit des socialistes des classes moyennes qui ont relayé leur combat dans la presse et dans les milieux politiques. En outre, leur lutte a été minimisée par rapport à la grande grève des dockers de l’été 1889. Pourtant, en montrant qu’il était possible pour des ouvriers non-qualifiés, au plus bas de l’échelle sociale, de s’unir et d’exiger de meilleures conditions de travail, elles ont donné l’exemple à leur mari, leurs frères et à leurs voisins dockers. Elles ont donc toute leur place dans l’histoire du mouvement de syndicalisation des travailleurs non-qualifiés de la fin des années 1880 (New Unionism).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article139952, notice DRISCOLL Mary [épouse FOSTER] par Marie Terrier (nouvelle notice, janvier 2012), version mise en ligne le 18 mars 2012, dernière modification le 17 octobre 2019.

Par Marie Terrier (nouvelle notice, janvier 2012)

BIBLIOGRAPHIE : Besant, Annie, “White Slavery in London”, The Link, n° 21, 23 juin 1888 ; Besant, Annie, “ To the Shareholders of the Bryant & May Company, Limited”, The Link, n° 24, 14 juillet 1888 ; Besant, Annie et Burrows, Herbert, “The Revolt of the Matchmakers”, The Link, n° 24-25, 14 et 21 juillet 1888 ; Tran, Tri, “The London Matchgirls’ rejection of inhumane industrialism in 1888 : some new perspectives” in Le Rejet / Rejection, Christine Dualé et Rosie Findlay (dir.), Civilisation n° 11, Toulouse : Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2011 ; RAW, Louise. Striking a Light : The Bryant and May Matchwomen and their Place in History. Londres : Continuum, 2009.

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