STEAD William Thomas

Par Cédric Boissière (octobre 2011)

Né le 5 juillet 1849 à Embleton (Northumberland), mort le 15 avril 1912 à bord du Titanic (Atlantique nord) ; journaliste militant.

Petit-fils de fermiers du nord de l’Angleterre et fils de pasteur congrégationaliste, W. T. Stead fut surtout éduqué à domicile par son père. À quatorze ans, il entra comme employé de bureau apprenti chez un marchand de Newcastle-upon-Tyne. Il publia aussi ses premiers articles qui lui permirent de s’acheter des livres car il continuait à se former de façon autodidacte.

Parmi les articles qu’il envoyait aux journaux, une série qui demandait une amélioration de l’assistance aux pauvres attira l’attention du Northern Echo, un journal libéral de Darlington, ville proche de Newcastle. Il en devint pigiste régulier avant d’être embauché comme rédacteur en chef en 1871, le plus jeune de l’histoire de la presse britannique. Il en fit un journal militant pour les idées radicales : éducation primaire et secondaire masculine et féminine obligatoire ; suffrage universel masculin et féminin ; conventions collectives ; journée de huit heures pour les mineurs ; arbitrage pour éviter les conflits internationaux ; Home Rule (autonomie politique de l’Irlande dans le cadre britannique). Symboliquement, lors de son mariage en 1873, au moment de l’échange des vœux, son épouse Emma Lucy Wilson n’eut pas à promettre de lui obéir. Ensemble, ils eurent six enfants.

L’engagement politique de W. T. Stead alla jusqu’à soutenir la campagne électorale de W. Gladstone en 1880. Après la victoire électorale du parti libéral, Stead fut recruté par la Pall Mall Gazette qui venait d’en devenir l’organe plus ou moins officiel. D’abord rédacteur en chef adjoint (1880-1883), il en prit bientôt l’entière direction.

Rédigée par les plus grandes plumes de l’époque, organisée de façon nouvelle et différente, « à l’américaine », du reste de la presse britannique (gros titres, intertitres, illustrations, interviews et scoops), la Pall Mall Gazette devint non seulement un journal de référence, mais aussi un journal qui influait sur la politique du pays. Elle s’était de plus, à l’initiative de Stead, engagée dans de nombreuses croisades politiques et sociales.

En 1883-1884, Stead dénonça les taudis de Londres et leurs conséquences. Il en rendit responsables les marchands de sommeil mais aussi les Églises, hommes politiques et philanthropes qui n’avait rien fait pour y remédier. Il obtint en 1885 une loi sur le logement populaire. Ses campagnes suivantes pour l’envoi au Soudan pendant la guerre du Mahdi du général Gordon, héros de la seconde guerre de l’opium qui s’était aussi illustré en Inde et Égypte, ou pour l’amélioration de la flotte de guerre britannique peuvent sembler en décalage avec le reste de ses engagements. Cependant, comme il l’expliqua au comité Nobel en 1911 lorsqu’il s’agit de lui décerner le prix Nobel de la Paix, son pacifisme passait par la disparition du soldat, remplacé par le policier. Il voyait les forces britanniques jouer ce rôle de policier dans le monde, dans le cadre d’un « impérialisme de responsabilité » contre le « nationalisme de passion, de préjugés et d’orgueil ». Il lui fut aussi reproché d’être trop proche de la Russie tsariste. Il voyait en celle-ci un espoir pour la paix mondiale. Pour ses détracteurs, son aveuglement était difficile à comprendre rationnellement.

À partir du printemps 1885, W. T. Stead entama la croisade pour laquelle il est resté célèbre, celle dite du « Maiden Tribute of Modern Babylon  » (« Le sacrifice des vierges dans la moderne Babylone »), contre la prostitution enfantine. Afin d’en prouver la réalité, Stead mena une enquête dans les quartiers pauvres de Londres. Il réussit à acheter à une mère alcoolique la virginité de sa fille de treize ans, pour 5 livres. Après avoir fait constater les faits, Stead confia l’enfant à l’Armée du Salut. Ses révélations suscitèrent un immense émoi dans le pays, d’autant que dans ses articles, Stead ne blâmait pas la mère (réduite à cette extrémité à cause de sa pauvreté), ni même les proxénètes ou les patrons de maisons closes. Il dénonçait en fait les hommes riches et dépravés qui profitaient de leur fortune pour violer les filles des pauvres. Il élargissait même son champ de reproches, insistant sur le fait que le phénomène n’avait pas lieu que dans les maisons closes, mais aussi dans les ateliers et usines. La campagne, qui s’accompagna d’émeutes pour s’arracher le journal et ses articles, déboucha sur une commission d’enquêtes et une loi stricte qui relevait l’âge de consentement sexuel de 13 à 16 ans.

Cependant, W. T. Stead n’avait pas pris toutes les précautions légales lors de son enquête. Ses adversaires politiques et économiques tentèrent de l’abattre. Il y eut procès car les faits étaient avérés dont enlèvement d’enfant dans un but immoral. Cependant, le procureur lui-même demanda l’indulgence du jury puisque le délit commis avait eu pour principal résultat le vote d’une loi bénéfique au pays. Stead fut finalement condamné à trois mois de prison. Tous les ans ensuite, à la date anniversaire de son incarcération, il remettait son uniforme de détenu. Il déclarait que son incarcération avait été l’une des expériences les plus enrichissantes de son existence, lui permettant de mieux comprendre par exemple le sort fait aux Irlandais.

Son combat suivant accompagna en effet les revendications irlandaises pour le Home Rule et les revendications ouvrières pour une amélioration de leurs conditions de vie et de travail. Ces revendications se faisaient depuis le début de 1887 au cours de meetings réguliers sur Trafalgar Square. Invoquant des raisons d’ordre public, le chef de la police de Londres y interdit toute manifestation. Les leaders socialistes et radicaux lancèrent un appel, relayé par Stead dans la Pall Mall Gazette, à y défiler malgré tout. Le dimanche 13 novembre 1887, la foule qui convergeait vers la place fut chargée par la police qui fit deux morts et cent-cinquante blessés et arrêta trois-cents personnes. Il était lui-même présent lors de ce Bloody Sunday. Avec divers leaders de gauche, dont Annie Besant, Henry Hyndman ou William Morris, Stead fonda la Law and Liberty League destinée à aider les personnes arrêtées à se défendre et à payer les funérailles des victimes. Il fonda avec Annie Besant le journal de cette ligue, The Link, qui devait se faire l’avocat et le champion des déshérités. Une des rubriques de ce journal était destinée à dénoncer les abus de la police ou des patrons.

Les engagements et croisades de W. T. Stead finirent par froisser de plus en plus de personnes puissantes. Il continuait ainsi à militer pour la cause des femmes en dénonçant le double standard : une morale plus clémente vis à vis des hommes que des femmes. Il illustrait son discours de cas tirés des classes supérieures. En 1890, il dut quitter la Pall Mall Gazette. Il venait de créer un mensuel, la Review of Reviews où il continua sous une autre forme son combat : amitié entre les peuples, Home Rule, moralisation de la vie politique. En 1891, il utilisa une tournée de conférences pour créer des centres civiques, lieux d’engagement social, politique et moral pour les membres d’une communauté. Le concept s’est depuis développé.

L’un de ses derniers combats fut la cause pacifiste. Il avait déjà, en 1878, dénoncé les atrocités de bachi-bouzouks en Bulgarie. Il dénonça le massacre des Arméniens en 1894-1895 ainsi que les atrocités italiennes lors de la guerre italo-ottomane de 1911-1912. Il milita contre la guerre des Boers (1899-1902) et pour le désarmement et l’arbitrage. Il fut ainsi invité aux deux conférences de La Haye pour le désarmement et la prévention de la guerre (1899 et 1907). Cela lui valut d’être invité par le président des États-Unis à la « Conférence des grands hommes et des religions » qui se tenait à New York en 1912. Pour s’y rendre, il embarqua à bord du Titanic.

Vers 1890, W. T. Stead s’était engagé dans le spiritualisme. Il avait participé à de nombreuses séances, communiquant principalement avec une collègue journaliste décédée. Il publia une partie de ces communications dans un ouvrage Letters from Julia et dans une revue spiritualiste qu’il avait créée Borderland. Il avait alors été en contact avec de nombreux médiums, qui lui firent de nombreuses prédictions. Stead avait aussi publié deux textes, l’un en 1886 et l’autre en 1892, évoquant des naufrages de transatlantiques. Dans le premier texte, il n’y avait pas assez de canots de sauvetage pour tous les passagers et dans le second, le navire s’appelait le Majestic et était commandé par Edward Smith, le même capitaine que celui qui commandait en 1912 le Titanic. Ces circonstances font que la mort de Stead est entourée de nombreuses légendes.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article139979, notice STEAD William Thomas par Cédric Boissière (octobre 2011), version mise en ligne le 21 mars 2012, dernière modification le 21 mars 2012.

Par Cédric Boissière (octobre 2011)

ŒUVRES (sélection) : « "Outcast London" - Where to Begin ? », Pall Mall Gazette, octobre 1883 ; « The "Maiden Tribute of Modern Babylon" », Pall Mall Gazette, juillet 1885 ; « How the Mail Steamer went Down in Mid Atlantic » Pall Mall Gazette, mars 1886 ; From the Old World to the New in Review of Reviews, décembre 1892 ; « Our Death Camps in South Africa », Review of Reviews, 1902 ; « A Six Days’ Working Week », Review of Reviews, 1910 ; « Woman’s Suffrage in the Ascendant », Review of Reviews, 1910.

BIBLIOGRAPHIE : Joseph O. Baylen, « Stead, William Thomas (1849–1912) », dans Oxford Dictionary of National Biography, septembre 2010 ; Grace Eckley, Maiden Tribute : A Life of W. T. Stead, Philadelphie, Xlibris, 2007 ; Raymond L. Schults, Crusader in Babylon : W. T. Stead and the Pall Mall Gazette, Lincoln, University of Nebraska Press, 1972 ; Frederic Whyte, The Life of W. T. Stead, 2 tomes, Londres, Jonathan Cape, 1925.

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