CRIÉ Arsène, Pierre, Marie. Pseudonymes : Vonck, Henri Laurent, H. Laurent, H.L, J. Roux.

Par Jean Puissant

Laval (département de la Mayenne, France), 29 juillet 1853 − Paris, fin mars 1895. Professeur, journaliste, militant socialiste révolutionnaire à Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale).

Fils d’un marchand de toile, (« 1m 72, cheveux châtains, yeux bleus », « il bégaie légèrement et n’a pas la parole facile »), Arsène Crié entame des études de médecine à Rennes (département d’Ille-et-Vilaine, France) en 1872, puis à Paris en 1874. Il travaille ensuite, comme voyageur, pour sa mère qui tient un commerce de couteaux à Laval. Après la faillite de la maison, ils quittent la France et s’installent, en décembre 1878, à Bruxelles, rue de Ruysbroeck, par ailleurs haut-lieu de l’anarchie bruxelloise. Arsène Crié est d’abord voyageur en vin à la maison Bayeux, rue du Chêne, puis professeur-surveillant en français, histoire et géographie durant un an à la fin 1880 à l’Institut Léopold, rue Belliard, fréquenté par la bonne société. Il donne ensuite des leçons particulières en ville.

Arsène Crié apparaît, pour la première fois, le 10 décembre 1879 au Comité central des Cercles réunis, animés par Emmanuel Chauvière, dont il devient l’un des principaux militants. Il collabore aux « Droits du Peuple » sous le pseudonyme d’Henri Laurent. Le journal est imprimé dans les locaux de l’ancien couvent, situé rue de la Régence, à proximité de son domicile. Il fréquente L’Égalité, le cercle des proscrits français, et est peut-être membre des Solidaires.

Arsène Crié est très actif à Bruxelles, dans le Borinage (pr. Hainaut) et à Charleroi en 1880-1881. L’objectif poursuivi est de combattre les « évolutionnistes » par la parole et le journal qui voit sa diffusion s’accroître. Ce dernier tirerait à 1.500 exemplaires en mai 1880, beaucoup plus que La Voix de l’ouvrier de Louis Bertrand. « Il est impossible de former une entente entre les révolutionnaires et les évolutionnistes. Le jour où nous céderons aux Bertrand, Duverger, De Paepe qui est le Janson de demain, nous aurons désorganisé le parti révolutionnaire… », explique Crié selon une note de la police de Bruxelles du 7 mai 1880. À cette réunion des Cercles réunis, les sections verviétoise et bruxelloise de l’Association internationale des travailleurs (AIT), ainsi que la Ligue collectiviste anarchiste de Bruxelles apportent leur soutien à Emmanuel Chauvière et à la tactique proposée.

Arsène Crié participe à la préparation de la première manifestation du 15 août 1880 en faveur du suffrage universel (SU), mais, à plusieurs reprises, évoque l’usage de la force. Selon une note du commissaire en chef de la police de Bruxelles datée du 7 juin 1880, il précise : « Il sera bon de se munir d’une canne et d’un coup de poing, que ceux qui ont des révolvers les prennent… Il y aura certainement une bagarre, des coups et des arrestations. Il faut d’abord que nous frappions tous ceux qui font mine de fuir le danger… Nous représenterons la grosse cavalerie et nous exécuterons une charge à fond aux cris de « vive le SU » et « vive la Commune ». Menace d’expulsion ? Je suis du nombre, est-ce une raison pour rester inactif et … si le mouvement donne lieu à une émeute ou à une révolution, je vous assure que je ferai mon devoir ». La manifestation est un succès mais, à son issue, des bagarres éclatent. Crié y participe puis prend part aux dénonciations des brutalités policières.

Arsène Crié est l’un des principaux organisateurs du Congrès socialiste révolutionnaire du 19 septembre 1880 à Bruxelles, qui a pour objectif la création d’une « Union révolutionnaire belge ». Il y décrit l’organisation des Cercles réunis (35 groupes). Il représente des groupes borains au Congrès « révolutionnaire » de Verviers, le 25 décembre 1880, où il plaide en faveur de l’organisation internationale tendant vers une république universelle. « Il n’y a que les blanquistes qui savent dresser et défendre des barricades. » « Il invite le peuple à s’armer car il faut opposer la force des armes à ceux qui veulent faire violence aux aspirations de la classe ouvrière ». Un troisième Congrès a lieu à Cuesmes (aujourd’hui commune de Mons, pr. Hainaut, arr. Mons) en mars 1881. Chaque congrès réunit de vingt-quatre à quarante groupes revendiqués, représentés par un nombre inférieur de délégués, susceptibles donc d’en représenter plusieurs. Ainsi, d’après La Révolution sociale du 24 avril 1881, à Cuesmes, sur vingt-quatre groupes cités, il en est onze au moins qui font partie des Cercles réunis de Crié-Chauvière à Bruxelles, dont personne ne peut certifier à ce jour l’existence réelle. Toute cette agitation ressemble à une véritable « wishfull thinking » qui ne survivra pas au départ des deux français.

Depuis l’échec politique de la manifestation du 15 août 1880 (aucune répercussion), Arsène Crié évoque de plus en plus souvent l’acquisition d’armes. Une note de septembre 1880 signale : « Crié est actuellement l’âme des Cercles Réunis ». Louis Bertrand, dans le deuxième tome de ses Souvenirs d’un meneur socialiste (p.203), accentue le trait : « Il est le mauvais génie des CR de Chauvière ». Crié est très préoccupé par les « mouchards ». Lors de la commémoration de l’anniversaire de la Commune en 1880, « il flétrit les lâches et les traîtres. Il espère avant de mourir pouvoir tuer au moins un mouchard » (applaudissements). Un officier de police bruxellois relate, le 3 juin 1880, une réunion de « révolutionnaires » à laquelle assistent Malatesta, Paoli, Fiorini, Ginazzi, Dupaix, Spilleux… Arsène Crié, à propos d’un article de l’organe ministériel, L’Écho du parlement qui évoque des mouchards, s’écrie « Spilleux*, Steens*, Delsante*, tous mouchards et vous, mesdames les mouchardes, préparez vos rapports pour demain… que je puisse les porter à Verrijcken* qui les transmettra à la sûreté publique. ». Le 15 septembre, il accuse Spilleux d’être un mouchard. La notice du Maitron signale que c’est lui qui a introduit Spilleux, un agent de la police, en France. Ce dernier a fourni les fonds ayant permis la parution de La Révolution sociale à laquelle collabore Crié.

Louis Bertrand le 9 mai, Camille Standaert, le 15 mai, deux « évolutionnistes », s’étonnent « qu’il ne soit pas expulsé alors que d’autres l’ont été qui ne s’occupaient pas de politique. » (L. Bertrand). Un agent de la police des étrangers écrit dans un rapport circonstancié daté du 15 avril 1880 : « Il serait bien facile… de prendre Crié en faute pour l’expulser. » Un dossier sera effectivement transmis le 20 mai 1880 au ministre de la Justice qui le renvoie sans décision. Un arrêté d’expulsion est préparé en juin puis en octobre 1880 et enfin en janvier 1881. Le 12 mars, une lettre du ministre de la Justice, Jules Bara, au roi précise : « Toute la conduite de cet étranger démontre qu’il a assigné, comme but à ses efforts, l’organisation du parti révolutionnaire au sein duquel son activité, l’exaltation de ses idées et un certain talent dont il est doué, lui ont créé une influence prépondérante. » Il reçoit l’arrêté d’expulsion le 21 mars et quitte le pays le 24 mars 1881.

Le fait d’avoir brandi un drapeau rouge à Cuesmes lors d’une commémoration de la Commune n’aurait donc pas été la cause de la mesure, comme on pouvait le penser à la suite de divers témoignages. À ce stade, l’hypothèse la plus favorable à Crié est que les autorités le laissent détricoter le travail patiemment construit par les « évolutionnistes ». Arsène Crié est en effet un des acteurs principaux de l’affaiblissement de l’action des « réformistes » en Hainaut et du renforcement de la tendance isolationniste voire anarchiste des verviétois. Le Parti ouvrier belge (POB) ne sera créé qu’en 1885.

Pendant sa période belge, Arsène Crié collabore aux Droits du Peuple, au Prolétaire, à la Révolution sociale qu’il diffuse à Bruxelles. Il propage également La Commune de F. Pyat. Il rédige un chapitre « Pourquoi je suis anarchiste » dans la série de Emmanuel Chauvière, « Je suis un autoritaire. »

En France, Arsène Crié s’installe à Paris où il travaille comme garçon de bureau. En avril 1881, il envoie encore des journaux à Jean Claes, mais ses contacts avec la Belgique semblent s’arrêter là.

Marié, père de deux enfants, Arsène Crié reste un actif publiciste et militant anarchiste avant de se rallier au boulangisme en 1888.

À consulter également : MAITRON J. (notice complétée par ENCKELL M. et DAVRANCHE G.), CRIÉ Arsène, dans Dictionnaire des anarchistes, Site Web : maitron.fr.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article140323, notice CRIÉ Arsène, Pierre, Marie. Pseudonymes : Vonck, Henri Laurent, H. Laurent, H.L, J. Roux. par Jean Puissant, version mise en ligne le 18 avril 2012, dernière modification le 14 juillet 2022.

Par Jean Puissant

SOURCES : Archives générales du Royaume, Fonds Police des étrangers, n° 336-596 − Archives de la ville de Bruxelles, Police, n° 519 − BERTRAND L., Souvenirs d’un meneur socialiste, vol. 2, Bruxelles, 1927 − WOUTERS H., Documenten betreffende de geschiedenis der arbeidersbeweging ten tijde van de Ie Internationale (1866-1880), deel III, Leuven-Paris, 1971 (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 60) −

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