MEDVEDOWSKY Schlema

Par Michèle Bitton, Jean-Marie Guillon

Né le 20 février 1891 à Zolotonoscha (Russie), mort le 17 juin 1944 à Beaumont-de-Pertuis (Vaucluse) ; docteur en médecine domicilié à La Tour-d’Aigues (Vaucluse) ; sympathisant de la Résistance.

Schlema Medvedowsky en 1923
Schlema Medvedowsky en 1923
Cliche fourni par son fils, Jean-Louis Medvedowsky

Fils de Moïshé Medvédowsky, marchand de tissu à Dengui, en Ukraine, et de Léa Rijik, Schlema Medvedowsky était le quatrième d’une famille juive pieuse de sept enfants. Après ses études primaires, il séjourna à Perm pour les prolonger. Il fut précepteur dans une famille où il était mal nourri. En 1911, sa famille se cotisa pour qu’il aille faire des études à Paris. Bien que polyglotte (allemand, russe, yiddish), il ne parlait pas français, mais il acquit des bases suffisantes pour commencer des études de médecine en 1913 à la Faculté de médecine de Paris. Le 4 octobre 1915, il s’engagea dans la Légion étrangère et fut affecté à la 22e section des infirmiers militaires du 1er régiment étranger. Il partit avec le Corps expéditionnaire d’Orient, le 9 janvier 1916, comme médecin auxiliaire. De retour en France en avril 1917, il fut envoyé à la 15e section des infirmiers militaires de l’hôpital de marine de Saint-Mandrier (Var). C’est là qu’il rencontra Suzanne Beaumont, fille d’un pharmacien major de la Marine (mort en 1906), dont il s’éprit bien qu’elle ait quatorze ans de moins que lui. Il se maria avec elle, le 11 août 1920, à Saint-Mandrier, après s’être fait baptiser le 24 juillet. Les quatre enfants qu’ils eurent furent élevés dans la religion catholique.
En juillet 1919, démobilisé, Schlema Medvédowsky repartit à Paris et reprit ses études de médecine. Il prépara aussi le baccalauréat de philosophie auquel il réussit le 6 avril 1921. Il fut naturalisé français le 2 novembre 1921 et obtint son diplôme de médecin, le 15 octobre 1922. Externe des hôpitaux de Paris, il renonça à l’internat à cause d’une primo-infection et vint à Marseille où, conseillé par le Dr David Olmer, sommité médicale, notable marseillais et membre influent de la communauté juive, il prit la succession d’un vieux médecin de La Tour d’Aigues (Vaucluse). Il s’y installa le 4 juillet 1923 et devint le médecin de campagne itinérant et le médecin des pauvres des villages de la vallée d’Aigues, le « docteur Medvé », que tout le monde connaissait et appréciait.
Il fut mobilisé en 1939 comme sous-lieutenant de l’armée des Alpes au 152e Régiment de réserve, encaserné à Nice (Alpes-Maritimes). Il reprit son cabinet une fois rendu à la vie civile. Visé par la loi du 2 juin 1941 portant statut des juifs, il fut fiché dans le recensement des juifs français résidant en Vaucluse au 1er juillet 1941 établi par la préfecture de ce département ainsi que dans la liste des juifs de nationalité française exerçant, en tant que médecin, une des professions interdites par cette loi. C’est sans doute sa qualité d’ancien engagé volontaire qui lui permit de continuer à exercer, au regret de certains de ses collègues. Il adhéra à la Légion française des combattants à ses débuts, mais il se serait rapidement rallié au général de Gaulle.
En 1942, il hébergea le Dr Horn, un confrère d’origine juive roumaine, qu’il avait connu lors de ses études à Paris, qui s’était installé dans les Ardennes, et qui avait fui la zone occupée avec son épouse et ses deux enfants. En tant que médecin, le Dr Medvédowsky disposait de carburant pour sa voiture et put poursuivre ses tournées dans les villages de la vallée d’Aigues, consacrant une demi-journée à chacun d’eux. Même si ses sympathies allaient à la Résistance, il soignait les uns comme les autres et, d’après la police, exprimait peu ses sentiments sur les événements. Sollicité pour faire les constations légales sur une triple exécution, celle d’une famille de miliciens (un agriculteur, sa femme et son fils), que les Francs-Tireurs et partisans (FTP) avaient faite à La Tour d’Aigues, le 27 mai 1944, il en fut bouleversé. Les FTP conduisirent chez lui en juin 1944 un milicien blessé qu’ils avaient arrêté à Lourmarin (Vaucluse) avec sa fille pour qu’il le soigne. Cette intervention a pu jouer un rôle dans son arrestation et sa disparition, tout comme les relations qu’il avait avec des résistants de l’Organisation de résistance de l’armée (ORA) et, en particulier, avec la famille Reybaud de La Motte d’Aigues (Vaucluse) qui hébergeait un opérateur radio (cette famille fut la cible d’une opération milicienne le 21 juin et Ingmar Reybaud* fut assassinée par les hommes du Sipo-SD de Marseille).
Les circonstances de la disparition du Dr Medvédowsky ne sont pas claires. La thèse généralement admise repose en grande partie sur le témoignage de Gaston Turcan, un résistant arrêté un peu avant lui. Il est sûr qu’il fut pris le 16 juin 1944, vers 8 h. 30, entre Ansouis et Cucuron (Vaucluse), alors qu’il se rendait dans ce village pour une visite médicale et après qu’il soit allé voir son fils Jean-Louis dans une ferme du hameau de Sannes où celui-ci avait passé la nuit avec un camarade. Il fut intercepté par un fort groupe de « miliciens », qui, la veille, serait intervenu avec la Feldgendarmerie à La Tour d’Aigues et aurait échangé des coups de feu avec des FTP. Après un bref interrogatoire, il fut embarqué dans un véhicule où se trouvait déjà Turcan arrêté auparavant dans sa ferme après la découverte d’un dépôt d’armes à proximité. Le convoi se dirigea d’abord vers Cucuron où plusieurs hommes avaient été rassemblés comme otages potentiels. Seuls Turcan et le Dr Medvédowsky furent gardés prisonniers et conduits ensuite à Cadenet (Vaucluse). Leur convoi revint ensuite sur ses pas pour aboutir à Vinon-sur-Verdon (Var), alors que des unités allemandes étaient en train de ratisser le plateau de Valensole et ses abords qui avaient été le lieu d’une concentration maquisarde à la suite du débarquement de Normandie. Toujours prisonniers, Gaston Turcan et Schlema Medvédowsky restèrent dans le convoi qui se dirigea vraisemblablement vers Allemagne-en-Provence pour appuyer une opération allemande en cours. Il revint à Vinon le soir. C’était là que le PC de l’opération était installé. Le lendemain matin, le Dr Medvédowsky fut interrogé à plusieurs reprises et revint de l’interrogatoire persuadé qu’il était, d’après son compagnon, « un condamné à mort ». Les deux prisonniers furent à nouveau embarqués dans un véhicule dont on fit descendre le seul Dr Medvédowsky vers Saint-Paul-de-Durance, à la lisière des Bouches-du-Rhône et du Vaucluse, où il fut confié à un autre groupe de « miliciens ». Il aurait été exécuté dans la soirée ou dans la nuit du 17 au 18, quartier de la Combe sur le territoire de Beaumont-de-Pertuis. Sa voiture fut retrouvée incendiée le 18 vers La Tour d’Aigues.
Les témoignages comportant des contradictions, dans une période et un secteur particulièrement troublés par des événements tragiques, ce récit soulève plusieurs questions, la principale portant sur le rôle des miliciens dans l’arrestation et l’exécution du docteur. Plusieurs expéditions miliciennes ont eu lieu en effet dans les villages du versant sud du Lubéron entre le 13 et le 21 juin, soit venant d’Avignon et commanditées par la Milice du Vaucluse (13 et probablement 16 juin), soit dirigées par l’intendant de police régional avec la franc garde des Bouches-du-Rhône (21-23 juin). Les premières étaient consécutives à l’enlèvement d’un milicien et de sa fille à Lourmarin par la Résistance, les autres au démantèlement du groupe de Résistance qui protégeait l’émetteur radio et son opérateur hébergés par la famille Reybaud. Ces expéditions miliciennes se sont entremêlées avec des opérations de l’armée allemande, opérations parallèles et autonomes même si elles s’entrecroisent et ne vont pas sans contacts entre elles. Parmi les troupes allemandes qui opéraient figuraient en pointe de la répression les éléments français de la 8e compagnie Brandebourg venant de Cavaillon (groupe Schwinn-Heinrich) et très généralement confondus avec les membres de la Milice française. Leur présence est attestée le 14 juin (arrestations à Cucuron, perquisitions à Pertuis, meurtres à Vinon), le 16 (intervention avec des soldats allemands à Pertuis, exécutions de trente deux otages ou maquisards à Allemagne, à Saint-Martin-de-Bromes, Valensole). Durant tous ces jours, tout ou partie du groupe stationnait avec environ huit cents soldats allemands à Vinon. Les crimes des Brandebourg se prolongèrent les jours suivants, y compris dans les environs de Beaumont-de-Pertuis où le corps du Dr Medvédowsky fut retrouvé (arrestation et exécution de frères Beinard*, les 19 et 21 juin). La police enquêta assez rapidement sur son meurtre mais sans chercher à approfondir. Son rapport daté du 22 juillet s’appuya sur une note, sans date et non signée, de la Milice du Vaucluse qui mettait son arrestation en rapport avec l’enlèvement des miliciens de Lourmarin qu’il avait soignés à la demande de leurs ravisseurs. Il aurait refusé d’indiquer où ceux-ci les avaient conduits et aurait reconnu être agent de liaison de la Résistance. La note précisait qu’il était communiste depuis 1924 et ajoutait qu’il avait pu s’échapper du convoi où il se trouvait, profitant d’une embuscade tendue par la Résistance. Cette note ne peut que laisser dubitatif à plusieurs égards, sur ses aveux supposés comme sur sa « disparition ». Ni à ce moment, ni après la Libération, la police n’a clairement identifiés les hommes de la Brandebourg. S’il est vraisemblable que le Dr Medvédowsky a été arrêté par un détachement de miliciens vauclusiens, la suite des événements (les arrêts à Vinon et l’expédition vers Allemagne, les conditions et le lieu de son assassinat) donnerait plutôt à penser qu’il fut livré aux Brandebourg. Mais que ce soit par les uns ou par les autres, pour l’aide qu’il apportait à la Résistance, sa judéité soupçonnée, la voiture anglaise qu’il utilisait (elle lui avait été prêtée), le nom qu’il portait, cet homme que la police décrivait comme « dévoué et consciencieux », absorbé par son travail, peu communicatif et très affecté par la mort sa fille, fut la victime de fanatiques.
Sa disparition souleva une émotion considérable dans la vallée. Avertis le jour même de son arrestation, le maire de La Tour-d’Aigues put recueillir deux cent-vingt signatures des habitants de son village et des communes voisines de la vallée d’Aigues (Grambois, La Motte-d’Aigues, Saint-Martin-de-la-Brasque) pour demander sa libération au préfet du Vaucluse. Le 17 juin, une lettre signée de cent-un habitants de Grambois (Vaucluse) réitéra l’intervention en sa faveur : « La population de Grambois très affligée par l’arrestation du Docteur Medvedowsky, universellement aimé et admiré pour son dévouement envers ses malades et sa grande compétence, supplie les autorités responsables de le lui rendre au plus tôt ». Le 18 juin, ce fut le tour des quatre-vingt-onze habitants de Saint-Martin-La Brasque d’exprimer leur émotion et le 19, une nouvelle lettre fut adressée au préfet par des habitants de La Tour d’Aigues. Cette mobilisation exceptionnelle fut vaine, mais elle donnait la mesure de sa popularité. Son corps fut découvert fin novembre 1944 sur le territoire de la commune de Beaumont-de-Pertuis à quelques kilomètres du pont de Mirabeau, sur le lieu où s’élève aujourd’hui une stèle à sa mémoire : « Ici est mort pour la France le docteur S. Medvedowsky assassiné le 17 juin 1944 par les Allemands et par des Français traîtres à leur pays ». Il fut inhumé à La Tour d’Aigues en présence d’une foule considérable. Un détachement des Forces républicaines de sécurité (unité de police créée à la Libération) lui rendit les honneurs. Une des rues principales de La Tour d’Aigues porte son nom.
Titulaire de la Croix du combattant 1914-1918, il fut décoré à titre posthume de la Croix de guerre avec étoile de bronze le 23 décembre 1946, puis de la Médaille de la Résistance et de la Croix de guerre avec palme le 5 janvier 1959.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article140542, notice MEDVEDOWSKY Schlema par Michèle Bitton, Jean-Marie Guillon, version mise en ligne le 13 mai 2012, dernière modification le 2 avril 2022.

Par Michèle Bitton, Jean-Marie Guillon

Schlema Medvedowsky en 1923
Schlema Medvedowsky en 1923
Cliche fourni par son fils, Jean-Louis Medvedowsky

SOURCES : Arch. dép. Gard 3 U 7 446 et 448 (dossiers Sarie et Thesmar). ⎯ Arch. Dép. Vaucluse, 7W16, 6W37. —Association des amis du Musée de la Résistance et de la Déportation, La mémoire gravée. Monuments, stèles et plaques commémoratifs de la Seconde Guerre mondiale dans le département de Vaucluse, Fontaine-de-Vaucluse, Musée d’Histoire, 2002. ⎯ Association « Pour le Luberon », Bibliothèque municipale, « Les amis du livre », La Tour d’Aigues, 2013. ⎯ Isaac Lewendel avec Bernard Weisz, Vichy, la pègre et les nazis. La traque des Juifs en Provence, Paris, nouveau monde éditions, 2013. ⎯ Jean-Louis Medvedowsky, Mémoire d’automne, chez l’auteur, 2001. ⎯ Rapapéou (bulletin de l’A.M.I.T.I.E.) n°13, 2000. — État civil de Beaumont-de-Pertuis et de La Tour-d’Aigues.

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