MASSON Agnès [née CHIARLI Agnès]

Par Éric Nadaud

Née le 9 septembre 1900 à Sesto Fiorentino (Italie) ; médecin-directeur des hôpitaux psychiatriques ; conseillère municipale socialiste de Châlons-sur-Marne (Marne) (1945-1947) ; membre de la Commission nationale féminine du Parti socialiste SFIO ; secrétaire nationale de la Fédération nationale des élus socialistes municipaux et cantonaux, et du Groupe des Femmes socialistes élues municipales et cantonales (1946-1947) ; directrice de la Revue de la femme socialiste ; secrétaire de la fédération de la Marne du Parti socialiste unitaire (1948).

Après avoir obtenu une licence de lettres à la Faculté de Besançon, Agnès Chiarli poursuivit des études à l’École de médecine de Grenoble, dont elle sortit lauréate et couronnée d’un prix en 1927. D’abord interne dans des asiles publics d’aliénés, notamment à Saint-Ylie (Jura) de 1927 à 1929, elle soutint en 1929 une thèse de médecine sur la protéinothérapie dans le traitement des maladies mentales. Admise au concours du médicat des asiles en 1933, première femme médecin-directeur d’un hôpital psychiatrique, elle exerça à la maison de santé départementale de Saint-Alban, en Lozère, de 1934 à 1936, puis à celle de Naugeat-Limoges, dans la Haute-Vienne. Elle s’adonna en même temps à des activités de recherche, présenta plusieurs communications devant la Société médico-psychologique, dont elle devint en 1936 membre correspondant, publia en 1935 un essai de psychopathologie sexuelle sur le travestissement, et assura des conférences à la TSF sur l’hygiène mentale. Elle fut rapporteur pour la France au congrès international de protection de l’enfance en 1938.

À suivre ses déclarations, elle s’engagea sur le terrain politique à partir de 1936, en adhérant au Parti socialiste. Pendant la guerre, elle eut de mauvais rapports avec le régime de Vichy, qui la déplaça en 1942 en zone occupée, loin de ses deux jeunes enfants. Elle rendit des services à la Résistance, dont elle hébergea un responsable important, auquel elle servit d’intermédiaire. À la Libération, elle était secrétaire de l’Union cantonale des FTPF de Châlons-sur-Marne.

En octobre 1944, elle fut nommée médecin-directeur de l’hôpital psychiatrique de Châlons-sur-Marne. Elle y prit une série d’initiatives, souvent de nature expérimentale, visant à humaniser l’établissement et à y modifier les relations entre les malades, le personnel soignant et le monde extérieur, pour réintégrer les premiers dans une forme de vie sociale. Cette « expérience de Châlons-sur-Marne », pour reprendre la formule qu’elle employa elle-même lors de la présentation qu’elle fit de son action devant la Société médico-psychologique en 1948, compte dans l’histoire de l’assistance psychiatrique en France. Elle s’inscrivait dans le cadre d’un vaste mouvement de réforme de l’hospitalisation psychiatrique, impulsé au lendemain de la guerre par tout un groupe de « jeunes psychiatres », dont Agnès Masson ne faisait pas partie mais dont elle partageait les objectifs, qui furent à l’origine de la transformation des établissements de santé mentale en de véritables lieux thérapeutiques, malgré la résistance de l’administration.

Dans le même temps, Agnès Masson poussa plus avant son engagement au service de la SFIO. Son activité militante fut d’abord départementale. Aux élections de mai 1945, absente de la liste présentée par les socialistes au premier tour, mais admise sur celle, dite « d’Unité républicaine », que les formations de gauche constituèrent ensemble pour le second tour, elle fut élue conseillère municipale de Châlons-sur-Marne. Elle prit une part importante aux travaux de la municipalité, aux côtés du maire SFIO Irénée Dlévaque*, jusqu’à l’été 1947. En août 1945, elle entra aussi à la commission exécutive de la fédération socialiste de la Marne. Elle y reçut la responsabilité des Groupes socialistes d’entreprise (GSE), qu’elle mit en place dans le département en multipliant les tournées de propagande, en organisant leur premier congrès, en juin 1946, et en lançant et dirigeant à partir d’avril 1946 une édition mensuelle réservée à la Marne du bulletin d’information des GSE de la région parisienne, Le Lien socialiste marnais, publiée dans l’organe fédéral, Le Travail. De plus, secrétaire générale-adjointe de l’Union des élus municipaux socialistes marnais à partir de février 1946, initiatrice du premier congrès fédéral des femmes socialistes, à Reims, en janvier 1946, puis d’un congrès interfédéral, en mars, elle joua un grand rôle dans l’organisation départementale tant des élus que des femmes socialistes, avec une ardeur qui lui valut d’être portée en 1947 à la présidence de l’Union des femmes élues de la Marne. Elle anima en outre la section de la Marne du Cercle Jean Jaurès, dont elle fut à la fois responsable et conférencière.

Elle accéda également à des responsabilités de niveau national à l’intérieur du parti. Le congrès national d’août 1945, auquel elle participa comme déléguée de la Marne et membre de la commission des statuts, fut une étape décisive. À son issue, elle entra à la Commission nationale féminine du Comité directeur. À partir de septembre 1946, elle siégea au bureau de la Fédération nationale des élus socialistes municipaux et cantonaux. À ce titre, elle écrivit dans L’Élu socialiste, publia deux études, l’une sur les problèmes de la reconstruction, l’autre sur la protection de la mère et de l’enfant, et rédigea une partie du programme municipal socialiste. Fin 1946, elle devint la secrétaire nationale du Groupe des Femmes socialistes élues municipales et cantonales, que la Fédération nationale des élus venait de constituer. Elle en fonda et dirigea l’organe mensuel, la Revue de la femme socialiste, dont le premier numéro parut en décembre 1946. Par ailleurs, elle fit partie du bureau de la Fédération nationale des médecins socialistes, et de celui des groupes d’Amis de l’Enfance ouvrière de la région parisienne. Elle servit encore la SFIO par sa participation à de nombreuses tournées de réunions et d’organisation, ainsi qu’en contribuant à la rédaction d’une étude destinée au ministère d’État de Guy Mollet, fin 1946, pour la coordination des services ministériels se rapportant à l’enfance.

Son élan fut brisé au milieu de l’année 1947 par un dur conflit disciplinaire et personnel qui l’opposa à la Fédération socialiste de la Marne. Celle-ci la suspendit de toute délégation le 27 mai, puis l’exclut du parti le 13 juillet, pour avoir organisé des réunions sans son assentiment préalable, et tenu des propos préjudiciables à certains de ses responsables. Saisie, la Commission nationale des conflits chercha un compromis. Elle jugea le 31 juillet que les sanctions, « fondées dans leur principe », n’en étaient « pas moins trop sévères », et les réduisit à un blâme, assorti de l’obligation d’adhérer à une autre fédération. Mais cet arbitrage n’eut pas l’effet apaisant escompté car le conflit local se doubla bientôt d’un désaccord politique majeur sur la ligne du parti. Agnès Masson se situait depuis longtemps à l’aile gauche, parmi les socialistes partisans de l’unité avec le Parti communiste et désireux d’une politique conforme aux principes de classe du socialisme. Ainsi, elle avait fait adopter en mai 1947 par la section de Châlons-sur-Marne une motion réclamant le réexamen par un congrès national extraordinaire de la présence des socialistes au gouvernement. Or elle se solidarisa avec les dirigeants de la tendance de gauche Bataille socialiste lorsque ceux-ci, dressés contre la dérive « droitière » de la direction nationale, furent exclus du parti, en janvier 1948. Quittant elle-même la SFIO, elle les rejoignit au sein du Parti socialiste unitaire, dont elle devint en septembre 1948 la secrétaire de la Fédération de la Marne. Ce fut son dernier signe d’activité militante.

Cette rupture politique coïncida avec de sérieux revers professionnels. Le journal Samedi-Soir publia le 22 mars 1947 « Un reportage photographique sensationnel sur une expérience révolutionnaire en psychiatrie », sous-titré : « Pour guérir ses malades, l’aliéniste Agnès Masson les fait danser », qui la montrait dansant elle-même avec l’un de ses patients. Si ce reportage renforça sa notoriété, il ne fut pas du goût de sa hiérarchie. Agnès Masson fut suspendue de ses fonctions en juillet 1947, et déplacée d’office en janvier 1948 sur un poste de médecin-chef à l’hôpital psychiatrique de Saint-Venant, dans le Pas-de-Calais. Son départ fut cependant différé, à la faveur d’un long congé de maladie à partir de l’été 1947, puis d’une mise en disponibilité, qu’elle sollicita pour pouvoir « défendre librement » ses idées sur la réforme de l’assistance psychiatrique, ce qu’elle fit en effet en 1948, tout en assurant un cours libre à l’École de médecine de Reims, outre son action politique. Dans les années qui suivirent, elle continua à se justifier, poursuivit des recherches sur les expériences menées dans le monde en vue d’améliorer le traitement des maladies mentales, et lança dans cet esprit en 1952 une revue intitulée L’Assistance psychiatrique. Sociothérapie, ergothérapie, ludothérapie. Revue psychiatrique, dont elle ne put faire paraître que deux numéros. Mais ses relations avec son administration demeurèrent difficiles. Après un bref passage par l’établissement de Saint-Venant, elle obtint une deuxième mise en disponibilité en août 1950. Réintégrée en février 1951, elle fut nommée à Alençon après un intérim à Sotteville, puis de nouveau suspendue en mai 1952, et remise en disponibilité, cette fois d’office, à compter de juin 1952. À nouveau réintégrée en mai 1953, elle fut affectée à l’hôpital psychiatrique de Cadillac (Gironde), où elle semble avoir terminé sa carrière en 1955.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article140654, notice MASSON Agnès [née CHIARLI Agnès] par Éric Nadaud, version mise en ligne le 29 mai 2012, dernière modification le 11 avril 2016.

Par Éric Nadaud

ŒUVRE : Sous le nom d’Agnès Chiarli : Contribution à l’étude de la protéinothérapie. L’autohémothérapie citratée dans le traitement des maladies mentales, thèse pour le doctorat de l’Université de Lyon, section de médecine, n° 286, présentée et soutenue publiquement devant la Faculté de Médecine et de Pharmacie, le 27 juin 1929, Lyon, Imprimerie Bosc Frères et Riou, 1929, 104 p. – Articles de recherche médicale dans Monde Médical, Gazzetta degli Ospedali et delle Cliniche, Annales Médico-Psychologiques, Revue de Phtisiologie… – Le travestissement, essai de psycho-pathologie sexuelle, Paris, Éditions Hippocrate, 1935. Sous le nom d’Agnès Masson : Jean Jaurès et le culte de l’idéal, préface de Bracke, Éditions du Cercle Jean Jaurès, 1946. – Les municipalités et la protection de la mère et de l’enfant, Fédération nationale des Élus socialistes municipaux et cantonaux, Paris, 1947. – Les problèmes de la reconstruction. Le permis de construire, Fédération nationale des Élus socialistes municipaux et cantonaux, Groupe des Femmes élues, Union républicaine, Châlons-sur-Marne, 1947. – Femmes, voici pourquoi je suis socialiste, préface de Léon Blum*, Paris, Éditions de la Liberté, 1947. – L’Assistance psychiatrique nouvelle, préface de Suzanne Lacore, Paris-Châlons, Éditions champenoises, 1948. — Articles dans la Revue de la femme socialiste (1946-1947) et dans l’Assistance psychiatrique (1952-1953).

SOURCES : Le Travail, hebdomadaire de la Fédération socialiste de la Marne, 1944-1947. – Le Journal de la Marne, 1945-1947. — Samedi-Soir, 22 mars 1947. – Bulletin intérieur du Parti socialiste (SFIO), n° 27, août 1947. – La Bataille socialiste, 1948. – Philippe Paumelle, Essais de traitement collectif du quartier d’agités, thèse pour le doctorat en médecine, 1952, Éditions ENSP, Rennes, 1999. – François Fourquet, Lion Murard, Histoire de la psychiatrie de secteur, Éditions Recherches, Paris, 1975. – Nicolas Henckes, Le nouveau monde de la psychiatrie française. Les psychiatres, l’État et la réforme des hôpitaux psychiatriques de l’après-guerre aux années 1970, thèse pour le doctorat de sociologie, EHESS, 2007.

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