Par Freddy Joris
Ensival (aujourd’hui commune de Verviers, pr. Liège, arr. Verviers), 25 décembre 1880 – Verviers (pr. Liège et arr. Verviers), 3 mars 1967. Ouvrier textile, militant socialiste, dirigeant syndical local puis wallon, conseiller communal puis bourgmestre de Verviers, député de l’arrondissement de Verviers.
Né dans une famille de sept enfants, Alexandre Duchesne n’est pas baptisé, ce qui lui vaudra à dix-huit ans d’être refusé à l’embauche chez Simonis, la grande firme textile verviétoise dont les dirigeants sont des figures de proue du parti catholique verviétois. Duchesne commence à travailler dans le textile à l’âge de dix ans et demi déjà, mais il fréquente assez tôt les cours du soir organisés par les cercles socialistes et il se forme en autodidacte.
Alexandre Duchesne est membre du Parti ouvrier belge (POB) dès l’âge de quatorze ans, en 1894. Quatre ans plus tard, il est licencié de l’usine Regout pour y avoir été surpris en train de lire L’Écho du Peuple. Il s’investit peu après dans l’action syndicale lorsque le disonais (Dison, pr. Liège, arr. Verviers), Jean Roggeman, relance le syndicalisme verviétois en plaçant le mouvement sous le signe de la neutralité syndicale par rapport aux options politiques et religieuses. Roggeman, qui ne veut pas rebuter le courant anarchiste ainsi que les ouvriers chrétiens, donne au syndicat un journal, Le Tisserand, créé en 1900 et devenu Le Travail dès l’année suivante.
En 1900, Alexandre Duchesne est secrétaire adjoint du Syndicat verviétois des ouvriers laveurs (de laine, travaillant dans les lavoirs) et s’affirme comme particulièrement combatif. Il gagne ses galons de leader syndical local six ans plus tard, à l’occasion du grand lock-out de 1906 pendant lequel il assume la fonction de secrétaire du Comité de défense (organisateur de la résistance ouvrière face à la fermeture générale de toutes les usines textiles de l’agglomération). Entre ces deux dates, le syndicalisme, quasi réduit à néant à la fin du 19e siècle suite à l’échec de grands mouvements de grève tant dans la métallurgie que dans le textile, a repris vigueur à Verviers. Alors que le militant anarchiste bruxellois, Paul Flaustier*, passant dans la région, écrit au début du siècle « Il vaut mieux ne pas parler de Verviers et jeter sur cette ville un suaire, tout mouvement ouvrier y est éteint », seize mille des vingt mille travailleurs verviétois sont syndiqués en 1906, dont 100 % dans le textile et presque autant dans la métallurgie, et les conflits pour faire aboutir des revendications y sont quasi constants.
C’est dans ce climat social particulièrement agité qu’un premier lock-out est déclenché par le patronat en février dans l’ensemble des usines textiles de Dison, au nord de l’agglomération verviétoise, un second en avril dans la quasi-totalité des lavoirs de l’agglomération, un troisième en août dans l’ensemble des tissages, un quatrième enfin, toujours en août, à nouveau dans les lavoirs. C’est pour appuyer ce dernier lock-out et tenter de mettre un terme aux conflits incessants qu’en septembre, le patronat déclenche un lock-out général du textile, privant de travail seize mille ouvriers. Ceux-ci résistent cette fois durant six semaines, contre toute attente du point de vue patronal, et cela grâce à la solidarité nationale, aux réserves financières des syndicats locaux mais aussi à l’épargne personnelle des travailleurs. Le conflit se termine par la signature de la première convention collective en Belgique, s’appliquant à l’ensemble d’un secteur dans toute une agglomération industrielle.
L’accord signé en 1906 implique de la part du patronat la reconnaissance des syndicats, et pour ceux-ci le respect à l’avenir de mécanismes internes de décision de nature à canaliser les revendications et éviter les mouvements spontanés. C’est dans ce contexte nouveau qu’Alexandre Duchesne est élu permanent du Syndicat des laveurs en 1910 et quitte définitivement l’usine.
Tout comme le fait Jean Roggeman à Dison, Alexandre Duchesne se lance parallèlement dans l’action politique au sein du Parti ouvrier belge (POB) lors du renouvellement de la moitié du conseil communal de Verviers en octobre 1911. L’heure est aux coalitions laïques (libérale-socialiste) au niveau national, et c’est un cartel du même type qui se présente aux communales de 1911 à Verviers, où le POB dispose déjà d’un échevin depuis 1896 au sein d’un collège libéral. Duchesne est élu conseiller communal et va le rester durant plus d’un demi-siècle ! Son mandat lui vaudra durant la première occupation allemande d’être enfermé quelque temps comme otage avec des notables de la ville dans le bâtiment de la société d’harmonie.
En février 1915, Alexandre Duchesne est un des fondateurs de l’Union coopérative du pays de Liège, qui organise une collaboration, rendue nécessaire par les circonstances, entre cinquante-deux coopératives socialistes de la province de Liège, dont quatre de Verviers : tous ces organismes sont fragiles comme la faillite de la Maison du Peuple de Verviers au lendemain du grand lock-out l’a montré. Dès 1917, il est envisagé de fusionner les diverses coopératives adhérentes en une seule organisation. Légalement constituée en mai 1918, celle-ci exploite près d’une centaine de Maisons du Peuple et quelque deux cent cinquante magasins coopératifs deux ans plus tard. Alexandre Duchesne préside alors le Comité verviétois de l’Union coopérative, mandat qu’il occupera durant quarante-deux ans.
Sur le plan syndical, Alexandre Duchesne est nommé dès 1919 secrétaire permanent de la Centrale des ouvriers textiles de Belgique (COTB) pour la Wallonie. Au décès de Jean Roggeman en 1928, il succède à celui-ci comme président de la Centrale syndicale verviétoise. Il restera secrétaire de la Fédération ouvrière textile verviétoise jusqu’en 1946. C’est en tant que principal dirigeant syndical verviétois qu’il lui faut assumer les cinq mois ( !) de grève générale du textile dans l’agglomération en 1934. Ce mouvement est déclenché, par référendum, le 26 février, suite à la volonté patronale de remettre en cause toutes les conventions conclues depuis 1906 et de retourner aux conditions de travail antérieures à cette date. Le conflit se soldera par une victoire patronale totale et des manifestations tumultueuses d’une partie des grévistes qui tentent de s’emparer de la Maison syndicale. Les dirigeants répondent en les faisant arroser à la lance d’incendie. En tant que dirigeant de la Fédération ouvrière textile, Alexandre Duchesne est vivement critiqué lorsque la capitulation, pourtant inévitable dans le contexte de crise économique et de difficultés du mouvement socialiste (faillite de la Banque belge du travail-BBT), se produit le 30 juillet. Il fait office de bouc émissaire et ses adversaires comme ses concurrents, notamment communistes et chrétiens − le syndicat chrétien, moribond depuis la fin du 19e siècle, parvient à se réimplanter durablement à Verviers à la faveur de ce conflit −, ne manquent pas de dénoncer ses cumuls de fonctions et de revenus (« l’homme aux 100.000 francs » écrit-on). Alexandre Duchesne est non seulement dirigeant du syndicat et de la coopérative mais aussi, depuis 1927, chef de groupe socialiste au conseil communal et surtout député de l’arrondissement de Verviers. Il a d’abord siégé un mois en 1921 du 20 novembre au 23 décembre, puis sans discontinuer du 5 mai 1925 à 1939 et enfin du 17 février 1946 à 1949.
Duchesne siège donc au Parlement jusqu’aux élections d’avril 1939 mais, selon lui (lors d’un hommage qui lui sera rendu en 1961), il reverse la moitié de ses ressources de parlementaire aux Jeunesses socialistes.
Durant la Seconde Guerre mondiale, Alexandre Duchesne est à nouveau incarcéré comme otage, cette fois au fort de Huy (pr. Liège, arr. Huy).
À la Libération, lors de la création de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), Alexandre Duchesne abandonne la direction du syndicat socialiste verviétois pour privilégier l’action politique. C’est ainsi qu’il retrouve son siège de député en 1946 mais jusqu’en 1949 seulement, et surtout, alors qu’il a refusé d’être échevin durant l’Entre-deux-guerres au décès d’Emmanuel Kestchgès en 1930, il devient le premier bourgmestre socialiste de Verviers en 1947, à la tête d’une étroite coalition de gauche regroupant, pour la seule fois dans l’histoire politique locale, les élus socialistes, communistes et l’unique élu (à Verviers tout comme dans le pays) de l’Union démocratique belge (UDB), éphémère parti démocrate-chrétien issu de la Résistance, Louis Bertholet. Si Duchesne ne se représente pas au Parlement en 1949, c’est pour se consacrer uniquement à sa fonction de bourgmestre.
Alexandre Duchesne redevient chef de l’opposition socialiste au conseil communal après les élections d’octobre 1952, il y siège encore douze ans. Il est également le président du Comité verviétois de l’Action commune (associant parti socialiste, FGTB, coopérative, mutualité) depuis 1947 et le président de la Fédération socialiste de l’arrondissement de Verviers depuis 1950. Il se retire de la vie politique en 1964, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, et décède trois ans plus tard.
Par Freddy Joris
ŒUVRE : Historique des salaires de 1919 à 1929, Verviers, 1929 – La grève générale dans l’industrie textile verviétoise, Verviers, 1934 − « Les syndicats ouvriers dans la vallée de la Vesdre (bref historique) », dans Le mouvement ouvrier socialiste à Verviers 1885-1960, Verviers, 1960, p. 37-47.
SOURCES : HENNEBERT C., La grève générale dans le textile à Verviers en 1934, Mémoire de licence en histoire ULB, Bruxelles, 1977 (inédit) − MESSIAEN J.-J. et MUSICK A., 1885-1985. Histoire des Fédérations. Verviers, Bruxelles, 1985. (Mémoire ouvrière, 11) − La Vesdre rouge, Verviers, Fédération verviétoise du PS, 2005 − JORIS F., 1906. Une saga verviétoise, Verviers, Éditions des Champs, 2006.