Par Gilles Morin, Anne-Laure Ollivier
Né le 13 août 1914 à Salonique (Grèce), mort le 21 avril 1987 à Marseille (Bouches-du-Rhône) ; employé de banque, puis transitaire ; président du Conseil d’administration de la SOCOMA (manutention dans le port) ; militant socialiste des Bouches-du-Rhône ; conseiller municipal de Marseille (1953-1965) ; conseiller général de Marseille 10e (1955-1967) ; secrétaire du conseil général (1955-1962) ; député (1962-1967).
Fils d’Isaac, Salomon et de Marie-Anny Gattorio, Daniel Matalon, après des études primaires supérieure et au lycée Saint-Charles, suivit l’enseignement de l’École supérieure de commerce de Marseille (ESCM). Employé de banque en 1939, sous-lieutenant de réserve, Matalon s’engagea jeune en politique. Socialiste, il participa à la scission pivertiste et fut trésorier fédéral puis secrétaire adjoint de la fédération des Bouches-du-Rhône du Parti socialiste ouvrier et paysan (PSOP) en 1939. On ne connaît pas son activité pendant la guerre et l’Occupation.
Capitaine de Réserve, il se maria le 21 août 1941 à Marseille, avec Magali Brunet, née le 1er avril 1912 à Marseille, sans profession. Ils eurent une fille.
De retour à la SFIO à la Libération, membre de la Xe section de Marseille, celle de Gaston Defferre, il joua un rôle important dans la consolidation du système Defferriste au cœur de la guerre froide. Il participa à la création de la Société Coopérative ouvrière de Manutention du port de Marseille (SOCOMA), dont il fut président du conseil d’administration. Celle-ci était une véritable officine socialiste sur le port : « La création de la Socoma répondait clairement à un objectif politique : aider la SFIO et contrer l’influence communiste sur les docks », affirme Charles-Émile Loo*, sa cheville ouvrière. Une petite équipe œuvra à la naissance de l’entreprise, chargée de recruter « des dockers aussi musclés que militants » : aux côtés de Charles-Émile Loo, Irma Rapuzzi, Antoine Andrieux, Daniel Matalon, Lucien Peyrassol.
Ayant ainsi gagné ses galons de militant dans la lutte anticommuniste dans cette période d’apogée de la guerre froide, il fut élu conseiller municipal en 1953, puis conseiller général du 10e canton de Marseille le 24 avril 1955. Réélu le 11 juin 1961, il fut secrétaire du conseil général en 1957-1962, membre de la commission départementale en 1964-1965 et rapporteur général du budget de 1958 à 1967. Il était par ailleurs administrateur de l’Assistance publique de Marseille (1953-1965), administrateur de l’Office municipal d’HLM (1953-1965) et de l’Office départemental (1961-1967).
Bien que candidat malheureux aux élections législatives de 1958, pour les législatives de novembre 1962, la SFIO le présenta au nom du “Rassemblement démocratique” dans la 2e circonscription des Bouches-du-Rhône. Il fit campagne en priorité contre les gaullistes. Dans sa profession de foi, il écrivait : « Ils n’existent pas (les socialistes), comme les UNR en fonction d’un seul homme qui si grand soit-il, peut se tromper et qui, comme nous tous est mortel. » Il fut élu député, le 25 novembre 1962 en battant Jean Fraissinet, directeur du Méridional, grâce au désistement du communiste Georges Lazzarino, secrétaire fédéral du PCF marseillais. À l’Assemblée, il appartint à la commission production et échanges en 1962-1965.
En vue des élections municipales à Marseille de mars 1965, Matalon et Massias entrèrent en conflit avec Gaston Defferre lorsque, en octobre 1964, celui-ci soumit à la fédération socialiste marseillaise sa tactique de listes communes avec le MRP et le CNI. Anticommuniste, Matalon, comme nombre de militants de la base, n’accepta pas de faire liste commune avec des proches de Fraissinet, qu’il avait bouté hors du Parlement et qui demeurait l’un des pires ennemis des socialistes marseillais. Élu député en 1962, le socialiste avait conservé de bons rapport avec Georges Lazzarino. D’autant que, sur le terrain, le combat contre le gaullisme et contre la force de frappe plaçait côte à côte socialistes et communistes. Matalon prit la tête de l’opposition au secrétaire fédéral, déclenchant bientôt une véritable fronde.
Mais les arrières-pensées tacticiennes et l’ambition personnelle ne furent pas non plus étrangères au choix de Daniel Matalon de porter le fer contre le maire de Marseille. Depuis l’entrée en campagne de Defferre pour les présidentielles, Matalon semblait quelque peu éclipsé par son camarade et rival Loo, secrétaire de la dixième section. S’il ne détenait aucun mandat électif, Loo siégeait en effet depuis quelques années au comité directeur de la SFIO. Non content de le charger de la logistique de sa campagne présidentielle, Defferre lui confia en outre la garde de son fief marseillais, en le faisant élire secrétaire fédéral adjoint. Matalon a-t-il pensé pouvoir jouer sa propre carte, au moment où Defferre semblait s’orienter vers un destin national ? Après s’être opposé au secrétaire fédéral de la SFIO, il sembla, il est vrai, n’avoir plus rien à perdre. Defferre n’apprécia guère la campagne de Matalon contre sa tactique pour les municipales. Battu pour l’investiture dans la 10e section, où il obtint néanmoins un tiers des votes, et devant la fédération, le téméraire conseiller municipal sortant fut écarté des listes socialistes. Le choix avait l’apparence de la cohérence, étant donné que Matalon désapprouvait les listes communes avec la droite : il n’en prit pas moins des airs de punition et ne semble pas étranger à la rébellion de l’homme fort de la dixième section.
Daniel Matalon s’inclina dans un premier temps, mais dans La Marseillaise, le quotidien communiste, des militants de la 10e section lancèrent en janvier 1965 un appel à l’union avec les communistes. Puis, communistes et socialistes dissidents annoncèrent la constitution d’une liste de Front populaire dans les huit secteurs de Marseille, Matalon conduisant la liste du 4e secteur. En cas de victoire, Daniel Matalon deviendrait maire de Marseille selon les accords conclus. Au total, trois des douze secrétaires de section de la SFIO marseillaise, trois secrétaires adjoints de section, quatre sous-secrétaires de section rallièrent les listes Matalon-Billoux*. Parmi eux, quatre conseillers municipaux socialistes, dont un adjoint de Defferre, et deux conseillers généraux d’importance – Matalon et Massias. Defferre, qui avait déjà vécu une crise interne autrement plus redoutable, en 1945 – il ne disposait alors ni de l’autorité, ni de la légitimité qui était la sienne en 1965 –, sembla procéder par mimétisme. À commencer par le vocabulaire : dans sa bouche, Matalon, comme Ferri-Pisani* vingt ans plus tôt, n’était plus un socialiste mais un « renégat du socialisme », un « traître », doublé d’un « lâche ». Opposait-il la « morale » et la fidélité au socialisme, à l’alliance tacticienne et « immorale » de Defferre ? Le patron de la fédération brandissait la discipline et la légalité socialiste – sa tactique était conforme à la ligne définie par le parti –, renvoyant à Matalon l’image de l’« ambitieux », sans scrupule, prêt à faire perdre son camp. Vingt-trois colistiers furent exclus de la SFIO et Defferre fit en outre dissoudre les trois sections (2e, 4e et 9e) dont la direction avait participé à la dissidence.
Le retrait quelque peu rocambolesque de la liste gaulliste permit aux socialistes SFIO orthodoxes de l’emporter dans le 4e secteur, où Matalon perdit son siège, et la liste Defferre l’emporta de justesse sur la ville. Avec quarante-et-un sièges sur soixante-trois – mais seulement vingt socialistes contre vingt trois en 1959 – Defferre réussit à conserver la mairie. À maints égards pourtant, Defferre emporta une victoire en trompe-l’œil, avec une perte de sièges pour la SFIO et un cinquième des voix socialistes de 1959 environ s’étaient portées sur les listes Front populaire. L’autorité de Defferre avait été contestée, sa tactique remise en cause et une partie de l’électorat n’avait pas semblé éprouver de gêne à voter pour des listes Front populaire.
Daniel Matalon à l’Assemblée rejoignit les rangs des non-inscrits en avril 1965. Il devint secrétaire général du regroupement des socialistes et démocrates de gauche à Marseille. Mais Defferre continua à poursuivre de ses foudres Daniel Matalon, au point de lui faire perdre un à un tous ses mandats. Immédiatement, Matalon perdit la présidence de la SOCOMA au profit de Charles-Émile Loo.
Daniel Matalon demanda en mars 1966 l’adhésion à la FGDS du « Regroupement des socialistes et démocrates de gauche ». Charles Hernu, secrétaire de la FGDS, lui répondit qu’il devait demander son adhésion à la Fédération départementale des Bouches-du-Rhône. Celle-ci, présidée par Gaston Defferre, avait déjà affirmé son opposition à cette entrée. Matalon renouvela sa demande, en appelant au comité national : il affirmait que le « Regroupement » était non un club local, mais un courant de pensée de la gauche française, ayant des antennes dans neuf départements, et comprenant 1 500 membres dont une dizaine seulement d’exclus de la SFIO. Il remarquait que comme membre de « l’Atelier Républicain des Bouches-du-Rhône Gaston Crémieux » il était déjà membre de la Fédération, ainsi que Massias. Il pouvait arguer encore de son appartenance au Club des Jacobins (carte 557), qui participait à la CIR ; mais en vain.
Réduit à se présenter comme candidat socialiste indépendant aux élections législatives (où il fut battu par Charles-Émile Loo) et aux cantonales de 1967 (où il obtint 2,7 % des voix), puis aux législatives de juin 1968, il fut battu et se retira de la vie politique en 1969 pour se consacrer à la Franc-maçonnerie selon sa notice nécrologique du Monde. Il était devenu grand-maître adjoint pour la province de la Grande Loge de France en 1978.
Il mourut à soixante-treize ans en 1987.
Par Gilles Morin, Anne-Laure Ollivier
SOURCES : Arch. Nat., F7/15588 ; F/1cII/307, 561, 703 ; F/1cIV/157 ; 19770359/23 ; 19830172/75 ; 20010216/97/2773. — Arch. Assemblée nationale, dossier personnel. — Arch. de l’OURS, 2/APO/3, fonds FGDS et dossier personnel. — Profession de foi, législatives 1962. — Le Monde, 23 avril 1987. — Anne-Laure Ollivier, Gaston Defferre. Un socialiste face au pouvoir, de Marseille à l’élection présidentielle de 1969, Thèse de doctorat d’histoire, ENS de Cachan, 2011, 1149 p.