MANVILLE Marcel [MANVILLE Marcel, Camille]

Par Frédérick Genevée

Né le 18 juillet 1922 à Trinité (Martinique), mort le 2 décembre 1998 à Paris  ; engagé dans les Forces Françaises Libres  ; avocat communiste ; autonomiste puis indépendantiste.

Marcel Manville naquit à Trinité en Martinique, fils de Marius Manville et d’Elvire Altorn qui eurent neuf enfants. Marcel Manville était le seul garçon. Son père était bijoutier de formation mais devint secrétaire général de la mairie de Trinité en même temps qu’il était conseiller général socialiste du même canton. Sans être avocat Marius Manville plaidait comme défenseur officieux dans les justices de paix. Son militantisme socialiste lui fit perdre son emploi à la mairie avant de le retrouver quand, aux élections de 1929, Trinité fut gagnée par le parti socialiste. À la mort de son père, c’est la sœur aînée de Marcel Manville, institutrice, qui, renonçant à se marier, aida sa mère à élever cette famille nombreuse. Marcel Manville poursuivit sa scolarité au lycée Victor Schoelcher de Fort-de-France, où enseignait Aimé Césaire, quand la guerre surprit la Martinique.

L’île demeura sous le joug du gouvernement de Vichy représenté par l’amiral Robert jusqu’en 1943. Après le départ des troupes vichystes, Marcel Manville s’engagea dans les Forces Françaises Libres en même temps que son jeune camarade de lycée Frantz Fanon. Ils débarquèrent au Maroc puis participèrent au débarquement de Provence en août 1944. Marcel Manville, engagé pour combattre le nazisme, ressentit fortement les discriminations et le racisme au sein de l’armée française. Il combattit en Alsace et fut décoré de la croix de guerre pour son courage au front. Après avoir stationné dans le sud de la France puis en Normandie, il rejoignit la Martinique en octobre 1945. En décembre, il décida de repartir à Paris pour faire son droit. Son statut d’ancien combattant lui permit de suivre un cursus accéléré et il prêta serment en octobre 1947. Il fut aussi titulaire d’un doctorat en droit. Entre-temps, en 1946, il avait adhéré au PCF. Cette décision mûrie à la lecture des classiques du marxisme et d’une conférence de Roger Garaudy fut accélérée par sa prise à partie physique par la police lors d’une manifestation contre la guerre d’Indochine. En 1950, il était secrétaire adjoint de la cellule du PCF du Palais de Justice et fit ses premières armes professionnelles auprès des avocats communistes Charles Lederman et Pierre Brandon. Il fut choisi pour participer à la fondation du MRAP en 1949 et en fut un des dirigeants. Il resta fidèle toute sa vie à l’organisation antiraciste. Il devint aussi avocat du Secours populaire. Il fut le premier communiste élu en 1953 à la direction de l’Union des jeunes avocats. Il avait son propre cabinet et participa aux procès de la guerre froide comme celui de l’affaire de Saint-Brieuc. Il participa aussi au collectif des avocats communistes pendant la guerre d’Algérie au cours de laquelle il participa à de nombreux procès dont ceux de Bône en 1955, des maquisardes en 1956, de Constantine en 1957. Ces voyages en Algérie lui permirent de revoir Frantz Fanon qui l’hébergea à plusieurs reprises.

Mais son regard restait tourné vers la Martinique et les Antilles. Il participa alors à l’organisation de l’émigration martiniquaise et antillaise en devenant l’un des dirigeants du Regroupement de l’émigration martiniquaise (REM) puis du Regroupement de l’émigration antillaise (REA) qui se dota en 1966 d’un journal – Voix de l’émigration - dont il fut le directeur. Il fut aussi un des fondateurs avec Édouard Glisssant, Ephraïm Marie-Joseph, Justin Catayée et Paul Niger du Front antillo-guyanais pour l’autonomie qui fut dissout par le général de Gaulle en juillet de la même année. Pour cette initiative, il fut d’ailleurs interdit de séjour aux Antilles de 1961 à 1966. Mais il put participer en 1963 à la défense des membres de l’Organisation de la jeunesse anticolonialiste martiniquaise et de ceux de du Groupement des organisations nationales guadeloupéennes en 1967.

Ses rapports avec le PCF furent complexes. Dans ses mémoires, il rappelle ses désaccords sur l’analyse des régimes de l’Europe de l’Est, son malaise lors du procès Kravchenko et de l’intervention soviétique en Hongrie en 1956. Il critiqua aussi le vote des pleins pouvoirs à Guy Mollet en 1956. Les archives du PCF montrent qu’il fut critiqué pour avoir écrit à plusieurs reprises dans la revue communiste dissidente Voie communiste. Mais surtout, le PCF lui reprochait ses initiatives personnelles dans le mouvement anticolonialiste, notamment en 1962 lorsqu’il demanda le soutien du Parti communiste cubain pour le rapatriement et la protection de cinq militants antillais engagés dans l’ALN algérienne. Le PCF craignait que le pouvoir gaulliste s’en saisît pour interdire le Parti communiste martiniquais. D’une manière générale, sa fréquentation des milieux indépendantistes gênait le PCF plus proche des revendications autonomistes. Les dirigeants du PCF lui demandèrent d’ailleurs de ne pas reprendre sa carte en 1963, ce qu’il accepta. Put-il la reprendre plus tard ? Dans ses mémoires, sans cacher ses différences avec le PCF, il continuait de rendre hommage à ce parti.

Marcel Manville accompagna la fondation du Parti communiste martiniquais en 1957 et son choix autonomiste de 1960. Il représenta le REM à la convention du Morne-Rouge en 1971 qui représenta le sommet de la convergence des organisations autonomistes. Il retourna vivre en Martinique à partir de 1976. Bien que membre du PCM, il évoluait de plus en plus vers des positions indépendantistes. L’acceptation par le PCM des lois de décentralisation de 1983 et son choix de participer aux élections régionales le conduisit à s’opposer à la direction du PCM et à créer avec d’autres, en 1984, le Parti communiste pour l’indépendance et le socialisme (PKLS). Cette organisation qui se réclame encore du marxisme-léninisme est surtout une organisation indépendantiste radicale qui refuse de jouer le jeu des institutions politiques françaises. Marcel Manville fonda aussi à la même époque le cercle Frantz Fanon en Martinique. Il défendit avec brio les thèses indépendantistes, la cause palestinienne, la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité. Il organisa pour contrer la commémoration des cinq cents ans de la « découverte de l’Amérique » un procès de Christophe Colomb. En 1998, à Lisbonne, il fit un discours remarqué lors d’une conférence de l’Unesco sur l’esclavage et le colonialisme. Il continuait de plaider et introduisit pour le MRAP la première plainte à propos des massacres d’algériens en octobre 1961. C’est d’ailleurs en allant plaider cette cause au Palais de Justice de Paris qu’il fut terrassé par une crise cardiaque, le 2 décembre 1998. Une gare de transport urbain portant son nom a été inaugurée le 13 décembre 2008 à Trinité.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article141522, notice MANVILLE Marcel [MANVILLE Marcel, Camille] par Frédérick Genevée, version mise en ligne le 20 août 2012, dernière modification le 27 avril 2013.

Par Frédérick Genevée

SOURCES : Marcel Manville, Les Antilles sans fard, 1992. — Archives du PCF. — Droit et Liberté, organe du MRAP. — Entretiens avec Marcel Manville par Mano Loutoby sur Radio Caraïbes International et Mano radio Caraïbes Martinique accessibles sur http://www.manoradiocaraibes.com et Youtube.

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