MONTALAT Jean, François, Étienne

Par Gilles Morin

Né le 12 juillet 1912 à Tulle (Corrèze), mort le 22 septembre 1971 à Limoges (Haute-Vienne) ; pharmacien ; maire de Tulle en 1959-1971 ; député socialiste de la Corrèze (1951-1971) ; vice-président de l’Assemblée nationale de 1959 à 1969.

Fils d’Étienne Montalat, militaire de carrière au 100e Régiment d’infanterie en garnison à Tulle, et d’Adèle Laval, sans profession, Jean Montalat fréquenta les classes élémentaires du lycée E. Perrier de Tulle de 1918 à 1921. Son père étant muté à Limoges, il y acheva son cycle primaire et entra au lycée Gay-Lussac où il se montra un grand sportif. Il entama des études médicales à l’armée, au Prytanée de La Flèche en octobre 1930. Très brillant élève, il devint sergent-major. Puis, il suivit les cours de l’école préparatoire en pharmacie de Limoges en octobre 1931, et en sortit avec un diplôme de pharmacien-chimiste, toxicologue de l’État en 1936. Actif joueur du sporting-club tulliste, il a obtenu divers titres de champion d’Académie en course de vitesse, et avait fait du rugby au Limoges Etudiant Club. Il fit son service militaire dans deux hôpitaux de l’armée, Vichy puis Tulle, en 1936-1937. Après un stage à Limoges, il revint à Tulle en juillet 1938, où il s’installa comme propriétaire d’une pharmacie.

Militant socialiste depuis octobre 1932, Jean Montalat était, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, président départemental des Jeunesses socialistes selon une fiche de police datant des années cinquante. Toujours actif sportif, il participa à divers tournois de Rugby, dont le quart de finale du championnat de France en 1936-1937, et d’aviron. Il assuma diverses responsabilités dans la plupart des associations sportives de la ville.

Mobilisé le 3 septembre 1939 en Moselle, il entra en relation peu après sa démobilisation avec Martial Brigouleix, dit Beaudoin, responsable du mouvement Combat et de l’Armée secrète en Corrèze. Sous le pseudonyme de Lavail, il entra à l’État-major de l’Armée secrète et dans le réseau Alliance de son département. Après des arrestations frappant Brigouleix et Edmond Michelet, menacé par la Gestapo, il rejoignit l’Algérie en octobre 1943, en passant par l’Espagne, et entra à l’état-major du général Cochet. Il revint en France avec la Première armée en participant au débarquement en Provence en août 1944 et conserva de cette aventure d’importantes relations dans les milieux militaires et gaullistes. Surtout, il avait rencontré Henri Queuille, patron des radicaux de la Corrèze, vice-président du CFLN à Alger, qui devint son ami.

Le Comité de Libération de Tulle se transforma le 12 septembre 1944 en municipalité provisoire et accueillit Montalat parmi ses nouveaux membres. Mais la carrière politique de Montalat devait encore attendre. Aux municipales du 29 avril 1945 à Tulle, il figurait en 14e position seulement sur la liste socialiste homogène. Celle-ci n’eut aucun élu.

Jean Montalat, juge titulaire auprès du tribunal de Commerce de la Corrèze, prit alors en main l’organisation des socialistes de sa ville et du département. Secrétaire de la section de Tulle depuis 1945, il accéda au secrétariat fédéral de la SFIO en 1947 et conduisit la liste socialiste qui enleva quatre sièges aux municipales d’octobre 1947. Il fut candidat au poste mayoral avec l’appui du MRP, mais fut battu par un communiste, au bénéfice de l’âge ; le candidat radical, arrivé en troisième position, s’était maintenu au 3e tour. Les élus MRP puis socialistes démissionnèrent de leurs postes de conseillers municipaux en décembre 1947 car il n’y avait pas de majorité. La démission des élus radicaux en 1949 provoqua de nouvelles élections. Les socialistes conservèrent leurs quatre sièges, mais l’entente anticommuniste - radicaux, MRP et socialistes - emporta la majorité. Montalat devint premier adjoint de la ville et fut confirmé à ce poste en 1953, les socialistes gagnant un siège.

Aux législatives du 17 juin 1951, la troisième force de la Corrèze - radicale, socialiste et démocrates chrétiens - dont Jean Montalat était un fervent défenseur, constitua une liste dite de « Défense républicaine » conduite par le président Queuille, apparentée avec la liste des indépendants. Cette désignation « n’a pas été accueillie sans certaines réserves », selon une périphrase d’un rapport préfectoral. À l’émotion du syndicat des instituteurs, en majorité proche des socialistes, répondait une note de l’évêque de Tullle appelant à voter « pour les candidats qui présentent d’avantage de garanties au point de vue chrétienté et à « refuser leurs suffrages à ceux qui repoussent la liberté de l’enseignement ». Champeix avait lui refusé de figurer sur la liste. Elle obtint deux élus, avec 54 351 suffrages, contre 54 326 à la liste communiste, 5 224 à la liste indépendante et 19 641 à la liste RPF. Montalat en deuxième position fut élu avec le leader radical et a été réélu en 1956 sur une liste socialiste homogène qu’il conduisait (23 396 suffrages sur 167 275 inscrits et 135 319 exprimés). Il fut désigné comme vice-président de la commission de la défense nationale de l’Assemblée. Il quitta le secrétariat fédéral après son élection à la députation.

Européen convaincu, Jean Montalat fut un adversaire de la ratification du traité de la CED. Il signa les brochures rédigées par 58 parlementaires socialistes, mais annonça au congrès fédéral de mai 1954, où il fut battu par 42 mandats contre 12, qu’il ne serait pas indiscipliné. Au plan fédéral, se révélait ouvertement à cette occasion la totale opposition qui devait, durant plus de quinze ans en faire un adversaire permanent du Sénateur Champeix, proche de Guy Mollet. Ils devaient pourtant se trouver à contre-emploi dans l’été 1958, lorsque Champeix s’opposa au retour au pouvoir du général de Gaulle, alors que Montalat l’approuvait. Il vota l’investiture de l’ancien chef de la France libre le 1er juin 1958 et fit campagne pour la ratification de la Constitution. Au congrès fédéral de septembre 1958 leurs positions s’équilibraient, 49 mandats pour chaque camp.

Dans le Limousin des années cinquante où l’affrontement entre communistes et socialistes était particulièrement dur, Montalat et d’autres socialistes aux titres de résistances incontestables, comme Rouby, appuyaient l’action de Jean Le Bail, dans sa campagne judiciaire « pour punir les crimes commis sous couvert de la Résistance » qu’il assimilait à des « crimes commis contre la Résistance », engagée contre les communistes et contre l’ancien chef de maquis communiste Georges Guingouin. Avec Le Bail et Regaudie, ils demandèrent lors d’une interpellation à l’Assemblée nationale le 2 mars 1954 que ces « crimes crapuleux ou politiques du Limousin » ne restent pas impunis.

Jean Montalat vota l’investiture du général de Gaulle en septembre 1958 estimant « qu’entre le péril imminent d’une guerre civile et le vote de l’investiture, aucune hésitation n’était possible ». Il fit campagne pour le « oui » au référendum durant l’été, expliquant que la constitution ne menaçait pas les libertés, qu’elle améliorait le fonctionnement du système parlementaire et pouvait assurer la stabilité ministérielle, En novembre 1958, il fut l’un des rares députés socialistes sortants à être réélu. Il le fut avec 24 247 voix contre 18 087 au candidat communiste. Désormais dans un groupe socialiste décapité et peu dynamique, il allait occuper une position importante et se montrer l’un des plus actifs : membre du bureau du groupe dès novembre 1958, il fut élu vice-président de l’Assemblée nationale le 10 décembre 1958 et devint premier vice-président en décembre 1961. Lui qui s’était prononcé comme le reste de son parti contre le référendum pour l’élection du président de la République au suffrage universel - mais avait fait une campagne discrète sur ce thème et il reçut même officiellement dans sa ville le 17 mai 1962 le général de Gaulle - fut réélu à la députation en octobre 1962, par 23 031 suffrages, contre 16 732 à son challenger communiste. Il fut confirmé comme premier vice-président de l’Assemblée nationale jusqu’en avril 1967 puis de nouveau occupa cette fonction du 2 avril à juin 1968 et enfin du 2 avril 1969 à avril 1970. Il passait alors pour un des députés les plus populaires de l’Assemblée. Membre de la délégation française à la conférence des parlementaires de l’OTAN, il était le seul élu de l’opposition à figurer dans le bureau d’une commission parlementaire, comme vice-président de la commission de la Défense nationale. Il intervenait au nom du groupe dans des débats importants. Il interpella notamment le gouvernement à propos de l’affaire Ben Barka en mai 1966.

Il fit encore une campagne inlassable pour la réouverture du dossier du Commandant de la division Das Reich responsable d’Oradour. À l’Assemblée nationale, le 5 décembre 1969, il déclarait : « Je ne parle pas ici dans un esprit de vengeance. Nul, plus que moi, n’est partisan de la réconciliation et de la collaboration franco-allemande ”. Il évoquait alors le jumelage de Tulle avec une ville allemande pour conclure que l’on ne pouvait accepter » que ce crime reste impuni.

Au plan de la politique intérieure de la SFIO, Jean Montalat était un des proches de Gaston Defferre, partisan convaincu des alliances centristes et toujours adversaire déterminé du rapprochement avec les communistes qu’il appelait “ le parti de l’étranger ”. Marcel Champeix démissionna de son poste de secrétaire fédéral en 1964 pour protester contre ce qu’il considérait comme une collusion avec les radicaux, lors des cantonales de 1964, et contre sa présence lors de la réunion inaugurale du Comité d’études et de liaison des démocrates qu’avait approuvé le président du groupe socialiste, Gaston Defferre. Montalat accepta ensuite difficilement la logique de la FGDS, la présentant comme une « étape vers un grand parti travailliste ». Le 22 décembre 1966, après l’accord conclu entre celle-ci et le PCF pour un désistement réciproque en faveur du candidat de gauche le mieux placé aux législatives à venir, il tint une conférence de presse où il déclara :

« Candidat investi par la Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste, je suis surtout le candidat de mon conseil municipal qui est composé de socialistes, de radicaux, de démocrates-chrétiens et de personnalités apolitiques qui se reconnaissent dans l’une de ces trois familles. En aucune manière, je n’accepterai de me désister ou de me retirer au profit du candidat communiste et, si le candidat communiste arrivait en tête au premier tour, ce qui me semble bien improbable, je me maintiendrais au deuxième tour. (...) Plutôt que de pratiquer une politique d’alliance avec le P.C. je préfèrerais renoncer à mon mandat parlementaire ».

Jean Montalat arriva nettement en tête des candidats au premier tour des législatives de mars 1967 (avec 38,96 des suffrages, devant le communiste qui en obtenait 35,9 %). Son concurrent communiste, arrivé deuxième, se retira et il fut élu nettement au deuxième tour avec 30 722 suffrages contre 11 779 au candidat de la Ve République. Il en fut de même en 1968.

Sa position nationale, Jean Montalat la devait à une implantation locale qu’il n’avait cessé de conforter durant dix ans en accumulant les responsabilités. Les municipales de 1959 en ont été une étape essentielle. Il y avait opposé une « Liste d’entente républicaine et d’administration municipale » à celle du maire sortant, radical socialiste désormais allié à l’UNR au premier tour ; nettement devancé, celui-ci s’était retiré, pour ne pas faire le jeu des communistes, et Montalat avait fait élire sa liste en totalité. Le 21 mars 1959, il avait été désigné comme maire de Tulle et il le demeura jusqu’à son décès. Sa municipalité renouvelée en 1965 comptait 11 socialistes, 7 MRP, 6 radicaux et 3 non inscrits. Le député-maire de Tulle se fit ensuite désigner comme président du Comité régional d’expansion économique du Limousin, il comme président de la Commission de développement économique régional (CODER) en 1964-1971. Il était également membre du Comité d’administration de l’Association amicale des maires de Corrèze.

La situation politique de Jean Montalat se dégrada dans les années soixante. Le Limousin était l’objet d’une offensive gaulliste initiée par le Premier ministre Georges Pompidou, relayée sur le plan local par Jacques Chirac et Jean Charbonnel qui se firent élire en 1967 à la députation. La coalition centriste qu’incarnait Jean Montalat se trouvait ainsi prise en tenaille entre un parti communiste toujours puissant et un mouvement gaulliste en extension et disposant de relais puissants dans les cercles du pouvoir et de moyens plus importants. Jean Montalat, qui avait suivi la transformation de la SFIO en parti socialiste sous l’égide d’Alain Savary, restait hostile aux accords avec le PCF et refusait de rompre avec les radicaux. Il donna sa démission du Parti socialiste le 19 décembre 1969, après l’ouverture officielle du dialogue entre le PS et le PCF. Il précisait alors : « Je ne suis pas d’accord avec la décision du parti d’engager les conversations avec le parti communiste, ce qui ne veut pas dire a contrario que je suis d’accord avec M. André Chandernagor quand il tient des dialogues avec les centristes et avec Edgar Pisani. Je ne veux être ni Peppone ni Don Camillo ». La section socialiste de Tulle l’approuva le 18 janvier 1970 et désapprouva, à sa suite, la déclaration commune PC-PS. Le 2 avril 1970, il quitta le groupe parlementaire socialiste dont il avait été longtemps le trésorier et siégea parmi les non inscrits. En mars 1971, la « Liste d’entente républicaine et d’administration municipale » dirigée par Jean Montalat, conserva la mairie, contre la liste d’Union de la gauche (4 890 suffrages contre 3 706 au second tour).

Victime d’un accident de la route le 17 septembre 1971, alors que candidat à la Haute Assemblée Jean Montalat visitait des délégués sénatoriaux, il décéda le 22 septembre suivant au CHR de Limoges. Il fut inhumé après des obsèques religieuses dans la cathédrale Saint-Martin de Tulle. Son fils Jean-François, élu à l’élection complémentaire, lui succéda au conseil municipal. La cité administrative de Tulle dont il avait eu l’initiative porte désormais son nom.

Marié, à Brive, le 14 décembre 1942 à Suzanne Audeguil. Père de deux enfants, Jean-François et Dominique, Jean Montalat, était titulaire de nombreuses décorations, chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire, de la Croix de guerre 1939-1945, il était encore titulaire de la Médaille de la Résistance, de la Médaille des évadés et de la Médaille de l’Éducation physique et sportive.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article141534, notice MONTALAT Jean, François, Étienne par Gilles Morin, version mise en ligne le 21 août 2012, dernière modification le 19 avril 2022.

Par Gilles Morin

SOURCES : Arch. Nat. CARAN, F7/15516, n° 5000. F/1cII/115. — Assemblée Nationale, , dossier personnel. — Archives de l’OURS, dossiers Corrèze et dossier personnel. — La Documentation politique, n° 155, 20-27 mars 1954. — Renseignements fournis par Jean-François Montalat. — Association « Les amis de Jean Montalat », Jean Montalat, enfant de Tulle (1912-1971), Tulle, Amis de Jean Montalat, 1988, 72 p.

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