MALLET Serge [MALLET Pierre, Serge, Claude]

Par Frank Georgi

Né le 20 décembre 1927 à Bordeaux (Gironde), mort le 16 juillet 1973 à Saint-Maximin (Gard) ; journaliste, sociologue, responsable politique ; résistant, militant communiste, journaliste à Ce Soir ; secrétaire permanent de Travail et Culture (1951-1956) ; journaliste à France-Observateur de 1958 à 1964, puis au Nouvel Observateur ; fondateur et animateur du groupe « Tribune du communisme » (1958-1960) ; fondateur et dirigeant national du PSU (1960-1973) ; chef de travaux à l’École pratique des Hautes études depuis 1961 ; professeur au département de sciences politiques de l’Université de Vincennes et directeur du Laboratoire de sociologie de la connaissance depuis 1970 ; théoricien de la « nouvelle classe ouvrière » ; militant occitan.

Serge Mallet était le fils de Jean Henri Mallet, sellier garnisseur né à Bourg-sur-Gironde en 1902, et de Marie Jeanne Mialet, tailleuse, née également en Gironde, à Berson, en 1900. , et de Marie Jeanne Mialet, « tailleuse ». Ses deux grands-pères étaient également des artisans ruraux. Il insista toujours sur son ancrage dans ce milieu modeste, à la charnière du monde ouvrier et de la petite paysannerie, de tradition militante ancienne. La maison familiale se situait dans le village de Comps, dans le vignoble bordelais. Le sociologue Thierry Baudouin, qui travailla plus tard sous sa direction, souligna que cette demeure était « toute proche » de celle de Léo Lagrange*, dont Serge Mallet revendiquait l’héritage. Quant à Alain Touraine, il mit en avant l’importance du « socialisme des vignerons » dans ce « populisme » militant, attentif au vécu concret des paysans et des ouvriers, qui fut toute sa vie une composante originale de sa sensibilité politique. Après l’obtention de son certificat d’études primaires, le jeune Serge Mallet fit des études secondaires au lycée de Bordeaux et décrocha sa première partie du bac en 1943. Cette même année, le jeune lycéen quitta son établissement pour rejoindre la Résistance. Il prit le maquis en Charente et en Gironde, aux côtés d’une jeune femme de cinq ans son aînée, chef d’un corps franc, Michèle Guérillon, qu’il épousa le 15 décembre 1948 à Caudiran, et avec laquelle il eut deux filles. Arrêté et torturé, il réussit à s’échapper. Son action lui valut la médaille de combattant volontaire de la Résistance. En 1945, il adhéra au PCF. Il ne reprit pas ses études interrompues par la guerre. Grand lecteur et autodidacte passionné de culture, de politique et d’éducation populaire, il devint dès 1945 journaliste pour la presse du parti et correspondant départemental du quotidien Ce soir dirigé par Louis Aragon. En 1947, il aurait été suspendu du PCF pendant six mois après un premier désaccord, sur lequel nous ne savons rien. En 1948, il fut admis à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) à Paris, ce qui lui permit de s’initier au cinéma militant. Ainsi, il collabora en 1950, aux côtés de Jean Beckouche, Jean-Jacques Sirkis et Raymond Vogel à la réalisation de Terre tunisienne, moyen-métrage anticolonialiste sorti l’année suivante.

En 1951, le jeune militant communiste fut recruté comme permanent par Travail et Culture, association d’éducation populaire proche de la CGT et passée sous le contrôle du PCF. Il en fut durant cinq ans secrétaire national, aux côtés de son secrétaire général, Maurice Delarue, homme de théâtre et communiste discipliné. Il s’attela, entre autres tâches, au développement de comités locaux de l’association. Françoise d’Eaubonne, entrée également à Travail et Culture dans ces années, et proche de Michèle et Serge Mallet auxquels elle dédia un ouvrage, a évoqué des tensions grandissantes entre ce dernier et Delarue, sans toutefois en indiquer la nature, ni préciser le moment auquel elles commencèrent à se manifester. Il est clair en tout cas que le rapport Khrouchtchev et l’écrasement de la révolution hongroise constituèrent, pour lui comme pour bien d’autres, un choc douloureux. Mais chez Mallet, cette révélation se cumula avec la prise de conscience d’un déphasage entre le discours communiste sur la société française et la réalité de celle-ci. L’expression de ces divergences au sein du parti le fit considérer, dès 1956, comme un élément peu sûr. En quelques mois, il fut privé de toutes ses fonctions et il apprit par lettre, selon Yvon Bourdet, que la direction communiste « ne demanderait pas sa réélection » à Travail et Culture. Lui-même demeura cependant membre du PCF et se rapprocha des oppositionnels, espérant encore au printemps 1958 pouvoir contribuer à changer « le parti de la classe ouvrière » de l’intérieur. Mais, même étalée sur plus d’un an, la rupture constitua, selon Françoise d’Eaubonne, un véritable traumatisme pour ce « stalinien », comparable à « l’effet d’une perte de la foi chez un croyant fanatique ». Elle entraîna de très profondes remises en question sur le plan politique, intellectuel, professionnel et même privé. Il divorça le 27 mai 1958 et épousa l’année suivante, le 21 mars 1959 à Montrouge, une étudiante d’origine grecque de dix-neuf ans, Maria Daraki, intellectuelle brillante, future romancière et universitaire spécialiste de l’histoire de la Grèce antique, qui lui donna deux autres filles. Au chômage et sans ressources, il prit contact avec Jean-Paul Sartre*, lequel accepta de lui accorder une aide financière « modeste » afin qu’il puisse conduire des enquêtes sur les transformations de la classe ouvrière et de l’action syndicale en France, qui pourraient intéresser Les Temps modernes. Les derniers liens qui le rattachaient encore au PCF furent rompus, selon son propre témoignage, le 1er juin 1958, jour de l’investiture du général de Gaulle par l’Assemblée nationale. Il considéra alors que « la plus honteuse des défaites » que la gauche venait de subir ne pourrait être surmontée qu’au prix d’un renouvellement radical de ses analyses et de sa stratégie. L’avènement du gaullisme n’était pas pour lui un « accident de l’histoire », mais l’expression au niveau de la superstructure politique d’une mutation de l’infrastructure économique, le passage d’un capitalisme archaïque au « néo-capitalisme » moderne. Pour abattre le nouveau régime et engager la transformation socialiste de la société française, le PCF avait cessé d’être un « outil » adéquat. Il fallait en forger un autre et Serge Mallet entendait bien y contribuer, sur le plan théorique et politique.

À l’été 1958, il fit partie, avec Jean Poperen*, du petit groupe de dissidents communistes qui fondèrent le « Comité provisoire pour la réunification du mouvement ouvrier » et lancèrent à l’automne le journal Tribune du communisme. Serge Mallet en fut l’un des principaux animateurs et rechercha constamment la jonction avec les tronçons épars de cette « petite gauche » qui ne se reconnaissait ni dans la SFIO, ni dans le PCF. Toujours à l’été 1958, il proposa ses services à l’équipe de France-Observateur, l’hebdomadaire dirigé par Gilles Martinet et Claude Bourdet. Il y publia en novembre un article rédigé à partir d’une enquête conduite à Bordeaux, « La classe ouvrière n’a pas qu’un seul visage », qui fit beaucoup de bruit. Quelques semaines plus tôt, Les Temps modernes avaient fait paraître un long papier, « Pour un programme de l’opposition », dans lequel il appelait à établir un « programme de transition vers le socialisme » s’appuyant sur les secteurs modernes de l’économie. Il fut convié par Edgar Morin* à préparer avec Alain Touraine* un dossier important de la revue Arguments, consacré aux transformations de la classe ouvrière française, paru au début de l’année 1959. Au cours du second semestre de l’année 1958, il acquit une notoriété certaine dans les milieux intellectuels, qui se consolida rapidement. Il devint l’un des principaux rédacteurs de France-Observateur, orientant davantage l’hebdomadaire vers l’étude des questions sociales, et entra en 1961 à son comité de rédaction. L’année précédente, il avait déjà été coopté à la rédaction d’Arguments. Si les Temps modernes cessèrent assez vite de lui demander des articles théoriques, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir* considérant que leur protégé s’était fourvoyé dans la « collaboration de classes », il participa régulièrement à d’autres revues comme La Nef et surtout Esprit. Selon Gilles Martinet, la qualité et l’intérêt de ses articles furent remarqués par des sociologues français et étrangers, d’Alain Touraine à Herbert Marcuse, qui incitèrent le jeune journaliste autodidacte à s’orienter vers l’Université. À partir de 1961, il put faire valoir le titre de chef de travaux à l’École pratique des hautes études auprès d’Alain Touraine et contribuer à des revues scientifiques comme la Revue internationale de sociologie ou Études rurales.

Mais Serge Mallet – même si Marc Heurgon, son futur camarade à la direction du PSU, a pu railler son « ambition des titres universitaires » et sa « vanité » – n’a jamais considéré la connaissance sociologique et la reconnaissance académique comme des fins en soi, mais bien comme des armes pour un combat politique qu’il considérait comme prioritaire. Omniprésent dans les cercles divers de la « nouvelle gauche », le « jeune et brillant Mallet » (Georges Suffert), fut chargé dès 1959 du chapitre sur le syndicalisme pour le livre du Club Jean Moulin, L’État et le citoyen, paru en 1961. Mais le lieu principal de son engagement politique, à partir d’avril 1960, fut le Parti socialiste unifié (PSU), dont il fut, au nom du groupe « Tribune du communisme », l’un des fondateurs, aux côtés des responsables issus du Parti socialiste autonome (PSA) et de l’Union de la Gauche socialiste (UGS). Il fut, à la naissance du nouveau parti, désigné au premier Comité politique national (CPN). Il fut l’un des piliers du Centre d’études socialistes (CES), proche du PSU. Il collabora à l’hebdomadaire du parti, Tribune socialiste, tout en réservant ses contributions les plus importantes à France-Observateur, puis au Nouvel Observateur. Selon Marc Heurgon, dès le congrès de Clichy, en mars 1961, dont il « domina les débats », il s’imposa comme l’« idéologue » du parti et comme le véritable « porte-parole de la gauche nouvelle ». Il y développa une analyse du gaullisme comme l’allié des secteurs les plus dynamiques de l’économie contre les secteurs archaïques, affirmation que le parti ne reprit cependant pas entièrement à son compte, de peur d’être accusé de complaisance à l’égard du régime honni. La stratégie de « front socialiste » alors adoptée, prônant l’alliance entre partis, syndicats et « forces vives » nées de l’expansion, plutôt qu’une simple coalition électorale des partis de gauche, la perspective « socialiste » plutôt que la défense républicaine, même si elle était susceptible de lectures diverses, était parfaitement cohérente avec les thèses de Mallet. Celui-ci se retrouva au sein du PSU beaucoup plus proche des ex-UGS comme Gilles Martinet ou Pierre Belleville, que de son ancien camarade Jean Poperen, pour qui l’union des partis ouvriers demeurait la priorité absolue. Réélu au CPN, il devint alors l’une des principales figures du courant dit du « renouveau socialiste » au sein du PSU.

Très impliqué dans la lutte contre la guerre d’Algérie – son appartement fut plastiqué par l’OAS en janvier 1962 – Serge Mallet se prononça pour le « oui » au référendum sur les accords d’Evian, mais le parti ne le suivit pas et appela à voter « nul ». La paix revenue, il poursuivit son double combat d’analyste de la société française et de militant politique. Il publia en 1962 son premier ouvrage au Seuil, [Les paysans contre le passé], enquête journalistique dans les campagnes françaises, où il analysa les mutations et les luttes du monde rural, et en tira des conclusions proches de celles qu’il défendait à propos de l’industrie : les clivages anciens sont dépassés, des forces neuves sont apparues, comme les Jeunes agriculteurs, proches de la CFTC, qui peuvent orienter la modernisation dans un sens socialiste. Il fut la même année responsable de la commission nationale agricole du PSU. En octobre 1962, il se présenta sans succès aux législatives dans le Tarn-et-Garonne, dans une campagne très axée sur les « couches nouvelles ».

L’année 1963, pourtant particulièrement éprouvante pour le PSU, fut pour lui celle de la consécration. Affaibli par les querelles internes et devenu ingouvernable, le parti tint deux congrès, le premier en janvier à Alfortville (le « congrès des 7 tendances »), l’autre en novembre à la Grange aux Belles, à Paris. Serge Mallet fut, en ces deux occasions, réélu au CPN au nom de la tendance dite « B », conduite par Édouard Depreux et Gilles Martinet, à partir d’un texte d’orientation qu’il avait contribué à élaborer, et qui reprenait largement ses thèses modernistes sur le rôle décisif des « couches nouvelles ». Les « B » finirent par prendre le contrôle du parti. Serge Mallet fit partie en décembre 1963 de l’équipe qui prépara les « colloques socialistes », lancés à l’initiative de Georges Brutelle et des modernistes de la SFIO. Mais surtout, à l’automne 1963, parut au Seuil l’ouvrage auquel son nom est resté attaché : La nouvelle classe ouvrière. Souvent associé au livre d’une autre figure du courant « B » au sein du PSU, Pierre Belleville – Une nouvelle classe ouvrière, sorti à quelques semaines d’intervalle chez Julliard – celui de Serge Mallet s’en distinguait par son ambition théorique. S’appuyant sur trois enquêtes, dont l’une remontait à 1958, conduites dans des entreprises de pointe, il ramassa dans une introduction théorique les conclusions sociologiques et politiques qu’il en tirait depuis plusieurs années. Contre le « marxisme officiel » du PCF, déconnecté des réalités sociales contemporaines, il affirmait qu’une sociologie authentiquement marxiste devait analyser les mutations sociales profondes engendrées par le progrès technologique. Contre Raymond Aron à droite, et contre Herbert Marcuse, à gauche, avec qui il croisa le fer à l’été 1963 à l’Université d’été de Korçula en Yougoslavie, il considérait que les « couches nouvelles » de l’industrie automatisée, ouvriers, techniciens, salariés des bureaux d’études, n’étaient nullement vouées à l’intégration dans la société « néo-capitaliste ». Matériellement satisfaite, mais frustrée de responsabilités et de pouvoir, cette « nouvelle classe ouvrière » appelée à se développer pourrait bien constituer l’« avant-garde » du mouvement socialiste, en développant des revendications gestionnaires dans l’entreprise, et au-delà, dans l’économie globale (la « planification démocratique »), deux thèmes relayés par l’aile gauche de la CFTC, qui allait devenir la CFDT en 1964.

Son livre, plusieurs fois réédité, traduit en une douzaine de langues, connut un écho considérable dans les milieux de la nouvelle gauche internationale, suscita de vives controverses, contribuant à asseoir la notoriété de son auteur. Il fut convié à de nombreux débats en France et à l’étranger et invité à enseigner à l’Université de Montréal. En 1964, il entra au bureau national (BN) du PSU et y fut réélu au congrès de 1965. La même année, il publia, toujours au Seuil, son troisième livre, Le gaullisme et la gauche, sélection d’articles parus entre 1958 et 1964. Il fut, à la fin de l’année 1965, l’un des principaux initiateurs de la Rencontre socialiste de Grenoble qui allait se tenir autour de Pierre Mendès France* au printemps 1966, la plus importante manifestation de la gauche moderne des années soixante. Mais, contrairement à plusieurs de ses amis « modernistes » de la direction, il considéra que le réalisme politique, surtout au lendemain des médiocres résultats du PSU aux législatives de mars 1967, imposait un rapprochement entre le laboratoire d’idées que représentait son parti et la force électorale qu’était désormais la FGDS. Il se retrouva donc au congrès de juin 1967 aux côtés de son ancien adversaire Jean Poperen, mais aussi de Gilles Martinet, signataire d’une motion « unitaire » qui proposait l’association, puis l’adhésion à la FGDS. Cette proposition fut largement battue au congrès par les tenants de « l’autonomie » du parti, regroupés derrière Michel Rocard*, qui fut élu secrétaire national. Serge Mallet, à ce moment, ne se représenta pas au CPN, mais, à la différence de Jean Poperen, n’envisagea pas une action politique en dehors du PSU. Il protesta cependant publiquement en janvier 1968 contre l’exclusion de ce dernier.

Mai 68 représenta pour Serge Mallet un événement majeur. L’explosion du printemps confirma à ses yeux la pertinence de ses analyses. La « nouvelle classe ouvrière » des secteurs avancés de l’industrie, des services, de la recherche, aurait ainsi démontré spectaculairement sa capacité et sa volonté de prise en main de la « gestion » des entreprises, faisant du mouvement de 1968 la « première lutte socialiste répondant au capitalisme moderne ». Cette « avant-garde du mouvement révolutionnaire et socialiste », naturellement proche des étudiants, aurait entraîné derrière elle « neuf ou dix millions de travailleurs ». La capacité d’« influence » des secteurs « avancés » sur les « secteurs retardataires » constituait pour lui un aspect essentiel de la grève de Mai, même si l’échec final traduisait la résistance de l’« ancienne conscience ouvrière » et l’emprise encore forte de la CGT et du PCF. Lui-même fut candidat « parachuté » – et une nouvelle fois battu, avec 6 % des voix, en juin 1968 à Rezé, en Loire-Atlantique, département emblématique des luttes ouvrières et paysannes. Dans les années qui suivirent, Serge Mallet s’intéressa de près aux conflits qui éclataient dans les industries menacées et chez les OS, et dans lesquels il voyait des grèves « pour le contrôle » et le « pouvoir ouvrier », dans une perspective autogestionnaire. Au sein du PSU radicalisé de l’après-Mai, réélu à la Direction politique nationale (DPN, ex-CPN) au congrès de Dijon en mars 1969, puis au BN en décembre, l’ancien porte-parole de la gauche moderne, autrefois taxé de « réformisme » et de « révisionnisme » par ses adversaires, adopta des positions « révolutionnaires » parfois proches de la nouvelle extrême gauche. La dimension « populiste » de sa sensibilité politique s’exprima alors avec plus de force. Il contribua, dans le cadre de la préparation du congrès de Lille, en juin 1971, à la tentative de réorganisation du parti sur la base d’« Assemblées régionales ouvrières et paysannes » (AROP), se retrouva à Lille aux côtés de Marc Heurgon contre Michel Rocard sur la ligne basiste minoritaire du « courant 5 », matrice de la future « Gauche ouvrière et paysanne », fut élu à la DPN sur la motion « secteur agricole » présentée par Bernard Lambert. Mais, dans la période agitée qui suivit, contrairement à certains de ses proches, il demeura au PSU. Il fut réélu à la DPN au congrès de Toulouse en décembre 1972, où, après le départ d’une partie des « gauchistes », le parti entérina l’option en faveur du socialisme autogestionnaire. Il se présenta à nouveau sous ses couleurs aux législatives de mars 1973, cette fois dans la circonscription de Neuilly-Puteaux, face à Achille Peretti. Président d’un « Comité anti-Mafia », dont les propos lui valurent des poursuites judiciaires, il fonda sa campagne sur la dénonciation des scandales immobiliers du régime et de la ségrégation urbaine dans la région parisienne.

D’autres changements importants affectèrent parallèlement sa vie personnelle et professionnelle. Il vécut un second divorce, prononcé le 22 janvier 1970. Au mois de mai de la même année, sa position académique se renforça. Il soutint, sur la base de ses trois ouvrages sur la base de ses trois ouvrages publiés au Seuil entre 1962 et 1965, une thèse d’État qui lui permit d’obtenir un poste au département de Sciences politiques de l’Université de Vincennes et de prendre la direction du Laboratoire de sociologie de la connaissance (CNRS), où il orienta de jeunes chercheurs vers l’analyse sur le terrain des grèves et des mouvements sociaux. À côté de ses contributions à des publications universitaires, il fut l’un des responsables de la nouvelle revue théorique du PSU, Critique socialiste et entra au comité de rédaction de la revue indépendante et pluraliste Autogestion et socialisme, animée par Yvon Bourdet, dont il était proche. Comme ce dernier, il s’intéressa de plus en plus à la question régionale, préoccupation déjà ancienne chez lui. Dès janvier 1962, envoyé spécial de France-Observateur à Decazeville pour couvrir la grève des mineurs, il avait titré son article « La révolte des colonisés de l’intérieur ». En 1966, il avait contribué à l’élaboration du texte célèbre présenté par Michel Rocard dans le cadre des Rencontres socialistes et intitulé « décoloniser la province ». À partir de 1971, il fut responsable au PSU de la commission des « minorités nationales ». Il défendit l’alliance des mouvements régionalistes et autonomistes et des organisations syndicales et politiques socialistes, notamment en Bretagne et en Occitanie. Il fut tout particulièrement sensible à ce dernier combat, où, selon Thierry Beaudouin, il réinvestit sa propre identité. Il se rendit sur le plateau du Larzac, se réinstalla progressivement dans sa maison de Comps, où il replanta symboliquement une vigne, et décida, en juin 1973, de quitter Vincennes et la région parisienne pour enseigner à l’Université de Bordeaux. Il travailla à un projet de regroupement de la gauche occitane autour d’un manifeste, « Pour une Occitanie libre et rouge ». Il n’eut pas le temps de s’engager plus avant dans sa nouvelle vie. Il mourut brutalement, au mois de juillet 1973, à l’âge de quarante-cinq ans, victime d’un accident de la circulation sur une route du Gard.

En 1981, le conseil municipal socialiste de la petite ville d’Eysines, toute proche de Bordeaux, décida de donner à une de ses rues le nom de Serge Mallet, « célèbre sociologue » girondin, auteur de travaux sur la « nouvelle classe ouvrière » et le « pouvoir ouvrier », défenseur des « cultures régionales » et « militant de l’Occitanie ».

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article141551, notice MALLET Serge [MALLET Pierre, Serge, Claude] par Frank Georgi, version mise en ligne le 25 août 2012, dernière modification le 17 avril 2019.

Par Frank Georgi

ŒUVRE : Les luttes ouvrières dans les secteurs industriels avancés, Éditions du CES, 1960. — Les travailleurs peuvent-ils gérer l’économie ? (avec Claude Lefort*, Pierre Mendès France et Pierre Naville*), Éditions du CES, 1961. — Les Paysans contre le passé, Le Seuil, 1962. — Marxisme et sociologie, Éditions du CES (avec Claude Lefort, Edgar Morin, Pierre Naville). — La nouvelle classe ouvrière, Le Seuil, 1963 (nouvelle édition revue 1969). — Le gaullisme et la gauche, Le Seuil, 1965. — Le pouvoir ouvrier. Bureaucratie ou démocratie ouvrière, Anthropos et Denoël/Gonthier, 1971. — Très nombreux articles dans les journaux et revues citées.

SOURCES : Tribune socialiste (1960-1973) et Critique socialiste (1970-1973). — Fichier des adhérents du PSU (Gilles Morin). — Jean-Michel Chapoulie et alii (dir), Sociologues et sociologies. La France des années 60, L’Hamattan, 2005 (sur Serge Mallet : contributions d’Olivier Kourchid, Frank Georgi, Jacques Gautrat, Sami Dassa et Thierry Beaudouin). — Rémy Rieffel, Les intellectuels sous la Ve République, Calmann-Lévy, 1993. – Philippe Gottraux, Socialisme ou barbarie, Payot, 1997. - Françoise d’Eaubonne, Une femme nommée Castor. Mon amie Simone de Beauvoir, L’Harmattan, 2008 ; Mémoires irréductibles, Dagorno, 2001. – Simone de Beauvoir, La force des choses, Gallimard, 1963. – Jean Daniel, L’ère des ruptures, Grasset et Fasquelle, 1979. — Jean Poperen, La gauche française, Fayard, 1972 ; L’unité de la gauche, Fayard, 1975. – Philippe Lieutaud, Tribune du communisme (1958-1960), mémoire de maîtrise, Paris-Sorbonne, 1999. - Claire Andrieu, Pour l’amour de la République. Le Club Jean Moulin 1958-1970, Fayard, 2002 - Marc Heurgon, Histoire du PSU, tome 1, La Découverte, 1994. - Jean-François Kesler, De la gauche dissidente au nouveau parti socialiste, Privat, 1990. – Michel Rocard, Le PSU et l’avenir socialiste de la France, Le Seuil, 1969. — Tudi Kernalegen et alii, Le PSU vu d’en bas, PUR, 2009. — Jean-Claude Gillet, Michel Mousel, Parti et mouvement social. Le chantier ouvert par le PSU, L’Harmattan, 2011. — Christian Lagarde, « Le colonialisme intérieur », Glottopol, n° 20, juillet 2012. — Fonds audiovisuel du PCF, fiche du film Terre tunisienne , http://www.cinearchives.org. — « L’ordre pour quoi faire ? » débat entre Christian Fouchet et Serge Mallet, « À armes égales », 24 mai 1971, vidéo INA. - Joël Roman, « Mallet (Serge) », in Jacques Julliard, Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français, Le Seuil, 1996. — Gilles Martinet, « Notre ami Serge Mallet », Le Nouvel Observateur, 23 juillet 1973. – Alain Touraine, « Serge Mallet, paysan, ouvrier et sociologue », Sociologie du travail, octobre-décembre 1973, p. 476-477. — Who’s who in France. — Notes communiquées par Gilles Morin et Roger Barralis. – Renseignements fournis par la mairie d’Eysines. — État civil.

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