DESCHAMPS Léon

Par Gérard Boëldieu

Né le 6 juillet 1849 à Campeaux (Calvados), mort le 8 juillet 1927 au Mans (Sarthe) ; professeur d’histoire et géographie en lycée, docteur ès lettres (1899) ; conseiller municipal du Mans de 1888 à 1900 puis de 1908 à 1912 ; radical, puis socialiste indépendant, enfin républicain-socialiste ; membre de l’Alliance française, des Prévoyants de l’avenir, de la Libre Pensée, de la Ligue des droits de l’Homme et du Citoyen ; co-fondateur de l’Université populaire du Mans ; fondateur de La Solidarité, Journal universitaire (1904) et du Démocrate, organe des Partis de Gauche dans la Sarthe (1908)

.

Léon Deschamps était un des trois enfants dont un, semble-t-il, mort jeune, de Pierre Deschamps, instituteur, et d’Élisabeth Charlotte Hamel, « occupée au ménage ». Son grand-père maternel, Marin Hamel, marchand de fer, fut de décembre 1839 à 1865 maire de Campeaux. Son père, ancien élève de l’École normale de Caen, exerça, de 1846 à 1869, les fonctions d’instituteur dans cinq communes du Calvados. Catholique mais non dévot, Pierre Deschamps dut quitter Campeaux, son premier poste, en 1850, puis Le Gast, son troisième, en 1853, par suite de mauvais rapports avec le curé de ces localités. De l’école mixte de Coquainvilliers, il passa en septembre 1860 à celle de garçons de Cambremer, chef-lieu de canton. Atteint d’une maladie des deux yeux (anamourause) qui lui rendait pénible la correction quotidienne des devoirs de ses élèves, il démissionna en 1869. Resté à Cambremer, Pierre Deschamps y devint greffier de la justice de paix puis agent d’affaires. Déjà, avant l’interdiction faite en février 1852 aux instituteurs d’exercer cette fonction annexe, il s’était déjà fait l’agent de compagnies d’assurances pour le remplacement militaire. L’aîné des fils devint notaire. Le second, Léon, après des études dans un petit séminaire (où serait né son anticléricalisme) puis au lycée d’Alençon comme élève boursier, bachelier ès lettres, opta pour le professorat.

Maître d’études à l’Institution libre de Granville (1868-1869) puis au collège de Lisieux (1869-1870), Léon Deschamps devint aspirant répétiteur : en octobre 1870 au lycée du Mans où il ne resta qu’un mois, jusqu’à son engagement volontaire dans les Mobiles de la Sarthe avec lesquels il participa à la campagne de la 2e Armée de la Loire ; en 1871 au lycée de Caen ; en 1873 à celui du Havre. D’octobre 1875 à 1878 il enseigna au collège de Sées (2 ans) puis à celui de Vire (2 ans). Chargé de cours d’histoire en lycée à partir de février 1879, il exerça successivement à Pontivy, à Alençon (2 ans), brièvement à Tours, à Angoulême, à Paris comme professeur délégué au lycée Henri IV puis au collège Rollin de janvier 1884 à octobre 1885, date de son arrivée au lycée de garçons du Mans où il accomplit le reste de sa carrière, jusqu’à sa retraite, en 1910. Il enseigna aussi au cours secondaire de jeunes filles du Mans que trois de ses filles fréquentèrent.

Le 25 août 1877, à Alençon, Deschamps épousa Gabrielle Elvire Chaussepied, née dans cette ville le 9 août 1856, sans profession, fille d’un expert-géomètre devenu agent d’affaires à Paris et d’une marchande de mercerie d’Alençon. Le 5 septembre 1878 naquit une fille qui mourut le mois suivant, le 18 octobre. Un autre enfant mourut en 1881.

Veuf depuis le 1er février 1881, Deschamps se remaria le 20 septembre 1884 à la mairie du Ve arrondissement de Paris avec Marie Flavie Lefèvre, née à Saint-Jean-de-la-Rivière (Manche) le 10 février 1860, professeur, ancienne élève de l’École normale secondaire de jeunes filles de Sèvres, vice-secrétaire du premier Conseil des anciennes élèves de cette école créé en 1884-85 à l’initiative de Mme Jules Favre. Une fille naquit le 17 septembre 1885 à Paris (IXe arrondissement), trois autres en 1886, 1888 et 1901 au Mans. Marie Flavie Deschamps, qui avait renoncé au professorat pour se consacrer à sa famille, et qui avait activement contribué à la création d’un asile de nuit au Mans, mourut le 23 décembre 1901. L’aînée des filles mourut peu de temps après, le 21 octobre 1903, à l’âge de dix-sept ans. Toutes deux eurent des obsèques civiles.

Licencié ès lettres, Léon Deschamps entreprit des recherches sur la colonisation à l’époque moderne, sous l’égide d’Henri Pigeonneau (1834-1892) professeur adjoint chargé d’un cours d’histoire économique et coloniale à la Sorbonne, également enseignant à l’École libre des sciences politiques et vice-président de la Société géographique commerciale de Paris. Bien entamées lors de son arrivée au Mans, elles aboutirent en 1885 à la publication de deux gros articles dans la Revue de Géographie, fondée en 1877 par Ludovic Drapeyron (1839-1901), l’initiateur, entre autres, de la Société de topographie de France. Léon Deschamps appartenait donc au réseau intellectuel « républicain et patriote », qui, après la défaite de 1871, s’employa à convaincre les Français d’adhérer à une politique d’expansion coloniale, commerciale, culturelle, linguistique, seule garante à ses yeux du maintien du rang de la France dans le concert des grandes puissances.

À peine installé au Mans, avec l’appui de son inspecteur d’académie, Deschamps y fonda en 1886 une section de la Société de topographie de France, une des premières en province après celles de Marseille et de Chaumont, et une section de l’Alliance française qui perdura. Pour son Histoire sommaire de la colonisation française, parue en 1893, deux ans après son Histoire de la question coloniale écrite à l’instigation de Pigeonneau et couronnée par l’Institut, Deschamps obtint de Pierre Foncin (1841-1916) une lettre-préface par laquelle l’inspecteur général d’Histoire et Géographie mais surtout secrétaire de l’Alliance française recommanda la diffusion de l’ouvrage dans les classes commerciales et les lycées, afin de persuader les « jeunes » de devenir les commerçants et les colons de demain, « armée pacifique qui nous a trop manqué jusqu’ici ». En 1894, Deschamps contribua au lancement de l’Alliance française illustrée par une série d’articles sur des navigateurs des 16e et 17e siècles, à la fois découvreurs et colonisateurs.

Le 25 janvier 1899, en Sorbonne, devant un jury où siégeait Alphonse Aulard, qui guida ses recherches nouvelles sur la question coloniale au début de la Révolution française, Deschamps soutint ses thèses : sur Isaac de Razilly (thèse latine) et sur l’Assemblée Constituante et les colonies (thèse française).

L’intérêt de Deschamps pour la Révolution déborda du cadre de l’histoire coloniale. Engagé dans la commémoration du centenaire de la Révolution française, il prononça, en mai 1889, une conférence à La Flèche sur la réunion des États-Généraux le 5 mai 1789 puis contribua à faire donner le nom du conventionnel sarthois René Levasseur à une nouvelle artère centrale du Mans, au grand dam des monarchistes pour qui Levasseur, envoyé en mission dans les Ardennes, était « le boucher de Sedan ». Deschamps réfuta cette accusation dans La Révolution française (juillet 1900), la revue d’Aulard. Quatre ans plus tard, la même revue publia sa contribution aux recherches sur les femmes-soldats pendant la Révolution, à partir du cas sarthois. Il fit partie du Comité départemental de la Sarthe chargé de publier des documents d’archives relatifs à la vie économique de la Révolution française, émanation, en 1904, de la Commission nationale dite « Commission Jaurès ».

L’élection de Léon Deschamps au conseil municipal du Mans en mai 1888, dans la majorité radicale conduite par Anselme Rubillard, signifia son entrée dans la vie publique et politique locale. Réélu en 1892 puis en 1896, toujours avec les radicaux conduits par Rubillard, Deschamps accomplit jusqu’en 1900 trois mandats consécutifs de conseiller municipal. Assidu aux séances et en commissions, sauf tout au long de 1898, peut-être parce qu’il mettait la dernière main au texte et à la publication de ses thèses, intervenant surtout, comme il l’avait initialement promis, sur les affaires scolaires et culturelles, il se signala par son franc-parler, son souci de l’intérêt général, ses prises de position anticléricales des plus en flèche. Outre la Libre Pensée, Deschamps appartint à la plupart des sociétés et associations républicaines et laïques du Mans ; la Société démocratique de lecture fondée en 1886 ; le Cercle manceau de la Ligue de l’enseignement, créé en 1893. Membre des “Prévoyants de l’avenir”, la société civile de retraites fondée par Chatelus en 1880, il fut un des vice-présidents de sa section du Mans, la 39e, de 1893 à 1896.

En 1889 puis en 1892, Deschamps dut faire face à des allégations sur sa vie professionnelle. Le 8 novembre 1889, à un élu de l’opposition municipale qui s’étonnait qu’un conseiller municipal puisse enseigner au cours secondaire de jeunes filles où il cumulait cours d’histoire, de géographie, et de morale, Deschamps expliqua sèchement que dans ce type d’établissement les professeurs étaient des fonctionnaires d’État, donc pourvus d’une nomination ministérielle. En octobre 1892, il démentit l’annonce, parue dans L’Autorité, journal parisien nationaliste, et la presse cléricale locale, de sa mutation pour Limoges, qu’on disait consécutive à un rapport d’inspection défavorable. Le bruit courut dans les milieux de droite que le maintien au Mans du « sectaire » Deschamps, susceptible de nuire au prestige du lycée, avait été réclamé par ses amis radicaux.

En septembre 1895, avec Louis Crétois, président de la section mancelle de la Libre Pensée, Deschamps contribua à créer le Groupe central socialiste qui, « ouvert à tous les socialistes indistinctement, laissant à chacun ses préférences d’école », adhéra à la fédération socialiste de Paris.

En février 1896, quand ce groupe, une quarantaine de militants, se constitua en comité électoral afin de présenter une liste homogène aux élections municipales du 3 mai, Deschamps et Crétois, favorables à une entente avec la liste de Rubillard, Deschamps en outre opposé au projet de commémorer la Commune de Paris, le quittèrent. Ils fondèrent le Groupe républicain socialiste, adhérent de la Confédération des socialistes indépendants. Aux municipales, la liste de coalition radicale et socialiste où figurait Deschamps et 5 de ses amis, l’emporta, loin devant la liste « collectiviste ». Avec le Comité fédéral des travailleurs socialistes de l’Ouest, mais sans la Bourse du travail du Mans et diverses organisations ouvrières qui refusèrent d’y participer, les républicains socialistes du Mans organisèrent un congrès régional qui se tint au Mans les 22 et 23 novembre 1897. À cette date, le rapprochement entre le groupe de Deschamps et des éléments du comité révolutionnaire central du Mans (blanquiste) ainsi que du groupe central socialiste (rattaché au Parti ouvrier français), esquissé lors de la célébration en commun du 1er mai 1897, était en bonne voie de réalisation. À la veille des législatives de 1898 se constitua donc le Comité d’union socialiste du Mans qui adhéra au Parti socialiste français (PSF).

De mai 1896 à mai 1900, au conseil municipal, Deschamps, déplora les tergiversations de la majorité radicale à propos de la laïcisation du personnel soignant et de service de l’hospice du Mans. En principe acceptée par tous, celle-ci était sans cesse reportée pour des raisons financières et pratiques. Conséquemment, son projet de création d’une école municipale d’infirmières laïques ne put aboutir.

Le 5 avril 1900, alors que des pourparlers s’engageaient entre radicaux et amis de Deschamps en vue de la constitution, comme précédemment, d’une liste d’union aux municipales du mois suivant, le Comité d’union socialiste et des syndicats ouvriers organisèrent au Mans une réunion de soutien aux grévistes du Creusot et de Gueugnon. Un militant Saône-et-Loire (présenté dans la presse comme adhérent du POF) y fit l’éloge des coopératives ouvrières de production. Deschamps siégeait au bureau de la réunion comme assesseur. Deux jours plus tard, Le Journal du Mans et de la Sarthe, « républicain gouvernemental », s’en prit personnellement à lui. « Éducateur de la jeunesse universitaire », sa présence à une telle réunion « collectiviste et révolutionnaire où un patron manceau, père d’un lycéen, avait été « mis à mal », donnait « vraiment trop beau jeu aux adversaires de nos établissements universitaires et à tous ceux qui mènent campagne en faveur de maisons rivales ». Taxant ce professeur « un peu coutumier de politique ardente et passablement avancée » d’ingratitude envers les radicaux auxquels il devait d’avoir été maintenu au Mans « il y a quelques temps », confirmant ainsi les rumeurs de 1892, le journal concluait : « la concentration républicaine ne se fera pas aisément avec un tel programme ».

Cette affaire ne fut pas la seule cause de l’échec des négociations. Tandis que les radicaux campaient sur les positions de 1896, soit 6 socialistes sur une liste à majorité radicale, le Comité d’union socialiste proposait une liste composée de 11 modérés, 11 radicaux, auxquels il ajoutait Rubillard pour le poste maire, 11 socialistes tout en exigeant une place d’adjoint et l’inscription de la laïcisation de l’hospice au programme. Au final, la liste de Rubillard, sans les nationalistes et les socialistes, selon le mot d’ordre radical « ni réaction, ni collectivisme », devança largement la liste socialiste, incomplète, où ne figurait pas Deschamps.

Cette même année 1900, tout en contribuant au lancement de l’Université populaire du Mans, Deschamps devint président de sa section des Prévoyants de l’avenir (à ce titre il assista en 1905 à la création de l’Union des sociétés de secours mutuels de la Sarthe) et président de la jeune section du Mans de la Ligue des Droits de l’Homme et du Citoyen (LDH).

L’accession de Deschamps à la présidence de la section mancelle de la LDH, le 4 avril 1900, en présence d’Émile Duclaux, vice-président national, qui prononça une conférence sur “l’éducation du citoyen”, ne passa pas inaperçue. Le 14 avril, l’Écho de Paris, antidreyfusard (dont le correspondant manceau était un rédacteur du clérical Nouvelliste) sans nommer Deschamps, signalait ce professeur de province qui avait fait applaudir une conférence de Duclaux « dont le sujet était une critique violente de l’Université, une allusion peu voilée à un déni de justice commis envers un malheureux capitaine, et enfin l’attaque traditionnelle dans la bouche des dreyfusards contre les “bouchers de chair humaine” dont les statues s’élèvent sur les places publiques ». Et le journal de se demander si le ministre de l’Instruction publique allait le sanctionner, comme venait de l’être Louis Dausset, secrétaire de la Ligue des Patriotes, révoqué de son poste de professeur de lettres au collège Stanislas pour manquement au devoir de réserve des enseignants. En écho, Le Journal du Mans et de la Sarthe se refusa à comparer les deux cas mais souhaita toutefois à Deschamps une promotion assortie d’une mutation « pour ne plus faire de mal à notre ville, au lycée et au parti républicain ». Le 5 juillet 1903, au Mans, conduit à parler de l’affaire Dreyfus en lieu et place de Francis de Pressensé, empêché pour cause de coups reçus peu auparavant à Paris, face à des nationalistes armés de gourdins et vociférant, Deschamps ne put s’exprimer et fut frappé.

Considéré comme le père de l’Université Populaire du Mans, inaugurée au lendemain des municipales de 1900, Deschamps tint à ramener à de plus modestes proportions son rôle dans sa fondation : « En 1900, après entente avec M. Richer, secrétaire de la Bourse du Travail, j’ai recruté sociétaires et conférenciers pour fonder une U.P. ; j’ai fait la première conférence en mars ; j’ai refusé la première présidence de l’association en novembre suivant. C’est tout » (Le Démocrate, 21 février 1909). Entre mars 1900 et novembre 1906, il y prononça une bonne dizaine de conférences dont trois sur la devise républicaine, réunies en plaquette en 1901, quatre sur l’histoire de l’Église, deux sur le peuple depuis 1789, une sur la géographie des religions. Entré seulement le 13 octobre 1905 au conseil d’administration de l’UPM, Deschamps ne siégea jamais au bureau.

Du pseudonyme Heldé (ses initiales phonétiquement), Deschamps signa ses articles du Réveil social, journal d’union socialiste, hebdomadaire dont le premier numéro parut le 14 juillet 1901. Aux législatives de 1902, le Comité d’union socialiste présenta Deschamps, son unique candidat, dans la première circonscription du Mans. Avec l’étiquette « républicain socialiste » ou « collectiviste évolutionniste », Deschamps définissait son socialisme ainsi : « une doctrine de justice sociale » visant, « par voie légale et par évolution l’achèvement de la Grande Révolution de 1789, la réalisation complète des Droits de l’Homme et du Citoyen ». Sur 22 342 votants, 2 720 se portèrent sur son nom (12,1 %).

En novembre 1904, au Mans, lors d’un débat contradictoire avec Marc Sangnier, Deschamps s’efforça de convaincre les Sillonnistes du Maine de l’impossibilité de prôner le socialisme tout en restant attaché à l’Église catholique du Syllabus. Et de poursuivre par un éloge de la politique anticléricale du Bloc des gauches.

En février 1905, au congrès du Mans de la Fédération socialiste de Basse-Normandie et Sarthe, Deschamps fut de ceux qui demandèrent l’ajournement de la discussion sur le projet d’unification des groupes socialistes. Une fois l’unification engagée, rétif à toute discipline de parti, il refusa d’adhérer à la SFIO. Socialiste indépendant, figure-type du « blocard » selon les cléricaux, Deschamps milita désormais au sein du Comité républicain des trois cantons du Mans où les socialistes de sa nuance avaient été admis dès 1904.

Le 12 octobre 1905, la section mancelle de la LDH vota majoritairement contre l’application des lois de 1897, dites « scélérates » parce qu’attentatoires à la liberté d’opinion, à l’encontre des Hervéistes signataires d’une affiche antimilitariste. Ulcérés, six conseillers municipaux radicaux du Mans quittèrent la LDH et s’en prirent à Deschamps qui, bien qu’opposé à Gustave Hervé, lui le volontaire de 1870, avait approuvé l’ordre du jour de sa section. En mars 1906, par voie d’affiche attaquant à la fois la préfecture, la municipalité, la police et l’armée, la LDH dénonça des brutalités à l’encontre des grévistes de l’usine Bollée au Mans et réclama le respect du droit de grève reconnu par la loi. S’en suivit une campagne de presse. Sa hiérarchie réagit et estima que les idées « bien connues au Mans » de Deschamps étaient exploitées contre le lycée alors en pleine crise de recrutement. Face à l’inspecteur général Foncin venu enquêter, Deschamps, soutenu par la plupart de ses collègues, ne céda sur rien. 

Dans le contexte de la rupture du Bloc des gauches, entre radicaux « anticollectivistes » et amis de Deschamps qui disaient ne pas se connaître d’adversaires à gauche, la direction du Comité des trois cantons constitua un enjeu crucial. En janvier 1908, Deschamps en devint le président. Son appel à la constitution d’une liste d’union républicaine emmenée par son courant politique en vue des municipales, en mai, fut rejeté par les radicaux, dont certains avaient quitté le Comité. Parmi eux le maire sortant Adrien Tironneau. S’en suivit pendant la campagne électorale une intense polémique qui défraya la chronique locale et parisienne entre Tironneau et Deschamps candidat, le premier traitant le second d’hervéiste responsable du déclin du lycée. Tout se conclut par la défaite personnelle de Tironneau et l’élection de Deschamps, élection contre laquelle Tironneau réclama vainement en conseil de préfecture. Au conseil municipal, opposant résolu au maire modéré proche de l’Alliance démocratique, Louis Legué, Deschamps critiqua le fonctionnement de l’hospice et posa à nouveau la question de sa laïcisation, toujours en suspens ; son projet de statut des fonctionnaires de la mairie fut rejeté ; il obtint la dénomination d’un boulevard Émile-Zola, réclamée par la LDH depuis la mort de l’écrivain en 1902, ainsi que la débaptisation de quelques voies portant des noms de saints. Dans le contexte de la « grande réprobation » qui suivit l’exécution de Francisco Ferrer en 1909, après bien des débats et plusieurs votes négatifs, le conseil se rallia enfin à sa demande de perpétuer par un nom de rue la mémoire du pédagogue libre-penseur, fusillé à Barcelone. Vœu non entériné par le préfet.

Peu après les municipales, le groupe de Deschamps se dota d’un journal, Le Démocrate, organe des partis de Gauche dans la Sarthe. Proscrivant la formule « ni collectivisme, ni réaction », son but était de « fortifier le parti républicain en le ralliant sous la bannière de la république réformatrice, à une république vraiment sociale ». Dans l’édition du 26 juin 1910, sous la plume de Deschamps, le journal disait faire sienne la déclaration du groupe parlementaire républicain socialiste (Painlevé, Guist’hau, Augagneur) : ouverture aux socialistes légalistes et aux radicaux-socialistes. Hebdomadaire jusqu’au 15 mai 1910, mensuel ensuite, Le Démocrate cessa de paraître à la fin de 1911.

En mars 1912, Deschamps perdit la présidence du Comité républicain des trois cantons qui échut à Legué, ensuite reconduit maire du Mans. Aux municipales, Deschamps figurait sur la liste « proportionnaliste », groupant des républicains socialistes, des radicaux et des radicaux-socialistes, qui n’eut aucun élu.

Vers 1895-1900, rares étaient les lycées comme celui du Mans, on cite ceux de Bordeaux, Angoulême, où des professeurs osèrent, sans succès, réclamer de se réunir sans les proviseurs pour s’occuper de leurs intérêts professionnels. Un des effets de la loi de 1901 sur les associations fut l’émergence du mouvement amicaliste (ou corporatif) des lycées dans lequel le lycée de garçons du Mans, sous l’impulsion de Deschamps, fut pionnier. En août 1904, au congrès des amicales de l’académie de Caen, proposition fut faite par Alençon de « créer un organe de défense et d’union ». Sollicité par Albert Mathiez, professeur agrégé au lycée de Caen, Deschamps accepta « de prendre l’affaire en main », à condition que cet organe fût un journal, et non un bulletin, et qu’il restât « indépendant de toute influence administrative et même fédérative ». Ce fut, dénommée par lui, La Solidarité, « organe corporatif, didactique, critique », tribune mensuelle libre et indépendante. Lancée après souscription en novembre 1904 (mais que par la suite Deschamps soutint de ses propres deniers) elle eut un rayonnement national (280 abonnés au bout d’un an). Bien qu’« ouverte à tous et à toutes les questions » elle toucha principalement les professeurs de lycée, ceux de collège et les répétiteurs préférant avoir leur organe propre. Jusqu’en 1918, Deschamps y revendiqua le droit pour tous les enseignants de se réunir sans leur hiérarchie ; la liberté de critiquer la loi ; un statut des fonctionnaires ; une réforme de l’enseignement secondaire ; contre le professorat adjoint ; la reconnaissance des travaux personnels dans les critères d’avancement, voire l’équivalence entre le doctorat et l’agrégation. Il traita de la neutralité dans l’enseignement. Parmi ses bêtes noires : le favoritisme administratif, les ingérences cléricales (de Sillonnistes, d’associations de parents) , l’Action française. Pour lui, les fédérations d’amicales, académiques et nationales, ne pouvaient qu’émaner de la base, des amicales elles-mêmes. Il s’intéressa à l’enseignement féminin et de plus en plus aborda des questions pédagogiques. En 1919, La Solidarité passa aux Compagnons de l’Université qui y exposèrent leur programme de réformes. Elle disparut en 1925, faute d’argent.

Pendant la Grande Guerre, Deschamps fut secrétaire d’un comité de gestion de l’ouvroir (travaux de confection) créé avec le concours de l’Alliance française, les Prévoyants de l’avenir, la LDH, le comité républicain socialiste, les socialistes unifiés, l’Union syndicale des travailleurs, l’Université populaire, la Jeunesse républicaine. Ouvroir qui assura du travail à plus de 500 ouvrières à domicile (en moyenne 150 chaque année).

Avant de mourir, Deschamps eut (sans doute) la satisfaction, de voir attribué, en 1925, sous une municipalité cartelliste, le nom de Francisco Ferrer à la rue Saint-Ouen qu’il avait proposée, celle de son ancien lycée.

Ses obsèques civiles se déroulèrent en présence d’une nombreuse assistance.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article141639, notice DESCHAMPS Léon par Gérard Boëldieu , version mise en ligne le 2 septembre 2012, dernière modification le 12 décembre 2018.

Par Gérard Boëldieu

ŒUVRE : Un colonisateur du temps de Richelieu, Isaac de Razilly. Biographie, mémoire inédit, Charles Delagrave, 1887. — Histoire de la question coloniale en France, Librairie Plon, 1891 (Prix Audiffred de l’Académie des sciences morales et politiques). — Les compagniess de colonisation et le conseil supérieur des colonies, A. Challamel, 1892. — Histoire sommaire de la colonisation française, F. Nathan, 1894. — La Constituante et les colonies. La réforme coloniale, Perrin et Cie, 1898 (Selon Florence Gauthier, lettre inédite du 26 février 2005 : « Livre qui reste pionnier en la matière […] La démarche de Deschamps, qui affirme la nécessité d’étudier conjointement la métropole et ses colonies, est tout à fait pertinente […] Or, on a vu dominer une séparation de cette histoire pourtant commune […] La connaissance de la politique coloniale de l’Assemblée constituante n’a guère progressé depuis le livre de Deschamps […] On a conservé une erreur qu’il a commise, […] il ne mentionne pas le décret du 13 mai 1791, voté par une confortable majorité, […] qui décrétait le maintien de l’esclavage dans les colonies qui se trouvait ainsi constitutionnalisé […] Une tradition historiographique a continué depuis à ne pas connaître ce décret jusqu’au livre d’Aimé Césaire Toussaint Louverture. La Révolution française et le problème colonial, d’Aimé Césaire publié en 1961… » ). — Liberté, Égalité, Fraternité, conférences faites à l’Université Populaire du Mans, 16 p., Le Mans, 1901. — Articles dans la Revue de géographie, La Révolution française, L’Alliance française illustrée, La Révolution dans la Sarthe, bulletin du Comité départemental d’histoire économique de la Révolution

SOURCES : État civil de Campeaux, Alençon, Paris, Le Mans. — Arch. départ. du Calvados : T 3157 Dossier personnel de l’instituteur Pierre Deschamps ; M 1595 Conseil municipal de Campeaux (19e siècle). — Arch. Dép. Sarthe : 1 T 1080 Dossier de Léon Deschamps : 1 T 607 Distinctions honorifiques ; 625 W 39 Rapport de police sur les groupes socialistes du Mans au 20 janvier 1897 ; 409 W 184 Ouvroirs dans la Sarthe, 1914-1917 ; 4 M 223 l’Éducation mutuelle du Mans (Université populaire). — Arch. municipales du Mans : délibérations du Conseil municipal. — Arch. Nat. F7/13613. — Arch. du lycée Montesquieu du Mans : registre du personnel enseignant. — Presse locale dont Le Réveil social de la Sarthe. Journal d’union socialiste ; Le Démocrate. Organe des partis de gauche dans la Sarthe. — L’Éducation mutuelle, bulletin de l’Université Populaire du Mans. – Le bulletin du cercle manceau de la Ligue de l’enseignement. – La Raison, bulletin de la section de la Libre Pensée du Mans. — La Terre du Maine : compte rendu du premier congrès des cercles d’études du “Sillon du Maine”[de novembre 1904]. — La Solidarité. Journal universitaire (1904-1925). — Revue des lycées et des collèges. — Françoise Mayeur, « Une école sœur ? Sèvres », in École normale supérieure. Le livre du bicentenaire, PUF, 1994 (la note 1 p. 95 mentionne Marie Lefèvre au premier Conseil de l’association des anciennes élèves). — Paul Gerbod, « Associations et syndicalisme universitaires de 1828 à 1928 », Le Mouvement social, avril-juin 1966. — Annales de Géographie, n° 4, 15 juillet 1892 (Courte notice nécrologique sur Henri Pigeonneau où Deschamps est cité). — Huber-Rouger, La France socialiste. Les Fédérations 2e partie, t. III de l’Encyclopédie socialiste sous la direction de Compère-Morel, A. Quillet. — Robert Collet, Essai sur la vie politique au Mans et dans la Sarthe sous la IIIe République (1870-1939), Le Mans, 1955. – Robert Collet, « Les échos de l’affaire Dreyfus au Mans et dans la Sarthe », La vie mancelle, n° 177, juin-août 1978, p. 16 et 17 (Deschamps n’était pas agrégé comme l’affirme l’auteur p. 17). — Jean-Paul Malléjac, La gauche et son électorat dans la Sarthe sous la IIIe République (1876-1936), mémoire de maîtrise, centre universitaire du Mans, 1971. – Gérard Boëldieu, « au Mans, d’octobre 1909 à décembre 1946 : Vie et mort de la rue Francisco-Ferrer », Gavroche, n° 141-142, mai-août 2005, p. 28 à 33. — J.-P. Mallejac, La Gauche et son électorat dans la Sarthe sous la IIIe République, Mémoire de Maîtrise, Université de Caen.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
fiches auteur-e-s
Version imprimable