ROLAND-MANUEL [LÉVY Roland Alexis Manuel dit « Roland-Manuel »]

Par Aurélien Poidevin

Né le 22 mars 1871 à Paris, mort le 1er novembre 1966 à Paris ; musicien, compositeur, professeur au Conservatoire de Paris ; membre de la Société internationale de musique contemporaine à l’époque du Front populaire ; cheville ouvrière du Front national des musiciens pendant l’Occupation.

Après avoir vécu durant trois années en Floride, Roland-Manuel regagna la Belgique d’où était originaire sa famille. À Liège, il débuta l’apprentissage de la musique et joue du violon jusqu’en 1905, date à laquelle il déménagea pour Paris. Après avoir entendu le Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, Roland-Manuel s’intéressa à la composition. Il étudia l’harmonie avec Drœghmans, un élève de Lenepveu, et le contrepoint avec Albert Roussel à la Schola cantorum. Grâce à sa rencontre avec Éric Satie, Roland-Manuel fut présenté à Maurice Ravel dont il devint d’abord le disciple, puis l’ami et enfin l’un des musicologues de référence.

En 1913, Roland-Manuel effectua son service militaire au moment même où son premier recueil de mélodies, Farizade au sourire de rose fut édité. Durant la Première Guerre mondiale il participe à la bataille des Dardanelles, combat sur le front au Chemin des Dames et dans les Flandres, où il parvint toutefois à achever Le Harem du Vice-Roi, un poème symphonique bientôt à l’affiche des concerts Pasdeloup. Après six années sous les drapeaux Roland-Manuel se consacra à nouveau, exclusivement, à la musique, à la fois comme compositeur, critique et musicographe.

Pendant l’entre-deux-guerres Roland-Manuel fréquenta les salons, les parterres des sociétés de concerts et les coulisses des théâtres lyriques nationaux, où il croise le Tout-Paris. Il rejoignit la Société internationale de musique contemporaine, luttant contre « les tenants du traditionalisme musical » (Pascal Ory), puis apporta son soutien à la politique culturelle du gouvernement de Front populaire. Il participa ainsi aux grandes manifestations théâtrales en faveur de la démocratisation de l’accès aux arts : en 1937, il fut l’auteur de « Jeanne d’Arc », l’une des scènes de l’œuvre collective Liberté. C’est à cette période qu’il côtoya les musiciens engagés dans la Fédération musicale populaire et au Parti communiste tels Elsa Barraine, Roger Désormière, Charles Kœchlin, Louis Durey

Domicilié à Paris, rue de Bourgogne, Roland-Manuel ne quitta pas la capitale après l’arrivée des Allemands en juin 1940. À l’automne 1941, il fut avec Elsa Barraine, Roger Désormière et Louis Durey l’une des chevilles ouvrières du comité de Front national des musiciens, un mouvement de résistance dépendant de la direction des intellectuels communistes mais politiquement autonome vis-à-vis des prises de position politiques du parti. Ces musiciens furent rapidement rejoints par le directeur du Conservatoire de Paris, Claude Delvincourt, qui fut probablement l’un des principaux rédacteurs du manifeste fondateur publié dans L’Université libre en octobre 1941 : « Nous refusons de trahir ». Depuis quelques semaines, le port de l’étoile jaune était rendu obligatoire pour tous ceux qui sont désignés comme « juifs » par la législation raciste et antisémite du régime de Vichy. Roland-Manuel s’y refusa et continua à circuler librement dans Paris sans jamais être inquiété durant toute l’Occupation. Il fut alors affecté à l’organisation, à la rédaction et à la diffusion des matériaux de propagande du comité de Front national des musiciens. On peut supposer qu’il rédigea à ce titre une partie des articles publiés dans Le Musicien d’Aujourd’hui, la feuille clandestine diffusée par le mouvement de Résistance au sein des différents orchestres et institutions musicales, d’avril 1942 à la Libération.

Au printemps 1944, le Front national de lutte pour l’indépendance et la liberté de la France s’affaire à la remise en place des structures administratives françaises désorganisées par Vichy et l’occupant. Lors d’une réunion organisée dans l’atelier d’un sculpteur, à deux pas de la rue Falguière, une dizaine de musiciens, parmi lesquels Roland-Manuel, mais aussi Georges Auric, Elsa Barraine, Roger Désormière, Louis Durey, Francis Poulenc, Manuel Rosenthal et Pierre Schaeffer accueillirent le compositeur Henry Barraud, de retour à Paris. Une mission lui fut confiée : préparer et organiser la réouverture de la Radio. Tous les jours à compter du 19 août, les musiciens se rendirent au Studio d’essai qui se situe rue de l’Université, à proximité des domiciles respectifs de Roland-Manuel et de Claude Delvincourt. Dans une interview accordée à Catherine Morgan et publiée dans Les Lettres françaises à la Libération, Roland-Manuel était revenu non seulement sur la création du comité de Front national des musiciens, mais aussi sur ses activités au Studio d’essai, « véritable repaire de résistance musicale » : « C’est là, nous dit Roland-Manuel, que, sous la direction de Pierre Schaeffer, les techniciens enregistraient pendant la nuit la musique interdite de Schönberg, d’Alban Berg et de Darius Milhaud. Ils enregistrèrent aussi des poèmes et des textes d’Aragon, d’Éluard, de Charles Vildrac, de Léon-Paul Fargue, de Jean-Paul Sartre*. Dans les jours de l’insurrection, poursuit Roland-Manuel, nous étions installés dans les locaux de la Radiodiffusion : Claude Arrieu, Manuel Rosenthal, Roland Bourdariat et moi. C’était la bataille de Paris : barricades, coups de feu, incendies. Nous avons passé notre journée à copier les parties d’orchestre de l’hymne soviétique, que nous avions réussi à prendre en dictée à l’écoute de Moscou, à le transcrire, à l’orchestrer. » Henry Barraud évoque lui aussi cette expérience de reconstruction d’une Radio d’État dans un essai autobiographique qu’il a essentiellement consacré à sa carrière administrative : « Dans les premiers temps j’avais à ma disposition pour l’établissement des programmes un tout petit noyau de camarades, réduit en fait à trois personnes : Roland-Manuel, Désormière et Rosenthal. Ils venaient, de temps en temps, me rejoindre soit rue de Grenelle, soit rue Christope-Colomb où j’installai bientôt mes bureaux, soit même square Moncey où je fus immobilisé quelque temps par une crise de goutte. » (Henry Barraud)

Durant cette période, Roland-Manuel continua de fréquenter le Tout-Paris et occupa un rôle important dans la reconstruction de la Radio. C’est par son intermédiaire que les musiciens bénéficièrent d’un contact privilégié avec Jean Guignebert, appelé à occuper les fonctions de directeur général de la Radio le 25 octobre 1945, après avoir été secrétaire général de l’Information du Gouvernement provisoire de la République dès le 7 juin 1944. À la Libération, Roland-Manuel siégea au comité de la Musique, où il fut chargé de définir avec ses collègues les grandes orientations esthétiques de la Radio. Aux côtés d’autres musiciens issus du Front national, Elsa Barraine, Roger Désormière, Henri Dutilleux et Manuel Rosenthal, Roland-Manuel fut placé à la tête des services musicaux dirigés par Henri Barraud. C’est à cette occasion qu’il prit en charge une émission musicale, Plaisir de la Musique.

En 1947, Roland-Manuel fut nommé professeur au Conservatoire de Paris où il hérita de la classe d’esthétique, dont il fut en charge jusqu’en en 1961. Il mit alors en chantier un vaste projet éditorial qui aboutit à la parution, en 1963, de deux volumes d’une Histoire de la musique publiée aux éditions Gallimard dans la prestigieuse collection de la bibliothèque de la Pléiade. À la demande d’Henry Barraud, Roland-Manuel poursuit sa carrière radiophonique entamée en 1944 en animant tous les dimanches, et pendant vingt ans, l’émission Plaisir de la musique avec la pianiste Nadia Tagrine, la sœur de Michel Tagrine, un jeune musicien résistant mort au feu durant les combats pour la libération de Paris. Très attaché aux amitiés nées de la Résistance, il a organisé après-guerre les réunions loufoques d’un pseudo-club professionnel présidé par Darius Milhaud et dont il était le secrétaire général : « le Gloxinia ». Ce groupe réunissait d’anciens camarades autour d’une doctrine brièvement résumée par Henry Barraud : « La dictature de la bienveillance ».

De 1950 à 1953, Roland-Manuel présida le Conseil international de la musique, un organisme basé à Paris et fondé par l’Unesco en 1949 afin de promouvoir la diversité musicale ainsi que l’accès pour tous à la culture. Il intervint désormais régulièrement comme conseiller pour les politiques publiques de la musique, que ce soit par exemple en siégeant au comité consultatif de la Réunion des théâtres lyriques nationaux ou encore à la Commission nationale pour l’étude des problèmes de la musique instituée par Henry Barraud en 1962. Roland-Manuel mourut à Paris le 1er novembre 1966.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article141936, notice ROLAND-MANUEL [LÉVY Roland Alexis Manuel dit « Roland-Manuel »] par Aurélien Poidevin, version mise en ligne le 10 septembre 2012, dernière modification le 10 septembre 2012.

Par Aurélien Poidevin

BIBLIOGRAPHIE : Paul Landormy et Fred Rothwell, « Roland-Manuel », The Musical Times, vol. 70, no 1042, 1er décembre 1929. — Louis Parrot, L’intelligence en guerre, préface de Jean Rousselot, Paris, Le Castor Astral, 1990. — Pascal Ory, La Belle illusion. Culture et Politique sous le signe du Front populaire. 1935-1938, Paris, Plon, 1994. — Guy Krivopissko et Daniel Virieux, « Musiciens : une profession en Résistance ? », in Myriam Chimènes (dir.), La vie musicale sous Vichy, Bruxelles-Paris, Complexe-IHPT-CNRS, 1999. — Henry Barraud, Un compositeur aux commandes de la Radio. Essai autobiographique. Édité sous la direction de Myriam Chimènes et Karine Le Bail, Paris, Fayard, Bibliothèque nationale de France, 2010. — Catherine Moragan, « Roland-Manuel nous dit l’action de quatre ans des Musiciens français », Les Lettres françaises, no 21, 16 septembre 1944, M.R.N. Champigny-sur-Marne.
SOURCES : Musée de la Résistance nationale à Champigny-sur-Marne, 85AJ, « Monsieur X..., musicien », texte dactylographié [fin 1941]. — « Pour Elsa », lettre-directive non signée et non datée (juillet 1942). — « Front National des intellectuels (rapport reçu le 24 décembre) [1942] », notes manuscrites de Georges Cogniot. — Manifeste, document incomplet [printemps 1943]. — « Musiciens. Mars 1943-mars 1944 », rapport interne. — « Nous refusons de trahir... déclarent les musiciens », L’Université Libre, numéro spécial imprimé, septembre-octobre 1941. — Musiciens d’Aujourd’hui, no 3 (avril 1942), no 4 (octobre 1942), no 5 (novembre 1942), no 6 (juin 1943), no 7 (juillet 1943), no 8 (février 1944).

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