SEDRAN Domenico, dit Adolfo CARLINI

Par Philippe Bourrinet

Né le 4 mars 1905 à Pozzo di San Giorgio della Richinvelda (Pordenone, Italie), mort le 26 juin 1993 dans une maison de retraite de Sequals (Pordenone)  ; menuisier, traminot ; immigré en France en 1922, communiste, puis trotskyste italien, actif dans les groupes « bolcheviks-léninistes » en France et en Belgique, membre du groupe de G. Munis [Manuel Fernández-Grandizo] à Barcelone, pendant la guerre civile d’Espagne ; retourné en Italie en août 1943, d’abord membre du PC Internationaliste « bordiguiste », puis, après 1946, de groupes trotskystes, enfin de « Rifondazione comunista ».

Domenico Sedran était le cadet d’une famille de paysans pauvres du Frioul. Ses deux frères aînés, communistes, décidèrent d’émigrer en Argentine. À son tour, il décida, en 1922, d’émigrer pour travailler dans les mines du Luxembourg, mais trouva du travail en France, d’abord près de Verdun (Meuse), puis à Beaucourt (Territoire de Belfort), en qualité de menuisier. Autour de 1924, il s’installa en région parisienne à Sannois (Val-d’Oise), puis à Nanterre (Hauts-de-Seine), où il se fit embaucher dans un établissement de constructions ferroviaires.

Il fit partie du groupe de langue italienne du PCF, participant à des manifestations antimilitaristes. À l’intérieur du groupe communiste italien, il se plaça d’abord sur les positions de la gauche communiste « bordiguiste » pour combattre Togliatti et Staline, mais à partir de 1927 il adhéra aux positions trotskystes.

Ayant été expulsé de France en 1928, en raison de ses activités communistes, Sedran émigra en Belgique, à Bruxelles, où la Bourse du travail lui trouva une occupation comme menuisier. En 1929, il participa à d’importantes manifestations antifascistes suite à l’exécution (17 octobre) par le régime de Mussolini du jeune nationaliste Italo-Croate Vladimir Gortan, dont l’organisation de combat (TIGR) luttait pour le rattachement de l’Istrie, du littoral slovène et de Rijeka à la Yougoslavie.

Sedran fut alors expulsé de Belgique et s’installa, en France au tout début janvier 1930. Immigré irrégulier, il travailla à Paris, à Lyon dans une fabrique italienne de meubles, à Bastia en Corse, et enfin à Marseille, Toulon et La Seyne-sur-Mer (Var), à partir de 1931. En 1934, il est l’un des animateurs de l’organisation locale de trotskystes italiens et français : il milita aussi bien dans la Nuova Opposizione Italiana (NOI) – fondée par Pietro Tresso, Nicola Di Bartolomeo et Alfonso Leonetti – que dans la Ligue communiste française. En 1935, il fut délégué par le groupe trotskyste italien de Marseille pour participer à une conférence nationale tenue à Paris.

En août 1936, Domenico Sedran, prenant le nom de bataille d’Adolfo Carlini, partit pour l’Espagne. Accompagné de camarades marseillais, il s’agrégea au groupe de trotskystes italiens, dont la personnalité majeure était Nicola di Bartolomeo (Fosco) [1901-1946]*. Il s’enrôla dans une milice du POUM (la Colonne internationale Lénine) après un entrainement militaire à la Caserne Lénine de Barcelone. Il ne pourra jamais adhérer, comme les autres trotskystes, au POUM qui refusait tout droit de fraction. Avec ses camarades, mais aussi la minorité « bordiguiste », sous la conduite du « capitaine » Enrico Russo* (Candiani), il se battit victorieusement contre les troupes franquistes sur le front de Huesca, à Estrecho Quinto.

De retour à Barcelone, il participa activement en novembre 1936 à la formation de la Section bolchevik-léniniste d’Espagne (SBLE), aux côtés de Manuel Fernández Grandizo (Munis)*, Jaime Fernández Rodríguez*, Hans David Freund (Moulin) [1912-1937] et Erwin Wolf (1902-1937). Ces deux derniers devaient périr tragiquement, enlevés et assassinés par des agents de Staline, après l’échec des journées révolutionnaires de Barcelone en mai 1937.

Mai 1937 marque pour le groupe de Munis, un apprentissage difficile de l’action révolutionnaire clandestine, sur deux fronts : contre le front républicain, dominé par le stalinisme après la mise hors la loi du POUM et des minorités anarchistes radicales, et le front franquiste. Carlini fut un militant de premier plan du groupe, étant l’un des rédacteurs de La Voz Leninista, dont le premier numéro sortit en mai 1937.

Accusés faussement d’avoir assassiné, le 10 février 1938 dans une rue de Barcelone, un officier des services secrets russe et républicain (NKVD et du SIM), le Russo-Polonais Léon Narvitch [Narwicz], un agent stalinien infiltré dans le POUM, et responsable indirect de l’assassinat d’Andres Nin, tous les membres du groupe de Munis, dont Carlini, furent arrêtés. Carlini, Munis et Jaime Fernández Rodríguez furent rapidement traduits devant un tribunal semi-militaire et condamnés à mort, après avoir été torturés par Julián Grimau (1911-1963), l’« œil de Moscou » à Barcelone. Une campagne internationale bloqua l’échéance des exécutions capitales. Carlini réussit miraculeusement à s’échapper de la prison Modelo, dans la confusion créée par l’entrée des troupes franquistes à Barcelone le 26 janvier 1939. Caché plusieurs mois dans la capitale catalane, il réussit finalement à gagner la frontière française et à franchir à pied les Pyrénées en août 1939. Arrêté à Perpignan par les gendarmes français, il est finalement interné dans les camps de Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales) et Gurs (Pyrénées-Atlantiques). Il perdit alors tout contact avec Munis et ses camarades.

Évacué en mai 1940, lors de l’offensive finale allemande, refusant d’être enrôlé comme travailleur forcé dans l’armée française, il fut transféré en Bretagne, à Vannes. Il réussit à s’échapper et gagna Paris, puis Bruxelles, où il prit contact avec les trotskystes belges, dont le jeune Ernest Mandel. Jusqu’en 1943, il essaya de renouer, au prix de périlleux voyages, les contacts entre les sections belge et française de la Quatrième internationale.

Le développement d’une situation révolutionnaire en Italie depuis mars 1943 le poussa à rentrer en Italie. Arrêté par les carabiniers à Modane, il fut traîné de prison en prison : Susa, Turin, Novare, puis celle de Milan, dont il réussit à s’échapper. Menacé autant par les fascistes que par les staliniens, Carlini reprit une activité politique, cette fois dans la tendance « bordiguiste », qui connaissait un essor spectaculaire.

Du début 1944 à la fin 1945, Carlini fut actif dans le parti « bordiguiste », à Milan, dont il connaissait déjà bien les militants exilés en France et en Belgique. Constitué en novembre 1943, le Parti communiste internationaliste (PCInt), était dirigé alors par l’ancien député communiste Onorato Damen (1893-1979) – responsable à Paris, en 1923, de l’édition en italien de L’Humanité – et Bruno Maffi (1909-2003). En décembre 1945, à la Conférence nationale de Turin, en désaccord avec les thèses sur la guerre impérialiste défendues par Ottorino Perrone* (principal animateur de la Fraction italienne en exil de 1927 à 1940), il rompit une deuxième fois avec le courant « bordiguiste ».

Carlini adhéra alors à différents groupes trotskystes : le Partito Operaio Comunista (POC), dirigé alors par Nicola di Bartolomeo, et, à partir de 1950, les Gruppi Comunisti Rivoluzionari (GCR), dirigés par Livio Maitan (1923-2004).

Carlini s’investit aussi dès 1946 dans une intense activité syndicale à Milan. Devenu traminot, il travailla à l’ATM (Azienda Trasporti Milanesi) jusqu’en 1965, date de sa retraite. Il décida alors de revenir dans son Frioul natal, pour écrire ses souvenirs, les Mémoires d’un prolétaire révolutionnaire, publiés en italien en 1980, par l’organe théorique des trotskystes italiens Critica comunista.

Carlini resta toujours dans la mouvance trotskyste, membre d’honneur des GCR, de la Lega Comunista Rivoluzionaria (LCR) et de l’Associazione Quarta Internazionale (AQI), mais décida d’adhérer en 1989 à Democrazia Proletaria, une coalition électorale d’extrême gauche, puis, en juin 1991, à Rifondazione Comunista, regroupement de Democrazia Proletaria et d’une minorité du Parti communiste italien qui refusait le « tournant social-démocrate » du PCI.

Installé à Pula (Istrie croate) en 1989, où il commémora le 60e anniversaire de l’exécution de Vladimir Gortan, il dut revenir en Italie, en mai 1991, lorsqu’éclata le conflit yougoslave.

Domenico Sedran est mort dans son Frioul natal le 26 juin 1993 dans une maison de retraite médicalisée de Sequals (Pordenone).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article142306, notice SEDRAN Domenico, dit Adolfo CARLINI par Philippe Bourrinet, version mise en ligne le 7 octobre 2012, dernière modification le 8 octobre 2012.

Par Philippe Bourrinet

ŒUVRE  : Carlini, « Il dovere dei rivoluzionari spagnoli », in Battaglia Comunista, n° 3, Milan,18 février 1946. — Adolfo Carlini, « Memorie di un proletario rivoluzionario », in Critica Comunista, nos 8–9, juillet-octobre 1980, p. 143–152.

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE :
OUVRAGES
Paolo Casciola, « Some historical vignettes », in Revolutionary History, vol. 5, n° 4 [« The Italian Left through Fascism, War and Revolution : Trotskyism and Left Communism in Italy »], Londres, 1995. — Agustín Guillamón, « El asesinato del capitán Narwicz en la calle Legalidad », in La Barcelona Rebelde, Octaedro, Barcelone, 2003. — Gian Luigi Bettoli (dir.), La Guerra di Spagna attraverso gli articoli e le lettere degli antifascisti e dei garibaldini del Pordenonese, Pordenone, 2008, « Fra Trozky e il Poum : Domenico Sedran », p. 113-117. — Dino Erba, Nascità e morte di un partito rivoluzionario : Il Partito Comunista Internazionalista 1943-1952, All’Insegna del Gatto Rosso, Milan, 2012.
SOURCES  : ACS-CPC Roma : dossier Domenico Sedran, busta 4727, fasc. 19277. — « Sumari n° 94, 10 de marzo 1938. Jutjat Especial n° 1 del Tribunal d’Espionatge i Alta Triació de Catalunya. Per Alta traición por complot, propaganda y asesinato del capitán León Narwitsch. Contra Manuel Fernández Grandizo, Adolfo Carlini Roca, Aege Kielso, Jaime Fernández Rodríguez, Luís Zanon Grim, Teodoro Sanz Hernández, Víctor Ondik, Baldomero Palau Millán », in Archivo Histórico Nacional, Madrid. — Rodolphe Prager (éd.), Les congrès de la IVe Internationale (1930-1940), Éditions La Brèche, Paris, 1978. — Agustín Guillamón (dir.), Documentación historica del trotsquismo español (1936-1948). De la guerra civil a la ruptura con la Cuarta Internacional, Ediciones de la Torre, Madrid, 1996.

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