AVANT-PROPOS DE LA DEUXIÈME PARTIE (1864-1871)
Délaissant ce qu’on pourrait appeler la préhistoire du mouvement ouvrier français, nous abordons, avec ce quatrième volume du Dictionnaire, deux événements essentiels de l’histoire de ce mouvement : la formation, le développement, la disparition des sections françaises de la Première Internationale, la vie et la mort de la Commune de Paris.
Bien entendu, nous avons tenté, comme dans les volumes précédents, d’esquisser la biographie de ceux qui, en créant une coopérative ou en animant une grève, ont voulu améliorer le sort de « la classe la plus nombreuse et la plus pauvre ». Nous ne prétendons pas avoir été exhaustifs en ce domaine, et il est certain que les travaux à venir enrichiront ces biographies en quantité et en qualité.
Mais notre ambition a été avant tout de présenter pour la première fois, grâce à toutes les sources aujourd’hui accessibles, imprimées et manuscrites, les biographies de ceux qui ont constitué le personnel de l’Internationale et de la Commune.
Au total, quelque 18 000 biographies.
En ce qui concerne l’Internationale, nous avons recherché le nom de tous ceux qui, en France, ont adhéré à cette organisation avant, pendant et même après la Commune, des Français qui, à Londres, créèrent en 1865 la Branche française, exclue trois ans plus tard, reconstituée au lendemain de la Commune sous le nom de Section fédéraliste française de 1871 ; nous avons recherché aussi les Français qui, en exil, tentèrent de se regrouper en sections de l’Internationale. On trouvera plus loin, pp. 25 à 81, répertoriés par départements pour la France, par pays hors de France, les noms de ces militants. Nous avons donné pour Lyon et les Bouches-du-Rhône la liste des sections. Pour Paris et la région parisienne, nous nous sommes efforcés de dresser la liste, par ordre alphabétique, puis par arrondissement, des sections de quartier ; par ordre alphabétique, des chambres syndicales adhérentes.
À la fin du dernier volume « Internationale et Commune » de ce Dictionnaire - ceci afin de bénéficier de toutes les retouches qui seront faites en cours d’édition - nous donnerons, par ordre alphabétique, le nom de tous ceux qui appartinrent à l’AIT, en France puis en exil. Nous rappellerons également dans cet index à quelle section adhérait le militant ou dans quelles sections il exerça son activité.
Le dénombrement des sections et de leurs adhérents, tel que nous l’avions établi en 1964, nous a permis de présenter une brève communication sur les effectifs de l’Internationale en France au colloque commémoratif du centenaire qui a réuni à Paris, en novembre 1964, des représentants de très nombreux pays. Il nous a semblé que cet essai avait ici sa place.
LES EFFECTIFS DE L’INTERNATIONALE EN FRANCE
Je tenterai d’apporter quelques éléments statistiques concernant l’irritante question des effectifs de l’AIT en France.
Je dirai un mot en premier lieu des adhésions collectives de chambres syndicales. Ces adhésions, qui se sont produites surtout en 1869-1870, n’ont eu lieu par dizaines que dans les quatre villes « moteurs » de l’Internationale : Paris, Lyon, Marseille et Rouen. Ailleurs, ces adhésions de chambres syndicales, vraies ou supposées, ne se sont produites que dans quelques villes comme Dijon, Besançon, Reims, etc. Quoi qu’il en soit, en aucun cas, ces adhésions collectives n’ont été décomposées en adhésions individuelles. En aucun cas, elles n’ont donné lieu à la délivrance de cartes et de timbres, au versement de cotisations personnelles, à l’organisation de réunions où l’on aurait discuté les problèmes variés que tentait de résoudre l’Internationale. Ce sont des adhésions qui furent votées par acclamations au cours d’une grève par exemple et signifiées à Paris ou à Londres, ou encore signalées à l’occasion d’un congrès. Si nous pouvons être aussi affirmatifs, c’est qu’en aucun cas nous n’avons trouvé une liste de ces grévistes ou des membres de ces chambres syndicales transformés en adhérents de l’Internationale et, par contre, nous avons, dans presque tous les cas, la liste des animateurs de la grève, des membres du bureau de ces chambres syndicales qui, eux, furent des adhérents effectifs, au moins pour un temps. Il conviendrait donc désormais de ne parler qu’avec réserve de l’adhésion à l’Internationale des 8 000 ovalistes de Lyon en grève ou des 1.100 membres de la Société de résistance et de solidarité de Reims, de retenir par contre les dirigeants du comité de grève ou de la Société de résistance qui doivent être comptés comme adhérents à part entière de l’Internationale.
Si l’on envisage maintenant ceux ou celles qui effectivement, personnellement, à titre individuel, adhérèrent à l’Internationale, on peut dire qu’il n’y a aucune raison pour que nous ne réussissions pas à déterminer leur nombre de façon satisfaisante. En effet, les sources existent, congrès de l’Internationale, livres et archives Testut, journaux, comptes rendus des procès et pièces manuscrites de l’Enquête parlementaire sur l’insurrection du 18 mars 1871 qui fut poussée jusqu’au niveau de toutes les communes de France. Ceux qui participent à l’élaboration du Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier français ont souvent repris les recherches sur le plan départemental, voire communal et, dans la mesure où elles ont existé, on doit retrouver la trace de ces sections de l’Internationale, des adhérents à ces sections, étant donné les grandes desseins subversifs prêtés à l’Association Internationale des Travailleurs, les troubles qui ont accompagné la Commune parisienne et l’acharnement mis par les enquêteurs de 1871 à en découvrir les auteurs réels ou supposés.
Département par département, j’ai dressé un tableau de toutes les sections dont on a signalé l’existence en France avec l’estimation du nombre de leurs adhérents (également du nombre des affiliés isolés, évitant toutefois de noter les quelques suspects signalés en abusant de l’emploi du conditionnel hypothétique), et inscrit, en regard, le nombre des adhérents réels que nous avons découverts.
Voici un résumé des résultats obtenus pour les 90 départements français (nous n’envisagerons pas le cas de l’Algérie, plus exactement d’Alger, ni de la Guadeloupe).
Sur 90 départements, il en est 38 pour lesquels on n’a jamais signalé et dans lesquels nous n’avons trouvé ni section ni adhérents. Ce sont : Ain, Allier, Hautes-Alpes, Ariège, Aveyron, Cantal, Charente, Charente-Inférieure, Corrèze, Corse, Côtes-du-Nord, Eure-et-Loir, Indre, Jura, Landes, Lot, Lot-et-Garonne, Lozère, Maine-et-Loire, Haute-Marne, Meurthe-et-Moselle, Meuse, Morbihan, Moselle, Pas-de-Calais, Basses-Pyrénées, Hautes-Pyrénées, Pyrénées-Orientales, Bas-Rhin, Savoie, Seine-et-Oise, Deux-Sèvres, Tarn, Tarn-et-Garonne, Vaucluse, Vendée, Yonne, Territoire de Belfort.
Sur les 52 départements restants, il en est 8 pour lesquels l’existence de sections ou d’adhérents a été signalé (au total 7 sections et 230 à 245 adhérents), mais où nous n’avons découvert ni adhérents ni suspects d’adhésion. Ce sont : Alpes-Maritimes, Ardèche, Creuse, Drôme, Loiret, Manche, Oise, Orne.
Restent 40 départements (mis à part Seine, Rhône, Bouches-du-Rhône et Seine-Inférieure) dans lesquels nous avons trouvé trace de l’existence, soit de sections, soit d’adhérents. Au total, pour ces 40 départements, j’ai noté le nom de 331 citoyens ayant appartenu à l’Internationale. Pour ces mêmes départements, il est fait état d’une quarantaine de sections groupant 23 000 à 24 000 membres.
Seine, Rhône, Bouches-du-Rhône et Seine-Inférieure ont été l’objet d’études et moi-même j’ai tenté, grâce notamment aux archives de l’Enquête, de serrer la vérité d’aussi près que possible, et voici les résultats auxquels je suis parvenu :
Dans la Seine, j’ai relevé le nom d’un millier d’adhérents environ (930) appartenant à une cinquantaine de sections de rue (54) - (1) et à un nombre au moins égal de sections syndicales (72) - (2)
Dans le Rhône, le nombre des adhésions fut de 400 environ (416 avant et 17 après la Commune) (3), alors que Richard fit état de 15 000 à 20 000 affiliés au printemps 1870 et de l’adhésion à l’Internationale d’une trentaine de sociétés ouvrières.
Dans les Bouches-du-Rhône, nous arrivons au total de 300 adhérents (283 exactement) (4) dont 118 (5) pour Marseille, alors qu’il fut question de 4 000 Internationaux et d’une vingtaine de sociétés ouvrières adhérentes.
Dans la Seine-Inférieure, j’ai trouvé 131 adhérents (23 en 1867, 111 en 1869-1871, les adhésions d’Aubry, Lefrançois et Schrub se retrouvant aux deux époques). On avait parlé dans cette région de 3 000 adhésions en mai 1869, de 1 100 en janvier 1870.
Nous avons donc, pour l’ensemble du territoire, deux mille Internationaux avant la Commune (2 091) alors que les chiffres avancés par les différentes sources vont de 40 000 à 50 000 (Seine exclue) avec une estimation générale de 200 000 à 300 000. Pour la France entière, on découvre moins d’une centaine d’Internationaux après la Commune (93 noms exactement).
Ces résultats appellent, bien entendu, réflexion.
En premier lieu, remarquons qu’on ne saurait invoquer les incendies de Paris en 1871 pour rendre compte de telles disproportions. La Seine mise à part, toutes les archives de France ne livrent que 1 000 noms d’Internationaux alors qu’il y en aurait eu 50 000. Il convient donc d’interpréter.
Avant de le tenter, je voudrais présenter quelques cas précis et concrets qui peuvent nous mettre sur la voie d’une explication.
Dans le Var, en avril 1870, les nommés Bastelica, Brun et Alerini font une tournée de propagande. Au dire de Bastelica, et tout le monde le répétera, cinq sections sont constituées à Cogolin, Collobrières, Gonfaron, La Garde-Freinet et Saint-Tropez. De ces cinq sections, une seule a laissé trace, celle de Gonfaron qui groupa huit adhérents : six ouvriers bouchonniers, un cordonnier et Brun. Bastelica a donc vu grand. Quant à Toulon et spécialement à l’Arsenal, l’Enquête parlementaire... (cf. p. 98) indique, par la voix du premier président de la cour d’Aix, le 25 juillet 1871 : « On peut aussi affirmer l’affiliation de la presque totalité des ouvriers de l’arsenal et de la Seyne à l’Internationale. » Et il ajoutait que le préfet du Var « croit savoir que les cotisations de ces ouvriers ne s’élèvent pas à moins de 55 000 francs par an » encaissés par un ancien médecin de la Marine habitant le faubourg du Pont-du-Las. Le préfet maritime, vice-amiral Jauréguiberry, consulté à ce sujet (cf. Arch. Dép. Var, papiers Laporterie, 2 J 315, recherches faites par M. Constant) ne put que répondre : « Le caissier probable [...] est un M. Giraud, ancien médecin de la Marine. [...] On m’a aussi parlé d’un M. Escudier qui habite les mêmes parages. » Bref, on ne put se prononcer sur la personne de ce caissier de l’Internationale, peu remarqué donc des services de police, et pourtant remarquable, puisqu’il était supposé contrôler, à 5 f. 20 la cotisation annuelle (cf. résolution du congrès de Bâle, septembre 1869 : la cotisation hebdomadaire est fixée à dix centimes) quelque 10 000 adhérents.
Second cas. À Limoges, nous n’avons trouvé que trois noms d’Internationaux : celui d’un délégué au congrès de Bâle, septembre 1869, sur lequel personne n’eut l’idée de constituer une fiche, celui d’un avocat et celui d’un ouvrier porcelainier. C’est tout et ceci n’empêcha pas le chef de la XXIe légion de faire état, dans son rapport du 17 août 1871 à la Commission d’enquête, de 3.500 adhérents à l’Internationale (cf. Enquête, p. 165), sans doute parce que la Chambre syndicale des ouvriers porcelainiers, en janvier 1870, et peut-être la Chambre fédérale des sociétés ouvrières, en avril 1870, étaient en relations avec l’Internationale ; il n’en est d’ailleurs pas de preuves formelles.
Nous pourrions poursuivre, et dans toute la France. Il importe donc de bien considérer, quand on parle de l’Internationale, en France du moins, qu’elle s’est présentée sous deux aspects : d’une part, elle a été pour les larges masses de travailleurs, à la fin du Second Empire, le symbole d’une possible émancipation. Ces masses, groupées dans leurs chambres syndicales ou unies à l’occasion d’une grève, l’ont acclamée, lui ont fait confiance, mais leur adhésion est demeurée toute formelle et elles ne se sont pas intégrées à elle. Si elles l’avaient fait, il en fût demeuré trace. Or, il n’en est rien. De sorte qu’il est possible d’affirmer que seule une minorité de citoyens, quelques milliers tout au plus, a affectivement milité dans son sein.
Demeure toutefois la question : pourquoi a-t-on dit ou laissé dire que 200 000 à 300 000 citoyens avaient donné leur adhésion à l’AIT, une adhésion réelle avec tout ce que cela implique ?
Trois catégories de personnes, par leurs dépositions ou leurs silences qui se sont conjugués, sont à l’origine de cette affirmation. En premier lieu, les juges du Second Empire et les enquêteurs de M. Thiers ; en second lieu, les indicateurs de police, et avant tout l’avocat Testut, le n° 47 des Archives de la Préfecture de Police ; enfin, les militants de l’Internationale eux-mêmes. Tous avaient intérêt à laisser s’accréditer la légende des centaines de milliers d’adhérents, comme ils avaient laissé s’accréditer la légende de l’or de l’Internationale alors que les caisses de l’Association étaient vides. Les uns parce que l’Empire, qui avait besoin de justifier ses condamnations ou, Thiers, la répression de la Commune, leur demandaient, non pas s’il y avait des sections de l’Internationale en telle ou telle ville, mais d’affirmer qu’il y avait des sections de l’Internationale en telle ou telle ville. Il convient de noter à ce sujet que Thiers était, en la matière, un récidiviste, lui qui avait écrit, le 21 avril 1834, au préfet du Bas-Rhin (cité par Marc Bloch dans Métier d’historien, p. 42) : « Je vous recommande d’apporter le plus grand soin à fournir votre contribution de documents pour la grande procédure qui va s’instruire [le procès des Sociétés secrètes]... Ce qu’il importe de bien éclaircir [...] c’est, en un mot, l’existence d’un vaste complot embrassant la France entière. » Les uns ont donc grossi les effectifs parce que cela leur était demandé. Les seconds, et surtout le second, parce qu’il était, si j’ose dire, payé aux pièces, et que, de ce fait, il importait au premier chef que l’affaire fût d’importance. Les troisièmes, enfin, les militants de l’Internationale, parce qu’ils se grisèrent à leur propre propagande, et surtout parce qu’ils avaient manifestement intérêt à laisser s’accréditer la légende d’une Internationale puissante et redoutable par ses effectifs comme elle l’était par ses moyens financiers.
Après la Commune, on peut dire que le nombre des adhésions à l’Internationale fut insignifiant. Les fusillades de la Semaine sanglante, les déportations qui suivirent, la terreur qui régna quelques années, avant et après le vote de la loi Dufaure, suffisent à expliquer ce phénomène. Ce qui n’empêcha pas marxistes et bakouninistes, qui se disputaient les restes de l’Internationale en France, de grossir, les uns et les autres, les lambeaux d’association qui pouvaient subsister et qui ne réunirent que quelques dizaines de citoyens, nous l’avons vu.
Les procès se déroulèrent en deux temps : ceux des marxistes d’abord, en 1873, liquidèrent les groupes de Paris, Béziers, Bordeaux, Lisieux, Toulouse ; ceux des bakouninistes ensuite, en avril 1874 (complot de Lyon), les groupes de Loire et Rhône.
Il n’y eut plus dès lors d’Internationale en France en tant qu’organisation. Sous d’autres formes, devait renaître un mouvement ouvrier et socialiste au cours des congrès de 1876, 1878 et suivants. Mais c’est d’une autre époque qu’il s’agit.
Telle est, au terme d’une longue enquête, ce que je crois être la vérité, ou une approche de la vérité sur les effectifs de l’Internationale. Elle surprendra, choquera même, je le crains, mais les faits sont là. D’ailleurs, cette histoire d’effectifs qui vont s’amenuisant jusqu’à disparaître en certains cas ne diminue en rien l’importance de l’association qui naquit en 1864. Je serais tenté de dire qu’elle l’accroît dans la mesure où son rayonnement, indiscutable, vint de la seule force de l’idée et non de celle d’un « appareil » comme nous dirions aujourd’hui. La Première Internationale, grâce à ses dirigeants, remarquables très souvent d’intelligence et de dynamisme, grâce aux idées qu’elle jeta à la volée sur tous sujets, grâce à l’influence qu’elle exerça sur la classe ouvrière groupée en Chambres syndicales et sur les travailleurs en général, grâce enfin à la Commune de Paris qu’elle anima dans maints domaines mais, là encore, par ses militants plus que par le poids de son organisation, la Première Internationale, grande âme dans un petit corps, selon l’heureuse expression de Charles Rappoport, a été un grand moment de l’histoire ouvrière. Elle a annoncé le socialisme aussi bien que l’anarchisme, elle a préfiguré la coopération autant que le syndicalisme et spécialement le syndicalisme révolutionnaire. Sa légende même est signe de sa grandeur. Mais, cent ans après sa naissance, il nous importe de la redécouvrir. La Première Internationale eut une audience de masse et, dans cette mesure, son rayonnement s’est étendu à des centaines de milliers de travailleurs. Elle ne fut, à aucun moment, un parti de masses.
Jean MAITRON.
Les découvertes d’adhérents que nous avons pu faire depuis la rédaction de ce rapport n’ont apporté que des modifications peu importantes, et avant tout pour la Seine, aux chiffres que nous avancions.
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Notre ambition, avons-nous dit, a été de présenter la totalité du personnel de l’Internationale et de la Commune. Nous nous sommes expliqués, en ce qui concerne l’Internationale. Il nous reste à voir ce que signifie pour nous « la totalité du personnel » lorsqu’il est question de la Commune, en province, et surtout à Paris. Disons tout de suite qu’il s’agit du personnel actif et voici quels critères ont été choisis.
Pour la province, nous avons retenu le nom de tous ceux qui ont été condamnés pour avoir participé aux essais de soulèvement régionaux ou manifesté, à un titre ou à un autre, leur solidarité à la capitale.
Pour Paris, le premier critère adopté fut également celui de la condamnation et, en principe, les bénéficiaires d’un acquittement ou d’un non-lieu - sauf si ce non-lieu était dû au décès - ne figurent pas dans le Dictionnaire. Ont été également éliminés quelques déserteurs demeurés étrangers aux mouvements communalistes, de même que quelques condamnés de droit commun qui « auraient été », dont « on disait qu’ils étaient » sympathisants à la cause de la Commune - il s’agit, dans l’un et l’autre cas, de quelques unités, moins d’une dizaine.
Pour retrouver ces condamnés, nos sources essentielles ont été les suivantes, abstraction faite de celles déjà mentionnées en ce qui concerne l’Internationale. Nous avons dépouillé systématiquement et complètement les 12 000 dossiers, recours en grâce de la série BB 24 des Archives Nationales répertoriés en BB 27, ainsi que les dossiers déportation et transportation de la série H Colonies. À Vincennes se trouvent une quinzaine de milliers de dossiers individuels de Communards traduits devant les conseils de guerre et plusieurs centaines de cartons contenant des documents divers sur le Comité central de la Garde nationale, les bataillons, les clubs. À défaut d’une étude exhaustive qui eût exigé de nouvelles années de travail et n’aurait conduit très souvent qu’à retrouver les données déjà fournies par les dossiers BB 24, nous nous sommes contentés de l’examen des dossiers contumaces.
À ces dépouillements, nous avons ajouté ceux des dossiers individuels et des cartons « Internationale » conservés aux archives de la Préfecture de Police.
Enfin, nous avons fait effort pour répertorier certains groupes particuliers de Communards - en dehors des Internationaux dont nous avons déjà parlé : compagnons, francs-maçons, étrangers notamment. M. Lecotté nous a facilité la consultation des documents maçonniques conservés à la Bibliothèque Nationale qui nous ont livré la liste des compagnons et francs-maçons signataires de la déclaration d’adhésion à la Commune de Paris du 5 mai 1871. En Belgique, les dossiers 119 II des archives du Ministère des Affaires étrangères nous ont permis de dénombrer les Belges condamnés en France pour participation à l’insurrection parisienne. Dans d’autres cas, Pologne et Luxembourg, nous avons utilisé les travaux déjà existants de M. Wyczanska (Polacy W Komunie Paryskiej 1871 R) et J. Sorel (Le Luxembourg et la Commune). Enfin, en Suisse, nous avons bénéficié du précieux concours de M. Vuilleumier qui termine une thèse de doctorat sur les proscrits de la Commune dans son pays. Tous ces compagnons et ces francs-maçons, ces étrangers : Belges, Polonais, Suisses, etc., ont été regroupés, par catégorie, au nom de l’un d’eux, sans cesse rappelé dans le Dictionnaire, mais que nous précisons au surplus dans les « clés ».
Bref, en dehors des coopérateurs et animateurs de grèves dont nous avons déjà parlé, nous offrons donc aujourd’hui les biographies des quelques 10 000 condamnés contradictoires et 3 300 condamnés contumaces dont fait état le rapport du général Appert en 1875. Appartiennent-ils tous au mouvement ouvrier ? Lorsqu’il a été possible, nous avons indiqué les admirateurs de Blanqui, les disciples de Proudhon, ceux qu’on taxe d’ordinaire de « Jacobins ». Partisans de la majorité communaliste ou de la minorité ont, les uns et les autres, oeuvré pour l’amélioration de la condition ouvrière. Certains cas cependant sont complexes : Henri Rochefort se dit démocrate et socialiste, mais n’a-t-on pas à son propos « confondu le pompier et l’incendiaire ? » Ses actes, ses écrits, sa condamnation l’inscrivent sur nos listes. Non loin du fort de Bicêtre, aujourd’hui, des rues portent les noms de Benoît Malon, Delescluze ; Paul Lafargue y voisine avec Babeuf, mais on y trouve aussi Rossel : Rossel a payé de sa vie les services rendus à la Commune, mais son attitude fut avant tout celle d’un patriote qui venge son pays. Et si les mobiles des chefs sont complexes, comment distinguer à la base le garde national qui a fait le coup de feu sans conviction politique et pour gagner 30 sous, le Parisien ulcéré de la présence allemande, celui qui, à l’instar de ce qui se passa au cours de l’été 1944, participa à une « émotion » collective ?
Non seulement il est impossible de connaître et de juger des mobiles, mais tous ces hommes ont « fait » la Commune, ont souffert pour elle et par elle. Retenir tous les condamnés n’est pas seulement choisir un critère aisé ; c’est tenter de donner leur place à tous ceux par qui la Commune est devenue, après coup, la figure de proue du mouvement ouvrier.
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Demeure toutefois l’insoluble problème des fusillés par les Versaillais. Combien furent-ils ? 20 000 ? 25 000 ? Nul ne le sait, mais leur nombre dépasse vraisemblablement celui des 17 000 qui correspond aux inhumations dont les frais ont été payés par le conseil municipal de Paris. Comment retrouver ces morts ? Certes, quelques personnalités sont connues et l’on songe aussitôt à Varlin, Rigault, Millière, Tony Moilin... Mais ce ne sont là que cas d’espèce. Les condamnés contumaces, dont la trace ne se retrouve nulle part à l’étranger durant les dix années qui ont suivi la fin de la Commune, disparurent sans doute au cours de la Semaine sanglante. Nous n’avons eu garde de les oublier. Enfin, pour pallier, dans la mesure du possible, cet évanouissement de milliers de combattants, nous avons dépouillé le Journal Officiel de la Commune et les Murailles politiques et relevé le nom de tous ceux qui émergèrent, même modestement, au cours des 72 journées de la Commune et qui, souvent, ne figurent pas parmi les condamnés. Il est vraisemblable qu’ils furent au nombre des fusillés sans jugement. Demeure pour finir le cas des Communards du rang - et ils sont des milliers - dont jamais le nom ne fut cité dans un journal ou au bas d’une affiche. Ces Communards inconnus ne pouvaient être totalement absents de ce Dictionnaire, et c’est la raison pour laquelle mention a été faite de leur masse anonyme en tête du premier volume.
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Quelle image - ou quelles images - de l’International et du Communard se dégagera à la suite de la présentation de cette galerie de portraits qui s’étendra sur cinq volumes du Dictionnaire ? Nous ne voulons pas préjuger. Nous désirons seulement faire remarquer que les sources utilisées sont, neuf fois sur dix, d’origine policière et de caractère très anti-Internationale et anti-Commune. Le lecteur attentif en découvrira de nombreux exemples. Pour nous limiter à un cas, nous n’avons pu comprendre pourquoi il arrivait assez souvent que des condamnations pour attentats à la pudeur soient inscrites au casier judiciaire de Communards. Essai pour compromettre des militants connus ou en puissance ? Valeur particulière et anodine de l’expression à cette époque ? Nous nous contentons de poser la question.
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Nous avons dit nos ambitions. Nous voulons aussi préciser les limites de l’entreprise.
Si nous pensons, en effet, que de nouvelles découvertes ne viendront pas changer fondamentalement le tableau que nous présentons, il n’en reste pas moins vrai que, tant en ce qui concerne l’Internationale qu’en ce qui concerne la Commune, des travaux, en France - et nous pensons notamment à la thèse en cours d’élaboration de M. Rougerie - et à l’étranger, apporteront certainement des éléments nouveaux. L’histoire des sections françaises de la Première Internationale, de la Commune de Paris et des Communes provinciales ne sera réalisée de façon que l’on pourra estimer définitive - dans la mesure où l’expression a un sens en histoire - qu’après un travail collectif mené à l’échelle internationale. Et voilà qui fixe bien les premières limites de ce Dictionnaire.
Mais il est d’autres réserves. Sans doute avons-nous fait de grands efforts pour assurer à nos biographies exactitude et précision. Mais est-il besoin de dire que, par exemple, nous n’avons pu procéder, par lettres aux mairies intéressées, à 18 000 vérifications d’état civil ? Que de fois trouve-t-on d’ailleurs, à la suite d’enquêtes menées au temps de la répression, « pas d’acte de naissance applicable », certains Communards ayant tenté, par une fausse déclaration, de dissimuler leur passé...
La simple orthographe des noms de personnes nous a posé un permanent problème. Qui feuillette le Journal Officiel de la Commune ou l’Enquête parlementaire..., la presse en général ou les ouvrages de Testut, à plus forte raison les listes de Communards dressées par les services de police des différents pays, sait devant quelles variétés d’orthographes on se trouve placé. Nous avons multiplié la transcription de ces variantes afin de faciliter au maximum la consultation du Dictionnaire. Nous n’oserons prétendre pour autant que des confusions ne subsisteront pas entre - ce n’est qu’un exemple - les Baudoin, Baudoint, Baudouin, Beaudoin, Beaudoins, Beaudouin... Si nous avons rectifié le nom de Champseix que nous avions orthographié Champceix dans le volume I, certaines orthographes n’en demeureront pas moins douteuses comme celle de Chamoux signalée dans l’introduction du premier volume, qu’un typographe négligent ou facétieux a indiquée sous la forme suivante : « ortographe douteuse » !
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En conclusion, nous tenons à dire une fois encore, comme nous l’avons fait en avant-propos de cette collection, que c’est un premier sillon que nous traçons. Pour mener à bien l’oeuvre entreprise, certains d’entre nous ont consenti, pendant des années, d’exceptionnels efforts. S’ils souhaitent compréhension de la part des utilisateurs du Dictionnaire, ils ne demandent pas indulgence et remercient ceux qui déjà ont présenté des critiques constructives, ont réparé omissions ou erreurs dans les volumes précédents, ceux qui le feront demain et s’intégreront ainsi à l’équipe des collaborateurs. Ceux-ci, dont les noms sont rappelés en tête de ce volume, ont apporté, pour la province, un remarquable enrichissement au Dictionnaire. Nous leur disons notre profonde reconnaissance. Que soient aussi remerciés les directeurs des Éditions Ouvrières, tous ceux et toutes celles de cette maison qui apportent un souriant concours à l’édition de ce travail.
J. Maitron et Madeleine Egrot.
LE COMMUNARD INCONNU
Du 21 au 28 mai 1871, durant la Semaine sanglante, les troupes versaillaises fusillèrent sans jugement des milliers de Communards. Combien exactement ? Certains auteurs versaillais ont parlé de quelques milliers : 5 000 ou 6 000. Certains auteurs sympathisants à la Commune ont fait état de 30 000 voire de 50 000 fusillés. Leur nombre dépasse sans doute celui de 17 000 qui correspond aux inhumations de fédérés dont les frais ont été acquittés par le Conseil municipal de Paris.
Notes liminaires à la version CD-Rom concernant la 2e période.
Comme l’entrevoyait Jean Maitron dans son introduction, les travaux qui ont été publiés après la parution des six volumes de la 2e période ont certes permis d’approfondir et d’élargir les connaissances relatives aux acteurs et aux événements, mais sans remettre en cause dans leurs grandes lignes les conclusions dégagées dans le bilan qu’il esquissait en 1971. Pour ne prendre qu’un seul exemple, si de nombreuses biographies d’Internationaux ont pu être complétées, rares sont les notices d’adhérents de l’AIT entièrement nouvelles.
Au total, le nombre des notices relevant de cette 2e période est passé de de 21 282 à 22 875, soit un accroissement de 7 1/2 %. Plusieurs centaines de notices ont en outre fait l’objet d’un complément, dans certains cas très important.
La mise à jour des notices de la 2e période a reposé en premier lieu sur l’exploitation des notes envoyées à Jean Maitron par des lecteurs du DBMOF, notamment L. Bretonnière et A. Perrier. En deuxième lieu, et bien que le manque de temps n’en ait pas permis une exploitation exhaustive, elle s’est nourrie des avancées considérables concernant les victimes de la répression (L. Bretonnière, R. Pérennès) et les communards exilés (F. Sartorius, J.-L De Paepe pour la Belgique, R. Paris pour l’Amérique latine, M. Vuilleumier pour la Suisse, M. Cordillot pour les États-Unis,...). Elle s’est enfin appuyée sur quelques travaux nouveaux et sur un collationnement aussi systématique que possible des sources bibliographiques, rassemblées à partir de plusieurs catalogues, collections et répertoires d’ouvrages en rapport avec le sujet.
Michel Cordillot