CARLIER Émile.

Par Jean-Paul Mahoux

Lanquesaint (aujourd’hui commune d’Ath, pr. Hainaut, arr. Ath), 28 juillet 1879 – Ath, 24 janvier 1934. Travailleur du bois, syndicaliste, coopérateur, mutualiste, dirigeant fédéral du Parti ouvrier belge, premier bourgmestre socialiste d’Ath, député de l’arrondissement de Tournai-Ath, militant wallon.

Fils de Jean-Baptiste Carlier, petit exploitant agricole de Lanquesaint, et de Victoria Thésin, Émile Carlier est l’aîné d’une famille de dix enfants. Comme les maigres revenus de la ferme ne suffisent pas à nourrir toute la famille, les Carlier émigrent à Ath en 1891. Le chef de famille y exerce les professions de cabaretier et d’ouvrier chaisier dans les ateliers de l’industriel et homme politique catholique, Léon Cambier. Carlier qui avait quitté l’école dès l’âge de neuf ans pour travailler à la ferme, y devient apprenti chaisier.

Comme une trentaine d’ouvriers de la fabrique, dont son père et une de ses sœurs, Émile Carler est licencié pour avoir soutenu les socialistes locaux et fêté la défaite de son employeur aux élections communales de 1895. Il retrouve un emploi chez M. Carton, industriel du bois et homme politique libéral, mais il est à nouveau congédié pour avoir participé à la fondation du Syndicat des travailleurs du bois en 1897. Après ce nouveau licenciement, il émigre dans le Nord de la France et y travaille comme briquetier.

Au début du XXe siècle, Émile Carlier revient à Ath où une Union socialiste s’est constituée en 1899. Pour survivre, il se fait sabotier puis vendeur de journaux socialistes.
Malgré son très jeune âge, Carlier s’impose très vite comme un des chefs de file du Parti ouvrier belge (POB) athois ; le départ pour Liège du leader socialiste local, Joseph Bonenfant, n’est peut-être pas étranger à cette rapide ascension.

En 1901, Émile Carlier fonde la société rationaliste ouvrière, Les Disciples de Voltaire, et participe à la création de la boulangerie coopérative, La Persévérante, dont il sera le secrétaire puis le directeur. Il siège également au Comité de la première mutualité socialiste de Ath-Maffle.

Dès 1903, Émile Carlier mène la campagne électorale aux élections communales, aux côtés du docteur Georges Goffin*. C’est à cette occasion qu’il commence à dominer la vie politique athoise, exerçant même une certaine influence sur les libéraux menés par le député libéral, Oswald Ouverlaux*. En 1907, Émile Carlier et Georges Goffin sont élus au conseil communal sur une liste de cartel avec les libéraux. L’ancien ouvrier chaisier y siègera sans discontinuer jusqu’à sa mort. Les lignes de force de son activité communale seront, entre autres, la défense de l’enseignement officiel (organisation de la manifestation contre le projet Schollaert en 1911), l’opposition à l’installation d’une caserne d’infanterie dans la ville et la promotion des infrastructures communales (travaux de voirie, amélioration de la distribution d’eau et d’électricité, comblement de la Dendre intérieure).

Leader socialiste d’une des plus grosses villes du Hainaut occidental, Émile Carlier accède très tôt à des fonctions fédérales. Il est secrétaire adjoint de la Fédération socialiste de l’arrondissement de Tournai-Ath, dès sa constitution en mars 1903. Il devient également éditeur responsable de L’Égalité, journal fondé par Joseph Defaux* en 1890, devenu l’organe hebdomadaire de la fédération.

Le départ du secrétaire fédéral, Georges Bertrand*, désavoué lors du poll en vue des élections législatives de 1904, propulse Émile Carlier à la tête de la Fédération et au poste de rédacteur de L’Égalité. Marié en 1908 à l’athoise, Emma Van Nieuwenhove, fille d’un ébéniste socialiste, Carlier travaille en très étroite collaboration avec le beau-frère de son épouse, Charles Lefrancq*. Les deux hommes font de L’Égalité un puissant instrument de propagande, s’assurant la collaboration de plusieurs leaders socialistes : le carrier Joseph Defaux, l’avocat Émile Royer* qui y publie sa célèbre Prose à Jean Prolo, et Émile Vandervelde*.

À partir de 1904, le jeune secrétaire fédéral doit affronter les tentatives de déstabilisation menées par Joseph Bonenfant, revenu à Ath en 1903, qui essaye de reprendre le contrôle du mouvement socialiste en Hainaut occidental. Émile Carlier voit notamment sa gestion de la coopérative, La Persévérante, mise en cause dans un pamphlet de Joseph Bonenfant, La Bande à Cartouche. L’exclusion de Joseph Bonenfant du POB en 1906 et le verdict de la Cour d’Ath, lavant Carlier de tout soupçon de malversations en 1908, réduisent la portée de cette dissidence.

Laissant d’abord à Joseph Defaux et à Émile Royer le soin de mener la lutte aux élections législatives d’avant-guerre, Émile Carlier concentre ses efforts à l’échelon local, dans le domaine de la coopération et du syndicalisme, et à l’échelon fédéral où il travaille au développement du mouvement mutualiste socialiste. En 1906, il fonde la coopérative de production, Les Équitables chaisiers, destinée à fournir des chaises et des meubles aux organisations socialistes. Malgré le soutien de la Fédération des sociétés coopératives, la société végète principalement en raison de son faible capital et de son manque d’outillage mécanique. Elle disparaît dès le début de la Première Guerre mondiale. La Persévérante se maintient plus longtemps. Sous l’impulsion de Émile Carlier, elle étend ses activités à la vente de charbon et de tissus et ouvre plusieurs épiceries. Bien que La Persévérante soit devenue une des deux principales coopératives du Tournaisis, Carlier semble ne plus accorder une grande importance à son développement à partir des années 1920. Réduite à la seule Maison du peuple d’Ath et demeurant en dehors de l’Union des coopérateurs du Tournaisis, la coopérative périclite dans les années 1930.

L’action de Émile Carlier pour relancer le syndicat local des travailleurs du bois n’aboutit pas au résultat escompté, en raison de l’échec de la grève des ouvrières canneuses aux Ateliers Cambier en 1905 et de la très forte concurrence du syndicat chrétien.

Si les initiatives de Émile Carlier dans les domaines de la coopération et du syndicat se soldent par deux échecs relatifs, son action mutualiste se traduit, par contre, par un tel succès que l’on peut considérer son œuvre en la matière comme un des traits essentiels de sa féconde carrière. En août 1915, il provoque le regroupement de quinze mutualités en une Fédération des mutualités socialistes dont le siège est établi à Tournai. Il en est d’abord le seul employé, assurant les fonctions de secrétaire-trésorier. Pressentant l’essor mutualiste que provoquera la loi sur les assurances sociales discutée alors au Parlement, Carlier veut doter les mutualités socialistes d’une puissante structure d’encadrement. Dès 1914, la Fédération compte 35 sections et 2.000 affiliés.

Remplacé au secrétariat par Camille Picron*, Émile Carlier est élu à la présidence fédérale en 1919. Il dirige les opérations de modernisation et de délocalisation de la Fédération : fondation du service chirurgical fédéral en 1921, construction de la clinique de Tournai en 1923, de la polyclinique d’Ath en 1925, ouverture des cabinets de consultation de Leuze et de Pérulwelz (pr. Hainaut, arr. Tournai), fondation du pavillon Émile Royer en 1931. Malgré la stagnation du nombre d’affiliés lors de la crise économique des années 1930, la Fédération des mutualités socialistes de Tournai-Ath connaît une impressionnante extension, ponctuée par les inaugurations des nouvelles infrastructures, que Émile Carlier conçoit toujours comme de grandes manifestations populaires.

Sur le plan national, Émile Carlier reprend la place laissée vide par le député, Émile Royer, décédé en 1916. Le 16 novembre 1919, il est élu à la Chambre des représentants où il devient le secrétaire du groupe socialiste. Il entre au Parlement, auréolé de la popularité que lui a valu sa conduite au cours de la guerre 1914-1918 : devenu agent du service de renseignements de l’armée belge dans la zone dite des « étapes » en 1914, il est condamné à mort par l’occupant allemand, une peine commuée à trois ans de travaux forcés en Allemagne.

Revenu en Belgique à la fin de 1918, Émile Carlier préside le premier Congrès du POB d’après guerre. À la Chambre, il devient un des spécialistes socialistes des questions financières. Il est notamment secrétaire de la commission des Finances et se signale par ses interpellations lors des discussions des différents budgets et par ses interventions lors des débats des lois relatives aux dommages de guerre, au tarif des douanes, aux fonds des communes et à l’impôt sur le revenu. Carlier est aussi le rapporteur de plusieurs projets de loi postulant l’insaisissabilité des salaires ouvriers ou accordant une garantie gouvernementale à l’emprunt de la Fédération des coopératives.

Élu d’un arrondissement caractérisé par l’importance du secteur primaire, Émile Carlier se fait l’avocat des ouvriers agricoles et des petits fermiers : il intervient dans les discussions sur le bail à ferme et la police rurale et est l’un des cosignataires d’une proposition de loi sur le contrat de travail des gens de maison.

Émile Carlier qui est délégué au Congrès wallon de 1912 et membre de l’Assemblée wallonne jusqu’à la guerre, puis de 1919 à 1934, apporte également son soutien aux revendications linguistiques de la Ligue wallonne du Tournaisis, ce en quoi il apparaît comme l’héritier spirituel de Émile Royer, nonobstant la certaine atonie que connaît le mouvement wallon dans les années 1920.

Sur le plan communal athois, Émile Carlier développe toujours une forte activité. Il est secrétaire du Comité de patronage et des institutions de prévoyance, secrétaire de la Caisse régionale et de la Commission régionale des pensions de vieillesse, président de la coopérative d’habitations à bon marché et membre de la Commission administrative des entrepôts publics.

Vers la fin de sa vie, Émile Carlier voit arriver le couronnement de ses efforts à la direction du POB athois : les socialistes remportent la majorité absolue lors des élections communales de 1932. Il est nommé bourgmestre en janvier 1933. Il exerce également la fonction d’échevin de l’Instruction publique. Une affection cardiaque l’oblige toutefois à suspendre toutes ses activités dès le printemps 1933.

Émile Carlier ne réapparaît qu’en décembre de la même année pour participer, malade et affaibli, à quelques séances de la Chambre. Il meurt le 24 janvier suivant, à l’âge de 54 ans. Ses funérailles sont suivies par plus de 10.000 travailleurs de la région athoise et par de nombreuses personnalités du POB.

Émile Carlier disparaît à la même époque que plusieurs autres pionniers du socialisme en Hainaut occidental dont il était le leader depuis une trentaine d’années. En 1984, les socialistes athois ont fêté le 50ème anniversaire de la disparition de leur premier bourgmestre. La maternité de la Fédération des mutualités socialistes d’Ath-Tournai porte toujours son nom.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article142355, notice CARLIER Émile. par Jean-Paul Mahoux, version mise en ligne le 12 octobre 2012, dernière modification le 8 décembre 2019.

Par Jean-Paul Mahoux

ŒUVRE : Notre situation financière en 1922, discours de Max Hallet, Émile Carlier et Joseph Wauters, s.l., (1923).

SOURCES : SERWY V., La coopération en Belgique, t. IV : La vie coopérative. Dictionnaire biographique, Bruxelles, 1952, p. 109 – DELHAYE J.-P., DUCASTELLE J.-P., DUVOSQUEL J.-M., SONNEVILLE M., 1885-1985. Histoire des fédérations. Hainaut occidental, Bruxelles, 1985 (icono) (Mémoire ouvrière, 4) – Le Parlement belge en 1930, Bruxelles, s.d., p. 330-331 – DELHAYE J.-P., La presse politique d’Ath des origines à 1914, Louvain-Paris, 1974, p. 90-91 (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 77) – LEFRANCQ C., Essai sur les origines et le développement du parti socialiste athois, s.l., 1984 (icono) – Almanach du peuple et de la Wallonie, Bruxelles, 1935 (icono) – La Belgique active. Monographie des communes et biographie des personnalités. Province du Hainaut, Bruxelles, 1934, p. 32 (icono) – COMPÈRE-MOREL A., Grand dictionnaire socialiste du mouvement politique et économique national et international, Paris, 1924, p. 98 – Le Peuple, 25, 28 et 29 janvier 1934 (icono), 5 avril 1985 ( n° spécial) – Le Courrier de l’Escaut, 30 janvier 1984, p. 11 (icono) – DUCASTELLE J.-P., « Condition ouvrière, luttes sociales et développement du mouvement socialiste en Hainaut occidental », Socialisme, n°172-173, juillet-août 1982.

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