DESGROUAS Jacques

Par Gérard Boëldieu

Né le 16 décembre 1817 à Épineu-le-Chevreuil (Sarthe), date et lieu de décès non retrouvés ; instituteur public dans la Sarthe de 1838 à 1849 ; auteur d’une lettre à l’Émancipation de Toulouse qui lui valut sa révocation par le comité d’arrondissement de Saint-Calais, le 28 février 1849.

Fils d’un sabotier qui déclarait ne pas savoir signer son nom, Jacques Desgrouas fit partie, d’octobre 1836 à septembre 1838, de la troisième promotion d’élèves de l’École normale d’instituteurs du Mans créée en application de la loi Guizot du 28 juin 1833. Il en sortit muni du brevet élémentaire.

D’avril 1839 au début de 1846, Desgrouas enseigna à Crissé, commune d’environ 1 300 habitants dans le canton de Sillé-le-Guillaume, où il donna toute satisfaction tant à ses supérieurs, qu’aux autorités locales et aux parents de ses élèves. Il se plaignit toutefois du mauvais état de la maison d’école. Dans ce poste, il répondit à deux enquêtes lancées, l’une en 1840, l’autre en 1845, auprès des instituteurs par le Recteur de l’académie d’Angers désireux de connaître leurs conditions professionnelles (matérielles et morales), leurs méthodes d’enseignement, les progrès de l’instruction primaire dans leur localité, les réformes qu’ils envisageaient. En 1840, après onze mois d’exercice, Desgrouas déclarait être devenu instituteur par vocation. En 1845, pour expliquer le faible développement de l’instruction primaire, tant dans sa commune que « dans toute la France », il mettait en cause « le mode de paiement de l’instituteur » [traitement fixe à la charge de la commune et rétribution mensuelle payée par les parents aisés] : « L’instruction primaire, surtout pour l’habitant des campagnes, ne sera jamais ce qu’elle devrait être pendant qu’elle ne sera pas dette de l’État ».

En janvier 1846, l’instituteur de l’école publique de garçons de Saint-Calais, chef-lieu d’arrondissement, ayant déserté son poste, l’inspecteur Solaire proposa à Desgrouas d’assurer au plus tôt, à titre temporaire, la continuité du service dans cette école de 120 élèves. Desgrouas reçut ensuite l’agrément des autorités locales. Comme la plupart de ses collègues instituteurs dans un chef-lieu d’arrondissement, Desgrouas siégea au comité d’arrondissement (pour l’instruction primaire)

Dans son rapport hebdomadaire daté du 11 février 1849, dans la phase réactionnaire de la Seconde République, le sous-inspecteur Henry disait au Recteur avoir constaté « l’esprit effrayant d’indépendance chez le plus grand nombre des instituteurs des cantons de Bouloire et de Vibraye » réunis en conférence sous sa présidence. Afin de « donner à Monsieur le Recteur une idée des dispositions de quelques-uns de nos instituteurs », il lui transmettait copie de « la lettre de M. Desgrouas, instituteur public à Saint-Calais [ville proche de Bouloire et de Vibraye], insérée dans le numéro de samedi 27 janvier 1849 » du journal L’Émancipation, « feuille destinée aux instituteurs » précisait-il. [L’Émancipation de Toulouse, d’après La Province du Maine, op.cit.].

Dans cette lettre, Desgrouas se félicitait de l’existence de « la vaillante Émancipation » appelée, selon lui, à être pour les instituteurs un « appui » et « un drapeau ». Dans son combat pour élever « le niveau de l’influence des instituteurs à mesure que s’élèvera le niveau de l’instruction des masses », écrivait-il, elle pouvait compter sur le soutien de tous les instituteurs, y compris de ceux contraints de se taire de se ménager, d’être circonspects car « isolés au fond des campagnes, n’ayant entre eux que des rapports peu fréquents, dépendant de leur curé, dont ils ont à redouter l’influence dangereuse » ; « leur courage, quoique réel, est souvent passif et latent ; mais il n’en est pas moins ferme et au jour d’une grande et décisive opportunité, on le verrait se produire avec une universalité qui étonnerait les observateurs les plus sagaces et les plus confiants dans l’avenir ». Et d’ajouter : « […] notre influence [celle des instituteurs] grandit avec le développement de l’intelligence des masses. Elle est donc bien légitime, notre influence, puisqu’elle est subordonnée aux progrès de la raison ! C’est que nous ne voulons pas en abuser, nous, pour fanatiser, soumettre et abaisser le peuple ; mais pour l’éclairer, élever son intelligence, pour le moraliser, développer les nobles sentiments de son cœur ; pour combattre ses défauts qui ont souvent pour principe des qualités mal dirigées et poussées à l’excès. En un mot, pour le rendre plus digne et plus heureux ».

De cette lettre, qui eut un retentissement au moins local, les rédacteurs de l’hebdomadaire catholique La Province du Maine retinrent surtout deux passages :
- Celui présentant les instituteurs comme opprimés par leurs inspecteurs alliés des curés : « Il ne faut pas oublier que les inspecteurs eux-mêmes, par une déplorable condescendance envers les curés, qui sont en mesure de les recevoir confortablement, prennent quelques fois fait et cause en mains pour eux contre nous, et nous font un crime de ne pas ramper assez devant nos oppresseurs ».
- La dernière phrase de la conclusion présentée ironiquement par la feuille catholique comme « bien rassurante pour les familles qui veulent que leurs enfants reçoivent une instruction religieuse ». Desgrouas y affirmait au nom des instituteurs : « Oh ! oui, notre cause triomphera et le reptile congréganiste a beau relever audacieusement la tête, échauffé qu’il est par quelques rayons de chaleur factice qui lui viennent des régions de l’intrigue, il la baissera de nouveau cette tête hideuse et, cette fois, pour toujours ».

Dans son édition du 27 février, L’Union (tendance modérée) publia le texte de Desgrouas afin « de faire connaître à la population de Saint-Calais l’esprit qui anime l’homme auquel elle confie ses enfants ». Et d’ajouter : « Desgrouas est libre d’être irréligieux mais ce que nous regardons comme le complément nécessaire à la liberté d’enseignement c’est que la lumière soit faite sur les doctrines du maître et que le père de famille sache entre quelles mains il remet l’avenir de ses enfants ». Suit une longue diatribe contre l’Université non débarrassée des influences anticléricales voire antireligieuses.

Traduit devant le comité d’arrondissement le 28 février 1849, Desgrouas « avoua ». À l’unanimité des membres présents, il fut révoqué de ses fonctions d’instituteur. Pour le sous-préfet, président de droit du comité, la lettre de Desgrouas révélait « un sentiment d’orgueil impatient de toute hiérarchie, de toute règle, de toute loi et de tout contrôle, de la part d’un homme qui se dit et écrit être appelé à élever son influence en élevant les intelligences, à développer les cœurs ». Le 7 mars, l’inspecteur des écoles Dalimier écrivait au Recteur : « Comme tant d’autres, Desgrouas a pris la République pour le signal d’une émancipation illimitée. Puisse son exemple être utile autour de nous ainsi que l’acte sévère du comité ! J’attends ce résultat ».

Certains prétendirent que Desgrouas avait été politiquement influencé par Jacques Têtedoux*, un ancien condisciple de l’École normale du Mans, instituteur à Vibraye depuis 1846, républicain. Ajoutons qu’à cette affaire politique se mêlèrent des rumeurs sur la moralité privée de Desgrouas, apparemment resté célibataire : il aurait tenté de séduire la sœur de son sous-maître, belle-sœur du curé de Fougères-par-les-Montils (Loir-et-Cher) !

Après sa révocation, on perd la trace de Desgrouas.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article142628, notice DESGROUAS Jacques par Gérard Boëldieu, version mise en ligne le 25 octobre 2012, dernière modification le 26 octobre 2012.

Par Gérard Boëldieu

SOURCES : Arch. Dép. de la Sarthe : 1 T 1022 (élèves de l’école normale du Mans de 1834 à 1850) ; 1 T 107 et 1 T 491 (écoles et instituteurs du canton de Sillé-le-Guillaume avant 1850) ; 1 T 145 (écoles de Saint-Calais avant 1850) ; 1 T 587 (rapports hebdomadaires des inspecteurs au Recteur, dont ceux de 1849) ; 1 T 563, 564, 577 (correspondance des inspecteurs avec les autorités administratives). — L’Union, 27 février 1849. — La Province du Maine, 10 mars 1849. — État civil d’Épineu-le-Chevreuil (consulté sur le site internet des Archives départementales de la Sarthe).

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