DE POTTER Louis, Antoine.

Par Jean Puissant

Lophem (commune de Zedelgem, pr. Flandre occidentale, arr. Bruges), 26 avril 1786 – Bruges, 22 juillet 1857. Publiciste, acteur de la Révolution belge de 1830, membre du gouvernement provisoire, tenant d’une république sociale, père d’Agathon de Potter.

Louis de Potter est issu d’une famille de la petite noblesse ouest-flandrienne dont plusieurs membres font non seulement partie de l’administration ou de l’armée autrichienne d’ancien régime mais partagent les convictions « joséphistes » de l’empereur d’Autriche. de Potter reçoit la meilleure éducation, grâce à des précepteurs ou dans des institutions de qualité à Bruges, à Bruxelles, mais aussi à Lille (département du Nord, France) et en Rhénanie où sa famille s’est réfugiée un moment, en raison des mouvements révolutionnaires qui ébranlent les Pays-Bas et la France entre 1789-1793. Doté d’une forte culture classique, il lit et parle plusieurs langues.
Une paternité incongrue en 1807 le fait envoyer, par sa famille, découvrir l’Europe, la France d’abord, l’Italie ensuite, muni des meilleures recommandations. Louis de Potter est accueilli à Florence par la famille du cardinal de Ricci, démis par Rome pour déviance. Il y trouve une importante bibliothèque qui le mène à des recherches sur l’histoire de l’église. Son ouvrage, L’esprit de l’église ou considérations philosophiques sur l’histoire des conciles et des papes depuis Charlemagne jusqu’à nos jours, paru à Paris en 1821, et suivi en 1825 à Bruxelles (puis contrefait à Paris) par la Vie de Scipion de Ricci, évêque de Pistoie et de Prato, attire l’attention de l’opinion libérale en Europe. Ce dernier ouvrage, mis à l’index, est interdit en France. À cette occasion, il rencontrera même le roi des Pays-Bas, Guillaume 1er, qui y trouve justification de sa politique de « containment » de l’Église.
Durant ses pérégrinations, de Potter croise Félicité-Robert de Lamennais, Henri Lacordaire, Stendhal et surtout Philippe Buonarotti que lui présente sa compagne, l’artiste peintre Matilde Meoni, et qu’il reverra à Bruxelles.

Rentré en Belgique pour raisons familiales en 1823, Louis de Potter s’installe à Bruxelles avec sa mère devenue veuve. Il refuse de lever les lettres de noblesse. Il s’en explique : « … si donc, la noblesse ne donne point de vertu et si elle peut s’allier avec tous les vices, si elle-même peut devenir la récompense de tous les crimes, si en un mot la noblesse, par elle-même n’est rien, pourra-t-on trouver étrange que je n’en veuille point ?... On est toujours assez bien né quand on est né comme tout le monde. »

Sur le plan privé, Louis de Potter a donc un premier fils, Victor Armand de Potter d’Eleghem (1807-1894) dont l’arrivée décide de son avenir impromptu. Compagnon de Sophie-Eugénie Van Wijdeveldt alias Sophie de Champré, fille d’un « tapissier » brugeois (en 1826), il a trois enfants : Agathon (1827-1906), docteur en médecine et publiciste, Éleuthère (1830-1854), artiste peintre, et Justa (1834-1875) qui épousera le général Brialmont.

Collaborateur du libéral Courrier des Pays-Bas dont il deviendra rédacteur en chef, fondateur de la libérale « Société des 12 », Louis de Potter est l’auteur d’un éditorial, publié le 8 novembre 1828, qui préfigure « l’union » entre les opinions catholique et libérale opposées à la politique de Guillaume d’Orange : « Jusqu’ici on a traqué les jésuites, bafouons, honnissons les ministériels… ». Accusé de complot contre l’État, Louis de Potter est condamné à dix-huit mois de prison et 1.000 florins d’amende. Incarcéré à la prison des Petits Carmes à Bruxelles, il poursuit sa campagne de libelles antigouvernementaux en publiant notamment en juin 1829 L’union des catholiques et de libéraux des Pays-Bas. Sa cellule devient le rendez-vous de tous les opposants. Sa popularité grandit. Un nouveau procès, collectif cette fois (Adolphe Bartels, de Potter, Jean-François Thielemans…), basé sur les correspondances saisies dans sa cellule, a lieu au printemps 1830. C’est le prélude aux événements révolutionnaires qui vont suivre.

Condamné au bannissement avec ses compagnons d’infortune, interdit d’entrée en France, Louis de Potter erre un moment en Rhénanie, avant d’être admis à gagner Paris à la suite de la révolution de juillet 1830. Il ne participe pas aux événements d’août et de septembre 1830 à Bruxelles qu’il ne rejoint que le 28 septembre, après donc la fin des combats et le retrait de l’armée hollandaise, car il est appelé par le Gouvernement provisoire dont il fait désormais partie.

Acclamé par la foule, Louis de Potter est le leader le plus populaire, le plus radical et le plus âgé – il a quarante-quatre ans – de la révolution en cours. Mais il est réticent, voire hostile au cours institutionnel que ses collègues mettent en œuvre : l’élection d’un Congrès national chargé de voter une constitution. Il reproche à ses collègues, souvent amis, de ne pas utiliser « le mouvement de la révolution » pour aller plus loin. Il est soupçonné de vouloir s’imposer dans une perspective « césarienne », sinon autoritaire. « J’ai dit que la révolution faite par le peuple devait tourner toute entière pour le peuple. » Il est partisan d’une république sociale, caractérisée par la baisse des impôts de consommation et celle des dépenses de l’État. « Point d’économie possible sous la royauté », écrit-il dans la Profession de foi politique, publiée le 31 octobre 1830. Isolé, il se retire de la vie politique après avoir prononcé le discours d’ouverture du Congrès national du 10 novembre 1830. Il y réitère son projet de voir le Gouvernement provisoire, émanation directe de l’insurrection populaire, poursuivre son œuvre. Il démissionne le 13 novembre suivant.

Louis de Potter tente de mener l’opposition au nouveau pouvoir, en publiant notamment des articles dans Le Belge, L’Émancipation, entre décembre 1830 et février 1831, et en créant la « Société de l’indépendance nationale » le 14 février 1831, tentative tardive de structuration d’une opposition républicaine. S’estimant menacé – il est effectivement surveillé par la police –, de Potter s’exile à Paris à la fin février 1831.

La monarchie héréditaire est en effet votée à une large majorité par le Congrès national le 22 novembre 1830. La phrase que Louis de Potter prononce après la présentation du projet de constitution au Gouvernement provisoire, caractérise son sentiment d’alors : « Ce n’était pas la peine de verser tant de sang pour si peu de choses. »
Maurice Bologne, en 1930, argumente qu’il y a eu une « Révolution prolétarienne » à l’origine de la Belgique en 1830 et que de Potter en est devenu le leader mais que la révolution a été confisquée par la bourgeoisie. Louis de Potter est le premier à l’avoir dénoncé. Mais le propos n’est-il pas anachronique ? La participation des classes populaires à la révolte a incontestablement rendu possible la « révolution nationale ». Les troubles sociaux nés en 1830 de la crise économique, des mesures prises par le gouvernement des Pays-Bas, se poursuivent en 1831 également en raison des conséquences économiques des révolutions européennes.

Louis de Potter est incontestablement le dirigeant le plus populaire et le plus radical en septembre-octobre 1830, mais à aucun moment il n’apparaît comme un chef de parti. Il ne cherche pas d’alliés, ne prend pas la tête du mouvement social pas plus que n’apparaissent un prolétariat, des revendications ou des organisations de la classe ouvrière. Du moins, on peut affirmer qu’il est la figure de proue, le porte-parole de la mouvance républicaine de gauche qui invoque constamment « le peuple ». Il donnera, par la suite, plus de consistance à l’expression de « république sociale ». Ses prises de position contradictoires sur la situation, y compris l’idée d’un retour aux Pays-Bas reconstitués sur de nouvelles bases en 1839, puisque « la république sociale a échoué », n’en font désormais plus un acteur de la politique nationale. En revanche, sa renommée et ses talents de publiciste lui permettent d’intervenir dans le débat sur la société du futur, « sur les devoirs des gouvernants envers les gouvernés, des fonctionnaires publics envers le peuple. » (La Tribune, 15 mars 1831).

À Paris où il poursuit des activités de publiciste sur l’histoire du christianisme, Louis de Potter collabore à certains titres de la presse française, notamment à L’Avenir. Mais surtout il rédige, avec Lamennais, un « acte d’union proposé à tous ceux qui, malgré le meurtre de la Pologne, le démembrement de la Belgique et la conduite des gouvernements qui se disent libéraux, espèrent encore en la liberté du monde et veulent y travailler. » Il s’agit de coopération internationale, voire d’union européenne, notamment pour améliorer la condition matérielle des classes inférieures. Il ne signe pas ce texte, soutenu par Lacordaire, Montalembert…, sans doute en raison de son statut d’étranger. Il regagne la Belgique en 1839, après être intervenu dans la presse belge contre la ratification du Traité des XXIV articles, signé à Londres en 1831, désormais accepté par le roi des Pays-Bas, ce qui a suscité une enquête policière à Paris. Il s’installe à Bruxelles, rue Royale extérieure.

Louis de Potter entretient une correspondance avec Jean Colins, tenant d’un « socialisme rationnel », qui l’influence fortement. Son fils, Agathon, poursuivra dans cette voie au point d’en devenir le principal disciple. de Potter publie alors plusieurs ouvrages sur la question sociale et tente de lancer un journal, L’Humanité, sous-titré Par la raison pour l’humanité qui paraît à vingt-six reprises du 3 février au 1er mai 1842. Le 14 juin 1846, à la veille de la tenue du Congrès constitutif du Parti libéral à Bruxelles, il fait distribuer une feuille volante titrée Le memento du Congrès libéral, avec, pour signature, « quelques prolétaires ». Le texte s’en prend à l’hypocrisie libérale à l’égard du catholicisme, tout en soutenant « les catholiques libéraux », un zeste d’unionisme donc. Mais surtout, il exhorte les délégués à prendre « à cœur le sort du peuple » et attend « 1° Un plan de réforme sociales ; 2° des mesures d’exécution… ; 3° des idées d’application relativement au soulagement des classe souffrantes ». C’est en fait le volet social du libéralisme progressiste repris dans le programme du Parti libéral mais jamais entrepris du fait de la majorité conservatrice en matière économique et sociale au sein du nouveau parti. Le « memento » présuppose l’avenir : « Ne permettez pas qu’on puisse vous accuser d’incapacité présomptueuse ou de mauvaise volonté. Chargez le temps seul de la responsabilité des maux qui nous affligent. Aussitôt que le besoin en sera réel, des réformateurs sans peur et sans reproche viendront en aide au temps et la question sera vite résolue à la satisfaction de tous. » Le problème vient de la « domination, despotisme du capital sur le travail » … « La richesse ne manque pas, mais elle est irrationnellement ou iniquement distribuée. Ceux qui la multiplient n’ont à leur disposition aucun des moyens de la produire, et n’en produisent rien pour eux. Et ceux qui possèdent tous ces moyens ne produisent rien et accaparent tout » (Le patriote belge, 6 juin 1846).

Louis de Potter ne prend aucune part aux événements de 1848, excepté une brochure sur les ouvriers français. À cette occasion, Jottrand lui reproche de ne proposer aucune orientation à ce propos. En 1852, la création d’un groupe colinsien autour de Jules Brouez à Mons lui apparaît enfin comme un premier ancrage salutaire. À son ami David d’Angers qui s’en inquiète, il répond le 7 août 1841 : « Je ne suis pas plus communiste que babouviste, owéniste, fouriériste, saint-simonien, etc… etc. Rendons à nos compagnons de misère sociale tous les services qui dépendent de nous. »

Mais ce sont surtout ses funérailles civiles qui concrétisent son inscription dans l’histoire du socialisme en Belgique. Décédé à Bruges, Louis de Potter est inhumé au cimetière « protestant » de Saint-Josse à Bruxelles, accompagné par ses « vieux amis » comme Gendebien, ancien ministre, Adolphe Bartels, Edouard Ducpétiaux, Jottrand*, Quételet, Rodenbach…et ses nouveaux partisans, les membres de l’Affranchissement et des Solidaires, sociétés nouvellement créées, les deux origines du mouvement ouvrier bruxellois, soulignant l’anticléricalisme de sa réflexion et l’engagement social de ses convictions. En guise d’épitaphe, Le Prolétaire de Nicolas Coulon écrit le 2 août 1859 : « La révolution sociale vient de perdre un de ses défenseurs les plus énergiques, et la Belgique un grand citoyen, dans la personne de Louis-Joseph de Potter, ancien membre du gouvernement provisoire. »

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article142998, notice DE POTTER Louis, Antoine. par Jean Puissant, version mise en ligne le 13 novembre 2012, dernière modification le 25 octobre 2020.

Par Jean Puissant

ŒUVRE : Bibliographie sélective (sur 78 publications) : De la révolution à faire d’après l’expérience des révolutions avortées, Paris, 1831 (traduction italienne, Lugano 1832) – Histoire philosophique, politique et critique du christianisme et des églises chrétiennes depuis Jésus jusqu’au XIXe siècle, 8 vol., Paris, 1836-1837 – Révolution belge. 1828-1839, 2 vol., 2e édition, Bruxelles, 1840 – La science sociale ramenée à son principe, Bruxelles, 1840 – De l’iniquité sociale et de la justice de Dieu, Bruxelles, 1841 – Études sociales, Bruxelles, 1841-1843 – Coup d’œil sur la question des ouvriers évoquée à son tribunal par la révolution française de 1848, Bruxelles, 1848 – L’ABC de la science sociale ou signification claire et rationnelle de quelques mots dont la valeur indéterminée entretient la confusion dans les esprits et le désordre dans les choses, Bruxelles, 1848 – Catéchisme social, Bruxelles, 1850 – Souvenirs intimes. Retour sur ma vie intellectuelle et le peu d’incidents qui s’y rattachent. 1786-1859, Bruxelles, 1900.

SOURCES : BOLOGNE M., Louis de Potter, histoire d’un banni de l’histoire, Liège, 1930 (avec une forte bibliographie, voir aussi le site www.potter.c.la) – DAELEMANS R., DE POTTER N., Louis de Potter, révolutionnaire belge de 1830. Postface de F. Balace, Charleroi, 2011 (avec iconographie originale) – BERTRAND L., Histoire de la démocratie et du socialisme en Belgique depuis 1830, 2 t., Bruxelles, 1906-1907 – WOUTERS H., Documenten betreffende de geschiedenis der arbeidersbeweging ten tijde van de Ie Internationale (1866-1880), deel I, Leuven-Paris, 1970 (Cahiers du Centre interuniversitaire d’histoire contemporaine, 60) (y compris correspondance à Bartels, à Lucien Jottrand... et de Louis de Potter, conservée à la Bibliothèque Royale de Belgique).

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