LAURENT Marcel, Désiré dit Raymond Fabre

Par Daniel Grason

Né le 13 septembre 1921 à Paris (XVe arr.), exécuté le 1er août 1944 à Montrouge (Seine, Hauts-de-Seine) ; serrurier ; résistant FTPF.

Fils d’Eugène Laurent et de Rosalie, née Potel, Marcel Laurent demeurait depuis mars 1942, 16 rue de Champagne à Vitry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne). Il se maria le 20 septembre 1941, avec Eugénie, Charlotte, née Angot, le 17 septembre 1919, à Paris XIVe arr. Ils étaient les parents d’un garçon de dix-huit mois et d’une fille de trois mois.

Titulaire du certificat d’études primaires, Marcel Laurent s’engagea en 1939 dans une école d’aviation à Périgueux. Il en fut renvoyé en novembre pour inaptitude physique. Serrurier soudeur de profession, il travailla jusqu’en juin 1940 dans une entreprise de travaux publics à Saint-Denis (Seine, Seine-Saint-Denis). Avant l’arrivée des Allemands, il partit en exode en province. De retour en août, il travailla un mois dans un établissement de la rue Sadi-Carnot à Ivry-sur-Seine (Seine, Val-de-Marne), puis chez Abel, dans la même ville, route de Choisy. En mars 1943, craignant d’être requis pour travailler en Allemagne, il partit à Brest où il travailla pour l’organisation Todt jusqu’à la mi-juin 1943. Il redoutait la réquisition, fit un aller et retour de Vitry-sur-Seine, puis loua ses bras dans une ferme du Morbihan,où il fit connaissance avec Jean Ollivier et Robert Degert. En raison de sa situation de réfractaire, il revint en région parisienne.

À Paris, Marcel Laurent eut au cours du mois de février 1944, plusieurs contacts avec Jean Ollivier et plusieurs de ses compagnons, Marcel Laurent toucha cinq cents francs et une carte de pain. Il eut la proposition de travailler à temps plein pour l’organisation à raison de deux mille cinq cents francs par mois, plus deux cent francs par enfant. Il était désormais membre du bataillon Vengeance des FTP (région P 6). Son contact fut Roger Salomon dit Rochard, de quatre ans son aîné. Il lui fit plusieurs recommandations : prendre un pseudonyme, ce fut Raymond Fabre, ne pas parler de son activité à sa femme, quitter son quartier et habiter ailleurs seul. Marcel Laurent ne suivit pas ces conseils, il informa sa femme et resta au domicile conjugal.

Un nouveau venu, Martin, Claude Guy rejoignit l’équipe, il connaissait Robert Degert dit Falot. Il y eut aussi Balan, mais son véritable nom resta inconnu des autres membres de l’équipe. Marcel Laurent fut chargé des contacts entre les uns et les autres et de transmettre les directives pour les actions.

Il participa avec ses trois équipiers, à la mi-mai à un attentat contre un herboriste de Savigny-sur-Orge (Seine-et-Oise, Essonne). Marcel Laurent était chargé de le tuer, l’homme selon Roger Salomon aurait fait incorporer de force une quarantaine de jeunes dans la LVF et dans la Milice. Équipé d’un pistolet automatique 7,65 m/m, il entra dans la boutique, commanda de la menthe et tira... qu’une seule fois. Première action armée, la peur paralysa son bras. Hasard, Marcel Laurent rencontra l’herboriste à la station de chemin de fer Saint-Michel, il portait un léger pansement au cou. Salomon ne tint pas rigueur de cet échec à Marcel Laurent. Une opération pour récupérer des tickets de pain eut lieu dans une boulangerie de Choisy-le-Roi (Seine, Val-de-Marne), puis un débit de tabac fut attaqué à Chelles (Seine-et-Marne), les hommes étaient tous armés. Le lendemain chacun reçut une dizaine de paquets de cigarettes et de tabac. Le buraliste fut dédommagé, il reçut trois mille francs, montant du produit du vol par lettre recommandée.

Le 26 juin 1944 à Montrouge, quatre membres du groupe croisèrent un militaire allemand dans une rue où il y avait peu de monde. Claude Guy et Marcel Laurent étaient sur le trottoir d’en face. Il était 15 heures 45, Robert Degert et Balan tirèrent, Frédérick Zavetzke, un sous-officier allemand membre d’une formation de chars de combat s’effondra, touché de deux balles dans la tête, une à l’abdomen et une à la main droite. Marcel Laurent ramassa l’arme, tous réussirent à prendre la fuite sans être inquiété. Un gardien d’une usine toute proche, aperçut un corps humain allongé, il pensa qu’une personne avait eu un malaise. Ayant constaté qu’il s’agissait d’un meurtre, il alerta des cheminots allemands. La Feldgendarmerie fut prévenue, les services de la police allemande confièrent l’enquête à la Brigade spéciale n° 2.

Le 30 juin, un rendez-vous était fixé Porte d’Italie, un véhicule Citroën volé à l’École des arts et manufactures attendait. À l’intérieur, Georges Schlepp, Marcel Laurent, Claude Guy et deux autres inconnus étaient là. Avec Robert Degert, ils se rendirent à Vitry (Seine, Val-de-Marne) chez un buraliste. Ceux qui pénétrèrent chez le buraliste étaient armés, l’un d’eux annonça « On vient chercher le tabac ! ». Georges Schlepp sortit avec trois sacs, à l’intérieur : cinq cartouches de Gauloises et deux cent quarante paquets de tabac. Le lendemain, pour chacun des hommes ayant participé à l’action, Roger Salomon donna à Marcel Laurent quinze paquets de cigarettes et dix paquets de tabac.

La police municipale organisait régulièrement des contrôles d’identité dans les stations du métropolitain, particulièrement celles ayant plusieurs correspondances. Ce 3 juillet 1944, à la station de métro Bastille, une dizaine de gardiens de la paix en civils, étaient dirigés par un inspecteur de la brigade spéciale n°2. Dans l’un des couloirs de correspondance, un policier demanda à Marcel Laurent : « Avez-vous vos papiers ? ». Il était adossé à la paroi du couloir, lisait un journal, il le lâcha, écarta son veston et sortit un pistolet automatique Mauser de 9 m/m. Le policier se jeta sur lui, un autre vint en renfort, puis d’autres. L’arme était chargée, une balle dans le canon. Dans sa serviette, les policiers trouvèrent une grenade Mills, dans le chargeur de l’arme, dix balles. Fouillé au corps, Marcel Laurent déclara : « Vous avez eu de la chance, j’aurais pu vous descendre tous les deux ». Il fut emmené au commissariat des Quinze-Vingt.

Marcel Laurent fut livré à la Brigade spéciale n° 2. Une perquisition effectuée dans un local 1, avenue de Chanzy à Vitry-sur-Seine, permit aux policiers de découvrir : une mitraillette Sten, sept chargeurs, une grenade Mills, un pistolet automatique Savage calibre 7,65 m/m, un revolver à barillet, modèle Colt de calibre 12 m/m, un lot de cartouches de mitraillette de calibre 9 m/m, une matraque en caoutchouc, une fausse carte d’identité au nom de Marcel Tetiot avec le cachet de la préfecture du Morbihan et sa photographie, un carnet sur lequel étaient notés les frais de l’équipe. Selon un rapport de la police, Marcel Laurent, Claude Guy et Robert Degert auraient été membres d’un groupe clandestin « Les Aiglons d’Ivry ».

Eugénie Laurent fut appréhendée le même jour en début d’après-midi. Fouillée, elle ne portait aucun document ou objet suspect. Cartonnière, elle travaillait depuis 1939 à Vitry-sur-Seine, pour un salaire mensuel de deux mille francs par mois. Elle savait que son mari était réfractaire et qu’il ne pouvait pas trouver du travail en raison de sa situation. Il s’absentait toute la journée sans dire où il allait et ce qu’il faisait. Une fois, il lui remit cinq cents francs qui provenaient selon lui de ses économies. Elle ne le vit jamais avec une autre personne. Il lui recommandait simplement de se « débrouiller avec les enfants » et qu’elle « ne s’en fasse pas pour lui ».

Outre Marcel Laurent, Claude Guy* et Robert Degert* qui participèrent à l’attentat contre le sous-officier allemand à Montrouge furent arrêtés. Il en fut de même pour Raymond Jozon* et Georges Schlepp*, qui tuèrent un sous-officier allemand, à Suresnes, tous les cinq furent exécutés. Arrêtés également, Albert Mansion, Roger Salomon, Lucien et Jeanne Angelard furent déportés le 15 août 1944. Le convoi partit de la gare de Pantin, les installations de la gare de l’Est ayant été détruites par la Résistance. Albert Mansion, Roger Salomon, Lucien Angelard arrivèrent le 20 août à Buchenwald (Allemagne), ils furent transférés à Dora, ils décédèrent à Ellrich, Albert Mansion le 18 janvier 1945, Roger Salomon le 9 mars et Lucien Angelard le 4 avril. Jeanne Angelard déportée à Ravensbrück fut libérée en avril 1945 de Schönefeld.

Eugénie Laurent fut déportée, en direction de Ravensbrück, matricule 57569. Elle était dans le même convoi que ceux du groupe Vengeance. Affectée au commando de Torgau dans une usine de munitions et d’explosifs, elle mourut à Ravensbrück le 21 décembre 1944.

Lors de son interrogatoire dans les locaux des brigades spéciales, Marcel Laurent déclara notamment : « A chaque fois que je voyais Rochard, il me donnait des noms d’individus à descendre. Selon lui, ça n’allait pas assez vite, je ne travaillais pas assez. De mon côté, je n’osais pas lui dire que ce genre de travail ne me plaisait pas du tout ».
Incarcéré, mis à la disposition des Allemands, Marcel Laurent fut exécuté le 1er août 1944, en compagnie de Robert Degert et de Claude Guy, à angle de la rue Fontenay et Marcel Sembat, à Montrouge, là où le sous-officier allemand avait été abattu. Une fiche était épinglée sur Robert Degert, elle portait ces mots : « Ici, j’ai tué un soldat allemand, voilà pourquoi j’ai été exécuté ».

Le 2 août plusieurs bouquets de fleurs furent déposés par des passants là où furent trouvés les trois corps. Une infirmière en tenue déposa une gerbe. Devant ces manifestations de sympathie à l’égard des trois résistants, la police municipale se déploya et invita les passants à circuler. À 17 heures, plusieurs personnes déposèrent une gerbe au Monument aux Morts de la ville, distant d’un kilomètre. Un ruban portait l’inscription : « Hommage aux fusillés de ce matin ».

Les obsèques de Marcel Laurent eurent lieu le 5 août 1944, une cérémonie religieuse se déroula à l’église Saint-Germain de Vitry-sur-Seine. Il fut inhumé dans le cimetière ancien en présence d’une dizaine de personnes.

Dans sa séance du 14 juin 1946, le conseil municipal de Vitry-sur-Seine décida de donner à la rue de Champagne où habitait le couple, le nom de Marcel Laurent. La ville de Montrouge apposa une plaque commémorative le 1er novembre 1944, signé du Comité local de libération, sur le lieu des trois exécutions : « Fusillés à cette place par l’envahisseur hitlérien ». Son nom fut gravé sur les monuments aux morts de Vitry-sur-Seine et de Montrouge.

La veuve d’Eugène Laurent, Rosalie, mère de Marcel Laurent déposa plainte le 9 avril 1945 contre les inspecteurs qui arrêtèrent « ses enfants », son fils, et sa belle-fille Eugénie. Marcel Laurent fut reconnu « Mort pour la France ».
Il a été homologué capitaine FTPF.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article143034, notice LAURENT Marcel, Désiré dit Raymond Fabre par Daniel Grason, version mise en ligne le 30 novembre 2012, dernière modification le 22 novembre 2022.

Par Daniel Grason

SOURCES : Arch. PPo. BA 1801, BA 2104, PCF carton 16, KB 1, KB 10, KB 23, KB 89, 77W 850, IML 1944. - Arch. Mun. Vitry-sur-Seine.- La Fondation pour la Mémoire de la Déportation, Le Livre-Mémorial, Éd. Tirésias, 2004. - État civil, Paris XVe arr.- Arch.com.1BIB025.

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