BODÉNEZ Yves, François [écrit aussi BODÉNES Yves]

Par Jean-Yves Guengant

Né le 15 novembre 1921 au Relecq-Kerhuon, près de Brest (Finistère), mort en déportation le 23 mars 1944 à Dora (Nordhausen, Allemagne) ; militant trotskiste breton.

Yves Bodénes
Yves Bodénes

Yves Bodénez naquit dans la banlieue de Brest, fils d’un employé aux chemins de fer affecté à l’époque à Sotteville-lès-Rouen ; sa mère était sans profession. La famille s’installa à Nantes mais suite à la mort de ses parents, Yves Bodénez revint vivre chez son grand-père cordonnier à Relecqu-Kerhuon.
Électricien dans une entreprise de Brest, il travaillait en 1939 au chantier du cuirassier Richelieu. Dans le cadre de son activité professionnelle, il fit la connaissance du charpentier tôlier Gérard Trévien animateur du groupe trotskiste de Brest qu’il suivit au Parti Ouvrier Internationaliste POI. Sans contact avec la direction du parti, les Brestois (7 sur Brest et 5 sur le Relecq-Kerhuon) s’intitulaient « Parti Communiste Révolutionnaire » et sortaient une première feuille dupliquée, le « Bulletin ouvrier et paysan » (avril 1941), qui devint en juillet 19941, « Bretagne rouge ».
L’attaque de L’URSS par les Allemands entraîna la diffusion d’un tract de soutien aux soviétiques et l’idée que la réunion des communistes dans la lutte commune contre les Nazis, devint centrale dans leur combat. Les Brestois prirent contact avec les militants parisiens du Parti Ouvrier Internationaliste par l’intermédiaire d’André Calvez. Ils suivaient les mots d’ordre sur le nécessaire rapprochement avec les travailleurs allemands et rejetaient les actions contre les troupes allemandes, qui provoquaient des répressions féroces.
Au printemps 1942, Calvez revient à Brest et fait la liaison entre le POI et les Bres-tois. Cela permet la diffusion du journal La Vérité, organe du Parti,
Le mouvement de protestation des Brestois contre le STO en octobre 1942 est pour les trotskistes brestois le début de la véritable résistance, celle de la classe ouvrière. En février 1943, Yves Bodénez affirme : « Je fais corps avec ma classe, ce qui ne veut pas dire que je fais miennes ses erreurs lorsqu’elle se lance enchainer au char de l’état bourgeois. Je dirais plus justement que je me suis intégré au déterminisme historique de la classe ouvrière et que ma vie se consacre à la réalisation de sa mission historique ». (Propos rapportés par Gérard Trévien dans Le Militant, 1947). Il participe à l’écriture des journaux, sous le pseudonyme de Huon.
Les journaux n’étaient sont tirés qu’entre 100 et 200 exemplaires, en raison la difficulté à trouver papier et stencils pour les deux ronéo du groupe. Les thèmes les plus importants sont la situation sociale, la déportation des ouvriers en Allemagne, la terreur, "fasciste et réactionnaire", « commencée par la bourgeoisie française sous Daladier et continuée par les gouvernements fascistes de Berlin et de Vichy ».
Dans la structure naissante du Parti Ouvrier Internationaliste, Yves Bodénez devint délégué régional (la région Bretagne se limite alors à quelques cellules et des militants isolés). Yves Bodénez participe sur son lieu de travail à la collecte d’argent pour la famille de Charles Vuillemin, militant des Francs-Tireurs et Partisans (FTP), qui a pris part avec Yves Giloux à de nombreuses actions contre l’Occupant. Arrêté en février 1943, il a été fusillé le 17 septembre 1943 au Mont-Valérien (Paris).
Il s’engage aux côtés de Robert Cruau au « travail allemand », c’est-à-dire la recherche et l’organisation de soldats allemands antifascistes, au travers de leurs contacts, d’une feuille : « Zeitung fur Soldat und Arbeiter im Western », et du journal du POI, « Arbeiter und Soldat ».
En septembre 1943, le bureau politique chargea Marcel Baufrère de réorganiser la région bretonne et d’en prendre la direction. Il se rendit vers la fin de septembre à Brest pour suivre le « travail allemand » entrepris dans cette ville, sous l’identité de Lestin. Sa femme Odette arriva à Quimper en provenance de Paris le 5 octobre 1943, apportant le journal La Vérité et des tracts pour les soldats allemands. À l’ordre du jour de la réunion chez Éliane Ronël, Marcel Baufrère insiste sur la réorganisation du parti dans la région, la réorganisation du travail dans les AJ, et le « travail allemand ».

Arrêtés à Brest par le SD et conduits à Rennes, Odette et Marcel ne dévoileront pas leur véritable identité. Ils seront déportés sous le pseudonyme de Lestin.

Le 6 octobre Robert Cruau, victime d’une trahison, fut arrêté et tué. Le lendemain, Yves Bodénez fut reconnu dans la rue par le traître, le soldat allemand Leplow. Emprisonné à Rennes, il fut transféré à Compiègne le 14 janvier 1944, en vue de sa déportation. Il fait partie du convoi qui quitte Compiègne le 22 janvier 1944, en direction de Buchenwald , (Convoi I. 172 Fondation pour la mémoire de la déportation), en même temps que Georges et Henri Berthomé, André Darley, André Floc’h, et Gérard Trévien, autres membres du réseau arrêtés. Eliane Ronël est arrêtée le 7 octobre ; Marcel Hic, le 13 octobre à Paris. Albert Goavec, arrêté le 7 octobre, est déporté à Dora le 27 janvier 1943.
Gérard Trévien est le seul survivant du groupe à avoir croiser Yves Bodénez à Bu-chenwald puis à partir du 6 février 1944 à Dora, le complexe souterrain où l’on construisait les armes balistiques (V1 & V2). Il décrit Yves Bodénez comme un homme ayant atteint une certaine sérénité, observa-teur et très sociable, malgré les conditions de vie effroyables : il disait "Maintenant je ne regrette pas d’être venu ici, me dit-il, c’est quelque chose de presque indispensable à tout militant révolutionnaire, on voit des individus sous une autre face, la priorité de l’argent et de la classe sociale n’existe plus. Ici nous sommes égaux. Regarde le commandant ramasser les croûtes de pain qui traînent [...] , il n’a pas eu de chance, il est mort dans le courant de mars, l’année dernière. Il a pris froid à une désinfection où nous avons passé la nuit dehors dans le […] travaillaient dans le tunnel de Dora. On ne sortait que 3 heures par jour on dormait dans ce tunnel, inutile de te décrire l’atmosphère, fumée, poussière, poudre, tu vois ce que c’est. Il est resté deux jours sur une paillasse dans un mauvais état mais avec un moral bon tout de même. J’ai fait ce que j’ai pu pour lui, pas grand-chose puisque je ne le pouvais. Il est monté ensuite au Revier du camp et a dû mourir assez rapidement, par manque de soins. " Yves Bodénez décède le 23 mars 1944. Ce fait est attesté par un papier extrait de son dossier du camp de Dora (Archives de Bad Arolsen).

La ville du Relecq-Kerhuon a donné son nom à une rue.

Voir Georges Berthomé* et Robert Cruau*.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article143155, notice BODÉNEZ Yves, François [écrit aussi BODÉNES Yves] par Jean-Yves Guengant, version mise en ligne le 22 novembre 2012, dernière modification le 26 septembre 2020.

Par Jean-Yves Guengant

Yves Bodénes
Yves Bodénes

SOURCES : Presse trotskyste dont la collection de La Vérité. — État-civil du Relecq-Kerhuon, archives départementales du Finistère, registres 3 E 291/10/1 1897, 3 E 291/12/3, 1904 et 3 E 291 /23/ mariages, 1920. — Archives d’Arolsen, centre de documentation sur les persécutions nazies. — Le Front Ouvrier, 1943. Journal local, en fait les tracts portent en tête la mention « Front Ouvrier - Brest » - « Front Ouvrier, Brest. Monoprix, il n’y a pas que des salauds sur les chantiers… », 1943. — Le Militant, Brest, no 13,‎ octobre-novembre 1947, Bulletin mensuel de la région bretonne du PCI (IVe Internationale). — André Fichaut, « Une résistance différente. Objectif : préparer la révolution », Rouge, hebdomadaire de la Ligue communiste révolutionnaire, n° 2073, 15 juillet 2004. — http://andre-calves.org/

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