Par Jean Charles
Née le 27 mai 1936 à Paris ; étudiante, chrétienne ; « porteuse de valise » du FLN algérien.
Francine Rapiné, fille d’un douanier indifférent en matière religieuse et d’une mère catholique pratiquante, elle-même catholique au point d’avoir envisagé, un temps, d’entrer dans les Ordres, entama des études d’histoire à la Faculté des Lettres de Besançon. Elle avait été sensibilisée aux réalités coloniales par la lecture de Témoignage chrétien et de l’Humanité, par son enseignement, comme institutrice, durant l’année 1955-1956, dans une école primaire franco-musulmane du Maroc puis par un séjour dans le Sud-Oranais. À Besançon, elle reprit contact avec la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) et rencontra des étudiants engagés contre la guerre d’Algérie. Elle noua amitié avec de belles figures d’étudiants « d’outre-mer » -selon la formulation de l’époque-, comme le tunisien communiste Nourredine Bouarroudj, chercheur en biologie – qui devint son professeur d’arabe- ou l’algérien Mouhoub Si Amer, étudiant en médecine, président de la section bisontine de l’Union générale des étudiants d’Algérie (UGEMA) et par ailleurs responsable FLN pour la région centre-est de la France.
Comme ses amis jécistes, Francine Rapiné milita à l’Association générale des étudiants bisontins (AGEB) affiliée à l’UNEF alors dirigée par le courant « Algérie Française » mais conquise en novembre 1956 par les « minoritaires », qui regroupaient autour des catholiques de gauche, emmenés par les étudiants en histoire-géographie Gaston Bordet, Geneviève Lyet, Jean Ponçot (qui devint président de l’AGEB, suite au départ de Gaston Bordet, appelé au secrétariat de l’UNEF), les étudiants protestants et les communistes. Très vite Francine Rapiné accepta de servir d’agent de liaison entre Besançon et Belfort pour les algériens clandestins, puis de transporter de l’argent pour le FLN ; bref de devenir, selon l’expression consacrée, « porteuse de valises ». Elle fut arrêtée le 9 décembre 1957, puis inculpée pour atteinte à la sûreté de l’État et incarcérée à la prison de la Butte à Besançon. Abreuvée d’insultes, traitées au mieux d’ « illuminée », elle fit face.
Le procès, qui fut intenté à Francine Rapiné et au pasteur Étienne Mathiot qui avait accepté d’aider des patriotes algériens en fuite, s’ouvrit à Besançon le 7 mars 1958, dans la salle archi-comble du tribunal correctionnel. Il eut un grand retentissement régional et national : la ferme déposition des accusés, le fréquent embarras du ministère public, le nombre et la qualité des témoins, comme le doyen de la Faculté des Lettres de Besançon, Lucien Lerat, les universitaires Paul Ricoeur, André Mandouze, ou André Philip, ancien ministre du Général de Gaulle ; enfin la plaidoirie de Me Albert Kohler le ponctuèrent. Au président qui lui demandait pourquoi elle avait fait passer en Suisse un non-étudiant, elle répondit : « c’est avec le FLN qu’il y a lutte. C’est avec lui qu’il faudra discuter ». Le jugement tomba le 15 mars 1958 : le pasteur Mathiot était condamné à huit mois d’emprisonnement, Francine à trois ans de la même peine.
Francine Rapiné fit dix-huit mois effectifs de prison à la maison d’arrêt de la Butte à Besançon, où grâce au doyen Lerat et à Jean Ponçot, nouveau président de l’AGEB, elle passa avec succès l’examen de propédeutique. En mai 1959, elle fut libérée par une grâce présidentielle. Mais la guerre la poursuivit : son frère Raymond fut tué en Kabylie le 1er janvier 1960.
Déchue de ses droits civiques, elle termina alors ses études tout en travaillant à la bibliothèque du comité d’entreprise Peugeot-Sochaux. Amnistiée en 1966, elle obtint un poste au lycée de Montbéliard, avant d’aller enseigner en Suisse suite à son mariage, en octobre 1970, avec Michel Fleury ; ensemble, ils adoptèrent deux enfants originaires du Vietnam. Elle termina sa carrière au collège Rimbaud à Belfort puis partit vivre à Antraigues, en Ardèche, où son mari décéda en octobre 2011.
Francine Rapiné a été décorée en 2006 de la médaille de « reconnaissance et considération du peuple algérien ».
Par Jean Charles
SOURCES : Renseignements communiqués par l’intéressée. — Hervé Hamon et Patrick Rotman, Les porteurs de valises. La résistance française à la guerre d’Algérie, Le Seuil, 1982. — Joël Cantaut, Le monde étudiant bisontin face au problème algérien, 1954-1962, Mémoire de maîtrise, multigraphié, 1988. — Paul Ricoeur, Le procès d’Étienne Mathiot et de Francine Rapiné, in Christianisme social, n° 4-5, 1958. — Sybille Chapeu, Trois prêtres et un pasteur dans la guerre d’Algérie, Université de Toulouse, 1996. — Pierre Croissant, L’affaire Mathiot, épisode montbéliardais de la guerre d’Algérie, in Bulletin de la Société d’émulation du Pays de Montbéliard, 2009.