DAUBY Jean, François, Joseph.

Par Jean Puissant

Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), 21 octobre 1824 − Saint-Josse-ten-Noode (Bruxelles), 5 février 1899. Typographe, militant de l’Association libre des compositeurs typographes de Bruxelles, mutuelliste, publiciste, directeur du Moniteur belge.

Auteur d’une forte autobiographie dans le cadre de l’enquête sociologique des ouvriers des deux mondes de Frédéric Leplay, Joseph Dauby nous permet de pénétrer dans l’existence documentée d’une famille ouvrière du milieu du XIXe siècle.

Fils d’un artisan bottier-cordonnier, petit patron qui aurait délaissé ses affaires au moment de la Révolution belge et en raison de son engagement dans la Garde civique, Joseph Dauby fréquente l’école que de sept à neuf ans. Il doit ensuite travailler pour participer au budget familial, comme commis dans une librairie, ensuite comme apprenti compositeur typographe, avant d’entrer à l’âge de seize ans comme typographe à l’imprimerie Lesigne, petite entreprise dont il devient rapidement la cheville ouvrière. En 1860, il prend la direction du Comptoir universel d’imprimerie et de librairie qui édite notamment La Revue générale. En 1869, il est appelé par le ministre libéral de la Justice, Jules Bara, avec qui il a été initié à la Loge maçonnique des Vrais amis de l’union et du progrès réunis en 1858, à la direction du Moniteur belge qu’il assume jusqu’à sa mort. Il s’agit donc d’un exemple d’ascension sociale spectaculaire qu’il convient de replacer dans son parcours.

Dès 1843, Joseph Dauby adhère à la Société typographique de secours mutuels, créée en 1838, et surtout à l’Association libre des compositeurs typographes qui cherche à établir un monopole d’embauche dans les ateliers bruxellois. Ces adhésions relèvent, même à cette date, d’un choix rationnel mais aussi prospectif. Il en devient successivement commissaire et membre du Comité en 1848, secrétaire en 1857) et président entre 1857 et 1860. Comme secrétaire, il mène, avec Alexandre Fischlin, futur patron comme lui, et Auguste Jacquet, un important mouvement qui a pour objectif l’augmentation des salaires et la fixation d’un tarif unique pour le secteur dans la capitale. La plupart des entreprises acceptent un accord qui, selon des modalités diverses, acte ces revendications et prévoit la création d’une commission mixte paritaire chargée d’en surveiller l’application. Il s’agit d’une première dans l’histoire belge. Deux importantes firmes, dont Guyot, refusent néanmoins la convention et dénoncent la coalition. Un certain nombre de responsables syndicaux, avec à leur tête le secrétaire, sont condamnés à une amende de quarante francs en application de l’article 415 du Code pénal. Joseph Dauby, fêté par l’Association, devient donc président.

En 1860, Joseph Dauby abandonne ses fonctions syndicales et est administrateur de la mutualité jusqu’en 1864. À ce titre, il tente de fédérer les organisations existantes, publie un ouvrage et organise un congrès général en vue notamment de discuter d’un projet de retraites ouvrières, défendu par le baron de la Rousselière. Il crée un organe, Le Journal de l’ouvrier (1860-1869), qui préconise la mutualité comme moyen privilégié d’amélioration de la condition ouvrière.

Joseph Dauby participe donc et milite, pendant vingt ans, à la vie associative de sa profession. Il est de tradition dans ce type de syndicat de voir se succéder régulièrement les responsables qui consacrent quelques années à l’organisation. Mais le passage du syndicat à la mutualité indique une orientation nouvelle dans sa pensée. Il s’agit aussi d’un milieu où la porosité entre le salariat et le statut d’entrepreneur est grande – l’investissement est peu onéreux, la compétence et les relations jouent un rôle majeur –.

En 1857, chef d’atelier, Joseph Dauby dit de lui-même : « Les exigences de la profession qu’il a embrassée, secondée par une volonté persévérante, lui ont fait acquérir par lui-même une instruction moyenne assez solide. ». Cette formation l’entraîne en effet vers d’autres horizons. C’est sans doute l’impression, par la maison Lesigne, des volumes de L’enquête sur la condition des classes ouvrières et sur le travail des enfants d’Édouard Ducpétiaux en 1843 qui le dirige vers l’étude des questions sociales. Il publie un premier ouvrage primé en 1851, rédige l’autobiographie, évoquée plus haut en 1857, dont une seconde édition est révélatrice de son évolution. Proche, à cette époque, de Ducpétiaux, il devient, en 1865, directeur de l’imprimerie du Comptoir universel… et écrit dans La Revue générale. Mais la disparition de cette dernière provoque une réorientation de sa carrière.

En 1869, Joseph Dauby est appelé par son « frère » Bara à prendre la direction du journal officiel Le Moniteur belge, fragilisé par une grève de ses typographes. Pour contrer l’influence du syndicat, il crée alors la mutuelle La Fraternelle typographique, organisation patronale, qu’il préside jusqu’en 1880. Il est nommé à ce moment membre de la Commission permanente des sociétés de secours mutuels. Il siège à la Commission d’enquête orale sur le travail de 1886 et est rapporteur sur la question des mutuelles.

En fait, dès 1860, Joseph Dauby prend ses distances avec le mouvement ouvrier contestataire. Son journal prend vivement à partie l’Association internationale des travailleurs (AIT) et sert de moyen de contre-propagande au patronat notamment minier. Adversaire des organisations ouvrières nouvelles, Dauby est néanmoins partisan de lois sociales mais ne veut pas se positionner dans le débat dominant de l’époque entre catholiques et libéraux, considérant que la question ouvrière se situe ailleurs. En 1857, Joseph Dauby publie Le livre de l’ouvrier ou conseil d’un compagnon qui connaît quatre éditions ainsi qu’une traduction portugaise. C’est un manuel de morale pratique à l’usage de la classe ouvrière, centré sur la famille et l’atelier. « La porte de la bourgeoisie est ouverte à tous ceux qui veulent y entrer » conclut-il en 1870, se positionnant en parfait modèle du « bon ouvrier », qualité qu’il n’omet pas d’afficher sur la couverture de ses très nombreux ouvrages, bien longtemps après qu’il ne le fût plus.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article143230, notice DAUBY Jean, François, Joseph. par Jean Puissant, version mise en ligne le 27 novembre 2012, dernière modification le 27 décembre 2019.

Par Jean Puissant

ŒUVRE : Le journal de l’ouvrier, 1860-1869 − Le progrèsLa Revue générale, 1866-1867 − L’Économie chrétienne, 1870-1873 − Compositeur typographe de Bruxelles (Brabant), Ouvriers des deux mondes, t. II, Paris, 1859, p. 193-239 − Aperçu sur l’état économique et social des classes ouvrières en Belgique. Causes et caractères des grèves. Moyens de les diminuer ou de les supprimer. Conditions d’application et d’exécution, Bruxelles, 1879 (Prix Guimard de l’Académie royale de Belgique).

SOURCES : PUISSANT J., « Dauby Joseph », dans Biographie nationale, t. XVI, 1979, col. 147-154 − PUISSANT J., « Le bon ouvrier, mythe ou réalité du XIXe siècle », Revue belge de philologie et d’histoire, t. LVI, 1978, p. 878-929 (bibliographie complète).

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