OLLIVIER Jean, François, Marie

Par Alain Gelly

Né le 17 octobre 1939 à Landerneau (Finistère), mort le 11 juillet 2005 à Landerneau ; programmeur informatique ; délégué du personnel CFDT et représentant syndical au comité d’entreprise d’IBM à Corbeil-Essonnes (Seine-et-Oise, Essonne) de 1965 à 1979, secrétaire général de l’UD-CFDT de l’Essonne (1979-1985), secrétaire confédéral CFDT (1986-1987) ; fondateur et président du CARDE (1992-2005).

Jean Ollivier en 2000
Jean Ollivier en 2000

Fils de François, Marie Ollivier, ouvrier couvreur, catholique pratiquant occasionnel, et de Françoise Paugam, couturière, pratiquante régulière, Jean Ollivier fut le deuxième d’une fratrie de quatre enfants. La mort prématurée de son père, des suites de ses accidents de travail, lui donna le sens de la lutte pour la justice. Élève de l’école Saint-Joseph de Landerneau, on l’appelait « mab an toer » (le fils du couvreur). Il faisait partie des Cœurs Vaillants, était enfant de cœur et participait aux colonies de vacances paroissiales. Il poursuivit sa scolarité comme interne à l’école Saint-Louis de Châteaulin, des frères de Ploërmel, obtenant successivement le certificat d’études primaires, le brevet d’études du premier cycle (1953) et le baccalauréat en mathématiques (1957). Il entreprit ensuite des études supérieures à la faculté de Rennes (Ille-et-Vilaine), préparant simultanément l’entrée dans une école d’ingénieur chimiste et la licence maths-physique-chimie qu’il obtint en 1960.

Appelé sous les drapeaux dans les blindés en 1960 à Saumur (Maine-et-Loire), il fut affecté à Oran (Algérie) après les accords d’Évian en mars 1962 dans le cadre de la lutte anti OAS et du rapatriement des harkis. Favorable à l’indépendance de l’Algérie – profonde conviction renforcée par les débats avec ses amis de la faculté de Rennes – il recevait Témoignage chrétien, sous enveloppe.

Jean Ollivier fut embauché le 2 janvier 1963 à IBM, à l’usine de Corbeil-Essonnes, comme programmeur informatique. Après trois mois, il fut envoyé une année aux États-Unis pour parfaire sa formation. Il s’était syndiqué à la CFTC dès son embauche et, en avril 1965, étant candidat CFDT aux élections des délégués de personnel, son chef de service, puis le chef du personnel de l’usine le convoquèrent pour lui signifier qu’être programmeur et délégué du personnel étaient incompatibles. Il passa outre, fut élu, désigné représentant syndical au CE, persévéra dans son action syndicale, ce qui lui valut ultérieurement d’être rétrogradé en agent technico-administratif, puis technicien de pré-production. Hervé Nathan, journaliste à Libération, dans l’édition du 15 février 2001, rapportait les propos de Jean Ollivier : « Je suis entré en 1963. J’ai été programmeur, puis ouvrier, puis rien du tout. »

Militant actif, Jean Ollivier, qui voulait rompre le monopole de la direction sur l’information, impulsa fin 1966 une série de huit tracts CFDT à propos d’IBM dans l’économie mondiale, avec pour titre « informer, c’est manifester son estime ». Appréciée du personnel, cette communication marqua positivement et durablement la CFDT dans l’usine et l’entreprise. Conscient que l’action syndicale ne pouvait se circonscrire à l’entreprise, Jean Ollivier représentait sa section au syndicat de la construction électrique et électronique (SCEE-CFDT), composante de l’Union parisienne des syndicats de la Métallurgie (UPSM-CFDT). Il fit partie de la délégation du SCEE au congrès de la métallurgie (FGM-CFDT) en avril 1968 à Rouen (Seine-Maritime) où il intervint au nom du syndicat pour dénoncer les comportements des entreprises multinationales, à partir de l’exemple d’IBM. Il représentait également sa section à l’Union locale CFDT de Draveil-Juvisy (Essonne) et, à ce titre, participa avec Gaby Bessière*et Raymond Welker, à la mise en place de l’Union départementale CFDT de l’Essonne (UD 91), dont le congrès constitutif eut lieu le 29 janvier 1969.
En mai 1968, les grévistes des grosses entreprises de Corbeil (SNECMA et EDF) tentèrent de convaincre les salariés d’IBM de participer au mouvement national. A IBM, les salaires étaient supérieurs à la moyenne, avec une direction qui combattait tout mot d’ordre syndical et où aucune grève n’avait été constatée depuis la Libération. L’équipe CFDT, renforcée de jeunes militants, notamment Michel Gayant, Alain Gelly*, Jean Saladin, Jean-Paul Soulard, et consciente des habitudes internes, dont une discipline très autoritaire, n’appela pas à la grève, mais pour la première fois, au restaurant d’entreprise, à une assemblée générale animée par Jean Ollivier. Trois cents personnes s’y rendirent. Croyant sans doute à un appel à la grève, la direction organisa, le lendemain, un référendum sur la question « oui ou non à la grève ». Le vote, obligatoire, encadré par la hiérarchie, par carte perforée comme bulletin de vote, recueillit huit cents voix favorables à la grève sur trois mille votants. Ce résultat minoritaire, vanté le lendemain par le Premier ministre, Georges Pompidou, à l’Assemblée nationale, était pourtant analysé comme une progression dangereuse de la mobilisation par la direction d’IBM, qui ferma l’usine dix jours, le personnel étant payé. Des commissions furent alors organisées à l’extérieur de l’usine, animées par la CFDT, regroupant plusieurs centaines de salariés. Jean Ollivier se rendit à IBM-Paris pour épauler les responsables CFDT, Alfred Chèvre* et René Eon, à la syndicalisation des cadres commerciaux, puis en province, accompagné notamment d’Aymard de Camaret*, de Jacques Martinet* et de Michel Perraud*. Il consolida la création de sections syndicales à Juvisy-sur-Orge (Essonne) puis, sollicité par l’UPSM-CFDT, se détacha à plein temps durant trois semaines, pour cette fonction, dans les entreprises de la métallurgie parisienne. Principal animateur de la négociation sur le droit syndical à IBM, durant le second semestre 1968, il fut nommé délégué syndical central d’IBM-France (1969-1973) par la Fédération de la Métallurgie (FGM-CFDT). Il soutenait les équipes syndicales qui démarraient à Orléans (Loiret) avec Raymonde Benouarab, à Montpellier (Hérault) avec Gérard Auger, à La Gaude (Alpes-Maritimes) avec Claude Hoang, et à Bordeaux (Gironde) avec Joseph Nogue, contre la répression des directions et, sur le site de Corbeil, avec sa section syndicale, il organisa les travailleurs d’entreprises sous-traitantes, particulièrement le nettoyage, qui comptèrent soixante syndiqués sur cent cinquante salariés, et le gardiennage.

La direction d’IBM commença une répression acharnée à l’encontre de Jean Ollivier en 1970. Muté de l’informatique aux achats, isolé dans un petit bureau, il était contraint d’additionner des colonnes de chiffres toute la journée, les résultats étant détruits, devant lui, chaque soir, avec mission de recommencer cette absurdité le lendemain. Cette besogne avait pour modèle celle infligée à Pierre Fleurence, chef-comptable et représentant syndical CFDT aux Aciéries du Forez à Saint-Étienne (Loire), qui fut le thème d’une pièce de théâtre : « 3,1416 ou la punition ». Lorsque le patron des aciéries du Forez fut condamné pour harcèlement par la chambre criminelle de la Cour de cassation, le 10 décembre 1970, Jean Ollivier fut placé dans un local vitré, visible d’un couloir de passage, soumis à trier des composants de circuits imprimés, mélangés chaque soir, pour être retriés le lendemain. Cette exhibition, destinée au discrédit du militant et du syndicalisme, provoqua au contraire une empathie envers la victime, qui eut pour conséquence l’inverse de ce que souhaitait la direction. Le procédé fut arrêté au bout de trois semaines.
Affecté moralement par cette répression, mais nullement démotivé dans ses responsabilités syndicales, Jean Ollivier organisa des sessions annuelles inter sections syndicales IBM, durant une semaine, à proximité d’un des centres, sessions destinées à définir la politique revendicative et à assurer la cohésion face à la répression et ouvertes aux familles des participants. La première rencontre nationale en 1971 fut préparée grâce aux documents d’IBM décrivant les procédures de gestion du personnel. Animée conjointement par Jean Ollivier, André Acquier, secrétaire de la FGM-CFDT, chargé de la branche « construction électrique et électronique », et Gilbert Larroussinie, du Centre intersyndical d’études et de recherches de productivité (CIERP) – fondé en 1951 par la CFTC, la CGC et FO –, cette réunion permit l’analyse sociologique de l’entreprise, à partir d’une étude confidentielle du CIERP. Y avait été invité Daniel Benedict, secrétaire général de la Fédération internationale des ouvriers sur métaux (FIOM), qui souhaitait développer le syndicalisme à IBM, particulièrement aux États-Unis, où l’entreprise était la seule grande multinationale de la métallurgie dépourvue de syndicats.

Parallèlement, Jean Ollivier restait impliqué dans l’action interprofessionnelle, participant à tous les congrès de l’UD de l’Essonne, de 1969 à 1985, et à ceux de l’Union régionale parisienne (URP-CFDT) de 1974 à 1985. Il apporta notamment son aide, avec quelques militants d’IBM, dont Alain Gelly* et Jean Saladin, fin 1973, aux grévistes qui occupaient l’usine Dynamic à Ormoy (Essonne), entreprise de sous-traitance automobile, pour de meilleurs salaires et conditions de travail. Le patron avait fait appel à un commando de la Confédération française du travail (CFT) contre le piquet de grève, puis à une milice privée et armée, payée pour occuper l’usine à son tour, après en avoir délogé les travailleurs, en grande partie immigrés, qui se réfugièrent à la cantine. Jean Ollivier accompagna les représentants CFDT aux négociations de fin de grève, à la direction départementale du travail de l’Essonne. Comme le patron refusait toute rencontre avec des syndicalistes, ceux-ci s’installèrent dans une pièce, le patron dans une autre, obligeant le médiateur, M. Luçon, directeur départemental du travail, à des navettes incessantes d’un local à l’autre.

Lorsque les syndicats d’industrie de l’UPSM (aéronautique, automobile, construction électrique et électronique, mécanique), couvrant l’ensemble de la Région parisienne, évoluèrent en 1974 vers des secteurs métaux départementaux toutes branches confondues, Jean Ollivier entra au conseil du secteur métaux de l’Essonne (devenu Syndicat des travailleurs de la métallurgie CFDT de l’Essonne – STM 91 – en 1977), et à ce titre, participant au conseil de l’UD 91, il devint membre de la commission exécutive en mai 1977. En mai 1979, il fut élu secrétaire général permanent de l’UD 91, succédant à Alain Gelly, jusqu’au 1er décembre 1985. Il s’engagea particulièrement dans la régularisation des immigrés sans papiers en 1981, et dans la défense des droits des travailleurs par le soutien aux conseillers prud’hommes et par sa disponibilité aux permanences juridiques de l’UD. Il fut le principal organisateur de la visite de Lech Walesa, président de Solidarnösc, invité par la CFDT à l’usine SNECMA de Corbeil le 15 octobre 1981. Il devint secrétaire confédéral (janvier 1986-mars 1987) au secteur « société », avant de retourner à IBM Corbeil, comme salarié du Comité d’établissement, chargé entre autres, de l’information et de recherches historiques sur l’usine de Corbeil. Il fit valoir ses droits à la retraite en novembre 1994 et continua de militer avec les retraités à l’UL CFDT de Juvisy.

Au cours de ses responsabilités syndicales, Jean Ollivier avait mesuré la fragilité de l’expérience acquise des luttes ouvrières, notamment chez IBM, dont la direction était experte dans l’art d’instrumentaliser le vécu des travailleurs. Il lui était apparu indispensable de conserver la trace écrite des procédures, décisions, accords, autant d’informations nécessaires pour connaître la réalité sociale, établir, ou rétablir la vérité. Se préparant à écrire l’histoire d’IBM en France, il classait les nombreuses archives collectées dans l’entreprise, stimulé par Alfred Chèvre*, ancien de l’usine IBM à Vincennes (Val-de-Marne), devenu secrétaire du Comité central d’entreprise, et ayant participé avec Roger Gillot à la fondation de l’UPSM-CFTC, qui lui fit don de ses archives (1930-1960). À l’occasion de la sortie du livre d’Edward Black, auteur américain, IBM et l’holocauste (Robert Laffont, février 2001), le journal Libération du 15 février 2001 révélait un dossier intitulé « Le zèle collabo d’IBM-France », largement inspiré du travail de Jean Ollivier. En 2006, selon sa volonté, sa vaste documentation sur IBM (plus de quarante mètres linéaires) fut déposée aux Archives départementales de l’Essonne.

Passionné d’histoire sociale et industrielle, il avait créé, avec Michel Marcon, en 1992, le Centre action recherche et documentation des entreprises (CARDE), association sous la loi 1901, qu’il présida jusqu’à sa mort, et qui avait pour objectif de rassembler, gérer et exploiter les archives économiques des entreprises, administrations et associations.
Adhérent au PSU dans la section de Juvisy-sur-Orge/Savigny-sur-Orge/Viry-Châtillon (Essonne) de 1967 à 1972, il fut aussi membre de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE) à Viry-Châtillon, de 1973 à 1994.

Il s’était marié le 8 avril 1969 à Viry-Châtillon (Essonne) avec Geneviève Larroque, institutrice spécialisée dans l’enfance inadaptée, militante CFDT, qui devint secrétaire générale du syndicat des services de santé et sociaux de l’Essonne. Le couple qui résida à Juvisy-sur-Orge et à Viry-Châtillon, eut quatre enfants : Anne (1970), Guillaume (1972), Frédérique, adoptée en 1975 à l’âge de dix ans et Sandrine, adoptée en 1980 à l’âge de cinq ans.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article143266, notice OLLIVIER Jean, François, Marie par Alain Gelly, version mise en ligne le 29 novembre 2012, dernière modification le 19 septembre 2017.

Par Alain Gelly

Jean Ollivier en 2000
Jean Ollivier en 2000
Au centre : Jean Ollivier, à gauche : Claude Marc, à droite : Lucien Rasle en 1969
Au centre : Jean Ollivier, à gauche : Claude Marc, à droite : Lucien Rasle en 1969

FILMOGRAPHIE : Jean Ollivier archive, Histoires d’IBM, L’Harmattan vidéo, avril 2006.

SOURCES : Arch. UPSM-CFDT. — Arch. Dép. Essonne, fonds Jean Ollivier. — Geneviève Ollivier et Oscar Ortsman, IBM ou la tentation totalitaire, archives de Jean Ollivier. Traces d’une histoire, collection Mémoires du travail, L’Harmattan, 2006. — Syndicalisme hebdo, 3098, 16 novembre 2006. — Libération, 15 février 2001. — Sophie Raffin, Le Républicain de l’Essonne, 19 octobre 2006. — Hervé Nathan, « Jean Ollivier, un archiviste contre IBM », Marianne, du 28 octobre au 3 novembre 2006. — http://www.carde91.com, consulté le 13 avril 2012. — Entretien avec Geneviève Ollivier, 27 mars et 30 mai 2012.

rebonds ?
Les rebonds proposent trois biographies choisies aléatoirement en fonction de similarités thématiques (dictionnaires), chronologiques (périodes), géographiques (département) et socioprofessionnelles.
Version imprimable