FRAISSEIX Jean

Par Michel Patinaud

Né le 29 avril 1922 à Limoges (Haute-Vienne), mort le 20 octobre 2008 à Eymoutiers ; médecin ; militant et élu communiste de Haute-Vienne, élu maire d’Eymoutiers en 1952, exclu du PCF en 1961, réélu comme "communiste indépendant" (1962-1989), conseiller général (1952-1967).

Jean Fraisseix était le neveu du Dr Jules Fraisseix qui n’avait pas de fils. Né à Limoges dans une famille de commerçants (son père fut bijoutier à Paris, puis Limoges), Jean Fraisseix fut marqué par son oncle et suivit sa voie professionnelle comme politique. Marié trois fois, un enfant de chaque union .
Élève du lycée Gay-Lussac à Limoges, il entreprit des études de médecine dans cette même ville, qu’il termina comme externe des hôpitaux de Paris. De ces années datent un goût fort pour la vie de bohème, notamment la fréquentation des milieux artistiques. Il était lui-même un peintre de talent, et grand ami de Paul Rebeyrolle (né lui à Eymoutiers). Jean Fraisseix était aussi réputé pour son amour pour la pêche à la truite, la danse (il ouvrait tous les bals du 14 juillet), et son goût immodéré pour « la fête ».
Pendant l’occupation, menacé de déportation au titre du STO, il prit le maquis, d’abord en Dordogne (médecin de l’A.S. en 1943), puis dans la Montagne Limousine, chère à Georges Guingouin (médecin de l’hôpital des FTP du Grand Bouchet à Domps, durant l’été 1944). À la Libération, il s’engagea et partit pour le front de Royan.
Revenu à la vie civile en mai 1945, ean Fraisseix reprit ses études de médecine à Paris, où il adhéra à l’UJRF (section de la faculté).
En 1951, il rejoignit Eymoutiers, pour prendre la succession de son oncle Jules. Succession professionnelle s’entend, pour la succession politique, ce fut plus difficile. Il adhéra bien au PCF, intégrant le bureau de section en février 1952. Une fronde interne existait déjà, dès la conférence de section, basée sur « un mode de vie petit bourgeois, un témpérament « anarchiste et individualiste », sa jeunesse étudiante (appartenance – invraisemblable – aux Camelots du Roi, présumés mensonges sur « sa » Résistance … L’influence des dirigeants fédéraux du PCF fit pencher la balance dans le sens de Jean Fraisseix. À ce propos, une question subsiste : la contestation aurait-elle été possible sans le soutien discret de l’oncle Jules, qui « aurait » émis des réserves sur l’aptitude de Jean à lui succéder politiquement ? Ce dernier fut cependant élu maire d’Eymoutiers lors d’une élection partielle (décembre 1952), puis conseiller général en 1953. Cet épisode de départ, peu connu, est fondamental pour comprendre l’évolution personnelle ultérieure.
En tant qu’élu et militant, il fut de tous les combats contre le gouvernement : guerre d’Indochine ; affaire de la CED., guerre d’Algérie. C’est ainsi qu’il fut mêlé à « L’affaire des rappelés de La Villedieu », et interné brièvement au fort du Ha de Bordeaux. Plus important encore, mais tout à fait cohérent avec sa philosophie militante, il participa à des luttes internes au PCF, contre l’intervention soviétique en Hongrie, contre la politique nataliste impulsée par Jeannette Vermeersch, pour l’union avec les socialistes. Le quotidien communiste régional L’Echo du Centre publia ce portrait en 1955 (à l’occasion des cantonales) : (Jean Fraisseix) « à ces deux postes, il fait preuve de grandes qualités d’administrateur. Militant communiste dévoué, il s’est acquis la sympathie et l’estime de larges couches laborieuses et républicaines ». À la lecture des engagements qui précèdent, on comprendra que cette « belle façade » ne pouvait perdurer.
Des années 1950, on peut retenir une politique municipale très volontariste, achevant l’œuvre de l’oncle Jules : construction d’un groupe scolaire unique, d’une base nautique, d’un stade « moderne » (pour l’époque), politique très ambitieuse dans le domaine culturel, réalisations pour la jeunesse (centre aéré, colonie de vacances à l’île d’Oléron), gratuité des fournitures scolaires pour les collégiens … Ce qui explique largement sa réélection de 1959, il est vrai qu’une seule liste se présentait (cas unique dans l’histoire municipale d’Eymoutiers).
Les querelles internes devaient apparaître au grand jour à l’occasion des cantonales de 1961. Les dirigeants départementaux du PCF choisirent ne pas renouveler l’investiture du sortant, lui préférant un militant prestigieux - mais limougeaud - Alphonse Denis, ancien résistant et député. Jean Fraisseix se plia apparemment à la décision. Mais ses fidèles avaient préparé une sorte de « coup d’état », faisant réaliser des bulletins au nom de Jean Fraisseix. Non candidat, mais obtenant un excellent score au premier tour, ce dernier décida d’être candidat au second, où il fut réélu. Cette manifestation d’indiscipline provoqua une scission du conseil municipal, largement en faveur du maire, mais aussi son exclusion du PCF. Après plusieurs épisodes rocambolesques, élections partielles en 1962, puis normales en 1965 (deux listes communistes), Jean Fraisseix continua à régner sur la mairie jusqu’à 1989. Jamais plus le PCF « orthodoxe » n’eut d’élu. L’influence locale du maire d’Eymoutiers fut largement réduite par sa défaite aux cantonales de 1967, au profit du maire de Nedde, André Leycure. A l’occasion des municipales de 1971, Fraisseix se rapprocha d’une poignée de « jeunes socialistes », qui lui permit de renouveler largement son électorat, notamment dans les classes plus jeunes. Politiquement, Fraisseix reçut le soutien du PS pour les cantonales de 1979, sans succès. À celles de 1985, son adjoint PS Gilbert Coly, dut « avaler une couleuvre ». Candidat contre son maire, il dut se désister au profit du sortant PCF. Encore la stratégie individualiste de Fraisseix. Sa carrière politique prit fin en 1989, le PS lui refusa son soutien, choisissant une alliance avec les Rénovateurs communistes, représentés par l’ancien adversaire PCF de 1983, et le futur conseiller général, Michel Ponchut. S’opposaient donc en 1989, trois listes comprenant toutes des communistes, encartés, ex-encartés, et fidèles de Fraisseix. Ce dernier subit un échec cuisant. Il n’avait que 67 ans, mais se replia dès lors sur son métier, de manière assez confidentielle, sa carrière politique lui ayant fait perdre de nombreux patients. Jean Fraisseix se fit très discret jusqu’à son décès en 2008.
De sa « deuxième vie » de maire, Eymoutiers garde des choix d’aménagement importants : halle des sports (qui porte son nom), piscine de plein air, dispensaire, construction de l’EHPAD, mais aussi soutien aux clubs sportifs et culturels (notamment un cinéma associatif), et le projet de Musée Rebeyrolle, finalisé par son successeur.
Réputé pour son individualisme, mais aussi autoritarisme (ses colères étaient légendaires), il fut impliqué dans deux affaires de droit commun (1961, 1967), qui pesèrent lourd dans sa carrière politique. Sa vie privée a souvent défrayé la chronique. Cet homme échappait pour une large part aux étiquettes classiques. Il est vrai qu’une bonne partie de la droite locale le soutenait, malgré son anticléricalisme. Il disait à ce propos « mon père lui était anticlérical, moi j’étais seulement athée ». Ce qui ne l’empêcha pas d’engager une partie de bras de fer avec l’évêché, à propos des bâtiments – jugés dangereux - de l’ancienne école libre, qu’il fit démolir d’autorité. Dans ce domaine, est restée célèbre une intervention intempestive lors d’une messe de minuit de Noël. On peut considérer que Jean Fraisseix n’avait « peur de rien » : il s’opposa aussi bien aux autorités de l’Etat (refusant de recevoir le préfet) qu’aux instances professionnelles (l’Ordre des Médecins le traîna devant la justice pour refus de paiement des cotisations). Jean Fraisseix : communiste ? (son bilan municipal plaide pour lui), anarchiste ? Son comportement penche en ce sens. Individualiste ? Sans conteste, même ses amis en convenaient. Jean Fraisseix était cohérent, mais il faisait « ce qu’il voulait », appuyé sur un très large soutien de la population. Il est aujourd’hui très largement oublié à Eymoutiers, notamment par le choix de ses successeurs, qui tardèrent à lui rendre hommage.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article143813, notice FRAISSEIX Jean par Michel Patinaud, version mise en ligne le 28 décembre 2012, dernière modification le 4 juillet 2022.

Par Michel Patinaud

SOURCE : Voir la biographie de Jules Fraisseix. — Michel Patinaud, Un canton « rouge » : Eymoutiers, laboratoire du communisme rural (1945-1989), Université de Toulouse-Le Mirail, 1991. — Michel Patinaud, « Un dissident du PCF : Jean Fraisseix (1952-1989) », 1992 (DEA, université de Limoges). — Emmanuelle Balot, « Les pouvoirs locaux dans le canton d’Eymoutiers : 1935-1953 », 1993 (université de Limoges). — L’Écho du Centre, 12 avril 1955. — SHD, Vincennes, GR 16 P 232477 (nc).

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