Né le 25 avril 1820 à Chartres (Eure-et-Loir), mort à Paris le 7 décembre 1896 ; universitaire ; publiciste ; élu à la Commune où il refusa de siéger.
Rogeard entra en 1841 à l’École normale supérieure, rue d’Ulm, après avoir fait ses études secondaires à Chartres ; il enseigna les langues anciennes dans des lycées de province et devint docteur ès lettres, mais il fut révoqué en 1852 pour n’avoir pas voulu prêter serment à l’Empire et dès lors se lança dans la politique. Arrêté en 1856 pour outrages et rébellion contre agents, puis pour appartenance à une société secrète —voir Joseph — il bénéficia d’un non-lieu ; il fut mêlé aux troubles qu’entraîna l’agitation des étudiants de Sorbonne contre Nisard ; il gagnait sa vie en donnant des leçons particulières, et de 1860 à 1864 fut professeur de rhétorique à l’institution Delacour, rue du Cardinal-Lemoine (Ve arr.), qui lui offrira un refuge en mai 1871. En 1862, il avait fait paraître une brochure électorale au titre significatif : L’Abstention. En 1863, il édita un recueil de 700 versions latines, soigneusement choisies pour leur sens républicain et matérialiste ; il disait faire « un cours de philosophie matérialiste et de politique démocratique en latin, ne pouvant le faire en français ». En 1864, il fonda le journal La Rive gauche et au début de 1865 écrivit les fameux Propos de Labiénus où il s’élevait contre le despotisme bonasse et cruel. Le retentissement en fut considérable et l’auteur dut se réfugier en Belgique. Blanqui y fit sa connaissance ; il était lié avec Pyat, Flourens, Tridon, Vésinier, Pierre Denis etc. Le gouvernement impérial obtint son expulsion de Belgique le 13 septembre 1865 et il gagna Luxembourg, puis, sur une nouvelle expulsion, Londres, la Suisse et de nouveau Londres. En 1868, il était à Madrid, en 1869 à Bruxelles ; il avait été condamné, le 25 mars 1865, à cinq ans de prison pour offenses à l’empereur et aurait pu, en 1869, profiter de l’amnistie, mais il protesta (lettre autographe, datée de Stuttgart le 16 août 1869) contre cette « dernière injure jetée à la renaissance du droit par l’agonie de la force... Je le dispense de la peine de m’ouvrir la frontière ; je rentrerai à mon heure et non à la sienne, pour remplir mon devoir et non pour subir sa grâce ». En fait, il rentra en février 1870.
À la fin de l’Empire, ouvriers et étudiants chantaient les couplets du Lion du quartier Latin qu’il avait composés :
Non, la jeunesse n’est pas morte,Dans sa colère elle a surgi,Que César garde bien sa porte,Le jeune lion a rugi ;Vous riez parce qu’il sommeille,Prenez garde qu’un beau matinIl ne s’éveille,Le lion du quartier Latin.L’étudiant à l’avant-gardeQui conduit au feu l’ouvrier.Il n’a pas perdu la cocardeDe Juillet et de Février ;Arcole, Vaneau, noble raceQui combattait d’un bras certainLes rois en face,Il combattra sur votre trace,Le lion du quartier Latin.
Artilleur du Siège, il envoya dès le premier jour (16 septembre 1870) au journal de Pyat, le Combat, un article où il invoquait le salut public et demandait que la capitale fût déchargée des bouches inutiles ; lorsque Le Vengeur succéda au Combat, il en resta le fidèle collaborateur, et même, lorsque Odilon Delimal fut envoyé à Bordeaux pour y suivre les travaux de l’Assemblée nationale (20 février 1871), le rédacteur en chef. Inlassablement, il y réclama contre les mauvaises conditions de la campagne électorale (3 février), contre la fausseté des monarchistes (17 février), proclama la République au-dessus même du suffrage universel (6 février) et précisa sa pensée le 4 mars : la souveraineté populaire doit être permanente, totale ; le peuple peut toujours révoquer ses élus et l’absence de gouvernement n’est pas un mal, l’expérience des trois jours d’occupation allemande à Paris le prouve ; il le répéta le 4 mai.
Le 30 mars, il salua en termes vibrants l’avènement de la Commune : « Salut à toi, et sois bénie, Révolution communale de Paris !... Fais-nous de bonnes lois [...] à toi le soin de nous guérir par la justice sociale, à toi la gloire de garder fidèlement la République des travailleurs ». Il ne recueillit que 1 462 voix sur 5 499 aux élections du 26 mars dans le VIe arr., 2 796 dans le IIIe arr., 88 dans le IIe et 73 dans le Ve (J.O. Commune, 31 mars). S’attachant à démontrer dans ses articles que la Commune était le seul gouvernement légal (1er, 3, 9 avril), il refusa par souci de légalité le mandat reçu le 16 avril du VIe arr. par 2 292 voix : candidat du Comité central des vingt arrondissements, il ne totalisait pas le huitième des voix et tint donc pour nulle et non avenue sa validation par la Commune (J.O. Commune, 23 avril). Son activité journalistique demeura régulière ; dans La Commune du 22 mars, il prônait le principe électif étendu à tous les pouvoirs publics ; ainsi, disait-il, le peuple « réalise l’idéal moral, qui est le bien, par le vrai ; l’idéal social, qui est le bonheur, par la justice ; et la forme politique définitive, qui est la liberté illimitée de bien faire, c’est-à-dire la République ». Dans le Vengeur surtout, dont il fut secrétaire de rédaction, il s’éleva contre la confusion établie entre les termes de communisme — celui-ci désigne des théories allant de Platon à é. Cabet — et de communalisme, « système de la Commune souveraine ou de l’autonomie des groupes » ; Thiers, disait-il, entretient volontairement l’erreur (9 mai). Il préconisait l’installation dans chaque mairie d’une boîte où les citoyens pourraient déposer les lettres par lesquelles ils communiqueraient leurs idées à la Commune (17 mai).
Hébergé chez des amis durant les combats de mai, il partit vers l’Est et put franchir la frontière alsacienne en un point non gardé, à Avricourt (Moselle) et se réfugia temporairement à Bâle (voir Charles Keller). Il fut condamné par contumace à la peine de mort pour avoir été secrétaire à la préfecture de police. Sans doute est-il également le Rogeard Louis, Augustin, condamné par contumace, le 3 décembre 1874, par le 4e conseil de guerre, à la déportation dans une enceinte fortifiée et à 6 000 F d’amende. Il habita d’abord Vienne (Autriche) où il vécut de leçons. En août 1873, il en fut expulsé avec Barré, Chalain L. et Sachs. Précepteur en 1875 des enfants du comte Téléki, il résida à Pest (Hongrie), puis à Zurich où il rechercha des témoignages pour une "Histoire de la Commune".
Il fut compris dans l’amnistie partielle du 29 mai 1879 et protesta en publiant une brochure cinglante intitulée La Fausse Amnistie. À la nouvelle commission des grâces qui parut à Genève. Il renouvela sa protestation dans les colonnes du Citoyen (13 janvier 1880) contre le terme de « grâce ». Il rentra néanmoins à Paris mais n’y retrouva pas l’audience de naguère ; son public avait été un public d’étudiants, d’hommes plutôt cultivés, et les esprits avaient évolué. En 1880, il ne fut pas admis comme candidat de l’Alliance socialiste à la députation pour le XIe arr. Baudelaire admirait, dit-on, les Propos de Labiénus, mais lorsque leur auteur fut enterré civilement au Père-Lachaise, le 10 décembre 1896, après un mois de maladie, une cinquantaine de personnes seulement, dont Lucipia et Longuet, se groupèrent derrière son cercueil, sous la conduite de Protot, son élève et ami. Rogeard pâtissait du temps écoulé et du fait qu’il n’était membre d’aucun groupe politique.
ŒUVRES : Directeur, avec Ch. Longuet et R. Luzarche, de La Rive gauche, 20 octobre 1864-5 août 1866, publiée à Bruxelles, Luxembourg puis Londres, qui donna des informations sur l’Internationale (cf. Répertoire..., vol. 1..., op. cit.) — Rédacteur au Combat (16 septembre 1870-23 janvier 1871) et au Vengeur (3 février-30 mars 1871), tous les deux dirigés par Félix Pyat. — Rogeard collabora également à La Commune, 20 mars-19 mai 1871. Enfin, en exil, il participa à la rédaction du Travailleur, revue socialiste révolutionnaire (anarchiste) publiée à Genève du 20 mai 1877 à mai 1878.
Livres et Brochures : Appel de la Rive gauche à la jeunesse européenne (avec Flourens, Robert Luzarche, Ch. Longuet (Bruxelles, Fischlin, s. d.) — L’Abstention, brochure électorale, 1862. — Pauvre France (Bruxelles, 1865, réédité en 1866 et 1870). — Propos de Labiénus (Paris, chez tous les libraires, 1865 ; en 1870, on en était à la 22e réédition, en français, anglais, allemand). — L’Échéance de 1869, 1866. — Le 2 décembre de la morale et de la religion (sous le pseudonyme d’A.W. Kinglake). — La Crise électorale de 1869 (Bruxelles, 1869). — Pamphlets (Bruxelles, imp. J. H. Briard, 1869). — La Fausse Amnistie. À la nouvelle commission des grâces. Genève, sans indication d’imprimeur, 1879 [daté in fine : Fiume, 23 juin-23 juillet 1879]. In-8, 8 p.
SOURCES : Arch. PPo., B a/434 (rapport du 18 juillet 1875), B a/368, B a/465, B a/1255 et listes de contumaces. — J.O. Commune, 23 avril, et Murailles politiques de 1871,, vol. 2, p. 97. — J. Clère, Les Hommes de la Commune, Paris, 1871. — Arch. Gén. Roy. Belgique, dossier de Sûreté n° 191021 (en 1880). — La Comune di Parigi (G. Del Bo).