MONTAND Yves [LIVI Ivo, dit]

Par Gwénaëlle Le Gras

Né le 13 octobre 1921 à Monsummano Alto (aujourd’hui Monsummano Terme), en Toscane (Italie), mort le 9 novembre 1991 à Senlis (Oise) ; chanteur, acteur ; sympathisant communiste puis du capitalisme libéral à la fin de sa vie.

Né l’année de la création de l’URSS en 1921, il était le troisième enfant de Giovanni et Giuseppina Livi. Sa sœur Lydia était née en 1915 et son frère Julien en 1917. La famille Livi était très pauvre. Giovanni Livi, militant du Parti communiste italien dès sa fondation en 1921, était persécuté par les fascistes, dont son beau-frère, contraignant la famille Livi à émigrer à Marseille en 1924 et à s’y installer, faute de visa pour les États-Unis, terre d’asile initialement prévue pour cet exil. Ouvrier dans une huilerie puis artisan en balais, Giovanni Livi contribua à organiser des groupes de communistes immigrés. Giovanni Livi fut naturalisé en 1929 en bénéficiant des nouvelles dispositions de la loi de 1927. La sœur aînée, Lydia, exerça le métier de coiffeuse à Marseille et le frère Julien, travailla dans l’alimentation.
En 1932, Giovanni Livi déposa le bilan de sa fabrique de balais. La famille à court de ressources, Ivo, âgé de onze ans, arrêta l’école pour travailler à l’usine. Il décrocha un CAP de coiffure à quatorze ans et travailla avec sa sœur comme coiffeur. C’est à cette époque que le jeune Ivo découvrit émerveillé les comédies musicales américaines et les numéros de claquettes de Fred Astaire, son idole.
Le 17 février 1944, alors qu’il avait déjà connu quelques succès avec ses premiers tours de chant à Marseille et dans la région, Montand débarqua à Paris sans papiers pour fuir les rafles pour le service du travail obligatoire en Allemagne (STO). Il décrocha un contrat à l’ABC, puis dans plusieurs salles parisiennes et rencontra Edith Piaf qui le prit sous son aile et l’aida à devenir un chanteur reconnu. Il débuta en parallèle une carrière d’acteur.
À une époque où le PCF constituait le premier parti de France, Montand devint « le prolo chantant » de l’après-guerre. En 1949, Simone Signoret*, séparée d’avec Yves Allégret, lui fit oublier sa rupture avec Piaf. Le tandem Montand-Signoret se maria deux ans plus tard. Ils devinrent l’un des couples français les plus engagés et en vogue du monde du spectacle et furent un temps de fidèles compagnons de route du Parti communiste, sans jamais en être membres.

Yves Montand, possédant une conscience de classe aiguë au point d’adhérer à la CGT, se disait lui-même « communiste de naissance ». « Pour mon père et pour moi, le communisme était un réflexe juste, que nous acceptions sans aucune discussion. Je veux dire que le problème qui se posait à mon père et qu’il avait à résoudre, lui et tous les travailleurs de cette époque, c’était de trouver du pain. » (Yves Montand, L’Express, 11 mai 1970). Son frère Julien Livi était, lui, membre du PCF et de la CGTU puis de la CGT et occupa des fonctions syndicales importantes jusqu’aux années 1970.

Au contact de Signoret, Montand s’entoura de figures marquantes du milieu intellectuel de l’époque, tels Simone de Beauvoir*, Jean-Paul Sartre* ou Jorge Semprun*, et milita en faveur de la paix et de ses idées de gauche. En 1949, il prit part comme Signoret, Gérard Philipe, Picasso*, Claude Roy* ou Simone de Beauvoir, au Mouvement de la paix et signa l’année suivante l’Appel de Stockholm contre la bombe atomique. Il défendit les époux Rosenberg et condamna vigoureusement le maccarthysme au prix d’un boycott aux USA qui ne prit fin qu’en 1959. Qu’à cela ne tienne, il protesta contre la chasse aux sorcières en interprétant sur les planches (en 1954) et au cinéma (en 1957 dialogué par Jean-Paul Sartre) aux côtés de Simone Signoret la pièce antifasciste d’Arthur Miller, Les Sorcières de Salem, sous la direction de Raymond Rouleau.

1956 marqua une première crise de conscience pour Montand, déstabilisé dans un premier temps par le rapport Khrouchtchev qui jetait le discrédit sur toute une époque marquée du sceau communiste en dénonçant les crimes de Staline. Montand hésita ensuite longuement à maintenir son tour de chant en URSS, lorsque les chars russes envahirent Budapest. La rupture politique n’était pas encore à l’ordre du jour, mais son séjour à Moscou, puis dans toute l’Europe de l’Est l’année suivante, lui laissa un goût amer, bien qu’il ait pu demander des explications sur les causes de l’intervention soviétique en Hongrie à Nikita Khrouchtchev lors d’un long entretien.
Montand s’opposa aussi à la guerre d’Algérie, ce qui lui valut d’apparaître dans la liste noire de l’OAS.
Mais sa rupture idéologique avec le PCF n’intervint de manière définitive qu’en 1968, avec l’invasion de la Tchécoslovaquie, et la mort de son père. La rupture était consommée. Son revirement politique devint total. Il se brouilla pendant vingt-six ans avec son frère Julien Livi, resté militant syndicaliste et communiste.

Lui qui avait cru en un communisme libérateur, porta un regard extrêmement critique sur lui-même, au point d’expier son passé dans sa chair à l’écran, comme entre les prises, en gardant menottes aux poings tant ce rôle résonnait en lui, dans L’Aveu (Costa-Gavras, 1970) où il incarnait le vice-ministre tchèque Artur London incarcéré par le régime communiste. Aux côté de Costa-Gavras, il dénonça d’ailleurs autant le totalitarisme de droite que de gauche dans les deux autres volets de cette trilogie avec Z en 1969, où il incarna Grigoris Lambrakis, un député grec de gauche assassiné par des fascistes, et État de siège où il était un agent américain, inspiré de Dan Mitrione, conseiller d’un régime militaire sud-américain, enlevé par l’extrême gauche.

Son succès de self made man triomphant à Broadway, Hollywood, aussi bien qu’à Moscou ou Pékin, combiné à sa déception de l’application du communisme dans les pays de l’Est, le transforma en libéral de gauche le rendant même partisan du syndicat polonais Solidarnosc de Lech Wałęsa en 1981. Dès lors, il s’offusqua de la présence de ministres communistes au gouvernement, soutint l’implication militaire au Tchad et l’installation des fusées Pershing en Allemagne de l’Ouest. Pour le PCF, il était le loup dans la bergerie. Montand poursuivit son rôle de citoyen engagé en s’investissant dans les causes médicales, humanitaires et politiques ; il apporta son soutien aux réfugiés et aux exilés politiques, signa le manifeste « contre la France de l’apartheid » en 1981, et dénonça le discours raciste du Front National dès 1983. De plus en plus médiatique dans ses prises de position au cours des années 1980, il devint le prototype des stars politiques. Même Coluche ne rencontrait pas le même écho dans l’arène politique, qui, à la différence de Montand, ne fut qu’un amusement pour l’humoriste.

Entre 1983 et 1987, Montand était partout, et s’exprimait sur tout, notamment dans des émissions telles que « Vive la crise » qui affola l’audimat. Fédérateur, car rejetant dos à dos droite traditionnelle et gauche trop romantique, Montand fit craindre à beaucoup l’ascension d’un nouveau Ronald Reagan, qui « a trouvé en France un porte-parole fanatisé en la personne d’Yves Montand » fustige l’Humanité (5 janvier 1984). Entouré d’un véritable staff présidentiel, avec des intellectuels comme Michel Foucault, André Glucksmann, Jorge Semprun, Bernard Kouchner, Jean-Claude Guillebaud, Michel Albert, Chris Marker et Costa-Gavras, Montand devint un phénomène médiatique envié et redouté qui comptait dans le monde politique.

Bien qu’encouragé par les sondages en sa faveur (il fut même élu « homme de l’année » en 1983), celui qui fut le Papet pour beaucoup, après une période d’hésitations, abandonna toute course à l’Élysée en 1987 : « Bien entendu j’y ai pensé… (…) Que des gens aient été prêts à suivre un saltimbanque comme moi, ce n’est pas très bon pour la classe politique » (Yves Montand, La Nouvelle République, 14 décembre 1987).

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article144669, notice MONTAND Yves [LIVI Ivo, dit] par Gwénaëlle Le Gras, version mise en ligne le 4 février 2013, dernière modification le 14 septembre 2018.

Par Gwénaëlle Le Gras

SOURCES : Du soleil plein la tête : souvenirs, souvenirs recueillis par Jean Denys, Paris, Les Éditeurs français réunis, 1955. — Yves Montand, l’artiste engagé, Richard Desneux, Lausanne, éditions Favre, 1989. — Le chant d’un homme : Yves Montand, Richard Cannavo, Henri Quiqueré, Paris, R. Laffont, 1981. — Montand : la vie continue, Jorge Semprun, Paris : Denoël : J. Clims, 1983. — Tu vois, je n’ai pas oublié, Hervé Hamon, Patrick Rotman, Paris, Seuil/Fayard, 1990. — Ivo Livi, dit Yves Montand, documentaire de Patrick Rotman, 2011.

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