CONRARDY Gustave.

Par Jean Neuville - Jean-Paul Mahoux

Liège (pr. et arr. Liège), 19 décembre 1857 – 24 ou 25 avril 1932. Ouvrier typographe, dirigeant syndical dans le secteur du livre à Bruxelles, conseiller communal représentant le Parti ouvrier belge à Bruxelles, conseiller provincial du Brabant.

Gustave Conrardy qui suit ses parents qui déménagent à plusieurs reprises, abandonne l’école primaire à onze ans. À douze ans, il est margeur au Journal de Charleroi. À quatorze ans, il est apprenti typographe à Mons (pr. Hainaut, arr. Mons). À quinze ans, il est orphelin de père et de mère. À ce moment, il gagne un franc par jour. Conrardy émigre à Bruxelles (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale) où il suit alors des cours pour adultes, lit et étudie avec persévérance.

On retrouve Gustave Conrardy, en 1888, secrétaire d’une association typographique, La Solidarité, qui s’est constituée à Bruxelles, le 22 juin 1886, « dans le but d’obtenir, dans les maisons dissidentes » l’application du tarif de l’Association libre des compositeurs typographes de Bruxelles. Une première tentative d’entente a lieu le 22 novembre entre les deux associations mais sans succès. Un peu plus tard, La Solidarité, voulant entreprendre un mouvement, reprend contact. Des commissions se créent de chaque côté. L’intention est commune de lancer un mouvement pour conquérir des imprimeries dissidentes.
À ce moment, on apprend que le journal, La Nation, va être composé au journal Le Rapide. Or ce dernier est composé par des typographes de La Solidarité. La Nation licencie ses typographes, membres de l’Association libre. Cette dernière demande notamment à La Solidarité de n’accepter de faire le journal qu’à son tarif. La Solidarité y met des conditions : que ses membres deviennent membres de droit de l’Association libre, que l’indemnité de grève leur soit payée - La Solidarité versant sa caisse dans celle de l’Association libre - et qu’ils aient droit au bénéfice de la caisse de prévoyance. L’Association libre fait des contrepropositions parmi lesquelles le paiement de l’indemnité de deux francs cinquante aux typographes de La Rapide en cas de grève.
Gustave Conrardy signe, avec le président de La Solidarité, P. Demannez, une lettre de refus. Dans sa réponse à cette lettre, l’Association libre s’indigne : « ... vous exigez que tous les sacrifices viennent de notre côté, et que tous les avantages aillent du vôtre ; vous allez jusqu’à réclamer, comme grévistes, une journée supérieure et celle que vous réalisez en travaillant. Dans ces conditions, qui ne serait heureux d’être gréviste toute sa vie ? ». Le 27 avril 1888, La Solidarité reprend contact. Cette fois, elle accepterait une allocation de grève de trois francs. L’Association libre ne répond même pas.

Il faut attendre la grève de 1890 dans l’industrie du livre pour arriver à la fusion des deux associations. L’origine de cette grève est dans la cessation de travail, le 16 novembre, des jeunes « demi-ouvriers » à l’imprimerie Mertens. Les comités des deux associations, réunis, estiment que le moment d’un mouvement général est venu. Le 19 novembre, une assemblée des différents métiers du livre décide la grève dans les maisons dissidentes. Gustave Conrardy et Émile Hubert, les secrétaires des deux associations, signent ensemble un appel aux typographes. Le 23 novembre, après avoir entendu les résultats obtenus, l’assemblée de l’Association libre vote la fusion avec La Solidarité - c’est en fait une absorption par l’Association libre - et l’amnistie « pleine et entière » est elle aussi votée.

Ce 23 novembre 1890, c’est aussi le passage de Gustave Conrardy dans l’Association libre des compositeurs et imprimeurs typographes de Bruxelles. Il va désormais jouer un rôle important dans l’histoire du syndicalisme dans le secteur du livre. Le 2 décembre 1890, en application d’une décision de l’assemblée du 23 novembre précédent, une section des adhérents est créée à l’Association et c’est Conrardy qui est désigné comme secrétaire de cette section. Le 9 janvier 1891, il devient secrétaire-adjoint, puis, en 1893, secrétaire de l’Association libre, fonction qu’il abandonne en 1895. De 1893 à 1895, il est secrétaire de la Section des adhérents. En 1892, il est membre du Comité de l’École professionnelle de typographie, fondée le 16 novembre 1889. Par la suite, il en sera le secrétaire.

Le 19 avril 1896, la Fédération locale de l’industrie du livre de Bruxelles est créée. Gustave Conrardy est nommé secrétaire lors du premier Conseil général de la fédération, formé le 15 mai 1896. L’année suivante, il est délégué par la Fédération locale au Congrès international de Zürich pour la protection ouvrière. Lorsque la Fédération locale décide de publier le 10 mars 1898 un mensuel, Conrardy est désigné comme rédacteur délégué. Il est également président de la Fédération typographique belge ; c’est à ce titre qu’il signe la convention du livre du 19 décembre 1919.

Gustave Conrardy est membre, avec Victor Baes et Sermon*, de la 21ème section - imprimerie, lithographie, fonderie de caractères et clicherie - du Conseil de l’industrie et du travail de Bruxelles. Il en est le secrétaire. Lors de la rédaction du projet-type de règlement d’atelier pour l’industrie du livre, il est rapporteur avec l’employeur Goemaere. Le projet élimine le principe des amendes.

Gustave Conrardy joue un rôle dans la Commission syndicale (CS - organisation interprofessionnelle socialiste). Lorsque le Parti ouvrier belge (POB) décide à son Congrès de Verviers des 10 et 11 avril 1898 de créer celle-ci, il fait partie du Bureau de la CS, en tant que délégué des fédérations de métier dès le 13 octobre 1898. Au Congrès de 1899, Conrardy représente la Fédération locale avec Henri Bara. Au IVe Congrès de la CS des 14 et 15 décembre 1902, Conrardy présente un rapport sur l’abrogation de l’article 310 du Code pénal. Il réalise un nouveau rapport sur la question pour les Congrès de 1905 et 1910. Le problème de l’article 310 l’interpelle depuis longtemps : en 1892, il avait rédigé une brochure contre ce « célèbre » article et était secrétaire du Comité d’action contre l’article 310.

Au Ve Congrès de la CS en 1903, Gustave Conrardy intervient dans la discussion sur le minimum de salaire pour demander que les communes et les provinces soient obligées d’introduire le minimum de salaire dans les cahiers de charge, que les soumissions ne soient accordées qu’aux patrons « qui paient habituellement le minimum de salaire à tous les ouvriers ». Il prône l’utilisation du label pour les produits fabriqués avec le minimum de salaire. Il présente un nouveau rapport sur le sujet lors du VIe Congrès en 1904.

La question du chômage est, depuis ses débuts syndicaux, l’objet de nombreuses interventions de Gustave Conrardy. Lors de l’enquête de 1886, il avait envoyé une longue note à la Commission du travail dans laquelle, notamment, il signale l’augmentation constante du chômage dans le secteur de l’imprimerie et, notamment, le fait qu’« aucun frein n’est opposé à l’entrée des apprentis ». Dans leur intérêt même, les patrons devraient s’entendre avec les syndicats pour réglementer l’apprentissage. La durée du travail devrait être au maximum de dix heures. L’assurance accidents du travail devrait être assurée par l’État et non par les patrons.
À propos de l’alcoolisme, Conrardy écrit que « le taux des salaires n’influe en rien sur les habitudes d’intempérance » ; « je suis convaincu » disait-il encore, « que l’action morale est la seule toute puissante en cette occurrence ».

Une fois entré dans l’Association libre, Gustave Conrardy est la cheville ouvrière de nombreuses actions syndicales. Ce sera encore plus flagrant lorsqu’en 1896, il devient secrétaire de la Fédération locale. Il est évidemment mêlé à l’élaboration et à la négociation des conventions avec les employeurs, sur les salaires, le temps de travail ou les conditions générales de l’emploi.
Lors du Congrès syndical de 1904, Conrardy intervient dans la discussion du rapport de Jean Bergmans sur les fonds de chômage. Il se prononce pour le système gantois. Lors du Congrès de 1910, son rapport porte sur les bourses de travail : « Les bourses, telles qu’elles existent », dit-il, « fournissent aux patrons en lutte avec les syndicats, le moyen de trouver de la main-d’œuvre en dehors du syndicat. En temps de paix et en temps de guerre, ils y trouvent des supplanteurs ».

Gustave Conrardy est rapporteur de la commission spéciale, instituée le 14 janvier 1909 par l’Association libre, afin d’étudier les modifications à apporter au tarif de main-d’œuvre en vigueur depuis 1900. Il fait partie de la délégation qui négocie la révision avec les employeurs. Il est membre de la commission, instituée le 19 janvier 1910, par le Conseil général de la Fédération locale pour élaborer un projet d’extension de la journée de neuf heures à l’ensemble de l’industrie bruxelloise du livre. Il est cosignataire de la convention du 30 décembre 1911 avec l’entreprise Gauweloos.

On retrouve Gustave Conrardy dans la commission chargée, en 1914, de négocier une convention pour le livre. A l’issue de la Première Guerre mondiale, lors de la dénonciation de la convention de 1914, il fait partie de la délégation de la Fédération locale qui rencontre les délégués patrons le 7 juin 1918.
Gustave Conrardy est aussi impliqué dans l’établissement d’une commission mixte d’arbitrage. Il fait, en effet, partie des délégués désignés le 15 janvier 1907, par le Conseil général de la Fédération à la commission mixte pour discuter les bases d’une commission de conciliation et d’arbitrage. En septembre 1911, il est élu au poll comme membre de cette commission dont il sera le secrétaire ouvrier. Le 4 juin 1912, il devient président ouvrier de la commission d’arbitrage.
Gustave Conrardy, alors secrétaire-adjoint de l’Association libre, est chargé de rédiger la pétition d’août 1891 adressée aux Chambres : elle demande une meilleure protection de l’industrie typographique belge face aux droits de domaine élevés que la France applique aux imprimés belges.

Quelques années plus tard, en mars 1897, lorsque la « machine à composer » commence à s’introduire, Gustave Conrardy est secrétaire rapporteur de la commission spéciale, instituée par l’Association libre, pour étudier le problème en mars 1897. Il n’apparaît pas du tout comme un adversaire inconditionnel de la mécanisation. Dans son rapport de juillet 1897, il conclut notamment : « Nous croyons qu’il est extrêmement dangereux de se donner de l’assurance, comme certains le font, en refusant de se rendre à l’évidence, en déclarant que jamais la mécanique ne sera à même de remplacer l’agilité du typographe. Il ne suffit pas d’affirmer ; il faudrait démontrer sur quoi est basée cette opinion. Nous voulons bien que le problème à résoudre est difficile ; mais qu’y a-t-il encore d’impossible pour la science et le génie des inventeurs ? ». La sixième résolution proposée sur la question est ainsi formulée : "6˚. Il y aura, pour toute machine employée, au moins trois compositeurs à la casse".
Lors de l’assemblée de l’Association libre du 30 octobre 1898, puis lors du poll d’octobre 1899, cette résolution devient : « Il y aura au moins un homme à la casse par machine employée ».

Souvent aussi, Gustave Conrardy est appelé à aider les militants d’autres secteurs du livre à formuler leurs revendications et à mener l’action en vue de les satisfaire.
Fin 1903, il est chargé, avec Henri Bara et F. Vandermosten*, par le Conseil général de la Fédération locale, de conduire les négociations pour le relèvement du tarif des fondeurs. Il fait partie de la délégation, formée le 29 septembre 1907, pour négocier les salaires des relieurs et des brocheurs avec les employeurs. En 1909, le Conseil général le désigne, avec Charles Waterschoot et Henri Bara, pour aider le syndicat des fondeurs dans les négociations avec les employeurs.

Gustave Conrardy est partisan de l’action politique. Il est secrétaire de la Ligue ouvrière de Bruxelles, créée le 2 février 1884. À peine est-il entré dans l’Association libre des compositeurs typographes de Bruxelles en 1890, qu’il est délégué de la Ligue typographique bruxelloise de la réforme électorale, En avant, au Congrès du POB de 1891. Cette ligue avait été fondée le 24 juillet 1882 pour éviter à l’Association libre l’adhésion à un parti politique, « nos statuts et surtout nos intérêts immédiats y étant rigoureusement opposés ». Le 24 novembre 1895, il est élu sur la liste « Parti ouvrier et syndicats unis » (liste des candidats supplémentaires), conseiller communal à Bruxelles.

Rayé par le collège de la liste des électeurs pour les prud’hommes parce qu’il travaille sur le territoire d’Auderghem (pr. Brabant, arr. Bruxelles ; aujourd’hui Région de Bruxelles-Capitale), Gustave Conrardy est déchu de sa qualité de conseiller communal en mai 1898. Le 3 juillet, de nouvelles élections permettent à Émile Hubert, Guillaume Solau* et Vandenbosch de rejoindre le groupe ouvrier du conseil communal. En 1899, Conrardy est réélu sur la liste générale. Il va batailler pour l’aide des pouvoirs publics aux chômeurs. Le 2 octobre 1900, il propose au conseil communal d’inscrire au budget des subsides pour les caisses de chômage et les caisses de retraite. Pour le chômage, il préconise, contrairement à sa position aux Congrès de la Commission syndicale de 1904, le système liégeois, en vain. Il obtient même difficilement la participation de la commune à la commission intercommunale afin d’étudier un projet uniforme de répartition des subsides pour le chômage involontaire dans l’agglomération bruxelloise. Ce n’est qu’à partir du 1er janvier 1909 qu’un système unifié fonctionnera.

En 1908, Gustave Conrardy est élu conseiller provincial du Brabant. Dès le 5 juillet 1910, il dépose une proposition sur l’octroi des subsides pour le chômage involontaire. Là aussi, il recommande le système liégeois. Il intervient aussi pour que les bourses du travail soient subsidiées.
Ces fonctions de conseiller à la commune et à la province, Conrardy les assure jusqu’en 1925.

Le 22 avril 1906, la Fédération locale de l’industrie du livre de Bruxelles fête son dixième anniversaire. « Un beau bronze de Bruchon, représentant la Gloire au travail » est offert à Gustave Conrardy par les membres du Conseil général quelques jours après les festivités de l’anniversaire.

Pour citer cet article :
https://maitron.fr/spip.php?article144701, notice CONRARDY Gustave. par Jean Neuville - Jean-Paul Mahoux, version mise en ligne le 5 février 2013, dernière modification le 16 novembre 2020.

Par Jean Neuville - Jean-Paul Mahoux

ŒUVRE : La clause du minimum de salaire dans les cahiers des charges, in L’Avenir social, 1897, t. II, p. 244-250 − Étude sur la machine à composer, 1904, 56 p. − Fédération locale de l’industrie du livre de Bruxelles créée le 11 avril 1896. Quelques mots sur son action, Bruxelles, 1905 – À bas l’article 310 du code pénal. Le droit de coalition compromis, Bruxelles, 1912, 36 p – Histoire de la fédération locale, Bruxelles, 1921, 516 p.

SOURCES : HUBERT E., Historique de l’Association libre des compositeurs et imprimeurs typographes de Bruxelles, 1842-1892, Bruxelles, 1892 – PEIREN L., De kinderen van Gutenberg. Geschiedenis van de grafische vakbeweging in België vóór 1975, Brussel-Gent, 2006.

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